N° 143, octobre 2017

L’ancienne Maison de l’Iran attend encore l’heure de sa réhabilitation


Samuel Hauraix


Inaugurée en 1969 à la Cité internationale universitaire de Paris, avec le concours de deux architectes iraniens, la Fondation Avicenne est fermée au public depuis 2007 pour des raisons de sécurité. Un projet de réhabilitation est toujours en cours, mais les financements manquent. Une association vient de naître pour s’assurer du maintien de ce site emblématique.

Elle se fait officiellement appeler Fondation Avicenne. Mais à Paris, beaucoup parlent encore de (l’ancienne) Maison de l’Iran. Le lien apparent et officiel entre Téhéran et cette imposante structure métallique, surplombant la Cité internationale universitaire de Paris, n’est pourtant plus d’actualité depuis plusieurs décennies. Malgré cela, Sina Abédi, un doctorant d’origine iranienne et habitué des lieux, n’a pas longtemps hésité pour le nom de l’association qu’il vient de lancer : les amis de la Maison de l’Iran. La visée affichée est simple : participer à la valorisation et au sauvetage du site.

 

Car aujourd’hui, la Fondation Avicenne attend une seconde vie. Depuis 10 ans maintenant, cette résidence qui accueillait par le passé des étudiants de la Cité internationale est fermée au public. La faute à la vétusté des réseaux, des défauts de normes, une insuffisance en isolation thermique et acoustique, la présence d’amiante… Bref une réhabilitation en profondeur s’impose.

 

Les complications actuelles sont liées à « des problèmes plus anciens », juge Milena Crespo. Cette ancienne étudiante en master à l’École du Louvre a rédigé, en mai 2014, l’un des rares mémoires sur l’enjeu de cette réhabilitation, intitulé « Problématique de conservation du patrimoine du XXe siècle » (dirigé par Me Isabelle Pallot-Frossard). Il faut ainsi remonter à la genèse du projet.

Lorsqu’elle est inaugurée en 1969, la Maison de l’Iran est considérée comme une prouesse architecturale.

La Cité internationale universitaire voit le jour en 1925 avec l’ambition d’accueillir des étudiants du monde entier, pour la plupart liés aux grosses écoles, et de pousser à l’échange international. À la fin des années 1950, le gouvernement iranien de l’époque décide de faire construire sa propre résidence. Deux architectes de renom, Mohsen Foroughi (1907-1983) et Heydar Ghiaï (1922-1985), sont mobilisés sur le projet. Deux Français se greffent à l’équipe : André Bloc et surtout Claude Parent, futur lauréat du Grand Prix national d’architecture, en 1979, et célèbre théoricien de la discipline (théorie de la « fonction oblique »). De leur collaboration naît la Maison de l’Iran, inaugurée en 1969.

 

L’ensemble est avant-gardiste pour l’époque, un véritable manifeste de l’architecture contemporaine. La structure est composée de trois portiques d’acier qui grimpent jusqu’à 38 mètres de haut. Sont suspendus à ces portiques, des caissons de quatre étages formant deux blocs d’habitation. Cette expérimentation architecturale peut être scrutée par les automobilistes parisiens empruntant le périphérique voisin, que la Maison surplombe. « Elle est comme un splendide chant du cygne », écrit d’ailleurs, dans l’ouvrage « Réhabiliter les édifices métalliques emblématiques du XXème siècle » (2008), Claude Parent, décédé l’an passé. « Créativité architecturale, approche esthétique, innovation technique : c’est dans ces termes que l’on peut synthétiser la qualité exceptionnelle de cet édifice emblématique de la modernité du XXe siècle », décrit encore le bulletin Docomomo (Documentation et conservation des édifices et sites du mouvement moderne) dans son récent numéro spécial consacré justement à l’architecte français.

 

Pourtant, « dès le départ, assure Milena Crespo, il y avait des problèmes de chauffage, de corrosion ou d’étanchéité. Était-ce un problème de conception ? Une malfaçon ? Le mauvais entretien ? » Ces soucis ne vont pas en s’arrangeant quand, dès 1972, l’Iran décide de retirer sa subvention de ce qui est rebaptisé dans le même temps Fondation Avicenne. Un désengagement financier qui complique la tâche de la Chancellerie des universités, encore gestionnaire aujourd’hui de 17 universités. « Le souci est donc financier à la base, poursuit Milena Crespo, car pour les réparations ponctuelles, la Chancellerie n’a pas le budget. Résultat, 30 ans après, le bâtiment semble déjà obsolète. » Et cela malgré des travaux engagés au début des années 1980.

 

Après la fermeture au public des lieux, en 2007, plusieurs projets de réhabilitation sont proposés. Six ans plus tard, l’intervention de l’agence Béguin et Macchini permet malgré tout de réaménager sous-sol et rez-de-chaussée, et ainsi d’installer « l’Oblique » (nom hommage à Claude Parent), un espace d’exposition permanent qui permet de dynamiser un lieu dont les niveaux supérieurs sont toujours condamnés. « Il s’agissait d’un premier petit projet à 200 000 € », décrit l’architecte Gilles Béguin.

 

En lançant l’association des amis de la Maison de l’Iran, Sina Abédi veut se mobiliser pour faire perdurer le site.

Un projet de refonte à plus large échelle, tout en gardant bien l’esprit de la structure originelle, est pourtant bien dans les tuyaux, nous assure la Cité internationale, selon laquelle Téhéran ne s’est absolument pas rapprochée de Paris quant au devenir du site. Aujourd’hui, « l’étude patrimoniale est sur le point de se terminer », informe Gilles Béguin. L’architecte, en parlant toujours au conditionnel, évoque l’idée d’augmenter le nombre de chambres : « Il y en a 96 actuellement, on passerait à 111, avec la mise en place de salles de bain, tout en modifiant la largeur des couloirs, et changer les ascenseurs pour les rendre accessibles… » « Des études acoustiques ont montré qu’il y avait un niveau inacceptable, poursuit le responsable. Et dès qu’il y a le moindre rayon de soleil, on a chaud. » L’ensemble a un coût. Certains évoquent une somme de plus de 20 millions d’euros, là où Gilles Béguin annonce plutôt une fourchette de « 15 à 20 millions ».

 

Tout l’enjeu est désormais de trouver cette somme jugée « pharaonique » par Sina Abédi. C’est là que son association, lancée très récemment, peut avoir son mot à dire. Cet étudiant en doctorat à l’université Paris-Est, dont le sujet de thèse s’intéresse à l’héritage des jardins d’Ispahan, entend « mettre la pression sur les États français et iranien, attirer les mécènes… ». Avec son association, composée de Français et d’Iraniens, il souhaite mettre en relation tous les acteurs qui gravitent autour de l’ancienne Maison de l’Iran, inscrite en totalité au titre des Monuments historiques en 2008 et donc par définition protégée. Exemple, en organisant « des séminaires, colloques, journée d’études, concours, appels d’idées portant sur la valorisation et la réouverture de la Maison ». À terme, l’Ispahanais, basé à Paris désormais, imagine un lieu d’expositions, de concerts… de vie culturelle en somme. Et « un lieu qui pourrait attirer les gens vers l’Iran ».


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