N° 33, août 2008

Le Taj Mahal et l’héritage de l’architecture iranienne en Inde


Hossein Soltânzâdeh
Traduit par

Babak Ershadi


La construction des monuments funéraires à la mémoire des grandes personnalités est une vieille tradition en Iran. Les sépultures royales des Achéménides à Naghsh-e Rostam, à quelques kilomètres du site historique de Persépolis en sont des exemples antiques. Cette tradition a été maintenue pendant la période islamique. A partir des XVe et XVIe siècles, sous le règne de la dynastie mongole des Timourides (descendants de Tamerlan), l’architecture funéraire prit son essor, et les monuments funéraires devinrent plus augustes, tout en prenant des dimensions plus importantes.

A la même période, les Mongols fondèrent la quatrième dynastie musulmane de l’Inde. Descendants de Tamerlan, les empereurs mongols de l’Inde entretenaient des relations étroites avec les Timourides. Ainsi sont apparus les premiers monuments funéraires en Inde où ce phénomène était nouveau, non seulement du point de vue architectural, mais aussi sur le plan socioculturel. En effet, avant la présence musulmane en Inde - à partir de la fin du XIIe siècle.., les Indiens, incinérant le cadavre des défunts, n’avaient naturellement pas de traditions funéraires équivalentes avant l’entrée de l’Islam.

Le Taj Mahal vu des jardins

Monument indien le plus connu dans le monde, le Taj Mahal est en réalité un édifice funéraire. Ce grand chef-d’œuvre de l’art mongol est un mausolée construit à Agra [1] en hommage à Arjumand Banu, connue sous le nom de Mumtaz Mahal (l’Élue du palais), épouse favorite de Shah Jahan (1592-1666), cinquième empereur de la dynastie mongole. Le règne de Shah Jahan fut marqué par le développement de la littérature, des arts et particulièrement de l’architecture. [2]

Mumtaz Mahal, épouse bien-aimée de l’empereur, mourut en 1631, lors d’une campagne militaire où elle accompagnait Shah Jahan. Après son décès, l’empereur, fou de chagrin, ordonna la construction, à Agra, du Taj Mahal, à la mémoire de son épouse décédée.

La mosquée du Taj Mahal, couverte de pierre rouge

Il fallut vingt ans et une légion de vingt mille ouvriers et maîtres artisans pour construire le Taj Mahal. Shah Jahan réunit à Agra des maîtres architectes et des artistes de l’Inde, de l’Iran et de l’Asie centrale. Ces hommes apportèrent avec eux toutes les traditions et le savoir-faire architecturaux de leur pays d’origine, et la combinaison de ces diverses traditions conduisit à la création d’un des chefs-d’œuvre de l’architecture mondiale. Cette alliance des arts iraniens et indiens existait déjà, en prototype, dans le monument funéraire du prince Homâyoun. Ce dernier fut un certain temps exilé en Iran, et de retour en Inde, il se fit accompagner de plusieurs poètes et artistes iraniens.

Le Taj Mahal est situé au bord de la Jamna, sur un vaste terrain rectangulaire. L’édifice est élevé sur une estrade carrée, haute de 7 mètres, aux surfaces couvertes de marbre blanc. Chaque côté de cette estrade mesure 95,16 mètres et elle est placée au centre d’une seconde plate-forme rectangulaire, couverte d’une pierre rougeâtre, dont le côté septentrional avoisine la rive du fleuve.

La structure fondamentale du mausolée est inspirée du plan appelé Hasht-Behesht (qui veut dire littéralement : huit paradis). Dans ce plan octogonal, un dôme est construit au centre de l’édifice, et il est symétriquement traversé par quatre axes. La tombe avoisine une mosquée et comprend en Jawab (qui veut dire littéralement : réplique) un bâtiment qui n’a d’autre fonction que de former un équilibre avec le reste du monument.

Le dôme du Taj Mahal est haut de 74 mètres. Il est de marbre blanc, légèrement bulbeux, et repose sur un grand tambour couvrant un vaste espace central octogonal. Le corps du dôme a une hauteur de 15 mètres. Sa forme d’oignon et sa structure à deux couches, l’une posée sous l’autre, est une merveille de la combinaison des techniques iraniennes et indiennes. Le dôme est entouré de quatre arcs couverts chacun par une petite coupole. L’existence de ces quatre petites coupoles autour du dôme central rappelle une tradition centrasiatique d’origine iranienne, dont l’exemple architectural le plus fréquent est le mausolée du prince samanide Amir Ismaïl à Boukhara.

L’entrée principale de Taj Mahal

L’estrade carrée sur laquelle est érigé l’édifice supporte à chaque coin un haut minaret. Ce plan est d’origine mongole et on peut en trouver de nombreux exemples dans les édifices des époques mongole en Inde et timouride en Iran. L’originalité du Taj Mahal réside en ce que, cette fois-ci, les quatre minarets sont totalement autonomes par rapport à l’édifice qu’ils entourent. Si le dôme sert à caractériser en élévation la partie la plus importante du bâtiment, les quatre minarets qui s’élèvent vers le ciel aident à créer un espace à la fois visuel et mental qui accentue cette élévation. Les minarets sont couverts, ainsi que le dôme et l’estrade carrée, de marbre blanc, tandis que la plate-forme rectangulaire, la mosquée et le Jawab (réplique) sont couverts de pierre rougeâtre.

