N° 147, février 2018

Un livre, une auteure :
Les pionniers de la nouvelle peinture en Iran
Œuvres méconnues, activités novatrices et scandales au tournant des années 1940
Editions Peter Lang, Berne, Suisse, 2017
Alice Bombardier


Jean-Pierre Brigaudiot


Peinture de Mahmoud Djavâdipour

Un livre essentiel pour combler une grande lacune

 

Alice Bombardier, outre sa collaboration occasionnelle à la Revue de Téhéran, est agrégée de géographie, ainsi que titulaire d’un doctorat en sociologie à l’EHESS de Paris et en civilisation arabo-persane à l’Université de Genève. Elle a étudié le Persan à l’INALCO et a séjourné fréquemment en Iran entre 2004 et 2009.

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La lacune dont il est ici question concerne l’art moderne iranien et si l’on s’en tient à la définition d’usage du terme « moderne » en art, cela relève de la période allant du début du siècle passé jusqu’aux années soixante. Plus précisément, cet ouvrage a pour épicentre les années quarante et il tente de décrire la situation et les mutations apparues avec ce qui s’appelle, en Iran, la « Nouvelle Peinture ». Tâche difficile puisqu’il y a peu d’archives où seraient répertoriés les articles de presse, les catalogues et les photos des œuvres concernées, peu d’archives et encore moins de musées où seraient conservées et occasionnellement exposées les pièces originales ; le toujours seul et unique Musée d’Art Contemporain de Téhéran ouvre en effet ses portes peu avant la Révolution Islamique de 1979. Ainsi ses collections sont principalement celles qu’a constituées le pouvoir Pahlavi et pour l’essentiel, elles comportent des œuvres du Pop’art américain et des œuvres acquises en France. Il s’agit donc d’un art contemporain des années cinquante à soixante-dix auquel il faut ajouter des œuvres modernes, beaucoup ayant été acquises en France. Néanmoins, le musée recèle un certain nombre d’œuvres acquises au fil des ans, surtout auprès d’artistes iraniens, mais la longue coupure entre un monde de l’art iranien refermé sur lui-même et le monde de l’art contemporain mondialisé est perceptible.

Couverture du livre d’Alice Bombardier

La difficulté d’accès à cette période de l’histoire de la peinture iranienne, les alentours des années quarante, a plusieurs raisons dont la Seconde Guerre mondiale avec en outre l’occupation partielle de l’Iran par les troupes soviétiques, cette guerre étant un trouble majeur à une époque où règne indéniablement une confusion au niveau de pouvoirs qui oscillent et vacillent et dont le comportement à l’égard des arts contemporains et innovateurs semble très contradictoire et surtout hostile. Dans cette difficulté à accéder à une documentation joue certainement la faible notoriété, au-delà de l’Iran, des artistes présentés, donc la faible valeur marchande d’œuvres peu médiatisées, souvent dénigrées et en tout cas, bénéficiant en général de peu d’estime tant de la part des pouvoirs successifs que d’un public iranien non formé à l’art moderne, un public de non collectionneurs, une absence quasi totale de galeries d’art, une biennale qui étant presque la seule manifestation officielle d’envergure ne se tiendra que cinq fois et une représentation sociale de la peinture ou de ce qu’elle doit être en décalage avec les œuvres des peintres de la Nouvelle Peinture. Des années durant et jusqu’au milieu du vingtième siècle, l’art de la peinture reconnu comme tel en Iran est figuratif, et il est soit lié à la miniature dont la raison d’être a disparu, soit une représentation académique du visible, en partie liée aux orientalistes et aux peintres académiques, surtout français. Il y a lieu de souligner la francophilie séculaire des milieux cultivés iraniens. Ainsi, le travail de recherche d’Alice Bombardier fut difficile à conduire et dut s’effectuer pas à pas, au gré de publications rares et hétérogènes, à partir de photos souvent en noir et blanc d’œuvres ayant bien souvent disparu.

