N° 147, février 2018

Les costumes traditionnels de Zanjân, dernières traces d’une identité culturelle en voie de disparition


Zeinab Golestâni


Photos : Edifice Rakhtshooy Khâneh, Zanjân

A l’instar des proverbes, contes, berceuses, chansons, mythes et autres variétés de productions ethniques, les costumes traditionnels sont des produits de l’expérience collective et historique d’un peuple particulier. Considérés aujourd’hui comme les artisanats, ces costumes, avec leurs motifs abstraits ou floraux, faisaient part de la vie quotidienne des habitants de la région. Autrement dit, ces objets folkloriques n’étaient ni des objets décoratifs, ni des objets culturels spécifiques, mais les instruments nécessaires de la vie de tous les jours. De fait, chaque membre de la société traditionnelle jouait un rôle important dans l’élaboration de cet art populaire, ce dernier contribuant en retour à tisser des liens étroits avec l’identité culturelle de la société. Ces ouvrages produits à la main reflètent ainsi les croyances religieuses ainsi que la pensée politique et métaphysique de leurs utilisateurs. [1] Les vêtements folkloriques de la province de Zanjân sont dotés à la fois de symbolique et de variété, cette région abritant une mosaïque de peuples aryens et géorgiens, ainsi que les cinq tribus des Shâhsavan, des Osânlou, des Moghaddams, des Bayâts, et des Khodâ Bandeh.

Dans cette province, l’habit masculin typique est constitué d’une chemise (koeilnak), d’un gilet, d’une veste, d’un pantalon (shâl shalvâri) et d’un bonnet rond en feutre généralement appelé katcha burki, guiveh ou tchârigh. Il y a aussi d’autres types de bonnet comme celui de Bokhârâ (un bonnet rond en peau d’agneau), la casquette (un couvre-chef porté plutôt par les gens favorisés), le bonnet Kazakh (couvre-chef rond en forme de cylindre) et le shafga (bonnet à pointe en laine peignée).

L’habillement des bébés comprend une robe (koeinak), un tarbouche, un bonnet rond et blanc avec une bande nouée sous le menton, un annâ tchâlmâ (foulard en triangle couvrant le front et la tête du bébé), un deushlukh (petit linge jouant le rôle du tablier), un baleh (linge quadrangulaire enveloppant le bébé) et un bhurtuk (bande plus ou moins large en laine hirsute avec lequel on fixe le baleh).

Fabriqué généralement avec des textiles d’origine naturelle, le costume traditionnel des femmes comprend des vêtements ainsi que divers accessoires, notamment des bijoux, qui se rajoutent à l’ensemble. Il y a par exemple des vestes propres aux cérémonies à col ornementé dont les boutons sont des médailles. Le choix du tissu des vêtements dépend aussi bien de l’âge que de la situation économique de la famille. Les femmes jeunes privilégient les couleurs claires et gaies, tandis que les plus âgées choisissent des couleurs foncées, telles que le bleu marine, le gris ou le vert foncé. Cependant, les habitantes de certains villages tels que ‘Alam Kandi, Pari, Âstâkol, Gomân Dasht et Sânsiz n’accordent pas d’importance à cette classification, et les femmes âgées de ces villages portent souvent des couleurs claires. Les vêtements féminins de cette région sont :

- Le poushesh (voile), étoffe servant à couvrir les cheveux.

- Le yashmagh, étoffe servant à couvrir la bouche, le menton et le cou.

- Le tchana âlti (sous le menton). Accessoire féminin, il est fabriqué de médailles reliées les unes aux autres. Cet objet est orné de paillettes multicolores.

- La pâtchin : robe constituée de deux parties : supérieure et inférieure. La partie supérieure est simple, tandis que l’autre, large et plissée, descend au-dessous de la cheville. Elle est surtout portée dans le village Delgui de Gonâbâd.

- Le djelizgha (gilet) : petite veste sans manches boutonnée sur le devant. Il existe un type de djelizgha doté de manches appelé ânyil.

- Le pastak : vêtement sans manches porté en automne et au printemps.

- Le dan : veste d’hiver portée par des personnes plutôt aisées. Ornementé de macramé, cet habit est en feutre ou en laine peignée, et possède une doublure. Dans certains villages, on nouait pendant l’hiver une écharpe dans le dos.

- Le koeinak (chemise) : caractérisé par les motifs et les couleurs chauds, le koeinak, plus haut que le djelizgha, est porté sous ce dernier.

- Le tomân (jupe) : entourant la taille et les hanches, ce vêtement est de longueur variable. Plutôt porté par les femmes plus âgées, le tomân long s’appelle shaliteh. Intitulé ghasa tomân, le tomân plus court est porté par les jeunes filles. De couleurs simples comme le pourpre, le rouge ou le vert, l’uzumân tomân est une jupe fortement plissée et assez large. Dans certains villages, l’uzumân tomân possède un motif floral.

