N° 154, septembre 2018

Bijan et Manijeh
(Pièce inspirée d’un récit du "Livre des Rois" de Ferdowsi)


Saeid Khânâbâdi


Personnages :

Bijan, Fils de Guive, Commandant iranien

Manijeh, Fille d’Afrassiyab, Princesse de Touran

Rostam, Héros national d’Iran

Key Khosrô, Roi d’Iran

Afrassiyab, Roi de Touran

Gouvernante du palais de Manijeh

Équipe des danseurs, Guerriers de Touran

Équipe des danseuses, Filles du cortège de Manijeh

 

Description de la scène et des accessoires :

Un trône de deux marches au milieu de la scène, sur la partie gauche du trône une grosse pierre plate et épaisse représentant la couverture du puits de Bijan, sur la partie droite du trône deux arbres représentant le bois de Manijeh. L’arrière-plan de la partie droite est recouvert par des draps de couleur blanche, et la partie gauche par des draps foncés.

Déroulement des faits :

La pièce se joue en un seul acte et en une seule scène. Les éléments et les objets demeurent sur la scène pendant tous les évènements.

Ouverture de la pièce :

Les rideaux s’ouvrent. On entend des fanfares. Le roi Key Khosrô entre sur scène. Il monte sur le trône et s’assied. Rostam entre après quelques secondes. La musique d’ouverture s’arrête.

Rostam : Louange à Dieu, Seigneur des sept cieux, Maître de tout objet et de tout lieu. Créateur de l’air et du feu, de la terre et de l’eau. Et je salue le roi des rois, Key Khosrô, le roi d’Iran, le monarque des sept pays et des sept mers. Sa Majesté m’envoya ses émissaires au Sistân. Me voici donc à votre divan.

Key Khosrô : Ô Rostam, héros de l’Iran, gouverneur du Sistân, fierté du pays, défenseur de la patrie. Toi qui sauvas les rois en exécutant les démons. Toi qui suscites la crainte chez nos ennemis. Toi qui assistes toujours les shâhs d’Iran. Oui, je te fis venir pour une affaire importante, car le pays a besoin de ton secours urgent.

Rostam : Me voici prêt à me sacrifier pour les Iraniens. Dites-moi votre chagrin, ô grand souverain des animaux et des humains.

Key Khosrô : Les gens d’Arménie sont venus en audience. Ils se plaignent des hordes d’Afrassiyâb, le roi de Touran, qui menacent leurs villes et leurs résidences. Ils sollicitent avec urgence le soutien du roi d’Iran pour sauver leurs vies contre ce roi sans clémence.

Rostam : Votre Majesté dispose de l’armée la plus puissante du monde. Envoyons à Arax nos braves cavaliers audacieux pour écarter de l’Arménie cette menace.

Key Khosrô : Il n’est pas question de déplacer l’armée ni les bastions, puisque les tribus du Grand Désert guettent notre région. Outre cette situation, la mobilisation des forces vers l’Arménie attirera l’attention des Romains, nos pires ennemis. Il n’est pas prudent d’affronter en même temps tous ces Etats.

Rostam : Dans ce cas, confiez-moi l’affaire, mon grand roi. J’en ferai un exploit.

Key Khosrô : Non, Rostam, mon frère fidèle. Si Afrassiyâb n’a pas encore osé franchir l’Oxus et ses citadelles, c’est grâce à ta présence dans le Sistân, le pays du lait et du miel. Je ne prends pas ce risque.

Rostam : Que Dieu Eternel vous garde pour le peuple d’Iran, ô monarque généreux et savant. Mais qu’allons-nous faire ?

Key Khosrô : Nous n’avons qu’un choix : mobiliser une seule division pleine de foi, commandée par un brave héros de droit, pour dompter les sauvages cavaliers de ce faux roi.

Rostam : Y a-t-il des volontaires pour cette mission fatale ?

