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L’OPEP a récemment annoncé qu’il n’avait pas l’intention d’augmenter la production de pétrole. Ainsi, le dernier espoir de voir le prix du baril redescendre à un taux plus "raisonnable" pour les pays consommateurs, - au détriment des pays producteurs puisque selon les experts, aujourd’hui le baril aurait dû valoir 120 dollars-, s’est envolé. Les raisons de cette situation, peut être pas si imprévisible qu’on le conçoit, sont innombrables. On peut citer entre autres les récentes guerres hégémoniques américaines dans la plus riche région pétrolifère du monde, les ouragans des golfes maritimes des gisements offshore, paradoxalement provoqués par la pollution énergétique de la planète, les guerres et les tensions en Afrique, probablement fomentées par les grandes compagnies pétrolières, soutenues par les Etats respectifs, etc. Pourtant, ce n’est pas la première fois qu’un choc brutal fait augmenter rapidement - ce qui ne signifie pas pour autant de manière inattendue - le prix du pétrole, principale source énergétique, puisque 60% de l’énergie mondiale est régie par l’or noir. Cette hausse a pour conséquence l’augmentation du prix du carburant, et par conséquent une hausse des prix dans tous les secteurs économiques des pays consommateurs, avec finalement une baisse de la croissance économique, d’abord de ces pays, ensuite de toute l’économie mondiale. L’importance de l’or noir est tel que la fixation du prix du baril a jusqu’à aujourd’hui été l’enjeu militaire, politique et stratégique de toutes les puissances, puisque le pétrole est finalement le sang de l’industrie. Durant près d’un siècle, la production pétrolière a été concentrée entre les mains de quelques sociétés productrices géantes, qui contrôlaient à tout prix tout ce qui avait un rapport avec la découverte, la production et la vente du pétrole, avec suffisamment de puissance pour contrôler également les pays où se trouvaient les gisements, au travers de leurs dirigeants.
Les premiers puits de pétrole furent découverts en Amérique et exploités selon les règles du capitalisme. Puis le pétrole fut découvert en d’autres endroits. Finalement, c’est peu d’années après le début du XXe siècle que les Européens découvrirent les immenses ressources de l’Orient musulman. Jusqu’à cette époque, l’Orient n’était considéré que dans un but de domination géostratégique pure de luttes entre puissances rivales et de contrepoids au vaste empire ottoman. En 1908, le premier puits de pétrole - le premier pour les prospecteurs occidentaux - est foré en Iran, à Masjed Soleyman, résultat de huit années de sondage de la société d’Arcy qui avait obtenu une concession en 1901. La lutte pour la domination de la région prit ainsi une ampleur nouvelle. D’autres gisements furent découverts dans les territoires de l’ex-empire ottoman, et devenus protectorats de l’Angleterre ou de la France, en particulier en Irak et en Arabie saoudite. Très vite, les Américains s’intéressèrent également à ces gisements et entrèrent avec tout leur potentiel dans ce jeu stratégique. Non seulement ces pays et leurs sociétés pétrolières respectives devaient lutter entre elles pour le contrôle de ces régions, mais peu à peu il devint évident qu’il fallait également maîtriser des consciences nationales, dans les pays producteurs, qui commençaient à faire entendre qu’elles avaient compris quel marché de dupes avaient passé leurs dirigeants, souvent de grands dictateurs. Les mouvements nationalistes poussèrent les pays de la région vers une prise de conscience de l’exploitation dont ils étaient l’objet, mais la rente pétrolière - sans commune mesure avec ce que les compagnies obtenaient grâce au pétrole - souvent concentrée entre les mains d’une minorité de privilégiés au pouvoir, a tôt fait de faire taire ces voix rebelles, si nécessaire grâce à la force des armes occidentales. Pourtant, ces voix se font finalement entendre par le mouvement nationaliste arabe qui prépare la voie du premier choc pétrolier en 1973, alors qu’au début des années cinquante, l’Iran avait nationalisé son pétrole sous l’impulsion du clergé et des nationalistes iraniens conduits par Mossadegh, alors Premier ministre. Cette nationalisation terminée par un coup d’Etat américain (Opération Ajax) avait de nouveau permis au Shah, vendu aux intérêts occidentaux, de regagner son trône dangereusement menacé.
