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Entretien avec Razi Khodâdâdi (Hirmandi)
Un éditeur renommé et professionnel est un éditeur original
Né en 1947, Razi Khodâdâdi (Hirmandi) est un auteur humoriste ainsi qu’un traducteur de renom dans le domaine de la littérature enfantine. Titulaire d’une maîtrise de linguistique de l’Université de Téhéran, il fit connaître les œuvres de Shel Silverstein [1] en Iran en traduisant un grand nombre de ses ouvrages. Il s’est également intéressé aux problèmes de la traduction et a publié un ouvrage intitulé تtre traducteur dans lequel il étudie notamment la notion de "traduction" en général et donne certains conseils aux jeunes traducteurs.
Pensez-vous que l’industrie de l’imprimerie et de l’édition en Iran est garantie par un système d’ordre légal ? Autrement dit, est-ce que les droits d’éditeur, d’auteur et de traducteur sont respectés ?
Pour faire paraître un ouvrage et pour le faire parvenir au grand public, le traducteur ou l’auteur s’efforcent de trouver un éditeur afin que celui-ci assume la responsabilité de l’impression et la diffusion de l’ouvrage, tout simplement parce que l’auteur n’a pas le temps, le capital, ni la qualification nécessaire dans ce domaine. Jusqu’ici, c’est tout naturel et évident. Mais le problème émerge au fur et à mesure, surtout quand, après l’édition, l’œuvre est réutilisée de diverses façons par l’éditeur "officiel" ou d’autres éditeurs, ou encore au travers des médias gouvernementaux ou non-gouvernementaux.
Dans ce cas, il n’existe pas de vraie loi pour défendre ce droit ; et bien qu’il existe certaines dispositions juridiques, elles restent en réalité lettre morte. Concrètement, il arrive très souvent que l’on se serve de mes ouvrages sous des formes différentes (citations, animations, etc.) sans même en indiquer la source.
Par quelles étapes doit passer un ouvrage, de sa rédaction jusqu’à son édition ?
Après avoir rédigé et corrigé un ouvrage, l’auteur, comme je l’ai déjà évoqué, se présente à un éditeur, qui va le confier à des spécialistes qui vérifient la qualité du contenu de l’ouvrage pour ensuite, s’il est accepté, inviter l’auteur à signer le contrat d’édition. Les types de contrat sont très divers. Certains sont plus ou moins avantageux pour l’éditeur ou pour l’auteur ; certains sont plus "équitables" que d’autres, en fonction de la notoriété de la maison d’édition ou de l’auteur. Ainsi, l’auteur doit prendre en compte toutes les dispositions du contrat et réfléchir à ses conditions avant de l’accepter.
En tant qu’auteur et traducteur renommé, sur quelles bases établissez-vous un contact avec votre éditeur ?
En général, j’essaie plutôt d’établir une relation d’égal à égal, en un mot, une relation morale et humaine : dans le premier temps, je considère l’éditeur comme un être humain, un compatriote et une personne qui choisit d’investir dans une affaire culturelle.
Dans un deuxième temps et en parallèle, je le considère comme l’une des parties du contrat d’édition ; chose que je précise dans tous les éléments principaux du contrat (pas seulement d’une manière écrite mais aussi et surtout verbalement). Je pense que ce deuxième aspect contribue à l’établissement d’une relation sainte entre l’éditeur et l’auteur, et contribue à prévenir l’émergence d’éventuelles difficultés entre les deux parties et, sur le plus long terme, avec les héritiers.
Quels sont les critères vous conduisant à choisir un éditeur plutôt qu’un autre ?
Mes principaux critères de sélection sont tout d’abord sa renommée et ensuite son professionnalisme. Un éditeur célèbre, outre le fait qu’il cherche, comme les autres, à réaliser des profits, tient également à protéger sa célébrité et sa popularité. Un éditeur renommé et professionnel est un éditeur original. Il a également un sens aigu de ses obligations ; il sait quelle partie du travail revient à l’auteur et quelle autre à lui-même. Tout est évident pour lui. Il n’existe point des malentendus.
Pourriez-vous nous évoquer les difficultés principales qui s’opposent à la mise en place de cette relation logique et "parallèle" entre les auteurs et les éditeurs ?
