N° 147, février 2018

CESAR
un sculpteur français à la fois moderne et classique
Centre Georges Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris
13 décembre 2017 – 26 mars 2018


Jean-Pierre Brigaudiot


César, de son nom d’artiste, a participé activement et savoureusement, accent marseillais oblige, durant plusieurs décennies, à la vie artistique contemporaine française. Il fut l’artiste officiel représentant la France à la Biennale de Venise en 1995. La rétrospective que lui consacre le Centre Pompidou permet de mieux embrasser l’œuvre. Une vingtaine d’années après la disparition de César, le moment est propice à une relecture et à une remise en situation de cette œuvre, de ses apports et innovations, de sa contemporanéité, de sa place sur la scène artistique française et mondiale et certes de sa pérennité ; ce programme n’est à priori pas si ambitieux mais il se heurte au monologue médiatique, tant passé qu’actuel, propre à un monde de l’art quasi unanime quant à n’être que laudatif, hyper centralisation oblige.

César : 1921 – 1998

Compressions d’automobiles (1998)

Un art techniquement alternatif.

 

D’origine modeste, César va incontestablement faire preuve de créativité en un enrichissement conséquent du matériel et des matériaux de la sculpture. Le contexte des écoles des beaux-arts qu’il fréquente longuement tant à Marseille qu’à Paris est, au milieu du siècle et jusqu’après les événements de 1968, celui d’un enseignement académique de la sculpture où ni Picasso ni Duchamp, parmi d’autres figures essentielles qui ont largement contribué à redéfinir l’art, ne sont présents. César, faute de moyens financiers, va durant une longue période de sa vie pratiquer une sculpture fondée sur l’usage du déchet et de l’objet de récupération : chutes de découpes de tôles d’acier, boulons, tuyaux, par exemple, qu’il va assembler en les soudant, plus précisément avec la technique de la soudure à l’arc (soudure électrique pratiquée avec une électrode et très simple de mise en œuvre). C’est cette sculpture ouverte à d’autres moyens qui va faire école, ce qui est important en ce sens que l’ouverture pratiquée par César va rénover, au moins pour partie, la sculpture qui lui est contemporaine et contribuera à engendrer tout un courant de sculpture de fer et d’acier, tant figurative que non figurative. Il s’agit donc d’une sculpture qui se réalise autrement que selon une tradition où le projet dessiné, pour aboutir à la réalisation de l’œuvre, passe par le modelage de maquettes en terre ou en plâtre, puis par un modèle à l’échelle réelle, puis par un moulage à l’échelle réelle et une coulée de fonte d’acier ou de bronze, parmi d’autres possibilités. L’autre technique traditionnelle que ne pratiquera pas César est celle de la taille directe de la pierre ou du bois.

 

« Pouce » (1965, bronze poli), l’expo César au Centre Pompidou

Le contexte de développement de l’œuvre de César

 

Lors de la première moitié du vingtième siècle ont surgi d’autres pratiques que la sculpture, en tant que catégorie artistique, a absorbées, dont notamment celles de l’assemblage d’objets ou de déchets de l’industrie. Ainsi, la créativité de César prend place dans un contexte où se sont développées et installées dans le paysage artistique les pratiques des dadaïstes, celles de Picasso, celles liées au Surréalisme, pratiques où plane plus ou moins explicitement l’esprit de Duchamp. Cet esprit, duchampien qui redéfinit réellement le concept d’art ne touche guère aux formes mais davantage aux postures des artistes, et l’influence de Duchamp se fera plus radicale après les années soixante avec l’émergence de ce que fut l’Art Conceptuel. Peut-être est-ce davantage du côté de Giacometti, de Picasso et de Germaine Richier qu’il faut chercher des antécédents ou des précédents formels à l’œuvre de César. En tant que sculpteurs ou pratiquant cet art de la sculpture et bien que modernes et même d’avant-garde, ils sont restés dans les limites d’une figuration inventive libérée de la seule imitation imitative, ce que va également et globalement faire César, car son œuvre est avant tout figurative en même temps qu’en partie fondée sur le principe du « ready made » duchampien (avec par exemple les compressions de voitures lorsque l’artiste - démiurge désigne telle ou telle de celles-ci comme étant œuvres d’art). L’assemblage par soudage est également l’un des fondements du travail de César. S’ajoute à ces pratiques de l’assemblage la série des « Expansions », ce sont des coulées contrôlées de résine de synthèse qui se définissent artistiquement comme une opération taxinomique fondée sur le détournement d’une technique qui n’a rien à voir avec l’art. Ici, l’esprit de l’œuvre est de manière sous-jacente, davantage duchampien que ne le fut globalement l’œuvre de César : est désigné comme art le phénomène de l’écoulement pâteux de la résine en une forme informe (non figurative) issue d’une opération de détournement.

« Esturgeon » en fer forgé et soudé (1954)