-Le shalvâr (pantalon) : fait d’une étoffe épaisse, il est généralement de couleur foncée.

-Le nim sâgh : sorte de collant porté lors des cérémonies ou pendant les voyages.

-Le gheul pitch : bracelet fait d’anciennes manches de vêtements féminins, qui se porte lors de la cuisson du pain. De façon générale, les femmes portent de vieux habits ou des tabliers lorsqu’elles traient le lait ou font du pain.

- L’ayâgh ghâbi, uzun dâbân, guiveh, tchârigh : chaussures fabriquées en cuir naturel.

Protégeant et couvrant le corps tout entier, cet ensemble de vêtements féminins prend son sens dans une société où la femme se doit d’être couverte. Les femmes de Zandjan couvrent également de différentes façons leurs cheveux et leur visage, notamment à l’aide d’un tarbouche, bonnet ou foulard (tchârghad, tchârshab).

Les motifs et couleurs employés dans ces costumes folkloriques ont des liens étroits avec une nature aux quatre saisons bien marquées, une nature qui inspire sans cesse de la poésie et de l’espoir aux habitants de cette région. Une poésie qui accompagne la vie quotidienne. La mère fait dormir son enfant grâce aux doux vers des Bâyâti [2] ; les cérémonies de mariage commencent et se terminent par de la poésie ; les funérailles commencent avec des âghi ; le fermier interpelle le soleil et la pluie avec des poèmes, il maudit le vent avec des poèmes, il décrit le champ doré, les vaches, et les moutons avec des poèmes ; les cavaliers et les combattants naissent, grandissent et meurent en poésie [3].

Et la femme, mettant tous les jours des vêtements qui l’associent à la nature, gagne dans cette culture une place privilégiée qui la met au centre de presque toutes les traditions. Parfois, c’est elle qui joue le rôle d’un intermédiaire pour apporter le soleil ou la pluie.

Lorsqu’il ne pleut pas assez, les Zanjânais organisent une cérémonie particulière intitulée « Khidir Khidir ». Lors de cette cérémonie, ils chantent cette ritournelle :

Khidir Ilyâs, Khidir Ilyâs

Bitdi tchichak, galdi yâz

Khanem âyâghâ dursânâm

Boushghâbi Doldursânâm

Khidiri Yolâ Sâlsânâm [4]

Il arrive parfois qu’au contraire, les précipitations durent si longtemps qu’elles risquent d’endommager les cultures. Une autre cérémonie rituelle est alors tenue, appelée « Ghoudou Ghoudou ». Lors de cette cérémonie, de jeunes hommes accompagnent toute une après-midi un des leurs habillé en mariée, qui fait le tour du village. Les jeunes chantent et dansent et font une collecte d’aliments lors de cette tournée :

Ghoudou Ghoudou, Gueurdeunmi ?

Ghoudouyâ sâlâm veterdeunmi ?

Ghoudou Bourdân Kétchanda

Ghiz mizi gueunu gueurdeunmi ?

Ghoudouyâ Ghâymâgh Gueurak,

Ghâblârâ Bâymâgh Gueurak

Ghoudou Gun Tchekhârmâsâ

Gueuzlarin Oeimâgh Gueurak [5]

Il y a aussi d’autres rites comme le Mindjigh Sâlmâ (Evocation) durant lesquels les femmes jouent le rôle principal. Reflétant particulièrement les croyances et les habitudes du peuple azéri, le Mindjigh Sâlmâ propose une sorte de prédiction révélant ce qui se passera l’année prochaine. Ce sont les femmes et surtout les jeunes mariées ou les jeunes filles qui réalisent ce rite. Réunies en un endroit précis, les femmes s’assoient autour d’un bol d’eau dans lequel elles mettent chacune un objet. Assise en haut de ce bol, une fille prend un par un ces objets dont elle racontera l’histoire. Ainsi se fait une sorte de divination révélant la réalisation ou l’élimination d’un rêve. Ce rite s’accompagne aussi de poésie :

Âghlâmâ, nâtchâr âghlâmâ

Élinda hâchâr âghlâmâ

Ghâpini bâghlâyân Allâh

Bir gun da âtchâr, âghlâmâ

Utur mushdoum sakki da

Uraguim saksaki da

Bir ghizil na’albaki da

Utch ghizil âlmâ galdi [6]

Outre ces rites, le rôle des femmes de Zanjân apparaît également dans les productions artisanales, notamment le tapis fait main, majoritairement tissé par ces femmes. Par exemple, ce sont les femmes de Bidgueneh, un village à 50 km de la ville de Zanjân, qui tissent les tapis les plus finement travaillés de la province. Caractérisé par des couleurs naturelles, des nœuds très fins, de beaux écoinçons et des médaillons, le tapis de cette région est bien connu notamment en Allemagne. Les femmes de Zanjân produisent également d’autres objets artisanaux comme le kilim, le djâdjim [7], le tchârigh (chaussure ancienne en cuir), des chaussures en cuir, du guiveh[Chaussure douce, confortable et tissée à la main.]], de la vaisselle en cuivre, des paniers, des revêtements colorés en feutre, et des couvre-chefs en feutre. Elles maitrisent aussi les savoir-faire ancestraux tels que le filigrane, la sculpture sur bois, la broderie, et la broderie perlée.