La façade australe de la tombe donne sur un grand jardin dont le plan est inspiré des jardins iraniens, appelé "Tchahâr Bagh". Tchahar Bagh est un jardin coupé en quatre parties égales par deux allées entrecroisées. Chacun de ces carrés est de nouveau coupé trois fois, par des allées secondaires, en quatre parties égales. Un petit bassin d’eau a été élevé à l’endroit où les deux allées principales s’entrecroisent. Les deux allées principales sont de plus divisées en sept parties égales par des promenades secondaires. Le long de ces allées, des ruisseaux bordés d’étroits chemins, dont le pavé est composé de petits cailloux polis, ont été creusés. Une pelouse de gazon entoure cet espace. On accède à l’édifice par des jardins fermés d’une enceinte rectangulaire percée d’un imposant portail.

Le plan de l’ensemble du Taj Mahal

L’espace intérieur du mausolée est divisé en cinq pièces octogonales : l’une au centre et quatre autres dans les quatre coins. Les cénotaphes de Mumtaz Mahal et de Shah Jahan se trouvent dans la salle octogonale centrale. Ils sont sculptés de façon élaborée et entourés d’un paravent ajouré en marbre et pierres semi-précieuses. Les quatre espaces octogonales qui entourent la salle centrale sont à deux étages et communiquent par des corridors avec la salle centrale.

A l’intérieur du monument, tous les murs et les planchers sont couverts de marbre finement décoré. Le grand portail du bâtiment crée un lien harmonieux entre le jardin et l’espace intérieur de l’édifice funéraire.

L’architecture du Taj Mahal est fortement marquée par plusieurs principes : la hiérarchie, la symétrie et le mouvement de la multiplicité vers l’unité. Grâce à ces principes géométriques, les architectes réussissent merveilleusement à attirer l’attention des visiteurs et des pèlerins vers le centre du monument, où se situe la salle funéraire. Cette salle contient des inscriptions coraniques et des reliefs sculptés qui composent un décor d’une richesse exceptionnelle.

Des versets de la sourate Yacine décorant le porche de l’entrée principale

Le Taj Mahal est le plus grand chef-d’œuvre architectural du règne de Shah Jahan et le plus grand monument funéraire construit en Inde à l’époque de la dynastie mongole. Il combine les éléments différents des traditions architecturales de l’Inde, de l’Iran, de la Transoxiane et même de l’Europe. Cependant, les spécialistes et les historiens d’art estiment que le rôle que jouent les éléments d’origine iranienne est beaucoup plus remarquable, de sorte que ce chef-d’œuvre est souvent considéré comme l’héritage de l’architecture iranienne en Inde.

Les ornementations du Taj Mahal, en particulier dans l’usage des pierres précieuses et semi-précieuses dans la décoration des murs en marbre blanc, comportaient des techniques sans précédent dans l’Inde préislamique. Cette même technique a été utilisée par les musulmans indiens dans la construction de la Grande Mosquée d’Ahmadabad et dans le monument funéraire de l’empereur Sultan Hushang Shah Ghori.

A en croire certains spécialistes, le Taj Mahal est, dans certains de ses aspects architecturaux, une imitation de plusieurs éléments de l’époque timouride et du début de la période safavide en Iran. La tombe octogonale du prince Homayoun à Delhi (construite par des maîtres et artistes iraniens) et le mausolée de Tamerlan à Samarkand furent les principaux modèles des constructeurs du Taj Mahal, tous deux fortement influencés par l’école architecturale iranienne. En tout état de cause, l’histoire de l’art considère le style du Taj Mahal d’Agra comme une harmonieuse rencontre des traditions architecturales iraniennes et indiennes de l’Inde du XVIIe siècle.

Les motifs floraux gravés sur marbre blanc

Le nom de l’auteur du projet du Taj Mahal reste incertain, mais on pense qu’il s’agit de l’architecte perse ou turc Maître Issa, né à Chiraz ou à Istanbul. Des manuscrits citant Maître Issa comme directeur du projet et un dénommé Mohammad Hanif en tant que son adjoint, ont été découverts. D’autres textes citent un architecte indien, Maître Ahmad Lahouri, pour architecte principal du Taj Mahal. Cependant, une chose est certaine : plusieurs maîtres et architectes iraniens ont participé à la construction de ce grand chef-d’œuvre indien du XVIIe siècle.

Les historiens nous relatent que Shah Jahan avait décidé de faire construire sa propre tombe en face du Taj Mahal, sur la rive opposée de la Jamna. Un pont sur la rivière devait reliait sa tombe à celle de son épouse bien-aimée. Contrairement au Taj Mahal, construit en marbre blanc, le mausolée de l’empereur devait être entièrement en marbre noir. Mais avant de pouvoir entamer ce projet, Shah Jahan fut destitué, puis emprisonné par son fils. Le rêve de Shah Jahan ne fut jamais réalisé, et à sa mort, il fut enterré au Taj Mahal, à côté de sa bien-aimée Mumtaz Mahal.

Notes

[1Agra : ville du nord de l’Inde de l’État d’Uttar Pradesh, sur le fleuve Jamna. La ville actuelle fut fondée en 1566 par l’empereur mongol Akbar. Pendant son règne, elle devint un grand centre culturel. Agra est célèbre pour le Taj Mahal et plusieurs autres exemples d’architecture mongole, comme le Moti Masjid, connu également sous le nom de "la Mosquée de la Perle", construite pendant la première partie du XVIIe siècle.

[2Shah Jahan transféra sa capitale à Delhi en 1648 et présida plusieurs années durant à la reconstruction de cette ville. A Delhi, Shah Jahan fit construire une Grande Mosquée et un Fort Rouge plus grands que la mosquée et le fort d’Agra.


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