Suite à cet incident, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole fut fondée en 1960, sur la proposition du roi de l’Iran, par l’Iran, l’Irak, l’Arabie saoudite, le Koweït et le Venezuela. Cet organisme intergouvernemental avait pour but, du moins officiellement, de permettre une meilleure maîtrise des pays producteurs sur leur pétrole et de briser le monopole des sociétés pétrolières, dont les plus grandes, célèbres sous le nom des "Seven Sisters", détenaient jusqu’à la fin des années cinquante à soixante-dix un monopole total sur ce marché. Et effectivement, l’OPEP parut jouer un rôle important, notamment dans la Crise pétrolière de 1973. Cette année-là, une guerre eut lieu entre Israël et les pays arabes, et l’OPEP décida de baisser la production, ce qui provoqua une multiplication du prix du pétrole par quatre. Ce fut le premier choc pétrolier qu’aidèrent à maîtriser l’Iran et le Venezuela. Après cette guerre, l’OPEP décida d’augmenter le prix du pétrole de 10%. C’est ainsi que le pouvoir de l’OPEP parut devenir effectif et que cet organisme montra le champ de manœuvres dont il disposait. Jusqu’à cette crise, le prix du pétrole était régulé par les sociétés productrices qui détenaient le monopole du marché pétrolier. Mais l’OPEP ne parvient pas à contrôler les prix, du fait des marchés à terme des grandes capitales, de la récession économique mondiale et éventuellement des conflits pour la gestion de l’or noir que provoquerait une augmentation massive des prix. De plus, de nouveaux pays producteurs de pétrole n’étant pas membres de l’OPEP émergent et s’efforcent de créer des marchés parallèles. D’autre part, l’Iran tente depuis quelques mois de créer des marchés et une bourse du pétrole indépendante. Quoiqu’il en soit, aujourd’hui, l’OPEP a une dizaine de membres et est considéré comme un organisme important dans la fixation des prix.
Le deuxième choc pétrolier eut lieu en 1979. Il fut le résultat de la baisse de production de l’Iran, du fait des événements liés à la Révolution islamique. L’Iran ayant été un des piliers de l’OPEP et le second producteur mondial après l’Arabie saoudite, cette baisse de production drastique fut un désastre pour l’économie mondiale et le prix du baril monta en flèche. Cette fois, ce furent les pays arabes de l’OPEP qui enrayèrent la croissance des prix. Ce n’était pas facile, d’autant plus que l’Irak, autre grand producteur, attaqua l’Iran sous l’instigation des grandes puissances, entre autres pour ses champs pétroliers.
Chacune de ces deux crises, en particulier celle de 1979-1980, joua un rôle fondamental dans le réajustement des économies, des plans géopolitiques et des prévisions fiscales mondiales et obligea les économistes à redessiner les plans selon des données assez inattendues et craintes. Avec l’augmentation du prix du pétrole, le monde vécut une récession économique qui poussa de nombreux pays à élaborer des plans visant à diminuer la dépendance énergétique vis-à-vis du pétrole et à trouver des sources d’énergie alternatives.
Puis, le prix du précieux hydrocarbure noir connut une évolution en dents de scie, au gré des fluctuations économiques et des conflits militaires. Mais depuis le début du XXIe siècle, les choses tendent à changer. Le prix du brut, qui plafonnait à 10 $ en 1999, connut une hausse rapide dès 2000. Les attaques américaines contre l’Irak puis l’Afghanistan, sur la base de faux rapports, furent, entre autres, le résultat de la volonté d’une domination politique et militaire dans cette région stratégiquement incontournable, de façon à maîtriser les "turbulents" pays détenteurs de gisements et à offrir de nouveaux champs d’investissements aux grands lobbys pétroliers américains. Mais quoiqu’il en soit, ces attaques entraînèrent une hausse des prix, hausse au premier abord voulue, mais qui échappa finalement à tout contrôle car d’autres facteurs qui auraient dû être pris en compte ne l’ont pas été.