Key Khosrô : Un seul. Et si je t’ai convoqué dans la capitale, c’est pour te consulter sur ses compétences et sa morale.

Rostam : Qui est ce commandant de confiance ?

Key Khosrô : Bijan, le fils de Guive. Un jeune brave, mais qui manque d’expérience.

Rostam : Je le connais lui, et ses qualités. Mon grand roi sage, il est réputé pour sa bravoure et son courage. Il ne faut pas le juger par son âge.

Key Khosrô : Si tu le garantis, je le nomme alors chef de cette mission hardie, malgré sa jeunesse. Ô gardes, convoquez Bijan ! Que Dieu lui accorde de la sagesse.

Rostam : Vous faites bien de vous confier aux jeunes héros de votre armée. Que l’Iran prospère grâce à vos pensées et à leurs épées.

(Bijan entre en scène.)

Bijan (à Key Khosrô) : Toutes mes admirations au roi d’Iran et des sept nations. (À Rostam) Et je m’incline devant notre champion, le grand chef des bataillons, Rostam le vainqueur des monstres et des dragons.

Key Khosrô : Que Dieu te bénisse, mon très cher fils. Je parlai à Rostam de te confier la direction d’une cavalerie. Il approuve ton caractère hardi. Il faut que tu accomplisses ce trajet vers l’Arménie. L’Iran s’engage à protéger ce pays frère et ami. Je te désigne afin de résoudre ce conflit.

Bijan : Je remercie Sa Majesté, et je remercie Rostam et ses bontés.

Rostam : Tu es brave, fort et ravi. Mais une fois là-bas en territoire ennemi, sois discret et méfie-toi des ruses d’Afrassiyâb.

Bijan : Je vous assure la victoire. Je reviendrai avec succès et gloire.

Une page du Shâhnâmeh ; la rencontre de Bijan et Manijeh

 

(La bataille de Bijan contre les cavaliers du Touran s’interprète par une scène musicale accompagnée de danse et de légères acrobaties. Une équipe de dix danseurs habillés de noir entrent en scène. Des masques de sanglier couvrent leurs visages. Ils présentent par leur danse les thèmes de l’invasion et de la destruction. Après quelques minutes, Bijan entre. Il danse avec son épée et réussit à vaincre les ennemis qui s’enfuient après quelques minutes de bataille. Bijan reprend sa danse pour un court moment et quitte la scène. Musique épique inspirée de la musique de Zour-Khâneh. La danse est un mélange de mouvements modernes et folkloriques. Afrassiyâb entre sur scène en boitillant. Fatigué et énervé, il se jette au pied du trône, puis se relève. Il crie et casse des objets.)

 

Afrassiyâb (il crie violemment) : Non ! Mes troupes sont toutes vaincues. Défaite après défaite, c’est ma vie dessinée par les astres. Le maudit Bijan anéantit mon camp et cause mon désespoir. Il me donne des cauchemars jours et nuits. Mais vous verrez (il s’adresse aux spectateurs) que je me vengerai de lui. Je l’enfermerai dans les puits les plus noirs.

 

(La gouvernante de Manijeh entre sur scène, le visage inquiet. Elle a peur.)

 

La gouvernante : Ô grand roi de tous les émirs, plus habile que tout vizir ! Que vous est-il arrivé, Sire ? Vous me convoquâtes et je suis là avec grand plaisir. Mais que puis-je faire moi, une simple gouvernante, pour servir votre large empire ?

Afrassiyâb : Gouvernante de ma fille, viens ! On ne peut mettre fin à la légende du brave Bijan par des soldats et des assassins. Il égale, à lui seul, une armée de fantassins. Aucun de mes commandants ne peut faire face à ce héros. (Il change de ton. Il sourit) Mais dans la guerre, la force armée n’est pas le seul moyen.

La gouvernante : Si les grands commandants du Touran ne résistent pas à Bijan, que peut faire la gouvernante de vos courtisans ?

