N° 28, mars 2008

La dernière demeure


Kourosh Assadi
Traduit par

Shahrzâd Mâkoui


Kourosh ASSADI

La porte se referme. Assis sur une chaise en bois dans l’obscurité, il regarde l’arbre, la couverture sur les épaules. L’arbre s’est courbé par la force du vent et de la pluie, et ses branches humides et longues balaient le sol et la fenêtre. Il est inquiet, inquiet parce qu’il s’est éloigné et qu’il est en retard. Lorsque le tonnerre gronde et que la chambre est baignée de lumière, il se couvre le visage avec les deux mains.

Quand la chambre redevient noire, il retire ses mains de son visage et regarde la porte. Deux lignes foncées font constamment de l’ombre sur le rai de lumière qui passe sous la porte. Tout est silencieux et dans le silence, on entend gratter au loin.

Il fixe tellement la lumière qui est sous la porte que les deux lignes noires disparaissent et que ses yeux se mettent à pleurer. Se frottant les yeux, il se retourne et regarde la fenêtre qui est maintenant couverte de vapeur. Sous la couche de vapeur, il voit sa silhouette floue qui lui fait des signes de la main. Il se lève et essuie la vapeur avec sa paume. Le loqueteux sous la pluie, les cheveux en broussaille et les ongles longs, lui fait des signes de la main.
"J’arrive. Attends, encore un petit peu, et je viens tout de suite."

Il se retourne vers la chaise. Il se baisse, prend une cuillère cassée, et va vers l’assiette qui contient son repas. Il en prend une cuillère et en met trois cuillères pour la taupe. Il continue ainsi jusqu’à ce que la cuillère touche le fond. Il frappe trois coups sur la porte et revient s’asseoir sur sa chaise en bois. Le rai de lumière sous la porte s’allume. La porte s’ouvre. La taupe s’enfuit. L’assiette s’en va. La porte se referme et tout redevient noir.

Il va lentement s’asseoir sous le mur et y pose la main. Lorsqu’il trouve le trou, il commence à le gratter avec la cuillère et se retourne pour regarder par la fenêtre et il le voit qui est là, anxieux, en train de lui faire des signes avec la main comme s’il lui disait viens, viens. Il gratte de plus en plus vite. Le trou, grand et profond, devient encore plus grand et plus profond. Il gratte, gratte, gratte jusqu’au matin et c’est de nouveau le grincement du gond rouillé de la porte et la même assiette… Et de nouveau, derrière la fenêtre, l’arbre debout, avec ses branches calmes, desquelles, par-ci par-là, tombent les gouttes de pluie une par une sur le sol couvert entièrement de marbre blanc. Seul et nu, il est celui qui était, plus loin, avec sa pioche à la main. Les cheveux blancs, ses habits blancs, ses papichs [1] blancs, la lame de sa pioche rouge.

De peur de la poussière noire qui s’approche en tournoyant, il s’enfuit vers la blancheur, mais même en courant il n’y arrive pas alors que lui, en plein travail, relève sa pioche, indifférent, et frappe un grand coup sur le marbre sans qu’y apparaisse la moindre fissure ou égratignure. La main arrête de gratter. Couvert de poussière, il tremble de froid. Il se roule dans la terre humide. La vapeur chaude de son repas réchauffe son visage. Au coin du mur, deux points minuscules brillent de temps en temps. Il se relève. Il tombe. Il se traîne tant bien que mal et se met debout, et pose sa main sur la vitre. Il n’y a personne, rien, ni même un arbre ; seul à sa place, dans la terre, un grand trou béant. Il se tourne. Il est bouleversé. Il se traîne comme il peut et va s’asseoir à côté du mur.

Il y pose la main. Il prend la cuillère. Il gratte le mur. Il descend. Il creuse le mur d’une chambre et de nouveau le mur d’une autre chambre. Il passe devant le sol en marbre blanc. Il arrive à un trou. Il monte. Un grattage s’entend par la fenêtre.

"Encore un petit peu. N’y va pas !"

Il y va. Il reste. Sa pioche déchire l’air. Le mur s’écroule. La taupe s’échappe, avec le goût de la terre humide sur sa langue. Il s’assoit, avec sa chemise blanche, ses papichs blancs. La porte se referme. La pioche, avec sa lame cassée et rouge, tombe par terre, sous les nuages de poussière.

Le loqueteux aux cheveux en broussaille et aux ongles longs, couverture sur les épaules, est assis sur sa chaise en bois, face à une fenêtre à la vitre cassée et à un arbre à la branche cassée mais pas encore complètement rompue que la pluie et le vent font bouger - sous la pluie, le retardataire aux yeux fermés est assis en face d’une fenêtre isolée à la vitre cassée et dans sa bouche se déverse la pluie.

Notes

[1Papich : sorte de bande que l’on enroule autour des pieds pour se protéger du froid et de la pluie


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