En réalité, la hausse du prix du précieux or noir n’est pas un vrai choc, les économistes avaient prédit cette hausse depuis que les pics pétroliers avaient été atteints. Mais la crise économique survenue suite aux deux précédents chocs pétroliers avaient eu pour résultat de lourds investissements dans le domaine de la prospection et de l’exploitation de gisements qui avaient jusqu’alors été dédaignés parce que peu rentables, ce qui avait permis de revoir les réserves mondiales à la hausse. De plus, les banques et les gouvernements avaient changé de tactique et adopté une neutralité prudente qui permettait aux prix de s’aligner doucement sur la hausse des cours boursiers.
Mais cela ne suffit plus. Alors que les deux chocs précédents étaient dus à la baisse soudaine de l’offre, aujourd’hui, la hausse du prix du baril est le résultat d’une augmentation substantielle de la demande, en particulier de la part des puissances émergentes telles que la Chine et l’Inde, dont la consommation d’hydrocarbures est en croissance constante. Mais comme les pics pétroliers les plus tardifs, c’est-à-dire ceux de la région du l’Asie du Sud-Ouest vont également, selon les prévisions les plus pessimistes, être atteints d’ici une dizaine d’années, les pays producteurs seront, à moins de très lourds investissements, incapables d’augmenter leur production au même rythme que l’augmentation de la demande. Le nombre des puits qui s’épuisent et le taux de déplétion est plus élevé que celui des nouveaux gisements. A court terme, il est évident que la mise en œuvre de politiques visant à la réduction de la dépendance à l’énergie fossile, de la part des consommateurs, l’apparition éventuelle de nouveaux producteurs sur le marché et l’augmentation de la production pourraient retarder la fin de l’ère du pétrole mais cette fin est inévitable. Quoiqu’il en soit, l’indifférence des puissances politiques à ces prévisions a provoqué en partie la récession économique aux Etats-Unis qui vit allègrement à crédit. Il devient donc de plus en plus urgent de trouver des sources d’énergies alternatives, ce qui serait sans doute une très bonne idée pour l’avenir écologique de la planète, à condition de bien choisir des énergies recyclables et renouvelables.
Dans ce scénario communément prévu par la grande majorité des spécialistes, quel peut être le rôle d’un pays comme l’Iran, détenteur de vastes réserves d’hydrocarbures ? Pour l’économie iranienne, qui est, malgré les avancées et les efforts sincères, encore vitalement dépendante de sa rente pétrolière, la définition de nouvelles politiques devient d’autant plus urgente qu’en raison de problèmes qui ralentissent les progrès du domaine pétrolier, la hausse actuelle du prix du brut est loin d’apporter à l’Iran des bénéfices comparables à ceux des autres pays producteurs. La raison en est simple. L’Iran est un pays qui résiste à l’hégémonie des grandes puissances mondiales grâce à des modèles sociaux et des idéaux qui lui sont propres et qui ne correspondent pas aux volontés de ces dernières. C’est ici qu’il faut donc chercher l’ostracisme violent de la part de ces puissances qui tentent d’étouffer l’Iran depuis la Révolution islamique.
En 1979, la production pétrolière iranienne chuta en raison des grèves des opposants au régime du Shah et passa de près de 6 millions de barils par jour à presque rien. Quelques mois plus tard, l’attaque irakienne paralysa une nouvelle fois l’industrie pétrolière qui se remettait en marche. Les plates-formes et les puits furent endommagés et la production continua au ralenti pendant toute la durée de la guerre où une politique de crise fut appliquée. Après la guerre, l’effort de reconstruction se tourna en partie vers l’industrie pétrolière, nationalisée depuis trois décennies, mais la faible valeur du baril ne suffisait pas à la rénovation des sites.
