N° 39, février 2009

Patrimoine afghan, d’une histoire impossible à une identité retrouvée ?


Judith Henon


C’est au travers d’une terrible destruction patrimoniale, celle des Bouddha de Bâmiyân en mars 2001, que le monde a pris conscience avec horreur de la situation dramatique du peuple afghan. Cet évènement et ceux qui ont suivi ont conduit à bien d’autres destructions mais également à un éveil international en faveur de la protection des richesses historiques et artistiques du pays, symboles de sa culture millénaire et de sa diversité.

Monnaie indienne. Tillia tepe, tombe IVème s., 6cm. Musée d’Afghanistan. Exposition Musée Guimet, Afghanistan, les trésors retrouvés, Paris, 2007.

L’Afghanistan témoigne par ses productions artistiques d’une histoire complexe liée en partie à son emplacement géographique. Situé au centre du continent asiatique et à cheval sur la chaîne de montagne de l’Hindou-Kouch, le pays qui contrôlait depuis la préhistoire les voies de passage vers l’Inde était également une étape majeure de l’ancienne Route de la Soie. Les invasions successives (Grecs, Perses, Arabes, nomades du Nord…) et les nombreuses richesses qui transitèrent par ses terres sont aujourd’hui perceptibles dans les importants vestiges qu’a livrés son sous-sol. L’Afghanistan a été et est encore un carrefour où cohabitent des peuples aux langues et aux traditions diverses. Dans cette pluralité qui est encore un motif de déchirement et de conflits, le patrimoine afghan n’a-t-il pas un rôle de premier plan à jouer ? Peut-il rassembler les Afghans et leur permettre d’enrichir et de reconstruire une identité érodée par des siècles de conflits armés et d’occupations ?

Bague avec représentation d’Athéna. Tillia tepe, tombe Ier s. 3cm. Musée d’Afghanistan. Exposition Musée Guimet, Afghanistan, les trésors retrouvés, Paris, 2007.

C’est en tout cas le pari fait par l’UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture) avec certains gouvernements (dont la République islamique d’Iran) et des organisations internationales qui apportent leur soutien financier mais aussi scientifique à l’Afghanistan. En raison de l’urgence de la situation et afin qu’un maximum d’aspects de la culture du pays soit pris en compte, plusieurs programmes coexistent depuis plusieurs années, oeuvrant à la fois pour la renaissance du musée national d’Afghanistan et de ses collections, et pour la sauvegarde du patrimoine monumental.

Autour du musée national d’Afghanistan

C’est au début du XXe siècle, en 1919, que le premier musée d’Afghanistan voit le jour à Kaboul. Initialement installé dans le palais de Bâgh-i Bâlâ, il est ensuite déplacé dans le palais du roi Amânoullah avant de trouver, en 1931, la place qui est encore la sienne aujourd’hui, dans l’édifice de Darulâmân, à huit kilomètres du centre de Kaboul.

Son fond fut initialement constitué par les collections royales, comprenant peintures, manuscrits, armes, objets d’art… Il s’est enrichi dès 1922 d’un grand nombre d’objets issus des fouilles menées par la DAFA (Délégation Archéologique Française en Afghanistan). La collection du musée national comptait au milieu du siècle environ 100 000 pièces illustrant la riche histoire du pays, depuis l’époque préhistorique aux périodes classique, bouddhique, hindoue et islamique.

Pendeloques le souverain et les dragons. Tillia tepe, tombe Ier s. Or, turquoise, grenats. Exposition Musée Guimet, Afghanistan, les trésors retrouvés, 2007.

Détruites, pillées et vandalisées, seul un tiers des collections subsiste aujourd’hui, pour la plupart endommagées et fragmentaires. Afin de lutter contre le pillage et la revente des objets sur le marché de l’art international, une liste rouge des antiquités afghanes en péril a été publiée et des mesures sont prises pour favoriser le retour des collections vers leur pays d’origine.

Depuis la chute des talibans en 2001, de nombreuses organisations ont œuvré avec l’UNESCO et l’aide de plusieurs gouvernements à la reconstruction et à la sécurisation des locaux du musée, du site, ainsi qu’à la restauration et à l’inventaire (papier et numérique) de ses collections. Officiellement rouvert en 2004, le musée a poursuivi sa réhabilitation en se dotant d’outils permettant aux équipes la bonne conservation des collections. Deux importantes restaurations ont été rendues possibles par l’intervention du Musée Guimet (Paris) et de la DAFA : une célèbre statue de Kanishka placée dans l’entrée du musée et un important bodhisattva provenant du site de Tepe Marandjân.

C’est en 2007 que les 1400 objets conservés depuis 1999 dans le musée-en-exil d’Afghanistan (Budendorf, Suisse) ont repris leur place dans le musée qui présente également dans ses collections permanentes des oeuvres du Nuristan, ainsi que la présentation à l’extérieur de trains et véhicules anciens.

Le Grand Bouddha avant mars 2001, date de leur destruction.

Plusieurs expositions internationales ont contribué à la redécouverte de la richesse du patrimoine afghan. La première, « Afghanistan : une histoire millénaire », fut réalisée en 2001 à partir de collections occidentales et a été présentée à Barcelone, Paris, Tokyo et Houston. La seconde, « Afghanistan : les trésors retrouvés », en 2006, a marqué le retour de l’Afghanistan sur la scène culturelle internationale avec une présentation à partir de ses propres collections cachées durant les années sombres et redécouvertes dans les coffres de la Banque centrale de l’enceinte du Palais présidentiel.

