N° 147, février 2018

Bibi Khânom,
première femme satiriste d’Iran


Rahâ Ekhtiâry


Au cours des derniers siècles, l’ignorance, la misère, l’analphabétisme, certains éléments culturels, le manque d’hygiène et la pauvreté ont constitué des entraves à l’épanouissement de la femme iranienne. Cependant, la seconde moitié du XIXe siècle a été témoin d’une expansion sans précédent de l’idée de la défense des droits des femmes par certains intellectuels et écrivains iraniens. C’est à cette époque que sort de l’ombre Bibi Khânom Astarâbâdi, une femme éclairée qui prend fait et cause pour les femmes dans son livre intitulé Les Imperfections des Hommes [1], réplique sarcastique et spirituelle au pamphlet misogyne L’Education des Femmes [2] écrit par un écrivain anonyme. Elle y défend des idées réformatrices et progressistes face aux injustices subies par les femmes.

 

Condition féminine et antiféminisme

 

Le XIXe siècle en Iran est une époque sombre et austère pour l’ensemble de la population de ce pays. Les femmes y subissent d’importantes discriminations, sont privées de tout droit civique, et n’ont aucune participation active dans la société. Pendant la Révolution constitutionnelle de 1906, elles luttent aussi bien aux côtés de leurs camarades révolutionnaires que de façon autonome. Elles fondent des associations comme la Ligue pour le droit des femmes et créent une presse féminine. Elles fondent également des organisations collectives d’éducation, des clubs ; elles rédigent des textes et des chartes pour réclamer des droits et des institutions propres. Les partisans de la révolution, qui expriment d’abord une attitude favorable à la manifestation des revendications féministes, manifestent par la suite une hostilité farouche. On ferme alors les clubs des femmes, on discrédite leurs actions politiques, on se moque de leurs demandes et on réaffirme l’inégalité entre les sexes. Cette tendance est accompagnée de l’apparition d’une littérature antiféministe, dont L’Education des femmes écrit en 1880 par un auteur anonyme qui serait en réalité un prince qâdjâr. En voici un extrait : « Si le mari prend la main de sa femme et la jette dans le feu, la femme doit la prendre comme une roseraie, un jardin et un verger ; et la transgression de l’ordre du mari, même à la mesure d’un souffle, est interdite parce qu’une désobéissance momentanée a un an de répercussion. » Le prince qâdjâr conseille aux femmes de ne jamais se plaindre de leur mari ni de le froisser. Il leur donne des conseils sur la bonne façon de parler, de marcher, de s’habiller et leur déconseille le maquillage. Il exprime aussi une inquiétude manifeste à propos de la solidarité existant entre les femmes. Une étude minutieuse de L’Education des femmes montre que les femmes contemporaines à l’auteur n’étaient pas aussi soumises et obéissantes qu’il le souhaitait. Le but de l’œuvre, marquée par un ton réprobateur, n’est pas de plaider pour une équité homme-femme, mais plutôt de contester l’aspiration des femmes à l’égalité et la liberté. Il est aussi conscient que son œuvre va provoquer l’indignation féminine.

A l’époque, l’horizon de la grande majorité des femmes se limitait au foyer et à son "intérieur" (andarouni), l’extérieur étant essentiellement le domaine des hommes. La misère culturelle était générale et par conséquent, la violence parfois la séquestration des femmes par les hommes était courante. L’inquiétude des hommes en général et du prince qâdjâr en particulier de voir cette situation remise en cause se dénote dans cette œuvre. Car les femmes qui y sont décrites revendiquent leurs droits et protestent contre l’attitude de leurs maris. Face à cela, l’auteur exprime son désir de voir apparaître une nouvelle génération de femmes soumises. Il conseille aux hommes de donner ce livre à leurs filles à la fin de leurs études au maktabkhâneh, école traditionnelle de l’époque.