Afrassiyâb : Tu peux faire ce que des milliers de cavaliers ne peuvent accomplir. Ce jeune Bijan est un patriote intransigeant qui refuse de trahir. Je l’ai testé maintes fois. Par la richesse, par le pouvoir et par mille autres initiatives. Mais nos espions m’ont transmis un message. Bijan est faible devant la femme et cela est notre seul espoir. Key Khosrô a eu tort d’envoyer un jeune homme inexpérimenté pour défendre l’Iran. Bijan va s’écrouler devant la beauté de la fille la plus belle de Touran.

La gouvernante : Je ne comprends toujours pas, ô Majesté. Parlez-vous de votre propre fille Manijeh ?

Afrassiyab : Est-elle à la frontière de l’Arménie, ou déjà rentrée en son palais ?

La gouvernante : La princesse est encore là. Comme chaque printemps, elle passe quelques semaines dans les bois et les plaines d’Arménie. Elle y a dressé une tente dans un jardin de délices, et une centaine de filles sont à son service.

Afrassiyâb : Bien. Si tu réussis à déshonorer le commandant de la meilleure armée d’Asie en le poussant à trahir sa patrie, je t’ouvre les portes de mes trésors.

 

(La tente de Manijeh. Manijeh, assise sur la première marche du trône, joue à la harpe. Elle chante tristement.)

 

Manijeh : Je suis Manijeh, la triste princesse. Bien que les hommes soient fascinés par ma beauté, mon père Afrassiyâb m’enferme dans ses palais.

La gouvernante : Ô ma princesse, belle Manijeh, à vous vont tous mes honneurs. Assise ici, mélancolique, vous ignorez ce qui se passe au-dehors.

Manijeh : Je m’ennuie comme toujours de tant de repos. Quel plaisir pour moi si malheureuse ? Tu sais que mon père rejette mes prétendants. Ne pas être triste, comment le pourrai-je ? Naître la fille d’un tyran détesté par son propre peuple me fait tant pleurer que j’en perds la vue.

La gouvernante : Laissez le passé et profitez de l’instant. Ma chère princesse, vous pourrez changer votre destin. Le plus brave et le plus beau des chevaliers est votre voisin.

Manijeh : De qui parles-tu, ma gouvernante ? Tu as aujourd’hui la mine joyeuse. Qui peut venir m’embrasser ici dans les plaines d’Arménie, loin de mon pays ?

La gouvernante : Vous n’avez pas entendu la nouvelle ?

Manijeh : Dis-moi donc.

La gouvernante : Connaissez-vous le héros Bijan ?

Manijeh : Le monde entier parle de lui après sa victoire contre les guerriers de mon père. Ce beau gentilhomme, ce champion de guerre.

La gouvernante : Demain, il chasse dans le bois voisin. S’il découvre votre beauté, il tombera à vos pieds.

Manijeh : Hélas ! Deux ennemis peuvent-ils s’aimer ? Un héros d’Iran et une princesse de Touran ?

La gouvernante : Ma belle Dame. L’amour est la fusion de deux âmes. Laissons la raison et les stratagèmes.

Manijeh (elle change de comportement et se lève joyeusement) : Oui, pensons à l’amour et rien qu’à l’amour. Mon héros Bijan viendra demain de l’horizon azur. Et ce sera la fin de mes années si dures. Préparons alors les danses, les chants et les tambours.

(Manijeh se met à danser. La gouvernante quitte la scène discrètement. Ensuite, les filles du cortège entrent en dansant. La musique est rapide et gaie. La musique ralentit. Bijan entre. Il découvre la beauté de Manijeh. Il est séduit. Il s’agenouille devant elle et lui embrasse la main.)

 

Bijan : Qui es-tu ? Un être humain ou un ange divin, belle demoiselle ? D’où viens-tu toi, déesse éternelle ? Moi, Bijan, combattant des batailles mortelles, agenouillé ainsi devant ton charme charnel, vint chasser le gibier, me voici attrapé par une créature si belle. Qui es-tu, de quelle citadelle ?

