N° 28, mars 2008

La renaissance de la littérature persane de Roudaki à Hâfez


Tahmineh Sheybani


La renaissance de la littérature persane a d’abord lieu dans la région du Khorasan. Lorsque les Sassanides y établissent des garnisons. Leurs contingents originaires du Fars, berceau des dynasties achéménides, introduisent leurs dialectes. Le persan moderne est issu du pahlavi nordique et de la langue de l’Avesta. L’alphabet persan a cinquante-deux lettres, les textes s’écrivent de droite à gauche et à la fin de l’époque sassanide, les prêtres adoptent des caractères qui serviront à l’écriture de l’Avesta (livre saint des zoroastriens. Le texte en a été fixé au IVe siècle ap. J.-C.).

Après la conquête islamique, les princes Tahérides et Saffârides [1] firent composer nombre de poésies lyriques, mais ce sont surtout leurs successeurs, les Sassanides, qui furent les animateurs de la renaissance littéraire de l’Iran. A Boukhara, le prince Mansour ordonna à l’un de ses ministres, Balamî, de traduire de l’arabe une chronique historique et le commentaire du Coran de Tabarî. [2]

La poésie s’épanouit ensuite, grâce à Roudakî et à ses élégies, ses chants d’amours et ses pièces. Le grand poète chargé de chanter les louanges de Boukhara, déclame :

"Les sables de l’Oxus et leurs aspérités semblent être de la soie sous nos pieds quand je me les rappelle. Aussi, prenant mon luth, je célèbre sans cesse les ondes de ce fleuve et toute leur beauté. Boukhara, sois heureuse et subsiste longtemps."

Les Sassanides voulaient en outre faire célébrer en vers les victoires des anciennes dynasties et les richesses de la civilisation perse. L’un d’eux confie cette noble mission au poète Daghîghî, qui chante notamment la gloire et les vertus de Zoroastre en mille vers. Poignardé par un esclave tandis qu’il relate les expéditions des iraniens contre les Touraniens, il ne pourra achever son projet.

Né dans un village du Khorasan près de la ville sainte de Mashhad, Ferdowsî sera le grand versificateur des épisodes légendaires de l’histoire iranienne.

Mausolée de Roudakî au Tadjikistan

Il composera le Shâhnâmeh, "Livre des Rois", qui fonde l’épopée romanesque. Après l’effondrement de la dynastie des Sassanides, sous la poussée des Turcomans, Ferdowsî doit chercher refuge auprès des princes Bouïdes. Après avoir parcouru l’Afghanistan, le poète offre au Sultan Mahmoud, le nouveau souverain vainqueur des Samanides, son "Livre des Rois", mais n’obtient qu’une faible gratification pour ses cinq mille distiques. Il quitte alors Ghazna, cherche un asile auprès de la mer Caspienne et meurt oublié dans son pays natal, au début du XIe siècle. L’ouvrage de Ferdowsî, de par son style, ses descriptions de combats, et ses peintures des passions et de l’amour, reste l’œuvre clé de la littérature persane.

La poésie persane est au XIe et au XIIe siècles tantôt lyrique et romanesque, tantôt mystique. Un rival de Ferdowsî, Onsorî, voudra moraliser la poésie tout en créant le genre du panégyrique. Les poètes centraux de cette époque furent également Anvârî, Kharâghânî et Nezâmî. Sous les Seldjoukides, Anvâr porte à un haut sommet de perfection le panégyrique et l’ode. Par la richesse de son vocabulaire et l’imprévu des images utilisées, Nezâmî peut être rapproché de Chrétien de Troyes. Il nous laisse le Trésor des secrets ainsi que cinq épopées romanesques. Les poètes s’expriment souvent en robâ’ï ou "quatrain", mot qui vient de arba’a (quatre en arabe), qui se composent de quatre hémistiches [3]. Voici un exemple composé par Abousaïd, prédécesseur de ’Omar Khayyâm :

"Avant que fût posé l’arceau du ciel sublime

Avant que fût fixé ce bloc de cristal

Alors que je ne dormais dans l’éternel néant

le trait de ton amour était tracé sur moi"

Le XIIIe siècle est le siècle de la poésie mystique, comme en attestent les trois plus grands poètes de ce siècle qui étaient également de grands mystiques.