Ayant lu avec le plus grand intérêt cet ouvrage que je considère comme un témoignage essentiel sur une période quasiment méconnue, y compris de beaucoup d’Iraniens, période au cours de laquelle se fait la Nouvelle Peinture, par des artistes hommes et femmes, il me parait essentiel pour qui veut acquérir une représentation de ce qu’elle fut trois générations durant. S’il existe des documents, ce sont certainement des ouvrages, articles et catalogues publiés en petit nombre et qui n’ont pu avoir qu’une audience très limitée.

Les modalités d’édition de cet ouvrage qui parle de peinture sans la présence d’un support iconographique consistant ou avec des reproductions de qualité moins que moyenne, quelquefois en noir et blanc, rendent peu aisée pour le lecteur la représentation de cette période de la scène artistique iranienne ; ainsi en est-il des éditions à caractère universitaire !

Peintures de Ahmad Esfandiâri

 

De la miniature à la modernité

 

Malgré une demande persistante, notamment étrangère, la miniature persane, tellement et justement connue et appréciée, va peu à peu perdre sa place d’art de cour, donc d’art officiel, durant la dynastie des Qâdjârs (1786-1925). Cette miniature persane verra dès lors son enseignement ne plus guère persister que dans des ateliers privés et au sein des écoles d’arts décoratifs, ceci en tant que reproductions d’œuvres des anciens maîtres. Si l’on visite la vaste salle où sont exposés les portraits des princes Qâdjârs, au Palais Saad Abâd, ex-résidence d’été des Pahlavi, on peut constater l’utilisation encore approximative d’un espace pictural de type occidental avec, tant bien que mal, l’emploi de la perspective linéaire à point de fuite telle que l’avait inventée Alberti à la Renaissance, en Italie. Ces portraits sont peints à l’huile, ce qui semble être une nouveauté technique en Iran. Perspective albertienne et peinture à l’huile témoignent sans doute d’une volonté de sortir de l’espace pictural de type oriental propre à la miniature, espace dénué de réel point de fuite, mais en même temps volonté d’accéder à une technique reconnue unanimement comme susceptible d’offrir à la peinture une équivalence à celle d’autres pays où elle est installée depuis plusieurs siècles. Cependant, avant l’apparition de la Nouvelle Peinture, la peinture officielle a déjà évolué vers une représentation du visible influencée pour partie par les Orientalistes et les peintres dits pompiers, les peintres académiques (dans le sens où ils ont acquis un vrai métier mais sans vraie créativité) dont on peut aujourd’hui voir des œuvres au Musée d’Orsay à Paris. Alice Bombardier appelle cette peinture iranienne très figurative la Peinture du Réel, c’est une forme de réalisme académique qui s’attache à représenter le monde visible selon les règles de la perspective et de l’imagerie photographiques dont le rôle n’a cessé de s’accroître depuis la seconde moitié du dix-neuvième siècle, une apothéose de la figuration conservatrice ! Le peintre iranien libéré des règles et fonctions propres à la miniature persane, qui interdisent l’initiative et l’inventivité, va ainsi se soumettre à d’autres règles, non moins contraignantes, qui limitent également liberté et réelle invention. Tel est le cas, par exemple, d’un peintre comme Kamâl-ol-Molk, lequel joue un rôle important dans la période abordée par Alice Bombardier car il avait fondé, en 1911, au cœur de la Révolution constitutionnelle, l’Ecole des Beaux-Arts de Téhéran, qui est la première école d’art du pays et qui constitue à la fin des années 1930 la matrice initiale de nombreux pionniers de la Nouvelle peinture. Cette Peinture du Réel saura cependant s’iraniser en ses sujets et figures, elle va témoigner de la vie, des coutumes et du cadre de vie du peuple iranien, et va cohabiter longtemps avec la Nouvelle Peinture qui est le propos de cet ouvrage. L’un des phénomènes intéressants que souligne Alice Bombardier est celui d’un regard des peintres du Réel qui passe peu ou prou par celui des Orientalistes européens pour montrer à son tour la société iranienne, ethnologiquement, anthropologiquement et socialement ; étrange phénomène que celui du regardeur qui à son tour montre ce qu’il a vu de lui-même dans le regard et dans la peinture de l’autre !