Manijeh : Je suis Manijeh, princesse de Touran. La fille d’Afrassiyâb, dont l’armée fut, par toi, vaincue.

Bijan (il se relève brusquement et tourne le dos à Manijeh) : La fille d’Afrassiyâb ?!

Manijeh : Que fais-tu ?

Bijan : Tu ne sais pas l’ampleur de l’hostilité entre nos pays, ennemis jurés. Éloigne-toi afin que je ne te blesse pas de mon épée. (Il veut tirer son épée)

Manijeh : Ô mon amant, garde ta force et ta violence pour les batailles. Agis comme un noble courtisan lors des audiences. Jusqu’à quand tant de guerres, tant de rage ? Jusqu’à quand les morts, les blessés et les carnages ? Nous allons établir entre nos pays, la paix, par notre mariage.

Bijan : Tu crois que l’on peut créer la paix entre les deux empires ?

Manijeh : Viens chez moi, sous ma tente de bonheur. Tu y seras mon invité d’honneur. Et tu auras du temps pour méditer. Puis nous partirons à mon palais de plaisirs. Ne gâtons pas ce moment de joie par des discours logiques ou patriotiques. Oublions pour de bon les affaires politiques. Promène-toi simplement dans mon jardin des délices. Goûte un peu du vin, dans mon calice doré. Suis-moi, mon Adonis !

 

(Elle marche vers l’arrière pour sortir de la scène, et Bijan stupéfait et ivre la suit jusqu’à la sortie de la scène. Afrassiyâb entre. Il monte victorieusement sur le trône et s’assied. Il a l’air joyeux. La gouvernante entre.)

 

Afrassiyâb : A-t-il accepté ?

La gouvernante : Oui, ô grand roi. Et il a passé trois jours et trois nuits sous la tente de la princesse. Je l’ai accueilli avec courtoisie et l’ai diverti de mille manières.

Afrassiyâb : Tu as bien agi, gouvernante de ma fille.

La gouvernante : C’est votre intelligent génie qui créa cette habile stratégie.

Afrassiyâb : Je suis flatté. Mais le troisième jour, Bijan accepta-t-il d’aller au palais de Manijeh ?

La gouvernante : Non, Majesté. Il résista encore, ce brave entêté. Il voulait rentrer au camp des Iraniens. Mais je lui fis boire une liqueur soporifique et l’envoyai au palais de ma chère Manijeh. Une fois réveillé, Bijan voulut encore s’évader. Les gardes lui lièrent les mains et les pieds. La princesse tenta de le libérer mais je pus l’en empêcher.

Afrassiyâb : Tes actes seront bien récompensés, gouvernante rusée. Tu déshonoras ce commandant de l’armée. Lui proposas-tu ce que je t’ai dicté ?

La gouvernante : Oui. Je l’informai que Sa Majesté lui offrait le commandement de son armée et la main de sa fille bien aimée, s’il acceptait de quitter Key Khosrô que vous détestez.

Afrassiyâb : Et il refusa, cet homme de malheur.

La gouvernante : Comme vous le devinez, mon Empereur.

Afrassiyâb : Tant pis. Mais nous avons déjà réussi. J’ai envoyé un courrier à ce Key Khosrô maudit pour lui dire que son grand héros l’avait trahi.

La gouvernante : Qu’allez-vous faire de Bijan, ce pauvre affaibli ?

Afrassiyâb : Jetez-le dans notre puits des morts. Puis couvrez le puits avec une grosse pierre de renfort, lourde à déplacer même par sept éléphants forts.

La gouvernante : L’ordre du roi sera exécuté, mais la princesse l’aime et va le suivre dans ce puits de la défaite.

Afrassiyâb : Si la princesse n’abandonne pas son amant, il vaut mieux qu’elle soit chassée du palais comme traîtresse. Elle sera déchue de ses titres de noblesse. Je voulais déjà me débarrasser de cette fille qui ne pense qu’à la paix et à la délicatesse.