Dans L’Education des femmes, ces dernières sont rabaissées au rang d’objets, qui n’existent que pour servir leur mari. C’est aussi de la femme que proviennent tous les malheurs de la société et de la famille. Une contradiction majeure pèse néanmoins sur l’argumentaire de l’auteur, qui met l’accent sur les difficultés et les peines qui attendent les hommes après le mariage, mais se dit aussi convaincu que le mariage est nécessaire pour la vie d’ici-bas et pour l’Au-delà. Il invite également les femmes à éviter toute frivolité, mais se montre sensible à leur beauté et les enjoint à s’apprêter dans le cadre conjugal. Toute caractéristique tend à être un défaut si elle est l’apanage d’une femme, et une qualité si elle est celui de l’homme. Il souligne aussi que « la laideur et la beauté ne sont pas le motif de l’affection. » Il préfère ainsi une femme obéissante à une belle femme : « […] la laideur vaut mieux qu’une beauté incompatible. » Il souligne aussi les bons côtés de la laideur féminine : « La raison pour laquelle les femmes laides sont heureuses dans leur mariage est qu’elles ne se reposent pas uniquement sur leur beauté, et qu’elles compensent leur laideur par des bienfaits, et cela crée de l’affection. » Même si la femme est belle, elle perdra progressivement de son attrait. Par conséquent, les femmes doivent se maquiller, se farder et mettre du khôl, mais avec modération : « En Europe, le fond de teint, la céruse, l’extravagance en matière de maquillage ne sont pas des choses courantes. Il est certain que la création de Dieu est meilleure que les artifices. » Quoi qu’il en soit, la femme doit toujours s’adapter à son mari, et se voit dénier toute liberté d’action : « Certains hommes aiment les vêtements courts et d’autres aiment les vêtements longs. Selon leur préférence, une femme doit revêtir un vêtement court ou long. »

Pour justifier ses opinions et défendre ses idées antiféministes, l’auteur de L’Education des femmes se sert de poètes et hommes de lettres comme Saadi et Hâfez. Il insiste sur le fait que la dignité de la femme dépend de l’amour que lui porte l’homme ; la dévalorisation de la femme en elle-même étant naturelle : « La valeur et le mérite de la femme résident dans l’affection que lui porte un homme, même si la femme est la fille d’un riche et que l’homme est un mendiant. »

Peinture de Bibi Khânom par son petit-fils

 

Le défi lancé par Bibi Khânom

 

Femme éclairée, Bibi Khânom exprime ses idées au travers de ses écrits et actions. Contrairement à l’écrivain de L’Education des femmes qui choisit l’anonymat, elle se présente et donne au lecteur des informations biographiques précises. Son père, Mohammad Bâqer Khân Astarâbâdi est un notable d’Astarâbâd, près de Gorgân. Sa mère, Khadijeh Khânom, plus connue sous le nom de Mollâ Bâji, est l’une des amies de Shokouh-ol-Saltaneh, femme de Nâssereddin Shâh. Elle est éduquée et chargée de l’éducation des filles de la cour de Nâssereddin Shâh. À l’âge de 22 ans, elle se marie avec Moussâ Khân Vaziri, un officier.

A l’époque, Les imperfections des hommes ne sont pas le seul ouvrage écrit par une femme et publié. Dans de nombreux journaux de l’époque constitutionnelle dont Sour-e-Esrâfil, Mosâvat, Habl-ol-matin et Irân-e-no, des lettres de femmes concernant leurs problèmes, notamment les difficultés du mariage, sont publiées. Mais Les imperfections des hommes a la particularité de s’adresser aux femmes en parlant sans ambages des problèmes liés aux épouses temporaires, au concubinage, et aux différentes injustices dont sont victimes les femmes. De prime abord, Bibi Khânom semble envier la femme européenne et croit à un savoir-vivre régnant dans ces sociétés, ce qui la pousse à exhorter la société iranienne à suivre l’exemple. 

La Révolution Constitutionnelle en 1906 marque une nouvelle étape dans l’histoire de l’émancipation des femmes iraniennes. Les femmes et les hommes écrivains influencés par le libéralisme et la social-démocratie se révoltent contre l’exploitation de la femme et revendiquent la définition de leurs droits sociaux et politiques. Parmi ces écrivains, Bibi Khânom se distingue par son ton fort et sans circonvolutions, un ton qui ne sied pas à la presse quotidienne. Par conséquent, Les imperfections des hommes circulent de façon clandestine pendant plusieurs années.

