N° 143, octobre 2017

Le complexe résidentiel de Niâvarân
Construire sans couper les arbres


Babak Ershadi


Photos : Complexe résidentiel de Niâvarân

A Téhéran et dans d’autres villes iraniennes, la loi interdit de couper les arbres, quelle qu’en soit la raison, sans en demander l’autorisation à la mairie. De même, dans les milieux ruraux, l’abattage des arbres est interdit sans avoir l’autorisation préalable du ministère de l’Agriculture ou de l’Organisation des ressources naturelles.

Cependant, ces mécanismes légaux, interdictions et amendes pour la coupe d’arbres semblent ne pas être assez efficaces lorsqu’il s’agit de construire des bâtiments. Bien que l’abattage des arbres puisse parfois coûter très cher au constructeur ou au propriétaire, il se pratique un peu partout et parfois à grande échelle (plusieurs centaines). « Comment peut-on construire sans couper les arbres qui deviennent gênants, voire menaçants ? », se justifient les constructeurs. Le Complexe résidentiel de Niâvarân vient apporter une belle réponse à cette question.

 

* * *

 

Conçu par l’architecte iranien Mohammad Rezâ Nikbakht, le Complexe résidentiel de Niâvarân est situé au nord de Téhéran, à Shemirân. Shemirân s’étend le long de la pente des monts Alborz, et jusqu’à il y a quarante ans, était une villégiature de Téhéran en raison de ses très nombreux jardins. Malheureusement, un grand nombre de ces jardins et leurs vieux arbres ont été détruits, au fur et à mesure, par des projets d’urbanisation.

Sélectionné par World Architecture Community, le projet du Complexe résidentiel de Niâvarân a gagné le World Architecture Award (Cycle 12). Cet immeuble est une œuvre de la nouvelle vague de l’architecture iranienne, très médiatisé en raison de son concept de base : « construire sans couper les arbres ». Mais le respect de ce concept n’est pas la seule particularité de l’œuvre de l’architecte Mohammad Rezâ Nikbakht.

Le premier élément du Complexe résidentiel de Niâvarân qui attire le regard est sans doute la présence des vieux arbres dont la préservation était évidemment plus difficile et plus coûteuse que leur élimination. Lorsque le maître de l’ouvrage a contacté pour la première fois la Société d’ingénieurs-conseils Zandigan de M. Mohammad Rezâ Nikbakht, il avait obtenu l’autorisation de la mairie pour la coupe de 45 des 120 arbres (âgés de 60 ans) de la parcelle. Etant donné l’importance et la valeur de ces vieux arbres, M. Nikbakht et ses collègues ont essayé de convaincre le propriétaire de se passer du droit que la mairie lui avait octroyé pour couper des dizaines d’arbres dans 60% de la parcelle destinée à la construction. Cela signifiait que la superficie de la construction pourrait baisser de 13 000 à 11 000 mètres carrés. Cette baisse risquerait d’entraîner une perte considérable de bénéfice pour le propriétaire. Mais pour compenser cette perte, rendre le projet encore plus intéressant, et sauver les arbres, les ingénieurs-conseils de Zandigan devaient être en mesure de présenter un plan génial au maître de l’ouvrage afin de le rassurer qu’en sauvant les arbres, il gagnerait plus qu’il ne perdrait.

 Mais le sauvetage des arbres n’est pas l’unique intérêt de la conception du Complexe résidentiel de Niâvarân. Le bâtiment ne se contente pas de tourner mécaniquement autour des arbres qu’il n’a pas voulu éliminer ; il est aussi devenu une œuvre conceptuelle qui réalise la vision particulière de l’architecte vis-à-vis du bâti, de l’environnement, de la nature et de l’architecture.

Le complexe résidentiel de Niâvarân va au-delà d’une idée. Chaque mètre carré de ce bâtiment recèle des motifs et des détails surprenants. Il utilise largement la pierre et les briques, et offre une approche très intéressante de l’usage des matières modernes comme le verre et l’acier. Dans ce bâtiment, ces deux matières de construction modernes semblent s’éloigner de leur concept industriel pour jouer un rôle esthétique et participer à des jeux des formes.

Le Complexe résidentiel de Niâvarân a été construit sur six étages. La décision de l’architecte et de ses collègues de conserver les arbres les a conduits à partager le bâtiment en deux parties distinctes. L’espace qui contient les arbres sauvés est devenu l’axe principal de l’immeuble. En outre, cet axe est accentué par un autre espace vert. Ces espaces ont une influence évidente sur la forme des deux bâtiments. Les deux bâtiments se divisent en trente appartements de luxe de 80 à 300 mètres carrés. Dans chacun des cinq étages supérieurs, il y a donc six appartements. Le rez-de-chaussée comprend l’entrée, les bureaux du directeur de l’immeuble, une salle de réception et une salle de réunion.