Œuvre de Hassan ‘Ali Vaziri

Le dernier miniaturiste ?

Un cas particulier et qui ne concerne guère que l’évolution tardive sinon finale de la miniature persane est celui du peintre Hossein Behzad. Formé selon la tradition, celui-ci va faire sortir celle-ci de ses règles et supports pour proposer une peinture néanmoins illustrative beaucoup plus autonome et libre de se réinventer. Sans doute que son séjour à Paris, autour de 1934, fut déterminant et si l’on veut rattacher l’évolution de l’œuvre de Behzad à quelque mouvement artistique dont il a pu étudier les œuvres dans les musées parisiens, ce serait le symbolisme et l’œuvre de Gustave Moreau. Dès lors, on peut considérer que Behzad n’est plus un miniaturiste mais un peintre illustrateur des thèmes classiques dont sont friands les beaux ouvrages en Iran.

Un article publié dans la Revue de Téhéran en février 2017 traite du cas de Hossein Behzad à l’occasion de l’édition d’un ouvrage trilingue intitulé Les douleurs et les couleurs, l’auteur étant Mohammadreza Asadzada, 2016. Alice Bombardier a également dédié en juin 2017 un article à ce peintre et au contexte de transformation de la peinture de la miniature persane qui est intitulé « Twentieth-Century Mutations of Persian Miniature Painting : A Testimony from the Iranian Ministaurist Hosein Behzad » (Ernst Herzfeld-Gesellshaft Jahrbuch, vol. 5).

 

Le poids de la tradition : le maître de la répétition du même.

 

L’une des caractéristiques des arts pratiqués en Iran, qu’il s’agisse de la peinture, de la calligraphie, de la poésie ou de la musique, est qu’ils sont encore plus ou moins soumis au modèle du maître, modèle qu’il faut chercher à égaler pour jouir d’une reconnaissance professionnelle et sociale, ce qui signifie une immobilité potentielle de l’art ainsi cantonné à l’imitation d’un modèle quelquefois venu d’un lointain passé. Ce phénomène est encore perceptible et même bien installé chez un certain nombre d’étudiants iraniens présents dans les universités d’art françaises, étudiants qui peinent à comprendre que l’on attend d’eux qu’ils développent leur propre inventivité et créativité. En effet le maître, autrement dit le professeur d’aujourd’hui, ne détient plus de vérité absolue, pas plus qu’un savoir-faire inégalé, et il a pour rôle premier de guider et stimuler le potentiel de l’étudiant. Dès lors et prenant en considération ce poids du maître, on peut mieux comprendre, en tout cas partiellement, cette relative absence de mouvements artistiques iraniens modernes, alternatifs à l’art de la miniature. Le travail conduit par Alice Bombardier va donc révéler, dans les années 1940, une volonté manifestée clairement par les artistes de la Nouvelle Peinture de faire évoluer la peinture vers davantage de modernité et d’inventivité plutôt que la cantonner à l’imitation du visible.

Œuvres de Hassan ‘Ali Vaziri, apprenti de
Kamâl-ol-Molk

 

La Nouvelle Poésie iranienne comme soutien à la Nouvelle Peinture

 