Tandis que Nezâmî compose le Trésor des secrets, ’Attâr songe au renoncement de soi même afin de s’absorber en Dieu. Son Langage des oiseaux nous donne un exemple de la profondeur et de la richesse symbolique du mysticisme soufi de son temps.

Le soufisme est un courant mystique de l’Islam qui met l’accent sur l’expérience intérieure, et qui repose notamment sur l’invocation constante et silencieuse de Dieu. Parmi les principaux maîtres soufis, on peut citer al-Hallâj et Djalâl-al-Dîn Rûmî.

Rûmî a écrit le Masnavî, c’est-à-dire un ensemble de distiques au haut contenu spirituel permettant de cheminer vers Dieu. En recourant à des métaphores basées sur les oiseaux, il nous donne sa propre définition de l’amour. Il est modeste et s’efface volontiers devant ’Attâr : "Tandis qu’’Attâr a parcouru de l’amour divin les sept villes, moi Rûmî je chemine encore dans les détours d’une ruelle". De con côté, ’Attâr avait avoué que : "L’amour sait s’envoler au ciel et se perdre en Dieu".

Mausolée de Hâfez à Shiraz

Le génie de Sa’adî de Shiraz (lui aussi poète du XIIIe siècle) réside pour sa part dans le fond et dans la forme guidé par un admirable sens de la mesure et nous laissera deux chefs-d’œuvre, le Bûstân et le Golestân. Il eut une existence mouvementée, comme celle de tous ses contemporains, rythmée par de nombreux voyages : Mauritanie, Turkestan ; de l’Egypte à Bagdad, sans compter plusieurs pèlerinages à la Mecque. Ses aventures lui permirent d’acquérir une finesse souvent désabusée et peut-être est-ce à Tripoli, alors qu’il était prisonnier des Croisés, qu’il vécu une expérience spirituelle et mystique décisive.

Enfin, Khâjeh Hâfez Shîrâzî est considéré comme le plus grand poète iranien. Son siècle, le XIVe, est aussi celui de la plus grande extension géographique de la langue persane. Contrairement au grand voyageur que fut Sa’adî, Hâfez mena une existence sédentaire dans sa ville qu’il aimait profondément, et qu’il ne quitta que deux fois pour se rendre à Ispahan et à Yazd.

Pratiqué avant Hâfez, le genre du ghazal [4], poème lyrique, connut avec lui son apogée. On ne peut en lisant, ou en écoutant ses ghazals, manquer de relever la présence constante, explicite ou non, de la Parole révélée du Coran. Son nom, "Hâfez" fait d’ailleurs explicitement référence à la profonde connaissance qu’il avait de ce livre.

Les genres littéraires les plus courants au cours de cette période faste furent donc chez le genre épique (Ferdowsî et son Shâhnâmeh), les contes et légendes ayant une dimension morale et pédagogique (Sa’adî), ainsi que le recueil mystique (Djalâl-al-Dîn Rûmî). Enfin, la dominance de la poésie ne doit cependant pas nous faire oublier la présence de grands textes en prose rédigés durant cette même période comme les œuvres mystiques de Ghazâlî, biographiques de Nezâmî Arouzî, historiques de Djoveynî, et tant d’autres.

1 textes en prose rédigés durant cette même période comme les œuvres mystiques de Ghazâlî, biographiques de Nezâmî Arouzî,
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Notes

[1Dynasties régnant sur différentes parties de l’Iran après la conquête islamique.

[2Grand commentateur arabe du Livre Saint.

[3Chacune des deux parties d’un vers coupé par la césure.

[4 Ghazal ou sonnet : poème de quatorze vers composé de deux quatrains et de deux tercets, et soumit à des règles fixes concernant la disposition des rimes.


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