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Une photographe :
Nora Kabli
« Seule avec l’Iran », une exposition au Centre Culturel d’Iran à Paris.
10 au 24 janvier 2019
Le Centre Culturel d’Iran se situe à Paris, à deux pas des quartiers du Montparnasse et du Jardin du Luxembourg. C’est un espace doté d’une salle d’exposition de belles dimensions, de salles de cours de langue persane, ainsi que d’une vaste bibliothèque qui sert de lieu de rencontre et de conférences sur la culture persane. Ce centre culturel fleure bon l’Iran avec son mobilier, des rayonnages chargés d’ouvrages anciens en persan, reliés pleine peau, avec également son personnel accueillant et un directeur, Monsieur Jamâl Kamyâb, désireux de développer autant que faire se peut les activités artistiques et culturelles. Ce centre culturel s’est ainsi récemment ouvert à certains aspects de l’art contemporain et attire de ce fait un public renouvelé, plus hétérogène et particulièrement intéressé par la possibilité de découverte de cet Iran toujours mystérieux et prometteur d’enchantements. Certes les moyens manquent pour développer une politique culturelle plus visible, mais cela relève de questions d’ordre international dont l’épicentre est l’embargo à l’égard de l’Iran.
L’exposition des photos présentées par Nora Kabli porte pour titre « Seule avec l’Iran » et rend compte d’un voyage de découverte qu’elle fit récemment, au cours duquel elle visita tant la capitale, Téhéran, que les principales et fameuses cités que sont Isfahan, Shirâz, Yazd et Kâshân. Seule avec l’Iran ? Pas vraiment à en croire ce qui est exposé, puisque cela témoigne d’une multiplicité de rencontres et dialogues avec le peuple iranien, au gré des déplacements, au coin des rues, bref au quotidien, celui des habitants. Si à première vue on pourrait croire qu’il s’agit d’une exposition liée au tourisme – dans un sens péjoratif, celui d’une culture mondialisée et pré-mâchée -, il n’en est rien car il s’agit avant tout d’une rencontre ou d’une série de rencontres avec des lieux et des habitants, un peu comme une pérégrination où, armée de son appareil, la photographe est à l’affut du photographiable, ou de ce qu’elle décide comme étant photographiable. Et c’est bien ainsi qu’on peut désigner cette pérégrination : un prélèvement opéré dans le champ du visible, un cadrage et découpage dans la chair du monde afin d’isoler ce qu’il y a lieu d’en retenir, ce qui nous parle davantage que d’autres parties du monde que la photographe, du fait de ses choix, laisse hors champ. En ces rencontres, Nora Kabli ne donne ni dans la facilité du typique, ni dans une esthétique standardisée et formatée par l’imagerie trop racoleuse des agences de voyage.
Le regard de Nora Kabli est celui, scrutateur, d’une professionnelle de la photo, un regard à la fois averti et un regard plasticien, du même type que celui d’un certain nombre d’artistes voyageurs du vingtième siècle, regard qui ne s’attache point à l’anecdotique mais va et vient, rendu par les images, entre l’humain lui-même et ce que cet humain se donne comme cadre de vie. Les photos sont toutes de petits formats et sont présentées sous verre dans des cadres de formats identiques fournis par le centre culturel, à la mode iranienne, avec cette lourde présence du bord noir. En Iran, le cadre désigne et certifie ce qu’il présente comme étant une œuvre d’art, et il est rare que la photo iranienne échappe à ce cadre car il lui faut pour ce faire échapper à une résistance, à la fois de l’artiste et du galeriste ou du conservateur du musée, résistance également à l’attente d’un public qui tarde à accepter les multiples formes de l’art contemporain et reste bien souvent attaché à des définitions de l’art qui n’ont plus cours.
