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Ce récit est celui d’un pèlerinage estudiantin à la Mecque et à Médine, en 2007, organisé par l’Office du Hadjj iranien. Les étudiants iraniens désireux de faire le Hadjj peuvent s’inscrire lors de leurs études. Une fois par an, un tirage au sort a lieu et, dans le cadre de groupes organisés, les candidats chanceux effectuent ce pèlerinage de deux semaines à la Mecque et à Médine. Avant le voyage, des réunions explicatives sur les démarches à suivre et sur les étapes du pèlerinage sont organisées par les responsables des groupes. Ces réunions sont l’occasion pour les pèlerins venus de toutes les régions d’Iran de faire connaissance et de se préparer ensemble pour ce voyage spirituel unique.
Il est 9h. Après cette attente interminable, tu montes enfin dans l’avion. Tu sens immédiatement la différence totale de l’ambiance de ce voyage avec les autres : l’un lit le Coran, l’autre récite des zikrs. Les lumières de Chiraz clignotent, jaunes, vues de l’avion qui vient de décoller. Tu lis parfois le Coran, tu répètes sans cesse des zikrs. Tu es emplie de passion. Deux heures et vingt minutes plus tard, le brouhaha remplit l’avion : tu vogues dans le ciel de Médine. Les lumières vertes de la Mosquée du Prophète apparaissent. Les larmes t’aveuglent. L’avion atterrit. Au bas de l’escalier, un Arabe, doté d’une barbe splendide, mais sans moustache, crie bienvenue. Tu comprendras très vite à quel point ce peuple est accueillant. La salle de l’aéroport de Médine est petite. Les membres de la caravane font la queue dans la douane. La vérification des passeports dure près de deux heures, dans le silence. Les pensées sont toutes entières tournées vers la mosquée du Prophète. Tu retardes ta montre d’une heure et demie. A la sortie de l’aéroport, vous êtes dirigés vers l’hôtel Djohar al-Asemah. Les étudiantes insistent pour rejoindre tout de suite la mosquée, mais c’est impossible. Il est minuit et tu dois attendre jusqu’à trois heures pour pouvoir y aller. Tu prends ta clé et vous entrez dans la chambre, toi et tes amies. Votre amitié est vieille de deux semaines, depuis la dernière séance d’explication que vous avez eue avant le voyage. La chambre possède quatre lits. Elle est très confortable, mais tu n’arrives pas à dormir.
Il est enfin 3h30. Tous sont prêts. Après un court trajet, nous entrons dans la mosquée du Prophète par la porte numéro 15. Tu penses rêver : tu mets tes pas là où le prophète avait mis les siens. Tu cherches l’entrée des femmes. Tu es maintenant devant la porte. Les cris de la gardienne, vêtue de noir, au visage masqué dont tu ne distingues que les yeux, perturbent ta quiétude et ta présence spirituelle. Tu entres enfin dans la mosquée. Tu observes ton entourage avec curiosité : les tapis sont rouges et les colonnes, blanches, supportent des centaines de Corans. Certains prient, certains lisent le Coran, d’autres dorment. Il est 4h, et voilà le premier azân [1] qui appelle à la prière de nuit. Petit à petit, la mosquée se remplit. A 4h50h résonne le deuxième azân qui appelle à la prière du matin. Il faut encore attendre dix minutes avant que la prière commence. Enfin le troisième azân, et c’est le moment de la prière. La mosquée est tellement peuplée qu’à peine on peut respirer. La prière dure longtemps. On lit au moins une demi-page du Coran après chaque récitation de la sourate Fatiha [2]. Après la prière du matin, tu sors dans la grande cour de la mosquée. Tu es encore perdue. Les responsables du groupe nous font visiter les différentes parties de la mosquée : le dôme vert, signe distinctif de cette mosquée parmi les millions de mosquée du monde musulman, le dôme blanc sous lequel l’imam djamaa se place pour diriger la prière, et la rue de Bani Hachim, où se trouve la porte de l’ange Gabriel, celle par laquelle l’archange venait chez le Prophète. La rue, vieille, est actuellement en rénovation, ainsi que le cimetière de Baqi dont les heures de visite sont limitées. De 4h30 à 6h00h. On y trouve le tombeau de l’imam Hassan, de l’imam Sajjad, de l’imam Bagher, de l’imam Sadegh, ainsi que ceux des filles et des épouses du Prophète. Tu n’en vois que la poussière. Les cris du gardien qui enjoint tout le monde de s’éloigner des grilles fait éclater ton recueillement. Ici, pas besoin d’élégie, le cimetière est soi-même une élégie. Les femmes n’ont pas le droit d’y entrer.