La trame narrative de cet ouvrage est similaire aux essais éthiques de l’époque, qui commencent par faire l’éloge de Dieu ainsi qu’un hommage au Prophète et aux douze Imâms. Ils donnent ensuite des informations sur l’auteur, la date et la raison de la composition d’un tel ouvrage. Chez Bibi Khânom, le ton change cependant rapidement : avec une ironie piquante. Elle remet en cause les croyances populaires et les préjugés sans fondement, et critique l’autorité patriarcale, en mettant en valeur celle de la femme : « Mes sœurs croyantes ! Acceptez ces conseils tant que votre mari est pieux et vertueux et qu’il ne se rebelle pas contre l’ordre divin et se comporte aimablement avec sa femme… S’il n’a pas ces qualités, il est préférable de vous en libérer le plus vite possible… »

Du Coran, elle avance une interprétation différente et donne une autre dimension à la théologie. Bibi Khânom cherche ainsi à s’affranchir de certaines interprétations patriarcales des textes sacrés, pour en proposer sa propre lecture : « Selon les versets coraniques, bien que les hommes bénéficient d’une certaine prépondérance vis-à-vis de la femme, aucun homme n’est mieux considéré que la femme ni aucune femme que l’homme. Marie et Zahra (que la paix soit sur elles), Asieh et Khadija sont des femmes ; Pharaon, Hâmân, Shemr et Sanaan sont des hommes… Les affaires du monde d’ici-bas sont relatives. »

Le style général des Imperfections des hommes est un mélange de deux ouvrages, L’Education des femmes et Adâb Nâsseri ("Les usages Nâsseri"). Ce dernier ouvrage est écrit par Ebrâhim Hassan Khân Khalvati à la demande de Mohammad Hassan Khân Etemâd-os-Saltaneh, et s’adresse aux jeunes hommes. La première partie est consacrée aux péchés des supposés intellectuels de l’époque, tandis que la seconde est consacrée à des conseils et maximes où sont explicités la nature des qualités et des défauts humains. Bibi Khânom cite cet ouvrage à plusieurs reprises en l’avalisant. A l’inverse, sa pensée se structure contre l’auteur de L’Education des femmes, qu’elle ne manque pas de citer pour le critiquer. Outre leur vision différente sur les femmes, l’auteur de L’Education des femmes fait par exemple l’éloge des femmes européennes face aux femmes iraniennes. Elle met notamment en valeur le comportement des Européens avec leurs épouses et critique la culture et la conception iraniennes : « […] Ils (les hommes européens) ne frappent pas les femmes même avec une fleur… au contraire, ils respectent les femmes plus que les hommes. » ou « Selon des histoires et des récits de voyage, toutes les femmes vertueuses [en Europe], bien élevées et savantes s’assoient avec des hommes étrangers à la même table […], mais les femmes iraniennes sont uniquement occupées aux travaux de ménage et à servir, surtout les servantes. »

Une page du manuscrit Ma’âyeb-o-redjâl, écrit par Bibi Khânom Astarâbâdi en 1894.

L’une des différences remarquables entre Imperfections des hommes et L’Education des femmes est l’originalité de la seconde. Selon Bibi Khânom, aucun ouvrage n’a été auparavant écrit qui pourrait être une source d’inspiration pour les femmes. La langue et le ton novateurs pratiqués tout au long de l’essai sont aussi remarquables. Avant Bibi Khânom, les femmes avaient tendance à utiliser un certain "jargon" particulier à leur société fermée et de ce fait, on peut parler d’une littérature très typée. Ce n’est qu’à partir des années 1920 que les littératures masculine et féminine essaieront de trouver un langage commun pour des pourparlers. A cet égard, la langue littéraire de Bibi Khânom est novatrice. Les Imperfections sont un essai dont la langue est en transition entre un jargon typiquement féminin et une langue littéraire commune aux deux sexes.