L’une des particularités de l’Iran et de sa Nouvelle Peinture est d’avoir profité du soutien de la Nouvelle Poésie, laquelle a connu un sort meilleur que la Nouvelle Peinture en termes d’acceptation d’une poésie qui cherche une alternative thématique et formelle à celle des incontestés grands maîtres en la matière. Ceci intervient alors que la Nouvelle Peinture s’est emparée de formes, notamment et surtout celles issues du Cubisme. Si certains acteurs de la scène iranienne en matière de Nouvelle Peinture ont grandement apprécié l’Impressionnisme pour se cantonner aux mouvements qui ont proposé des solutions alternatives à l’Académisme, la plupart d’entre eux, en tout cas ceux que cite Alice Bombardier, vont focaliser leurs choix d’une esthétique, ou plutôt de modalités de représentation du visible, sur le Cubisme de Braque et Picasso. Alice Bombardier écrit que la présence pédagogique d’André Lhote put être déterminante dans cet attrait pour le Cubisme, au niveau régional, lorsqu’il séjourna en Egypte et accueillit des artistes venus d’Iran et de Turquie, ce dernier pays ayant très tôt au vingtième siècle, opté pour la modernité en peinture, comme il avait opté pour la démocratie et la laïcité. Peut-être que cet engouement notable de peintres iraniens de la Nouvelle Peinture pour une esthétique empruntée au Cubisme tient également à la diffusion de photos et d’ouvrages concernant des œuvres cubistes, mais très certainement que les nombreux séjours d’artistes iraniens à Paris y sont également pour beaucoup. Paris était alors la capitale mondiale incontestée de l’art moderne. Peut-être peut-on également supposer que s’emparer de l’espace et du mode de représentation cubiste pouvait se faire en une appréhension seulement visuelle sans effectuer une approche des dispositifs théoriques sous-jacents, laquelle passe nécessairement par une maîtrise de la langue française.

Un autre point souligné par Alice Bombardier est celui des artistes iraniens qui furent à la fois poètes et peintres – tels Manutshehr Yektai, Manutshehr Sheybani et Sohrab Sepehri – poètes de la Nouvelle Poésie qui firent également partie de la Nouvelle Peinture. Cette Nouvelle Poésie sera plus précocement acceptée en Iran et son soutien à la Nouvelle Peinture fut certes important car cette dernière était peu appréciée sinon radicalement rejetée, voire vandalisée comme lors d’une des premières expositions du Club-galerie Apadana en 1949, durant laquelle l’œuvre cubiste Bain public de Djalil Ziapur est lacérée à coups de couteau. Le phénomène du rejet d’un art venu d’une autre culture, d’un art où la ressemblance avec le visible est mise à mal, est bien connu. En France, le Cubisme, comme les abstractions, suscitèrent une véritable hostilité à la fois du grand public et de personnalités éminentes du monde de l’art, ceci jusqu’au-delà de la seconde moitié du vingtième siècle. Au plan de la société où elle se développe, la Nouvelle Peinture iranienne dont nous parle Alice Bombardier n’est plus une peinture de Cour qui aurait des fonctions bien définies. Idéaliste, elle vit en une relative autonomie, indépendante d’une possible demande sur un terrain vierge de structures d’accueil en termes de galeries, salles de ventes ou musées, et cette autonomie lui coûte cher puisqu’il n’y a quasiment pas de collectionneurs, peu d’adeptes, une critique encore non constituée et beaucoup de détracteurs.

Djalil Ziapur, Mosquée Sepahsalar, v. 1949-1950. In Coq combattant I, 2, 3 et Les pionniers de la Nouvelle peinture en Iran
(A. Bombardier), 212.

 

Le Cubisme comme source principale de renouveau

 

Le cubisme tel qu’il a été présenté par Djalil Ziapur et ses amis a creusé, au nom de l’innovation moderniste, un fossé entre les artistes modernes et la société. Golazad 2009. Cité par Ahmadi 2011.