Les étudiantes veulent toutes rejoindre la Rowzah [3]. Le Prophète a dit : "L’espace compris entre ma chaire et ma demeure est l’un des jardins du paradis". Tu peux y entrer par la porte numéro 25. La chaire était située dans ce qui est aujourd’hui la partie ancienne de la mosquée. Ici, la couleur des colonnes est différente. Il y a un monde fou. Dès l’entrée de la Rowzah, tu distingues la célèbre couleur verte des tapis. C’est dans la Rowzah qu’était située la maison de la fille du Prophète, Fatima. Dans cette partie, les murs disparaissent jusqu’au plafond sous les Corans. La chaire et l’autel du Prophète ne sont visibles aux femmes qu’à travers un rideau, ceci lors des heures de visite de la Rowzah, limitées pour ces dernières.
L’hôtel étant proche de la Mosquée, tu y passes la plupart de ton temps et l’hôtel ne te retient qu’aux heures de repos. Tu vois des pèlerins venus de partout, les Turcs sont majoritaires. Tu les distingues par leurs vêtements et leur accent. Tu peux communiquer avec eux en anglais, et en français avec les Algériens.
Tu peux reconnaître les différentes parties de la mosquée dès le deuxième jour. Tu t’es familiarisé avec l’ambiance. Les membres du groupe se réunissent tous les soirs à 21h pour que les responsables vous mettent au courant des programmes.
Le deuxième jour, vous allez visiter les mosquées autour du lieu saint. Quatre mosquées ont été construites au fil du temps à moins de 300m de celle du prophète. La plus célèbre d’entre elles est la mosquée de Quamama qui veut dire "nuage" en arabe. C’est là que le Prophète priait pour qu’il pleuve. Il y aussi la mosquée de l’Imam Ali. Les portes de ces deux mosquées sont fermées. Tu vois partout des colporteurs entourés d’acheteurs potentiels. Le grand nombre de pèlerins iraniens a poussé ces vendeurs à apprendre des rudiments de persan. Ils savent dire "Ce n’est pas cher !", "La qualité est bonne !", etc. Ils distinguent les différentes monnaies iraniennes et acceptent d’être payés en toman, alors que la monnaie saoudienne est le rial qui vaut 250 tomans.
C’est le troisième jour de ton voyage. Tu n’as pas encore ressenti le passage du temps. Tu vois les pèlerins des autres groupes qui quittent Médine. Ils pleurent et tu n’en comprends pas la raison. Ils te conseillent de profiter de ton séjour car le temps passe trop vite à Médine.
C’est déjà le quatrième jour. Les lieux à visiter à Médine sont loin du centre-ville, il faut donc y aller en bus. On se rend d’abord sur le mont Ohod où, lors des premiers années de l’islam, eut lieu la célèbre bataille d’Ohod du nom de la montagne, bataille que les musulmans perdirent. On peut aujourd’hui se recueillir dans ce qui reste du cimetière où furent enterrés les combattants musulmans, dont le plus connu fut Hamza, l’oncle du Prophète. On voit en ces lieux de nombreuses pancartes qui demandent aux pelerins de ne pas s’approcher des tombes.
Après cela, vous vous rendez à la mosquée de Quiblatain : dans les premiers temps de l’islam, quand le salat (la prière quotidienne) fut ordonnée par Allah, les musulmans devaient se tourner vers la mosquée Al-Aqsa de Bayt-ul-Muqaddas (Jérusalem). C’est donc vers Jérusalem que se tournaient les musulmans jusqu’au dix-septième ou dix-neuvième mois (l’écriture arabe de l’époque permet les deux versions) de l’hégire. Ceci alors que les nombreux Hébreux de Médine se tournaient également vers Jérusalem pour prier. Ces Juifs n’apprécièrent pas le fait que les musulmans prient vers la ville qu’ils considéraient comme leur et essayèrent de discréditer le Prophète et l’islam.
Le Saint Prophète apprit cette nouvelle. Il avait l’habitude de sortir la nuit et de regarder le ciel en attendant la révélation d’Allah. Pendant l’une de ses nuits, le verset suivant fut révélé : "Certes nous te voyons tourner le visage en tous sens vers le ciel. Nous te faisons donc orienter vers une direction qui te plaît. Tourne donc ton visage vers la Mosquée sacrée. Où que vous soyez, tournez-y vos visages. Certes, ceux à qui le Livre a été donné savent bien que c’est la vérité venue de leur Seigneur. Et Allah n’est pas inattentif à ce qu’ils font." Sourate Al-Baqarah, verset 144. Le lendemain, à midi, lors de la prière dirigée par le Prophète lui-même, l’ordre divin fut révélé par l’archange Gabriel : alors que la prière n’en était qu’à la deuxième rakaat, les musulmans devaient se tourner de la Mosquée Al-Aqsa vers la Ka’ba, sans arrêter la prière. Le Prophète s’exécute, suivi de peu par l’imam Ali, les autres, déroutés par le changement de direction dans l’intervalle même de la prière, ne sont pas très nombreux à suivre l’exemple du prophète tout de suite. Cet évènement eut lieu dans une mosquée appelée la "Masjid-e-dhu Qiblatain" qui signifie "La mosquée aux deux Qiblahs", qui existe toujours à Médine.
