N° 33, août 2008

La Figuration narrative, un mouvement artistique très engagé dans le Paris des années 60


Elodie Bernard


Jusqu’au 13 juillet 2008 s’est tenu au Grand Palais de Paris l’exposition "Figuration narrative. Paris 1960 - 1972 ". Courant artistique engagé des années 60, la Figuration narrative renouvelle profondément le paysage de la peinture française. En rupture avec l’abstraction et la neutralité de l’époque, cette peinture s’approprie, en s’inscrivant dans la filiation du surréalisme, des images du quotidien produites par la société de consommation, la culture de masse, la publicité, le cinéma ou la bande dessinée. L’exposition a été construite selon le même rythme de progression du mouvement et a saisi le climat d’apparition de ces œuvres, mettant ainsi en valeur les thématiques majeures qui les ont inspirées.

Henri Cueco, Marx Freud Mao, 1969 - 1970
Photos : evene.fr

ien que la Figuration narrative, appelée également Figuration critique ou nouvelle Figuration, ne se soit jamais proclamée comme telle, l’émergence de ce courant date de l’exposition Mythologies quotidiennes, en référence au livre de Roland Barthes, Mythologies, 1957. Présentée en juillet 1964 au Musée d’art moderne de la ville de Paris, cette exposition fut organisée par le critique d’art Gérald Gassiot-Talabot et les peintres Rancillac et Télémaque, en réaction au succès du Pop art et de l’art américain qui affluent sur la scène artistique nationale comme internationale de l’époque. Cette exposition a réuni trente-quatre peintres, dont Arroyo, Berthelot, Bertini, Fahlstrِm, Klasen, Monory, Rancillac, Recalcati, Saul, Télémaque. Tous sont européens mais vivent à Paris et tous placent la société contemporaine et ses images au cœur de leurs œuvres, mêlant humour et dérision.

A cette période de l’histoire, les guerres déchirent les sociétés, déchaînent les chroniques des journaux. Dans la presse, la guerre d’Algérie, du Vietnam ou encore la guerre froide donnent lieu à des images chocs. Avec la société de consommation, ce sont en outre les images publicitaires qui inondent les foyers. La société française se transforme. "La peinture n’aurait-elle pas elle aussi le droit de traiter, comme Godard, de "deux ou trois choses que je sais d’elle…" de la violence dans un monde qui prétend à une rationalité technique croissante", souligne l’écrivain et critique d’art Pierre Gaudibert. Aussi, à l’instar des cinéastes, photographes ou auteurs de bandes dessinées, ces artistes peintres s’approprient les choses du réel. Autour de la narration et des objets du quotidien, les toiles se tissent et au final aboutissent le plus souvent à des œuvres dont le sens se révèle bien éloigné de celui suggéré par la signification première des représentations. La narration en peinture, c’est l’art de raconter quelque chose. L’art du détournement, c’est révéler des sens inattendus, suggérer d’autres narrations et leurs implications.

Aillaud-Arroyo-Recalcati, Vivre et laisser mourir

Pour casser le formalisme ambiant et l’académisme abstrait, la bande dessinée est très souvent utilisée. Les premières toiles ayant recours à la bande dessinée choquent en ce que la bande dessinée est désormais considérée comme un moyen de prise de position et non plus comme une fin en soi. Le roman noir devient, quant à lui, source d’inspirations avec sa prééminence du récit, de suspense, pour la diversité d’intrigues et autres de ses caractéristiques. C’est donc dans son refus d’un certain "art pour l’art" que ce courant se dissocie de ses homologues américains, bien que ceux-ci placent également la société contemporaine au cœur des problématiques de leurs œuvres. Le critique d’art Gérald Gassiot-Talabot énonce, à propos du Pop art, qu’ "à la dérision statique du pop américain, ils opposent "tous" la précieuse mouvance de la vie".

Equipo Cronica, La Antesala, 1968

L’engagement politique, la volonté d’établir un discours critique et politique marquent aussi un retour au sujet en rupture avec l’art abstrait dominant ou encore avec le nouveau réalisme, plus constatif. L’effervescence de la fin des années 60 favorise l’engagement des plus militants des peintres de ce mouvement dans la vie politique et dans les événements de mai 68 à Paris. "L’histoire de l’art rencontrait l’Histoire", disait encore récemment Gérard Fromanger, à l’occasion de l’anniversaire de cette période. Certains artistes perpétuent de nos jours cette voie. C’est le cas de Bernard Rancillac, par exemple, qui a peint encore récemment plusieurs tableaux sur des thèmes liés à l’Irak, l’Algérie, la Tchétchénie ou encore des tableaux de soutien aux Palestiniens.

Au final, l’exposition du Grand Palais s’est décomposée en ces sections distinctes : les prémices de la figuration narrative ; l’exposition Mythologies quotidiennes de 1964 ; les choses du réel, objets ou bandes dessinées ; l’art de la suggestion et du détournement ; le roman noir de la peinture ; et enfin une figuration politique, résumant ainsi la logique de ce courant artistique.

Informations pratiques :

Galeries nationales du Grand Palais

3, avenue du Général Eisenhower

75 008 Paris


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