N° 146, janvier 2018

Les découvertes médicales iraniennes
Le cas de Tofigh Moussivand et de Samuel Rahbar


Afsaneh Pourmazaheri


Muhammad Ibn Zakariâ Râzi

Aperçu sur la médecine moderne en Iran

 

La pratique généralisée et les premières découvertes importantes en médecine en Iran coïncident avec son essor dans les contrées grecque et indienne, et elle a conservé son élan jusqu’à la période post-islamique. L’idée de la xénotransplantation remonte au temps des Achéménides, comme en témoignent les gravures de nombreuses chimères mythologiques encore présentes à Persépolis. Dans la Perse médiévale, le premier hôpital où les étudiants pratiquaient méthodiquement cette science sous la supervision de médecins fut l’Académie de Gundishapur dans l’Empire Sassanide, au cours de l’Antiquité tardive. Beaucoup de ses approches médicales se sont avérées encore valables aujourd’hui. Par exemple, plusieurs documents concernant le traitement du mal de tête dans la Perse médiévale fournissent des informations cliniques détaillées et précises. Les médecins perses de l’époque ont ainsi énuméré divers signes, symptômes et règles hygiéniques ou diététiques en vue de prévenir diverses maladies à l’aide de documents retrouvés contenant des substances et méthodes de traitement.

La pratique de l’anesthésie dans l’ancienne Perse faisait déjà partie des connaissances acquises au Xe siècle. Les preuves inscrites dans le Shâhnâmeh (« Le Livre des Rois ») de Ferdowsi décrivent une césarienne effectuée sur Roudâbeh, au cours de laquelle un type de vin aurait été préparé par un prêtre zoroastrien et utilisé pour entraîner une perte de conscience durant l’opération. Bien qu’à la base mythique, le passage illustre certaines compétences attestées et courantes dans la médecine de l’époque. Au Xe siècle, Abu Bakr Muhammad Ibn Zakariâ Râzi est considéré comme le fondateur de la physique pratique. Son élève, Abu Bakr Joveini, rédigea le premier ouvrage médical complet en langue persane. Après la conquête musulmane, la médecine continua à prospérer en Perse, bien que Bagdad ait été choisie comme nouvelle héritière cosmopolite de l’ancienne académie de médecine de Gundishapur. Adolf Fonahn, physicien, historien et orientaliste norvégien a recueilli et répertorié, dans un ouvrage publié à Leipzig en 1910, tous les documents médicaux composés uniquement en persan. Il en recense plus de 400, à l’exclusion d’auteurs comme Avicenne qui écrit en arabe. Les auteurs-historiens Meyerhof, Casey Wood et Hirschberg ont également enregistré les noms d’au moins 80 oculistes perses qui ont contribué à des traités sur des sujets liés à l’ophtalmologie pendant l’Antiquité perse. Plusieurs de ces œuvres auraient été reprises par la littérature médicale musulmane à l’issue de la conquête islamique.

Joseph Cochran, fondateur de la première école de médecine moderne d’Iran, 1911

Deux ouvrages médicaux de l’époque musulmane ont attiré l’attention dans l’Europe médiévale, à savoir la Materia Medica d’Abou Mansour Muwaffaq, écrite vers 950, et l’Anatomie illustrée de Manslur ibn Muhammad, écrite en 1396.

La fondation par Joseph Cochran d’un collège de médecine à Urmia en 1878 peut être considérée comme le début de la médecine académique en Iran. Il est ainsi souvent crédité pour avoir fondé le « premier collège de médecine contemporaine » de l’Iran. Les habitants d’Urmia lui doivent l’abaissement du taux de mortalité infantile dans la région, et la fondation de l’un des premiers hôpitaux modernes iraniens (l’hôpital de Westminster) à Urmia.

 

Centre de recherche en hématologie, oncologie et greffe de moelle osseuse (HORC) à Téhéran

Les sciences médicales en Iran

 