Folio d’un manuscrit du Shâhnâmeh attribué au Shâh Tahmasp. Bijan reçoit une invitation par l’intermédiaire de la nourrice de Manijeh.

La gouvernante (à voix basse) : Ô ma pauvre Altesse ! Quel père est si cruel envers son propre enfant, son aînée – si ce n’est Afrassiyâb, ce roi pervers et sans pitié. (Elle s’adresse à Afrassiyâb) Mais si les gens ont vent de ce scandale, ils vont se révolter contre votre capitale. Vous savez que Manijeh est protégée par le peuple et par l’armée.

Afrassiyâb : Ils ne seront jamais informés du procédé. Tu es le seul témoin de cette affaire, et tu ne vivras pas assez longtemps pour parler de cette trahison. Gardes ! Emmenez-la à son enfer.

La gouvernante : Non ! Non ! Que la malédiction divine te prenne. Tu ne mérites que de la haine. Un jour, le roi Key Khosrô viendra et libèrera le Touran de ton joug, de cette peine.

(Elle court vers la sortie de la scène. Là, elle crie soudainement. Afrassiyâb descend du trône et quitte la scène en riant. Le roi Key Khosrô entre. Il est inquiet. Il marche. Dès qu’il voit Rostam entrant sur scène, il va vers lui et le prend par le bras.)

 

Key Khosrô : Rostam, où es-tu ? Nous sommes confrontés à une terrible situation.

Rostam : Pourquoi es-tu inquiet, ô roi de toute la Terre ? Quelle est cette nouvelle amère ? Les Romains nous attaquent, ou une flotte d’outre-mer ?

Key Khosrô : Non, je ne serais pas si en colère s’il s’agissait d’une attaque militaire. Mais nous avons affaire à l’honneur de notre patrie millénaire.

Rostam : Dites-moi la cause de ce calvaire ?

Key Khosrô : Il s’agit de ce Bijan, le jeune que tu garantis. Un messager d’Afrassiyâb dit qu’il a rallié les rangs de notre ennemi.

Rostam : Non, c’est impossible. Il ment, cet homme est non crédible. Je suis informé que Bijan a victorieusement vaincu cette armée terrible.

Key Khosrô : Mais l’on ne sait plus. Les cavaliers qui l’accompagnaient sont revenus. Ils disent qu’un jour, Bijan s’en alla chasser et ne revint jamais. La cavalerie l’attendit trois jours, mais en vain. Elle revint sans son souverain. Bijan obéit à Afrassiyâb, dit un citadin.

Rostam : Mais c’est certainement faux. Bijan est jeune, mais ne trahirait jamais ses idéaux.

Key Khosrô : Je suis certain qu’il y a une histoire. Mais nos soldats sont découragés. Afrassiyâb profitera de cette occasion pour nous attaquer.

Rostam : Je vais au Touran en compagnie de mes meilleurs hommes déguisés en marchands ; ainsi nous franchirons la frontière. Soyons pondérés avant de décider. S’il est captif, je vais le libérer. Mais si Bijan a trahi notre identité dans son dilemme, je le trouverai, et l’exécuterai.

Key Khosrô : Tu risques ta vie en allant vers ce piège. Que notre Seigneur te protège.

 

(Bijan, dans la partie gauche de la scène. Les bras attachés par une corde, il est assis sur le sol, pour montrer qu’il est au fond du puits. Manijeh est de l’autre côté, accolée au puits. Les deux amoureux pleurent.)

 

Bijan : Ô ma destinée ! Comme tu es ruinée. Ô monde, comme tu es éphémère ! Hier chef d’une armée et héros admiré. Aujourd’hui, malheureux au fond de ce puits monstrueux.