À cette époque-là, la société féminine est fermée. Les femmes se vengent de leur soumission forcée par une forte solidarité féminine. Leur société est active et parfaitement interdite aux hommes. C’est dans un tel contexte qu’apparaît la figure de Bibi Khânom, qui permet une certaine ouverture et introduit un dialogue qui contribue fortement à faciliter les revendications féminines et préparer l’émancipation.

Bibi Khânom parle sans gêne, avec franchise. Elle n’hésite pas à mentionner sans détours des faits ou des réalités sociales que la culture iranienne de l’époque soumet au tabou. Il ne s’agit pas pour elle de choquer ou de briser ces tabous, mais plutôt de les exprimer avec clarté. En outre, à l’époque, cet essai était uniquement adressé aux femmes. Cependant, l’audace dont elle fait preuve dans sa description sans fard de la réalité constitue un témoignage de cette période de transition qui voit les femmes commencer à sortir de leur enfermement. Cet essai met en lumière le processus de cette évolution à une période où les Iraniennes découvrent la nécessité de conquérir une identité sociale et politique plus visible, ainsi que leur indépendance d’êtres humains. Bibi Khânom s’adressait d’ailleurs aussi, mais dans une moindre mesure, aux hommes et souhaitait susciter en eux une prise de conscience quant à la condition féminine.

Aux femmes soumises et résignées, Bibi Khânom conseillait le divorce malgré le blâme social encouru par cet acte. Le fameux proverbe : « Une femme entre dans la maison conjugale avec sa robe de mariée blanche et en ressort dans son linceul blanc. » explique bien l’extrême soumission que la société attendait d’une femme. Bibi Khânom conseillait de mettre fin à un mariage sans respect mutuel et prônait le divorce auprès des femmes maltraitées et humiliées par leur mari à une époque où la polygamie était la règle et les lois sociales avantageaient exclusivement les hommes.

Elle projetait à travers l’image du mari iranien la maltraitance des femmes, en soulignant notamment le manque de libertés fondamentales des femmes en raison de traditions patriarcales contraignantes. Elle conseillait aux femmes de se libérer des entraves avant d’être trop âgées et de dépendre entièrement de leurs enfants. Bibi Khânom essayait de mobiliser les femmes et les acheminait vers l’émancipation malgré le risque de réactions violentes, qui auraient pu être le déclencheur d’une révolution politique et culturelle.

L’individualisme, chez Bibi Khânom, a un sens sociologique et l’accent est mis sur l’autonomie de l’individu vis-à-vis des règles imposées par des hommes tels que l’auteur de L’Education des femmes. Bibi Khânom est en quelque sorte à l’avant-garde de l’individualisme du XXe siècle. Elle écrit à ce propos : « Il y a plus de voies et de manières d’être que d’hommes. Chaque individu possède une nature propre et différente des autres. Chaque homme est essentiellement différent de l’autre. Il recherche un partenaire et une vie qui lui est propre, et qu’un autre ne désirerait pas. »

La femme iranienne du XIXe siècle était privée de bien de ses droits. La discrimination contre les femmes en Iran était présente un peu partout dans les différentes classes sociales. Elles n’avaient entre autres pas accès à l’éducation et à la scolarisation avec la même facilité que les hommes. Pour Bibi Khânom, l’« esclavage » féminin est aussi tributaire de ce manque désespérant d’autres perspectives de vie : « La femme est obligée d’être esclave de l’homme. Elle ne connaît et ne se socialise avec personne d’autre que son mari. »

Cette vie renfermée la rend mélancolique et dans une attaque contre l’auteur de L’Education des femmes, elle revient sur les résultats de cette vision étroite : « L’auteur considère toutes les femmes comme des servantes et des subalternes, et tous les hommes comme des rois et des dieux. »

Cette division sociale la révolte, et elle veut modifier la conception traditionnelle du mariage, des relations conjugales, de la carrière et de la position des femmes dans cette société très patriarcale. Elle ne veut plus être disposée à subir les difficultés du mariage et veut davantage de choses, dont l’égalité.