Actuellement, avec plus de 400 centres de recherche médicale et 76 index de revues médicales disponibles dans le pays, l’Iran est le 19ème pays en termes de recherche médicale. Les sciences cliniques sont fortement investies en Iran, et les chercheurs iraniens font des recherches très poussées notamment dans les domaines tels que la rhumatologie, l’hématologie et la transplantation de moelle osseuse. Créé en 1991, le Centre de recherche en hématologie, oncologie et greffe de moelle osseuse (HORC) de l’Université des sciences médicales de Téhéran au sein de l’hôpital Shariati est l’un des plus grands centres de transplantation de moelle osseuse, et a effectué un grand nombre de transplantations réussies. Selon une étude réalisée en 2005, des services spécialisés d’hématologie et d’oncologie pédiatrique (PHO) existent dans presque toutes les grandes villes du pays, où 43 hématologues-oncologues pédiatres certifiés ou éligibles soignent des enfants atteints de cancer ou de troubles hématologiques. Plusieurs centres médicaux universitaires pour enfants ont par ailleurs mis au point des programmes de bourses d’études. Outre l’hématologie, la gastro-entérologie attire récemment de nombreux étudiants en médecine en Iran. Le centre de recherche en gastro-entérologie de l’Université des sciences médicales de Téhéran a également produit un nombre croissant de publications scientifiques depuis sa création.

Le centre de transplantation Namâzi à Shirâz

La transplantation d’organes en Iran remonte à 1935, lorsque la première greffe de cornée a été réalisée par l’hôpital du Professeur Mohammad-Qoli Shams Fârâbi à Téhéran. Le centre de transplantation de Shirâz Namâzi, qui est l’une des premières unités de transplantation iraniennes, a effectué la première greffe de rein en 1967 et la première transplantation hépatique en 1995. La première transplantation cardiaque en Iran a été réalisée en 1993 à Tabriz, tandis que la première greffe de poumon a été réalisée en 2001 et les premières greffes de cœur et du poumon en 2002, toutes les deux à l’Université des sciences médicales de Téhéran. L’Iran a développé le premier poumon artificiel en 2009, rejoignant cinq autres pays dans le monde qui possèdent une telle technologie. Actuellement, des transplantations rénales, hépatiques et cardiaques sont effectuées à l’intérieur du pays. L’Iran se classe au cinquième rang mondial en matière de transplantation rénale. La Banque iranienne de tissus, qui a commencé ses activités en 1994, a été la première banque de tissus multi-établissements du pays. En juin 2000, le Parlement a approuvé la loi sur la transplantation d’organes en cas de mort cérébrale, approbation qui s’est suivie par la création du Réseau iranien pour la transplantation d’organes. Cet événement a contribué à élargir les programmes de transplantation cardiaque, pulmonaire et hépatique. En 2003, l’Iran avait effectué 131 greffes du foie, 77 du cœur, 7 du poumons, 211 de moelle osseuse, 20 581 de cornées et 16 859 transplantations rénales. 82% d’entre elles ont été données par des donneurs vivants et non apparentés ; 10% ont été réalisées à partir de personnes décédées ; et 8% provenaient de donneurs liés à la personne bénéficiant de la greffe. Le taux de survie des transplantés rénaux à 3 ans était de 92,9%, tandis que le taux de survie de la greffe à 40 mois était de 85,9%

Université des sciences médicales de Téhéran

Les neurosciences émergent également en Iran. Plusieurs programmes de doctorat en neuroscience cognitive et computationnelle ont été établis dans le pays au cours de ces dernières décennies. L’Iran se classe premier au Moyen-Orient en ophtalmologie. Des chirurgiens iraniens soignant des vétérans blessés pendant la guerre Iran-Irak ont inventé un nouveau traitement neurochirurgical pour les patients blessés au cerveau, en se basant notamment sur une technique précédemment développée par le docteur Ralph Munslow, chirurgien de l’armée américaine. Ce traitement a contribué à élaborer de nouvelles lignes directrices qui ont réduit les taux de mortalité chez les patients dans le coma et souffrant de lésions cérébrales pénétrantes, de 55% en 1980 à 20% en 2010.

L’Iran possède un secteur biotechnologique en pleine expansion. L’Institut Razi pour les sérums et l’Institut Pasteur d’Iran pour les vaccins sont les principaux centres régionaux de développement et de fabrication de sérums et de vaccins. En janvier 1997, l’Iranian Biotechnology Society (IBS) a été créée pour superviser la recherche en biotechnologie en Iran. La recherche agricole a réussi à mettre au point des variétés à haut rendement offrant une plus grande stabilité ainsi qu’une tolérance aux conditions météorologiques difficiles. Les chercheurs travaillent en collaboration avec des instituts internationaux en vue de trouver les meilleurs procédés et génotypes pour surmonter les échecs de production et augmenter le rendement. En 2005, le premier riz génétiquement modifié (GM) iranien a été approuvé par les autorités nationales et est actuellement commercialisé. En plus du riz GM, l’Iran a produit plusieurs plantes génétiquement modifiées en laboratoire, comme le maïs résistant aux insectes, le coton, les pommes de terre et les betteraves à sucre, le colza résistant aux herbicides, le blé résistant à la salinité et à la sécheresse ; ainsi que le maïs et le blé résistant au feu. L’Institut Royan a conçu le premier animal cloné d’Iran ; le mouton est né le 2 août 2006 et vécu plusieurs mois.