 

La Nouvelle Peinture évoquée par Alice Bombardier va donc opter principalement, mais pas exclusivement, pour l’esthétique cubiste, non pas tant, sauf exception, celle du Cubisme analytique qui déconstruit à la fois la figure et l’espace en une multitude de facettes, en tonalités de camaïeux, mais pour le Cubisme cézannien ou celui plus tardif de Braque et Picasso qui, sans retrouver les règles de la perspective traditionnelle va prendre appui sur des modalités formelles simplifiées de la figure et de l’espace représentés, et sur, aussi, la liberté acquise par l’art de donner à voir le visible à son gré. Les peintres iraniens de cette Nouvelle Peinture vont donc représenter le visible propre à leur culture et société en se servant surtout d’une esthétique issue du Cubisme : le maintien d’un donné à voir du visible mais stylisé à l’aide d’une grille formelle issue d’un Cubisme d’emblée iranisé ! Ainsi les premières œuvres cubistes de Djalil Ziapur représentent le coq associé à l’ange Bahman dans la religion iranienne pré-islamique ou des hauts-lieux de l’islam comme la mosquée Sepahsalar, cela avant d’utiliser le « cube » comme trame de ses compositions, formant un maillage inspiré de la technique iranienne du kashi, les tuiles de céramique émaillée. D’un côté, le sujet reste le sujet habituel de la peinture et de l’autre, une grille pseudo-cubiste est comme appliquée sur le figuré. Pour autant ce monde iranien à la sauce cubiste ou flirtant auparavant plus ou moins avec la peinture réaliste-socialiste ne va pas satisfaire le petit monde des arts de Téhéran et une réelle hostilité persiste au fil des trois décennies étudiées avec, à la clé, quelques scandales, une non-reconnaissance sociale et institutionnelle du travail de ces artistes, quels que soient leur savoir-faire et leur inventivité. L’hostilité rencontrée dépasse évidemment le seul emprunt au Cubisme et sa déformation ou recomposition du visible et concerne, du côté d’une suspicion politique le Réalisme Socialiste dont les origines sont aisément associées au mouvement communiste fort présent en Iran et honni du pouvoir.

Djalil Ziapur, Nomades (Tchâdorneshinân)

 

La critique d’art ou ce qui en tient lieu à cette époque

 

L’une des lacunes persistantes du monde de l’art iranien est, outre l’absence de collectionneurs, l’absence d’une critique apte à théoriser ce qu’il advient avec cette Nouvelle Peinture. Sans nul doute la censure omniprésente à cette époque n’autorisait guère les débats légitimant cette Nouvelle Peinture. La période étudiée laisse pourtant apparaitre quelques revues et publications qui vont justifier, expliquer, débattre, commenter la Nouvelle Peinture, débat bien légitime en ce sens que l’art, en Iran, vivait une vraie révolution de ses modalités d’être et d’apparaitre avec à la clé, un passage relativement rapide du statut de peintre à celui d’artiste. L’époque est agitée et même confuse au plan politique et au plan des idéologies qui le sous-tendent, entre principalement religion, conservatisme et communisme. Au sein des arts règne une forte contestation des esthétiques (au sens à la fois formel mais également au sens de la philosophie de l’art), comme des modalités et contenus de leur enseignement. Ainsi, seuls quelques lieux privés ou publics vont servir de quartiers généraux aux combats de la Nouvelle Peinture : Faculté des Beaux-Arts de l’Université de Téhéran, Club-galerie Apadana, Biennales de Téhéran, par exemple. Cette époque décrite dans l’ouvrage d’Alice Bombardier est, pour ce qui est du monde de l’art, celle d’un très petit nombre d’acteurs pionniers et de publics. Pour autant, certains lieux se distinguent, galeries, écoles d’art, comme se distinguent quelques publications et revues, lesquelles jouent bien souvent à cache-cache avec la censure. C’est le cas de la revue Coq combattant fondée en 1949 par un groupe d’artistes, dont Djalil Ziapur, qui fait l’objet d’un procès, est censurée avant de renaître sous les noms de Kavir puis de Patte de coq. A cela s’ajoute l’apparition de leaders (et non pas de maîtres) et auteurs de textes polémiques ou poètes, quelquefois également peintres. Les pamphlets de Djalil Ziapur, régulièrement publiés dans la revue Coq combattant ou déclamés lors des réunions de l’association du même nom, traduisent ce « combat » que ses acolytes et lui mènent à cette époque pour la reconnaissance de ce qu’ils appellent les « arts nouveaux ».