Ainsi en fut-il d’un certain nombre de propositions de Marcel Duchamp. Avec ces Expansions, César va de l’avant en désignant comme art le simple produit d’une technique ; cependant, en même temps, et c’est une sorte de marche arrière qu’opère César vers une simple figuration, il conduit certaines Expansions vers des figures, corporelles par exemple. Il s’agit là d’un acte qui définit bien César comme hésitant sans cesse entre figuration et objet tel qu’en lui-même existant par ce qu’il est dans le cadre de la technique, par exemple la compression des voitures ou l’expansion des mousses polyuréthanes. Ainsi peut-on dire que César inscrit sa pensée créatrice en balance, entre une figuration libérée de mimer le réel et une œuvre désignée comme telle par le regard et la volonté de l’artiste. Cependant, César ne peut être associé à l’Art Conceptuel, d’une part celui-ci s’étant avant tout défini comme « homo faber », un manuel qui utilise une matière première qu’il va chercher ici et là selon ce dont il a besoin, dans les casses de voitures, dans les récupérations de ferraille, dans l’accumulation d’objets, à l’instar de son ami Arman, ou dans les possibilités offertes par les résines de synthèse. Les Compressions sont quelquefois, en même temps, des Accumulations, car César cherche à développer le principe de base de la Compression en soumettant à la compression mécanique d’autres choses que les voitures : ce sont les cagettes, par exemple, ou encore la voiture compressée/écrasée en forme d’objet mural plat. César est un artiste à l’œil éveillé qui sort donc du cadre traditionnel de la sculpture pour en réinventer les matières premières, et c’est en cela que son œuvre intéresse la modernité, en cette capacité de mettre en œuvre le déchet industriel ou des techniques destinées à tout autre chose qu’à produire des œuvres d’art.

« Le Centaure » (1983, plâtre et matériaux divers). Hommage à Picasso.

 

Un académisme revisité ?

 

L’exposition du Centre Pompidou permet une approche assez exhaustive de l’œuvre et en même temps de mettre celle-ci en perspective dans le contexte de la modernité et de la contemporanéité. Cette œuvre est essentiellement faite de figures humaines ou animales stylisées, constituées de pièces de métal soudé, acier ou bronze, ou d’objets issus des pratiques industrielles du recyclage, utilisés tels quels ou comportant une intervention de l’artiste. Les Expansions, pour une part d’entre elles, sont simplement des coulées de résine dont l’artiste accompagne l’écoulement, fasciné par un surgissement de formes et de matières, comme il l’est par la matière première de ses sculptures soudées qui relèvent de l’art de l’assemblage. D’autres résines relèvent, comme le pouce de l’artiste, décliné de nombreuses fois en différentes dimensions, d’un art du moulage tout à fait traditionnel, ne serait-ce, peut-être, le contexte de l’époque où la lecture de cette œuvre de César s’inscrit dans le cadre de ce mouvement artistique français appelé Nouveau Réalisme, celui-ci étant plus ou moins un avatar local du Pop’Art américain que plusieurs contemporains de César vont bien davantage rejoindre, tel Arman ou tel Marial Raysse, parmi d’autres qui partiront faire carrière à New York où le marché de l’art est infiniment plus puissant qu’à Paris.

 

Les compressions des années 1961 et 1962 (dont « Yellow Buick » et « Zim »)

A trop en faire

 

L’art et son commerce ne vont pas toujours de pair et le second affecte le premier. Dans la génération de César, ses amis et collègues ont quelquefois abusé ou mésusé de la reproductibilité de l’œuvre. Cette reproductibilité sans limites est un phénomène inscrit dans l’époque de l’explosion de la grande consommation et indéniablement cette reproductibilité ne fait pas toujours bon ménage avec le concept d’œuvre unique qui a fondé et défini le musée. Des artistes comme Vasarely, Arman, Venet, Buren, parmi d’autres, ont ainsi déprécié leur création en une démultiplication antinomique avec le principe même de l’unicité sur lequel reposait leur création. La société de consommation demande un renouvellement constant et rapide de toute production et produit. Et l’artiste-artisan qui se met sur le terrain de la grande consommation se condamne à réaliser des œuvres-productions dont le renouvellement est extrêmement limité, trop sans doute pour maintenir l’intérêt du collectionneur-consommateur et du marché. La création de nombreuses figures animales ou humaines, bien que témoignant de l’attrait de César pour des matériaux alternatifs susceptibles de revitaliser la sculpture, apparaît aujourd’hui comme étant des œuvres des plus traditionnelles dans leur esprit : figures qui se conjuguent avec une matière et un matériau inhabituels en une création trop courte en perspectives. Parmi les poules en fer soudé, de toutes tailles, dont César a inondé son marché, cette figure animale se lasse d’elle-même comme le monde de l’art se lasse : avoir vu une poule de César, c’est comme avoir vu une Compression, c’est les avoir toutes vues, ou presque. Or l’esprit de la collection, en quelque domaine qu’elle se constitue, reste bien fondé sur la rareté des pièces rassemblées. Il y aurait peut-être un hiatus entre l’objet de consommation de masse, périssable, diffusé par la grande distribution et la volonté de pérennité de l’objet d’art. L’œuvre de Vasarely s’est ainsi noyée sous la quantité de ses reproductions, qui plus est étaient à très bon marché.

Poule à Limes (1981)

Beaucoup des œuvres de César étant issues de la récupération et de l’assemblage de chutes de métaux peuvent aujourd’hui se percevoir comme relevant du monde décoratif avec tout ce qu’il véhicule comme figures stylisées en même temps que populaires. Les boutiques d’objets décoratifs regorgent depuis des lustres d’objets-sculptures montés éventuellement en lampes, tout comme il en est avec les expositions de quartier où l’art est plutôt un loisir et une pratique d’amateurs qu’un métier. Le Centaure, sculpture conçue en hommage à Picasso, dont un exemplaire trône en permanence à deux pas de Saint Germain des Prés, n’apparait guère comme une œuvre dont la capacité d’ensemencement perdure, juste une figure stylisée. De même la multiplication à l’infini des Compressions, grandes ou petites, voire minuscules, conduit à les percevoir comme noyées dans leur dimension commerciale, objets dont l’essence créative se noie dans la quantité. Et puis il y a ce fameux César de bronze, une compression « de poche » qui sert toujours et encore de trophée remis chaque année lors des Césars du Cinéma. Ce trophée témoigne de cette réussite médiatique de l’artiste, réussite qui déplace l’objet d’art vers l’objet médiatique, peut-être trop médiatique.


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