Cependant, les évolutions culturelles issues de la rencontre avec la modernité après les Qâdjârs ont largement influencé les goûts des gens non seulement dans leur choix de vêtements, mais aussi, plus généralement, leur mode de vie. Alors que les costumes folkloriques étaient dotés dans la société traditionnelle d’une valeur d’usage, ils n’ont dans la société moderne qu’une valeur bolique. Ainsi, les coiffures, les vêtements, les chaussures et les bijoux traditionnels cèdent progressivement leur place aux produits du monde moderne qui s’éloignant des caractéristiques d’une société particulière, s’inscrivent dans une mondialisation culturelle. Perdant leurs motifs et couleurs, les habits des habitants des villes de Zanjân ne portent aucun signe des diversités historiques et culturelles, et c’est seulement dans des villages comme Tchapar, Tchâypâreh Bâlâ, Vananagh, Darsadjin, Bâghdareh, et Gharah Ghush, que les costumes ont préservé leur teinte locale. Les vêtements traditionnels ne peuvent être vus dans les villes que lors des représentations théâtrales ou muséales. L’édifice de Rakhtsooy Khâneh (lavoir) situé à la ville de Zanjân offre aujourd’hui une riche diversité des vêtements traditionnels présents dans cette province. Pourtant, ces produits culturels ont aujourd’hui aussi bien une valeur symbolique qu’une valeur d’usage, et cela grâce aux activités diverses de l’Organisation de l’héritage culturel, du tourisme et de l’artisanat de Zanjân, celle-ci cherchant à ressusciter l’emploi des motifs, couleurs et styles des habits folkloriques de la province.

    Bibliographie :


    - Zendeh Del, Hassan, Ostân-e Zanjân (La province de Zanjân), Téhéran, Irângardi, 1377 (1998).

    - Tisser le paradis, Tapis-jardins persans, Téhéran - Clermont-Ferrand, 2005.


    - Rezvânfar, Mortezâ, « Sanâye’e dasti va modernité, tahlili mardom shenâkhti az ab’âd-e nazari-ye sanâye’e dasti » (Les artisanats et la modernité, analyse ethnologique des aspects théoriques des artisanats), in Ketâb-e mâh-e honar, Azar-Dey 1385 (nombre-décembre 2006-2007), N° 99, 100, pp. 70-74.

    https://www.mehrnews.com/

    Notes

    [1Rezvânfar, Mortzzâ, « Sanâye’e dasti va modernité, tahlili mardom shenâkhti az ab’âd-e nazari-ye sanâye’e dasti » (Les artisanats et la modernité, analyse ethnologique des aspects théoriques des artisanats), in Ketâb-e mâh-e honar, Azar-Dey 1385 (Nombre-Décembre 2006-2007), N° 99, 100, pp. 70-74 : 72.

    [2Reflétant les amours, les espoirs, les rêves, les souffrances et les joies de ce peuple, les Bâyâti constituent un livre comprenant les croyances, les rites, les traditions, les caractéristiques et les habitudes des habitants. Zendehdel, Hassan, Ostân-e Zanjân (La province de Zanjân), Téhéran, Irângardi, 1377 (1998), p. 88

    [3Ibid., p. 87.

    [4Khidir Ilyâs, Khidir Ilyâs

    Le bouton serait épanoui, le printemps arrivé

    Si la femme du foyer se levait

    Allait voir dans le cabinet

    Remplissait l’assiette vide

    Et conduisait Khidir Ilyâs

    [5As-tu vu Ghoudou Ghoudou ?

    L’as-tu salué Ghoudou ?

    Quand il passait par ici

    As-tu vu le radieux soleil ?

    Donnez du kaymak à Ghoudou

    Et mettez-en dans les assiettes

    Si Ghoudou n’apporte pas de soleil

    On lui sortira les yeux de ses orbites

    [6Ne pleure pas sur ta misère

    Ne pleure pas, toi qui as une clé ;

    Dieu qui ferme les portes

    Les ouvrira Lui-même un jour ;

    J’étais assise sur la terrasse

    Mon cœur s’armait de patience ;

    Soudain dans une soucoupe en or

    Sont apparues trois pommes en or…

    [7Tapis en laine à bandes verticales, parallèles à la chaîne.


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