Manijeh : Oh ! Mon cher élu. Ne blâme pas ton destin déchu. Le Ciel n’a rien contre nous. C’est de ma faute si tu es détenu. Naïvement, j’ai obéi à la ruse de mon père démoniaque. Jadis princesse de mon palais magnifique, je dois maintenant quémander de la nourriture pour moi et mon amour.

Bijan : Non, mon amante. Tu prouvas ta fidélité. Toi seule me suivis dans cette calamité. En désobéissant à ton roi pour m’accompagner. Ton amour est plus vrai que le mien, comme tu as sacrifié tous tes biens.

Manijeh : Nous avons tout perdu ? Quelques pas de distance entre nous, mais de notre amour nous sommes dépourvus. Même une centaine d’hommes justes ne peuvent soulever cette dalle robuste.

Bijan : Ne te blâme pas, ma princesse si belle. C’est la volonté du Dieu Eternel. C’est mon châtiment d’avoir oublié mon engagement envers ma patrie et mon régiment.

Manijeh : Mais au lieu de soupirs, comment dois-je agir ? Je côtoie la route des caravanes qui viennent d’Iran, de ce grand empire, pour trouver quelqu’un qui puisse nous secourir.

Bijan : On dirait, dans la cour de Key Khosrô, qu’on considère Bijan comme un traitre honteux. Le roi punira mon clan et ma ville. Mon père et Rostam ne peuvent plus être tranquilles. Je ne devais pas entrer dans ton asile.

Manijeh : Maintenant regrettes-tu tes sentiments ?

Bijan : Non jamais, même pour un seul instant. Je ne regretterai jamais de t’avoir aimée autant. Nous sommes victimes d’un complot affreux. Je suis submergé par ce flot de chagrin, et je n’ai rien à manger que ce morceau du pain que tu m’envoyas ce matin. (Il prend le morceau de pain et le regarde.)

Manijeh : Et il vient d’Iran ce petit pain.

Bijan : (Il s’étonne) Mais par quel moyen ?

Manijeh : J’ai vu une caravane provenant d’Iran, hier. Je m’adressai à leur chef, un vieux fier marchand. Comme tu m’as demandé, je le questionnai sur Rostam. Et je lui racontai ton histoire et ton état d’âme. Il répliqua qu’il connaît Rostam, mais que jamais il ne l’a rencontré. Et il ne s’intéresse pas à la politique des rois. Il donna simplement ce morceau de pain pour toi.

Bijan : (Il devient encore plus triste quand il se rend compte qu’il ne s’agit pas de Rostam) Mais de le manger, puis-je avoir envie, dans une telle mélancolie ? Oh ! Que je suis malchanceux et anéanti.

Manijeh : Ne t’abandonne pas au désespoir. À Dieu et à Sa grâce nous devons croire.

Bijan : (Il coupe ce pain en deux) Non ! Ce n’est pas vrai.

Manijeh : On dirait que Bijan, enfermé, a perdu la raison.

Bijan : Non, ma douce Dame ! Je vois l’anneau turquoise de Rostam, caché au milieu du pain. L’homme que tu rencontras est le héros des miens. Il a dû se déguiser en commerçant, pour se cacher des espions.

Manijeh : Rostam, ce brave impavide ? Oui, il était de haute taille et solide, comme tu l’as décrit de ce puits vide.

Bijan : Va, mon amour. Ramène-le, ce descendant de Surène. C’est pour me libérer de mes chaînes qu’il t’a donné cette divine turquoise. Dépêche-toi avant que les gardes du roi ne découvrent la vraie identité de ce compagnon de choix.

Manijeh : Je cours à toute vitesse. Ce n’est pas loin d’ici, le camp de ses hôtesses. Louange au Créateur Céleste. Nous sommes soulagés par ce geste. (Elle quitte la scène)

Bijan : Ô Ciel je te remercie. Mon Seigneur, Pardonne-moi, si j’ai négligé Ta loi. J’ai délaissé l’amour de mon pays pour goûter les délices de ce monde haï. Dès que Rostam me libère de ce puits, je tirerai vengeance d’Afrassiyâb, ce roi sans merci.