Cette situation s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui. La production de pétrole de l’Iran pour l’année 2006-2007 était de 3,7 millions de barils par jour. Pourquoi ce chiffre n’est-il pas plus élevé ? Pour plusieurs raisons. Premièrement, beaucoup de ces puits ont déjà atteint leurs pics de production, il y a donc de graves déplétions, à tel point que le pays produit à peine autant que son quota à l’OPEP l’exige. D’autre part, le matériel est vétuste. L’Iran est un pays très dépendant du pétrole, c’est pourquoi des décisions essentielles ont déjà été prises. Il s’agit en particulier d’attirer les investissements dans ce secteur vital, non seulement pour le pays, mais également pour l’économie mondiale. Mais des problèmes demeurent en la matière, en particulier en ce qui concerne les lois sur l’investissement. Les contrats buy back ne satisfont plus aujourd’hui les investisseurs, qui perdent de l’argent avec l’envolée des cours. Pourtant, ces déficiences ne peuvent masquer le potentiel immense du secteur des hydrocarbures en Iran. Les sociétés pétrolières le savent et de nombreux contrats ont été signés entre l’Iran et ces sociétés pour le développement de ce secteur en Iran. Ironiquement, la loi américaine d’Amato, qui interdit aux compagnies étasuniennes tout échange commercial avec l’Iran, en écartant ces sociétés des marchés iraniens, a permis à leurs concurrents européens et surtout asiatiques et indiens, de se développer et de monopoliser ce marché. Ces investissements et la décision iranienne de vendre le pétrole en euros ou en d’autres monnaies, par exemple le yen pour le Japon, qui est l’un des grands acheteurs du pétrole iranien et est très satisfait de cette politique qui renforce sa devise, a aujourd’hui favorisé l’affaiblissement du dollar et de lourdes pertes de profits par les grandes multinationales au profit de sociétés plus dynamiques. L’intérêt des investissements en Iran ne réside pas uniquement dans les réserves dont il dispose mais également dans la diversité de ces réserves : l’Iran est l’un des rares pays à disposer de l’accès à deux mers, le Golfe Persique et la Mer Caspienne, contenant toutes deux des gisements importants.
De plus, l’Iran est également le détenteur des secondes réserves mondiales de gaz naturel, considéré comme un des importants substituts énergétiques permettant de pallier le manque de pétrole. Ce secteur gazier est, malgré de lourds investissements, un secteur encore très peu développé, à tel point que le pays produit juste assez de gaz pour subvenir aux besoins internes et en exporter une petite partie vers la Turquie, ceci alors qu’il doit importer lui-même du gaz depuis le Turkménistan. Ainsi, la balance des exportations gazières est encore négative. Ce secteur est également particulièrement intéressant pour les investisseurs éventuels, pour preuve l’immense champ South Pars, qui a fait l’objet d’investissements de grandes sociétés dont certaines ont ignorées les menaces des sanctions américaines. L’Union Européenne, qui se destine à être l’un des bons clients de l’Iran et prendre plus d’indépendance vis-à-vis de la Russie, connaît en la matière de profondes divergences avec la politique étasunienne.
Toutes ces indications tendent à montrer que l’Iran dispose d’un potentiel absolument non-négligeable et que dans le grand jeu géopolitique des hydrocarbures, les tentatives américaines pour encercler ou court-circuiter l’Iran, en favorisant notamment des absurdes projets d’oléoducs longs de plusieurs milliers d’inutiles kilomètres à travers des territoires peu sûrs, ne sont pas réellement couronnées de succès et causent énormément de dommages à l’économie mondiale.
Cela dit, il ne faut pas non plus négliger les problèmes internes de l’Iran en matière énergétique. L’Iran est le pays où l’essence est le moins cher (0/08 €). Cette situation est très grave dans la mesure où la République islamique importe son carburant. Cette politique de subventions causait jusqu’à l’année dernière des problèmes dans la mesure où la croissance de la consommation de carburant était de 10 à 11% par an, qu’un trafic extrêmement lucratif d’essence bon marché iranien dans les pays voisins avait et a cours, (qui) représentant un préjudice annuel de 900 millions d’euros pour l’Etat iranien, et que 10% du budget annuel était commis à l’importation du carburant et aux subventions étatiques. Mais finalement, depuis près d’un an, l’essence est rationnée et le gouvernement espère ramener les 10% de 2007 à 1% en 2009, ce qui représentera une importante économie.
D’autres démarches sont également à être mises en œuvre dans le secteur du pétrole, que ce soit pour permettre à l’économie nationale d’atteindre à une plus grande indépendance vis-à-vis de la rente pétrolière ou pour permettre à l’Iran de mieux exploiter ses avantages stratégiques pour se défendre contre les agressions de tous genres, et promouvoir ses idéaux de façon optimale.