Nous avons ensuite visité la mosquée de Fathe, tout en haut du mont Sal’e, celle de l’Imam Ali et celle de Salman le Persan, qui n’est plus aujourd’hui qu’une ruine. Cela dit, d’autres mosquées sont en cours de construction dans la région.
Puis, nous allons visiter la célèbre mosquée de Quoba : après la rencontre du prophète avec les habitants de Médine désireux de se convertir, la ville de Médine devint un refuge pour les musulmans de la Mecque qui y immigrèrent en grand nombre ; quelques années plus tard, les vexations à l’encontre des musulmans étant devenues insupportables, le Prophète les rejoignit également, accompagné par son fidèle ami Aboubakr.
Quelques jours auparavant, les Quraychites avaient établi un plan pour assassiner Mohammad, ils s’étaient mis d’accord pour agir ensemble ; un membre de chaque tribu devait l’attendre devant sa demeure et l’attaquer à l’intérieur de celle-ci, mais le plan ne se déroula pas comme ils l’avaient prévu et l’attentat échoua car l’imam Ali avait accepté de remplacer le prophète, lequel avait quitté nuitamment la ville. Quand les comploteurs comprirent qu’ils avaient été dupes, ils se lancèrent à la poursuite de Mohammad. Ce dernier et son ami s’étaient en chemin réfugiés dans la grotte de Tawr, devant l’entrée de laquelle une colombe avait immédiatement pondu, suivie d’une araignée qui avait tissé sa toile. Dieu veillait sur eux, les Quraychites s’étant rendus à l’endroit même du refuge, mais ils ne virent rien.
Ce voyage périlleux dura quelques jours, puis le prophète arriva à Quoba où il séjourna quelques jours, le temps de fonder la première mosquée de l’islam.
La cour de cette mosquée est très verte, il y a beaucoup de palmier.
Médine n’est pas un lieu géographique, mais historique, elle contient l’histoire de l’Islam, du prophète. Tu comprends cela ? Tu respires l’air de cette ville où vécut le Prophète et tu révises tes connaissances sur ta foi.
La dernière mosquée, c’est celle des chiites. Après cinq jours de séjour à Médine, aujourd’hui, c’est pour la première fois que tu entends le même azân, la même prière que les tiens. Les chiites d’ici sont pauvres mais très accueillants. Ils gagnent leur vie en travaillant dans les palmeraies. On est invité pour le déjeuner.
Nous sommes obligés de repasser plusieurs fois par la mosquée du Prophète. A cause de la chaleur, les visites ont lieu les après-midi. Le reflet du soleil sur le marbre blanc de la mosquée gêne les yeux.
A quatre cents mètres au nord de la Mosquée, il y a une autre mosquée encore, celle de Mubahila, qui signifie "Supplier Dieu de déshonorer le menteur lorsqu’une discussion argumentée ne donne pas de résultat".
Les chrétiens de Najran ont envoyé une délégation au Prophète à Médine pour discuter de théologie et de foi. Ils maintenaient que Jésus était fils de Dieu. Le Saint Prophète a tenté de leur prouver que Jésus était un humain tout comme eux, choisi par Dieu, mais ils s’obstinèrent. Suite à cela, ce verset fut révélé :
"Pour Allah, Jésus est comme Adam qu’Il créa de poussière, puis Il lui dit "Sois" : et il fut. La vérité vient de ton Seigneur. Ne sois donc pas du nombre des sceptiques." Sourate Al-i’Imran, versets 59 et 60. Le Saint Prophète utilisa ce verset pour soutenir que si les chrétiens déclaraient que Jésus était fils de Dieu, c’est parce qu’il est né sans père, alors qu’il en est de même pour Adam.
A suivre...
[1] L’azân est l’appel à la prière des musulmans.
[2] Nom de la première sourate du Coran, récitée toute entière lors des prières.
[3] Ce mot signifie littéralement “paradis” mais comprend à Médine l’espace qui sépare la demeure du Prophète de la Mosquée.