Nora Kabli est une jeune photographe dont le parcours ne fut pas classiquement celui d’études dans un établissement d’enseignement de la photo, comme il en existe aujourd’hui tant en Iran que de par le monde. Elle a préalablement suivi plusieurs formations, ceci après un mastère de langues étrangères, à Paris, puis ayant travaillé à l’ambassade du Mexique à Londres où elle acquit un mastère de relations internationales, avant de travailler au sein de l’entreprise Tata, en Inde, pays où elle fit ses premiers pas en tant que photographe amateur. Elle a ensuite étudié, à Milan, dans le domaine du photoreportage, qui, soulignons-le n’est pas à priori artistique mais journalistique ; cependant c’est de cette formation qu’a émergé chez elle la vocation dont elle témoigne aujourd’hui, celle d’une photographe d’art. Elle a donc une culture photographique hors champ de la photo elle-même, en tant que discipline artistique, ici animée par sa volonté personnelle de photographier le monde et ainsi, dans le contexte de cette exposition, d’agir de manière personnelle hors ces apprentissages dispensés par les enseignements de la photo. Bref, cette photographe réinvente la photo tout en découvrant peu à peu le monde de la photo, une posture qui fut développée dans beaucoup d’enseignements artistiques durant la seconde moitié du vingtième siècle et présente l’avantage de privilégier la créativité sur le savoir-faire.
L’art de Nora Kabli a donc réellement émergé durant son séjour à Milan, avec cette formation de photoreporter. A propos de cette période, elle parle volontiers d’une expérience à caractère social, en photo et texte associés, qu’elle a conduite et développée sur la question du transgenre, de la vie ô combien compliquée de ces personnes masculines qui s’orientent vers la féminité et des rejets qu’ils subissent. Il s’est alors agi d’une exposition de groupe, en 2015, qui marqua son départ en tant qu’artiste, première expérience créative qui donna le ton de sa démarche aujourd’hui présentée au Centre Culturel d’Iran, celui de regarder-comprendre le monde, la vie, ce qui diffère chez l’autre, l’étranger ou l’étrange et du même coup se regarder et comprendre dans sa propre relation au monde.
Aujourd’hui, l’exposition au Centre Culturel d’Iran témoigne donc de l’intérêt de Nora Kabli pour la rencontre de l’autre, il s’agit d’une balade à travers l’Iran, vers quelques uns de ses sites fameux, rencontres avec des Iraniens, arrêts sur images et liens éphémères noués avec ce peuple accueillant et curieux de connaître l’autre. Échange et curiosité de la part de ces Iraniens, comme en un retour et remerciement : toi l’étrangère, tu veux me connaître et moi aussi je veux te connaître ! Dans le cadre de ce besoin de connaissance de l’autre, il faut dire que Nora est née d’un père marocain et d’une mère mexicaine, qu’elle est française, et cette richesse acquise en même temps qu’innée la pousse à aller de l’avant dans cette rencontre et connaissance de l’autre dont elle garde et expose les traces lumineuses issue de l’alchimie de la photo.
A cette exposition de photographies s’ajoute une courte vidéo en noir et blanc, succession d’images fixes douées d’une force et présence indéniables car images écraniques aux contrastes lumineux très tranchés, projetées dans un format beaucoup plus grand que les photos. Durant le visionnement de cette vidéo, Nora parle de son attachement au noir et blanc dans le champ de la photo ; peut-être que Nora Kabli a ressenti ce grand pays qu’est l’Iran comme très marqué par les contrastes lumineux générés par la lumière d’un soleil omniprésent : domination des ombres portées si opaques et profondes, associées aux vêtement noirs traditionnels des femmes sur les teintes ocrées des villes et des paysages. Et peut-être qu’ici le Mexique maternel de Nora est un souvenir du noir et blanc généré par son intense luminosité, contrastes forts qui ressortent par exemple des films de Buñuel, comme Los Olvidados. Ainsi l’exposition pose la question du parti pris d’une photo en couleur ; sans doute n’y a-t-il pas de réponse immédiate, mais il est remarquable que la couleur saisie dans cette exposition est souvent celle, fluorescente, des néons de la ville, couleur qui contamine les humains et d’une certaine manière les désincarne.