L’Institut Royan

Au cours des derniers mois de l’année 2006, les biotechnologistes iraniens ont annoncé qu’ils avaient, en tant que troisième fabricant mondial, commercialisé CinnoVex, utilisé pour traiter la sclérose en plaques. Selon une étude de David Morrison et Ali Khademhosseini (Harvard-MIT et Cambridge), la recherche sur les cellules souches en Iran figure parmi les 10 premières au monde. L’Iran a investi 2,5 milliards de dollars dans la recherche sur les cellules souches entre les années 2008 et 2013. Il occupe la deuxième place mondiale dans la transplantation de cellules souches.

En 2010, l’Iran a commencé à produire en série des bio-implants oculaires. Le pays a commencé à investir dans des projets biotechnologiques en 1992, et compte actuellement une dizaine de centres d’installation dans ce domaine. Douze pays dans le monde produisent des médicaments biotechnologiques, dont l’Iran fait partie. Selon Scopus, l’Iran est classé au 21e rang en matière de biotechnologies, en produisant près de 4 000 articles scientifiques connexes en 2014. En 2010, AryoGen Biopharma a établi l’installation la plus grande et la plus moderne dans le domaine de la production d’anticorps monoclonaux thérapeutiques dans la région et en 2012, l’Iran a réussi à en produire 15 types. Ces médicaments anticancéreux sont maintenant produits par un nombre très limité d’entreprises occidentales. En 2015, la société Noargen a été créée en tant que la première CRO (Contract Research Organization) et CMO (Contract Manufacturing Organization) officiellement enregistrée en Iran. Noargen utilise le concept de CMO et les services de CRO appliqués au secteur biopharmaceutique iranien, en vue de combler un vide et de promouvoir le développement d’idées et de produits biotechnologiques.

L’Iran comptent de nombreux chercheurs dans le domaine médical qui ont considérablement contribué au progrès de la science médicale à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Parmi ces derniers, Tofigh Moussivand et Samuel Rahbar sont connus pour avoir inventé la pompe cardiaque artificielle et l’HbA1C, des contributions en cardiologie et en diabète qui ont changé la vie des milliers de personnes.

Institut Pasteur d’Iran

Deux figures phares de la médecine moderne en Iran : Tofigh Moussivand et Samuel Rahbar

 

Tofigh Moussivand, ingénieur médical irano-canadien, a inventé une pompe cardiaque artificielle, un appareil qui pompe le sang et prend en charge la respiration pendant une chirurgie cardiaque. Le dispositif d’assistance ventriculaire ou la pompe cardiaque artificielle reprend temporairement la fonction de respiration et de pompage du sang pour un patient. Il a deux parties : la pompe et l’aérateur. Les pompes cardiaques sont le plus souvent utilisées en chirurgie cardiaque, de sorte que le cœur d’un patient peut être déconnecté du corps pour un certain temps. La pompe cardiaque artificielle est aussi utilisée en cas d’insuffisance cardiaque grave. Un dispositif implantable muni d’un bloc d’alimentation et d’une console de contrôle externes peut être utilisé pour offrir une assistance au ventricule gauche. Ce dispositif remplace la fonction de pompage du cœur jusqu’à ce qu’un greffon soit disponible pour réaliser une transplantation cardiaque.

Professeur de chirurgie et d’ingénierie à l’Université d’Ottawa et de Carleton, Tofigh Moussivand dirige la division des appareils cardiovasculaires et le programme des matériels médicaux de ces deux universités. Il est également membre honoraire de l’Académie iranienne des sciences médicales.

Moussivand est né dans le village de Varkaneh, à Hamedân. Avant de quitter Varkaneh pour étudier à Téhéran, il était éleveur de chèvres. Il a étudié l’ingénierie à l’Université de Téhéran, puis à l’Université de l’Alberta. Moussivand a ensuite reçu son doctorat en génie médical et en sciences médicales à l’Université d’Akron et au Collège universitaire de médecine du Nord-Est de l’Ohio. Par la suite, il s’est joint à la Cleveland Clinic Hospital and Research Foundation, avant de revenir au Canada en 1989.