Faisant face à l’auteur de L’Education qui s’appuie sur les préceptes islamiques pour justifier les discriminations sexuelles et la logique patriarcale de la domination masculine, Bibi Khânom reprend les mêmes préceptes pour contester les rapports sociaux entre les sexes. Elle fait souvent référence à des versets coraniques et préceptes religieux. Elle démontre dans son ouvrage que l’islam est basé sur la justice et que la polygamie entraînant un risque d’injustice, cette pratique devrait être abandonnée. Son argumentation contre la polygamie se base sur le verset 129 de la Sourate des Femmes :

« Vous ne pourrez jamais être équitable entre vos femmes, même si vous en êtes soucieux. Ne vous penchez pas tout à fait vers l’une d’elles, au point de laisser l’autre comme en suspens. [...] »

En tant que musulmane vivant dans une société musulmane, elle se fonde sur les enseignements religieux de l’islam pour exhorter au changement. Elle conseille notamment aux hommes de se baser sur ce verset du Coran qui ordonne explicitement : « […] et comportez-vous convenablement vis-à-vis d’elles. »

L’indépendance économique des femmes mariées est un autre conseil de Bibi Khânom et constitue l’une des originalités de son œuvre. La multiplicité des rôles de mère, d’épouse et de citoyenne fait de la femme un acteur important de développement dans une société où l’on néglige les moindres droits des femmes. Elle est persuadée que les considérations socioculturelles rétrogrades influent fortement sur la représentativité de la femme dans les domaines de prise de décision.

Elle pense que les hommes dissimulent la réalité et interprètent les ordres divins selon leur bon vouloir. Elle raconte l’histoire d’un homme qui explique à sa femme que tout ce qui est à elle est à lui, car il est son mari. Mais Bibi Khânom précise que cette loi est celle du judaïsme et qu’en islam, ainsi que souvent répété dans les enseignements religieux, les biens d’une femme lui appartiennent en propre.

Dans cette société arriérée où les femmes perdent leur valeur en vieillissant, Bibi Khânom exhorte les femmes à s’efforcer d’être plus indépendantes économiquement. Insistant sur l’humanité de la foi, elle fait allusion à l’islam qui reconnaît l’indépendance financière de la femme et son égalité par rapport à l’homme sur ses biens acquis.

Bibi Khânom avait connu la misère et la pauvreté, et pouvait donc parler en connaissance de cause des souffrances et des problèmes de ces couches de la société. Malgré l’antiféministe ambiant, elle a écrit des articles dans d’importants journaux comme Tamaddon, Habl ol-Matin et Majles pour soutenir le droit des filles à l’instruction. Elle a également fondé une des premières écoles pour filles à Téhéran. Mère de sept enfants, dont les plus célèbres sont Ali Naghi Vaziri [3] et le peintre Hassan Vaziri, elle a réellement consacré sa vie à un combat farouche contre l’ignorance et la misère culturelle.

 

Illustration du livre Ta’dib-o-nesvân

Bibi Khânom et la satire

 

Bibi Khânom est également la première femme satiriste de l’Iran de l’époque moderne. Sa critique sociale est basée sur une ironie et un sens de l’humour qui attirent l’attention et suscitent la réflexion. Elle pratique divers procédés de satire, tels que la parodie et l’exagération, parodiant notamment l’argumentaire et le style de l’auteur de L’Education.

Dans son article intitulé Les femmes satiristes et la première satiriste iranienne [4]. Omrân Salâhi écrit : « Nous avons quelques sonnets satiriques de Jâleh Ghâem Maghami et Parvin Etesâmi qui sont les poétesses satiristes les plus éminentes. » (Salâhi, 1381, 52) mais dans le domaine de la prose, il n’y a que Bibi Khânom Astarâbâdi, dont le nom apparaît pour la première fois en tant que première femme satiriste de l’Iran moderne dans Afkâr-e ejtemâï va siâssi dar âssâr-e montasher nashode-ye ghâdjâr (Les idées sociales, politiques et économiques dans les œuvres non-diffusées de l’époque qâdjâre), coécrit par Homâ Nâtegh et Fereydoun Adamyatt et publié en 1978.