Il existe beaucoup de difficultés dans ce domaine, y compris celles qui apparaissent avant la publication : l’éditeur accepte le manuscrit d’un ouvrage mais, du fait d’un obstacle particulier, la publication est bloquée. Il est donc utile de préciser un élément important dans le contrat d’édition : si, après un certain temps, l’éditeur n’a pas publié un ouvrage, l’auteur aura le droit de le reprendre tel quel et de le donner à un autre éditeur ; et même, si un manuscrit reste pour longtemps chez l’éditeur, l’auteur aura le droit de réclamer un dommage. La deuxième condition relève cependant plus de l’idéal que de la réalité actuellement. Pourtant, il est courant que l’auteur, au moment de livrer ce manuscrit, obtiennent un acompte, ce qui est toujours mieux que rien ! Après la publication du manuscrit, d’autres difficultés peuvent survenir : l’une d’entre elles est une mauvaise diffusion de l’ouvrage. Par exemple, l’éditeur-libraire préfère parfois vendre une dizaine d’exemplaire de l’ouvrage dans sa propre librairie ou dans des expositions au lieu de le livrer au diffuseur en lui attribuant un certain pourcentage (30%). Naturellement, cela fait perdre du temps. Ou encore, une fois les exemplaires de la première édition vendus, l’éditeur ne réédite pas l’ouvrage. Malheureusement, certains des éditeurs - pas tous - gardent en réserve 200 ou 300 exemplaires de l’ouvrage et au moment où l’auteur demande sa réédition, les exemplaires restant servent de prétexte à un refus.
De nos jours, en Iran, un certains nombre d’éditeurs publient les ouvrages à compte d’auteur ; quelles sont les conséquences de cette nouvelle tendance ?
Les traducteurs ou les auteurs qui font publier les ouvrages à leur compte sont plus libres dans le choix de leur éditeur. Cependant, il arrive qu’après avoir édité l’ouvrage, l’éditeur n’assume aucune responsabilité à l’égard de sa diffusion et de sa vente. Cela peut donc avoir des conséquences très négatives.
Pensez-vous qu’il serait souhaitable de mettre en place un vrai système de vérification scientifique et technique du contenu des ouvrages, qui pourrait lui-même venir remplacer le système de contrôle "mot à mot" actuel que l’on appelle la "censure" ?
Oui, je suis absolument contre ce contrôle "mot à mot". Sauf dans le cas où se pose la question d’une offense impardonnable aux valeurs de la population ; dans cette situation même, les censeurs doivent reconnaître les raisonnements des auteurs et des penseurs.
Selon les statistiques, le nombre de livres publiés pour les enfants et les adolescents est en train d’augmenter. Quelle est selon-vous, en tant que traducteur et auteur dans le domaine de la littérature enfantine, la raison d’une telle augmentation ?
Selon moi, trois traits majeurs sont présents dans les œuvres publiées pour les enfants : elles ne sont pas volumineuses, on y utilise un lexique limité et restreint et le style de l’auteur, en comparaison de celui qui écrit une œuvre pour adulte, est invisible. Pour ces trois raisons et pour mille autres, de nombreux auteurs tentent d’écrire des œuvres pour enfants. Mais n’oublions pas que les apparences peuvent être trompeuses. Au premier regard, la littérature enfantine paraît très simple, mais lorsque l’on approfondit un peu la chose, on se rend compte que la rédaction de livres pour enfants constitue un art digne de ce nom.
Que conseilleriez-vous à tous ceux qui tiennent un manuscrit à la main et n’osent pas entrer dans le domaine de l’édition et de la publication ?
Deux principes me semblent très importants : avant de faire paraître un ouvrage, il est préférable de consulter ceux qui ont de l’expérience dans ce domaine. Un autre principe très important est le choix d’un bon éditeur, qui, de par son expérience et sa diffusion, pourra contribuer à faire de la publication d’un ouvrage un "livre à succès".
Merci de nous avoir accordé cet entretien.
Merci à vous et à la Revue de Téhéran.
[1] Shel Silverstein est un célèbre auteur américain de livres pour enfants. Il est également compositeur, scénariste, acteur et réalisateur.