Une page du Shâhnâmeh, Manijeh conduit Rostam dans la fosse où Bijan est emprisonné.

 

(Rostam et Manijeh arrivent en courant.)

 

Rostam : Mon fils Bijan, j’ai toujours cru à ton innocence, sûr que ton absence était le fruit d’un complot de cet Afrassiyâb sadique. Ce tyran qui sacrifie sa propre fille pour combler ses désirs diaboliques. J’enlève cette pierre de honte. Saisis la corde et remonte. Ne crains rien car je te tiens.

 

(Danse de Rostam. Il soulève la pierre et lance la corde pour Bijan. Rostam accomplit la danse martiale du zourhkâneh. La musique est jouée par des instruments à percussion. Bijan prend la corde et marche autour du puits pour symboliser son ascension. Il embrasse Rostam. Les amoureux se retrouvent. Ils dansent.)

 

Bijan : Rostam, ô grand héros des sept terres. Toi qui tuas les démons des sept mers et détruisis les ennemis et leurs châteaux. Toi, l’unique réalisateur des sept Travaux. Toi, le soutien du trône de nos rois prospères. Toi, le meilleur fidèle de Dieu de toutes les ères. Je te serai toujours reconnaissant.

Rostam : Je ne suis qu’un humble serviteur du Seigneur. Dieu t’éprouva par ce malheur et il te sauva puisque tu es purifié. Remercie Dieu et ta belle Manijeh.

Manijeh : Je savais que notre foi et notre amour nous libèreraient. Je te remercie, ô champion. Sept éléphants auraient difficilement déplacé ce rocher que tu soulevas comme un caillou. Ton pouvoir est divin et mystérieux, ô toi béni par le Seigneur miséricordieux.

Rostam : Ne perdons pas de temps. Mes hommes ont attaqué le palais de ce tyran et sont partis vers l’Iran. Allons les rejoindre au fleuve d’Oxus, avant que le roi de Touran ne découvre l’affaire.

Bijan : Non, nous allons au palais d’Afrassiyâb le tueur. Au fond du puits, j’ai promis d’éliminer ce pécheur.

Rostam : Afrassiyâb bientôt sera mort. Avant de venir au Touran, je consultai le grand Mage de Key Khosrô, Il m’informa sur Afrassiyâb et sa mort, aussi bien que sur ton sort.

Bijan : Alors dis-moi. Quel sera mon sort ?

Rostam : Quand le roi Key Khosrô partira au Touran pour se venger de Siyâvash, tu rejoindras sa grande armée. Lors de cette aventure, tu feras preuve de bravoure à la bataille des "Onze Figures". Tu exécuteras les généraux d’Afrassiyâb le malin. Mais ce roi s’enfuira et sera exécuté dans un pays lointain. Les Iraniens vont libérer le Touran et ses pays voisins.

Bijan : Et à la fin ?

Rostam : Tu accompagneras le roi Key Khosrô dans son dernier voyage, au Mont Sacré au-delà des nuages. Là Key Khosrô s’occultera. Toi et quatre autres héros sacrifierez votre vie pour lui.

Bijan : Ô toi chère Manijeh angélique. Tu entends ma destinée tragique. Es-tu prête à m’accompagner dans cette vie difficile ? Dans les désastres sans asiles.

Manijeh : Je te suivrai partout dans le monde. L’amour nous a réuni, et rendra notre vie féconde.

Rostam : Au nom du Dieu Clément et au nom du roi Key Khosrô, je vous déclare femme et mari. Que vous soyez unis dans la vie terrestre et dans le paradis. Allons mes enfants, l’avenir vous attend. Revenons vers l’Iran. Revenons vers la patrie.

(Rostam, Bijan et Manijeh quittent la scène mais après quelques secondes, tous les acteurs de la pièce entrent sur scène. Ils chantent en persan l’un des hymnes patriotiques du "Livre des Rois".)


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