Comme le souligne Omrân Salâhi, Bibi Khânom « était une femme lettrée et savante et elle avait une bonne écriture et élocution. Elle était sociable et invitait les femmes savantes et érudites dans les assemblées et cercles féminins. » Dans Les souvenirs et les dangers, Mokhber-o-Saltaneh Hedâyat écrit : « Dans sa jeunesse, elle était jolie, coquette, turbulente, séduisante, elle s’habillait en homme, […] » [5].

Dans Les femmes iraniennes au cours du mouvement constitutionnel, Abd ol-Hossein Nahid écrit à propos de Bibi Khânom : « Une de ces femmes intellectuelles et combattantes est Bibi Khânom, l’épouse de Moussâ Khân Mirpanj. Elle a créé l’École des jeunes filles en 1324. Cette école proche de l’ancienne porte de Mohammadieh et du petit bazar de Hâji Mohammad Hassan a fait scandale. »

Sir Charles Marling, ambassadeur d’Angleterre, présente un rapport sur Bibi Khânom à Edward Garry : « Aujourd’hui, Monsieur de Hartovigue me raconta une histoire intéressante ; la femme d’un de nos serviteurs est la principale inspiratrice d’une ligue féminine qui est essentiellement nuisible. La vérité est que malgré sa caste sociale, cette femme est bien éduquée et il y a trois mois, elle a construit une école pour jeunes filles appartenant aux familles nobles. Ces fillettes ont moins de 14 ans. »

Remettant en question le rôle de la femme dans la société de son époque, Bibi Khânom inaugure en Iran une forme de féminisme qui s’appuie sur la famille comme pivot central de la société. C’est dans cette perspective qu’elle fonde des écoles pour les filles afin d’améliorer leur savoir-faire en tant que mère et épouse. D’après les féministes de l’époque de Bibi Khânom, « il y a la relation infantile d’amour à la mère, qui persiste dans l’homme adulte civilisé, qui déborde imaginairement et symboliquement la mère et peut s’épanouir dans les religions de la déesse-mère. » (Benoit, Morin, Paillard, 1973, 136) Ainsi, Bibi Khânom suit une tradition historique d’amour de la mère et exalte la figure de la femme aimée, que l’on retrouve dans les archétypes iraniens de Leyli, Shirin, Zoleykhâ, qu’elle mentionne. Bibi Khânom et celles qui se sont battues à ses côtés sont les représentantes d’un féminisme iranien. Mais Bibi Khânom surpasse la seule lutte pour les droits, car elle se base sur l’idée que la femme mérite mieux, notamment (mais pas seulement) en tant mère. En considérant la femme dans son contexte familial, elle pose des questions fondamentales quant à la place de la femme dans la société.

    Bibliographie :


    - Benoit, Nicole. Morin, Edgar. Paillard, Bernard, La Femme majeure : nouvelle féminité, nouveau féminisme. Paris, Seuil, 1973.


    - Salâhi, Omrân, « Zanân-e tannâz vâ nokhostin zan-e tanzneviss-e irâni », Revue annuelle Golâghâ, 12e année, 2003.

    - Nâtegh, Homâ. Adamyatt, Fereydoun, Afkâr-e ejtemâï va siâssi dar âssâr-e montasher nashode-ye ghâdjâr (Les idées sociales, politiques et économiques dans les œuvres non-diffusées de l’époque qâdjâre), Téhéran, éd. Agâh, 1978.


    - Ettehâdieh, Mansoureh, Injâ Tehrân ast (Ici, Téhéran), Téhéran, éd. Târikh-e Irân, 1998.

    Notes

    [1Titre en persan : Ma’âyeb-o-redjâl.

    [2Titre en persan : Ta’dib-o-nesvân.

    [3Musicologue, compositeur et fondateur de l’Académie de musique de l’Iran.

    [4Salâhi, Omrân, « Zanân-e tannâz vâ nokhostin zan-e tanzneviss-e irâni », Revue annuelle Golâghâ, 12e année, 2003.

    [5Cité dans Ibid. p.53.


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