Le parking est au premier et au deuxième sous-sol. Celui du deuxième sous-sol est moins spacieux, car la piscine, le SPA et la salle de sport se trouvent également à ce niveau. Le plan du bâtiment obéit à ce qu’on appelle l’architecture organique. L’architecture organique est une philosophie architecturale qui se fonde sur une approche conceptuelle pour créer une sorte d’accord et d’équilibre entre l’habitat et la nature. Pour réaliser un tel projet, l’architecte doit être attentif à son environnement naturel et agir de sorte que cet environnement ait une influence profonde sur les personnes qui habiteront le bâtiment. Selon cette approche, l’architecture serait capable de modeler les hommes au rythme de la nature leur permettant de vivre dans l’esprit du lieu comme un organisme vivant.

L’œuvre architecturale organique doit donc s’inspirer de la nature et de la situation du site. Le bâtiment doit exister à l’instant présent avec son environnement naturel ; il doit se développer à partir du site et être unique comme lui, ne ressemblant à aucun autre bâtiment. Son plan doit être flexible et adaptable à son environnement naturel et exprimer son rythme comme un morceau de musique. Grâce à son plan exceptionnel et la créativité de son architecte, le Complexe résidentiel de Niâvarân semble correspondre à tous ces critères de l’architecture organique. Le bâtiment respecte merveilleusement les arbres qu’il a sauvés et les a placés au centre de son intérêt. Les formes deviennent irrégulières et s’adaptent aux arbres, de sorte que ces derniers semblent faire partie du plan principal du bâtiment. Ainsi, le Complexe résidentiel de Niâvarân est surtout caractérisé par l’absence de formes géométriques. Le mouvement devient ainsi un élément de base. L’escalier est construit dans un espace à semi-ouvert assurant l’aération et l’éclairage. Cet escalier crée un mouvement agréable qui assure à la fois l’accès aux appartements et la vue des espaces extérieurs. La façade couverte de pierres et de bois s’adapte à cette approche architecturale organique.

Il faut souligner aussi que l’architecte semblait être soucieux du respect de certains principes de l’architecture traditionnelle iranienne. Il a utilisé des motifs décoratifs traditionnels pour embellir les espaces intérieurs, et a respecté la tradition de la cour intérieure. L’intimité des espaces privés a aussi été respectée, les portes d’entrée des appartements ne s’ouvrant pas l’une devant l’autre comme il est souvent de coutume dans les constructions modernes. L’architecture traditionnelle iranienne est repérable aussi par sa transparence, qui caractérise l’architecture iranienne depuis la période préislamique jusqu’au début du XXe siècle. Pour donner cette qualité au bâtiment, l’architecte doit essayer de réduire sa masse pour lui donner une apparence poreuse et perméable.

Mohammad Rezâ Nikbakht est né en 1961 à Téhéran. Pendant ses études d’architecture à l’Université Shahid Beheshti (Téhéran), il a travaillé, dès 1985, à la Société d’ingénieurs-conseils Sharestân. Quelques années après la fin de ses études universitaires (1996), Mohammad Reza Nikbakht a cofondé avec ses amis la Société d’ingénieurs-conseils Zandigan en 2003. Pendant des années, M. Nikbakht a acquis une bonne expérience professionnelle dans divers domaines (conception, supervision de projets, restauration, réhabilitation, etc.). Il a à son actif plusieurs projets de conception et de supervision de projets d’immeubles et de complexes résidentiels, de modernisation d’espaces culturels (bibliothèque du Hosseiniyeh Ershad [1] à Téhéran), ou encore de restauration de monuments historiques (tombeau de Bayâdi Bastami [2] à Shâhroud). Il est l’auteur d’un livre qui réunit ses expériences dans le cadre du projet de restauration et de réhabilitation du mausolée de Chalabi Oghlou près de Zanjân. [3] Son dernier livre est intitulé L’Architecture des détails.

<em>Mohammad Rezâ Nikbakht</em>

    Notes

    [1Le Hosseiniyeh Ershad est un célèbre institut religieux de Téhéran.Fondé en 1967, il contient une grande bibliothèque créée après la Révolution islamique de 1979.

    [2Bayazid Bastami (777-848) est un grand soufi et mystique iranien.

    [3Nikbakht, Mohammad Rezâ, « Expérience de la restauration et de la Réhabilitation du Khanqah Chalabi Oghlou ».


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