Samuel Rahbar

 

Samuel Rahbar a découvert le lien entre le diabète et l’HbA1C, une forme d’hémoglobine utilisée principalement pour identifier la concentration plasmatique de glucose au fil du temps. Rahbar est né dans une famille juive de la ville iranienne de Hamedân en 1929. Il a obtenu son doctorat en médecine à l’Université de Téhéran en 1953 et un doctorat en immunologie de la même université en 1963. De 1952 à 1960, il a poursuivi principalement des activités cliniques à Abâdân et à Téhéran. Il est retourné à la vie universitaire en 1959. Il a été est promu professeur adjoint en 1963 et professeur associé en 1965 au département d’immunologie. Rahbar a passé les années 1968 et 1969 en tant que chercheur invité au département de médecine du Collège Albert Einstein de médecine à New York, où il a collaboré avec Helen M. Ranney. Après son retour à Téhéran, Rahbar a été promu professeur titulaire en 1970 et directeur du Département de biologie appliquée à l’Ecole de médecine de l’Université de Téhéran.

Tofigh Moussivand

En 1979, il a travaillé comme chercheur et professeur au sein d’un département universitaire spécialisé dans l’étude du diabète, de l’endocrinologie et du métabolisme en Californie et en 2012, l’American Diabetes Association (ADA) lui a décerné un prix national d’excellence scientifique, en reconnaissance de sa découverte de l’HbA1c comme marqueur du statut glycémique chez les personnes atteintes de diabète. Le prix est nommé d’après le lauréat et s’appelle le Prix de la découverte exceptionnelle Samuel Rahbar. Ce prix unique, l’un des plus grands honneurs accordés aux chercheurs sur le diabète, reconnaît les contributions exceptionnelles de Rahbar qui ont révolutionné les recherches médicales. La vie des patients atteints de diabète à travers le monde a été radicalement améliorée par des tests médicaux et des outils basés sur ses recherches, notamment sa découverte séminale en 1968 de l’augmentation de l’hémoglobine glyquée (HbA1c). Ce marqueur a été utilisé pour démontrer que les taux de glycémie erratiques contribuaient à la progression des complications diabétiques à long terme. Actuellement, les médecins et patients à travers le monde utilisent des outils basés sur ce marqueur pour surveiller et gérer les niveaux glycémiques, ce qui aide à prévenir les complications néfastes. L’HbA1c est devenue la référence absolue pour évaluer l’efficacité de nouveaux traitements contre le diabète. Cette découverte a ouvert la voie à un tout nouveau domaine de recherche sur le diabète. Plus tard, en 1979, Samuel Rahbar s’est joint à City of Hope où, pendant plus de trente ans, il a continué de faire progresser la recherche sur le diabète et ses complications. À City of Hope, Samuel Rahbar a occupé le poste de professeur émérite de la Division du diabète, de l’endocrinologie et du métabolisme. Au cours des dernières années, il a continué à apporter des contributions majeures en développant plusieurs nouveaux inhibiteurs dits « à petites molécules » de produits de glycation avancée (AGE), qui s’accumulent à partir d’une glycémie élevée et provoquent de nombreuses complications liées au diabète. Aujourd’hui, les chercheurs de City of Hope poursuivent le travail de Samuel Rahbar sur les AGEs, ce qui pourrait finalement mener à de nouvelles thérapies permettant de traiter les complications débilitantes du diabète telles que les lésions nerveuses aux extrémités, ou encore la perte de la vie.

 

Références :


- Azizi M. H. ; Bahâdoriân M. (2013), Breakthrough discovery of HbA1c by Professor Samuel Rahbar in 1968, Archives of Iranian Medicine, Téhéran, Iran.


- Nayernouri, T. ; Azizi, M.H., (2011), History of Medicine in Iran The Oldest Known Medical Treatise in the Persian Language, Journal of Digestive Diseases, No 3, pp. 74-78.


- Naimâbâdi Mahmoud (2013), Târikh-e Teb dar Irân (Histoire de la médecine en Iran), Université de Téhéran, Iran.


- Pourmand, Jalâl (2008), "History of Medical Sciences in Iran", Revue de Faculty of Pharmacy, Shahid Beheshti University of Medical Sciences, Tehran, Iran, No 2, pp. 93-99.


- Thomas, Lothar ; Pauser, Sabine (2004), Senses, sensors and systems : A journey through the history of laboratory diagnosis, Roche, Allemagne.


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