Djalil Ziapur, Le monde à l’intérieur
(Donyâ-ye daroun)

 

Des acteurs institutionnels et privés

 

Pour l’époque dont il est ici question, parmi les acteurs premiers et essentiels, au niveau de la formation des artistes plasticiens, ceux dont une partie rejoindra les rangs de la Nouvelle Peinture, il y a d’abord les lycées artistiques spécialisés dits Honarestan ou les ateliers privés puis l’Ecole des Beaux-Arts de Kamâl-ol-Molk, enfin la Faculté des Beaux-Arts fondée en 1939 au sein de l’Université de Téhéran. Par la suite apparaît un établissement où la formation artistique est centrée sur ce qu’on appelle les Arts décoratifs et les Arts appliqués : la Faculté des Arts Décoratifs ouverte à Téhéran en 1960. Il peut sembler, en effet, que l’Iran a beaucoup et longtemps apprécié des formes d’art artisanales où l’apprentissage repose avant tout sur l’acquisition d’un savoir-faire. L’artisan n’est certes point celui qui, peintre, comme Léonard de Vinci pense et repense les arts et le monde, celui pour qui l’art est cosa mentale, celui qui fait et pense et analyse concomitamment. Ensuite, dans ces ateliers privés ou écoles publiques enseignent les maîtres et professeurs, les uns prônant un art traditionnel et les autres venus de l’étranger (la France en particulier), le changement sinon la révolution des fonctions et modalités d’existence de l’art tel qu’en lui-même mais également dans la société.

 

Hushang Pezeshknia, Femme kashgai, 81x32cm, 1952. Rétrospective, juin 2006, Galerie Joëlle Mortier-Valat, Paris. In Les pionniers de la Nouvelle peinture en Iran
(A. Bombardier), 231.

Un potentiel travail muséal en attente

 

L’ouvrage d’Alice Bombardier, dont la scientificité n’est pas remise en question puisqu’elle est une chercheure aguerrie, laisse évidemment le lecteur sur sa faim en ce sens qu’il ne semble point y avoir de lieu ni d’ouvrage illustré où sont rassemblées et visibles les œuvres des premiers temps de la Nouvelle Peinture iranienne, ni en Iran, ni en France, ni ailleurs. Au contraire, celles qui sont incluses dans des collections, de petites collections, semblent ne représenter que partiellement le travail de ces artistes. Il en est de même avec le fameux festival de Chiraz-Persépolis qui, à la fin de l’ère de la dynastie Pahlavi, fut tellement important à la fois pour l’Iran et pour les avant-gardes au niveau mondial. Sa connaissance et son accès passent presque davantage par la rumeur et une documentation hétéroclite que par la confrontation avec les œuvres. Ainsi en fut-il très récemment dans la Galerie Joëlle Mortier-Valat, rue des Saints-Pères à Paris, où Alice Bombardier présentait son ouvrage en même temps que s’exposait, vers la mi-septembre 2017, un ensemble d’œuvres du peintre Hushang Pezeshknia. Celui-ci fit partie de la génération des pionniers de la Nouvelle Peinture en Iran, même s’il a la particularité d’avoir été formé en partie à l’étranger, au sein de l’Ecole des Beaux-Arts d’Istanbul auprès du peintre français Léopold Lévy, avant de revenir en Iran en 1946 et de se joindre aux expositions, associations et publications des artistes pionniers. Durant cette exposition parisienne, l’effort louable de la galeriste et du fils de l’artiste a permis de donner à voir et de se confronter à un premier panel de l’œuvre variée et émergente d’un pionnier de la Nouvelle peinture, mais il ne s’agissait encore que d’une modeste partie des œuvres du peintre, celles-ci étant dispersées entre différents héritiers, collectionneurs, et n’étant encore que peu documentées.

Mahmoud Dhavâdipour, Récolte

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