Cette réhabilitation s’inscrit dans une politique de protection du patrimoine immédiate et à long terme. Elle vise, au travers de la formation des équipes locales, à la transmission de savoir-faire et de compétences qui permettront aux équipes afghanes la maîtrise des outils nécessaires à une gestion autonome et indépendante de leur patrimoine. C’est également dans cette optique que se développe la campagne menée en faveur du patrimoine monumental.

La campagne de sauvegarde du patrimoine afghan

Actuellement, seulement deux sites afghans sont inscrits sur la Liste du patrimoine mondial : le minaret de Djâm, chef-d’œuvre de l’art Ghuride du XIIe siècle, au magnifique décor réalisé en brique sculptée et en céramique glaçurée, qui culmine à 65 mètres de haut dans le paysage spectaculaire d’une vallée de la province du Ghor. Le second site est celui de la vallée de Bâmiyân, de son paysage et de ses vestiges archéologiques. Ce site exceptionnel sur la Route de la Soie, témoigne à travers une occupation qui s’étend du Ie au XIIIe siècle, de la richesse de l’école d’art bouddhique du Gandhara.

L’emplacement vide du grand bouddha de Bâmiyân en août 2005

Ces deux ensembles figurent conjointement sur la Liste du patrimoine mondial en péril. Ils ont subi des dommages majeurs durant ces dernières années, que la campagne de sauvegarde du patrimoine afghan tente de réparer.

En 2002, un Comité international de coordination (CIC) placé sous la direction de l’UNESCO a été créé afin de coordonner les efforts internationaux en faveur du patrimoine afghan. Les objectifs sont nombreux et visent entre autres à la conservation et à la restauration de ces deux sites majeurs, ainsi qu’à la préservation de ceux qui figurent sur la Liste indicative du patrimoine mondial : la ville de Hérat, celle de Balkh et les lacs du Band-e Amir.

Au-delà du patrimoine matériel, le CIC s’attache à prendre en compte le patrimoine immatériel, également érodé par des années de conflits. L’artisanat traditionnel, les techniques et les savoir-faire, la musique, les langues sont des richesses dont la disparition s’opère souvent sans laisser de trace et qu’il est plus difficile de prendre en compte de par leur nature elle-même.

Minaret de Djâm

La première étape de sauvegarde de ces richesses passe d’abord par leur reconnaissance, puis par la prise de conscience de leur fragilité par les détenteurs de ces savoirs.

C’est en considérant le patrimoine dans sa globalité que celui-ci permettra peut-être de constituer un point de ralliement pour les Afghans et de tisser des liens entre les différentes populations. Car c’est par la valorisation et la réappropriation de son patrimoine et de son histoire que passe la reconstruction symbolique du pays. Cependant, la reconquête d’une identité culturelle ne doit pas se limiter au seul territoire afghan, mais s’inscrit dans un vaste territoire linguistique et culturel, celui de l’Asie centrale, au sein duquel des programmes de dialogues interculturel et interreligieux développés par l’UNESCO, permettront peut-être l’émergence d’une cohésion sociale forte, d’une paix durable et de relations culturelles fructueuses.


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  • Patrimoine afghan, d’une histoire impossible à une identité retrouvée ? 29 janvier 2010 21:21, par zafar paiman archéologue

    Sixième campagne d’activité archéologique (fouilles et protection)
    sur le site de Tepe Narenj, mai/juin 2008
    L’Opération de cette année à Tepe Narenj s’inscrit dans la continuité du programme de
    fouilles et de protection de l’année 2007. Le site se situe dans la partie sud de la vieille ville
    de Kaboul, plus précisément au sud de la citadelle historique, qui date elle-même du 5ème
    siècle de notre ère. Il domine le Qol-e-Hashmat Khan , l’un des anciens lacs naturels de
    Kaboul, mentionné dans les textes historiques, entre autres dans le Bâbur Nâma, au 16ème
    siècle.
    Charles Masson, agent politique et explorateur féru d’archéologie et de numismatique, fit
    mention de ce site monastique, lors de son séjour à Kaboul, dans les années 1830, mais sans le
    citer nommément. Il s’y rendit coupable de pillages dont nous avons pu constater les dégâts
    sur la partie haute du site, durant les précédentes campagnes.
    Le monastère bouddhique de Tepe Narenj, construit sur le flanc d’une montagne nommée
    Koh-e-Zanbourak (la montagne de petite la guêpe), se trouvait en bordure d’une des
    anciennes routes commerciales qui reliait autrefois Kaboul à l’Inde, en passant par l’actuel
    Logar et Gardez. Ensuite, les caravanes depuis la dernière ville, se dirigeaient sud vers Khost,
    ou par la route de l’est passaient au pied de la colline de Mirzaka ( où à cette endroit qu’a été
    découvert le fameux trésor, qui se trouve actuellement au museum Miho en Japon) puis
    Purshapoura c’est-a-dire Peshawar. Il était suffisamment éloigné du centre de la ville pour que
    le calme des moines de ce monastère royal soit assuré (photo 1-2).
    Depuis 2004, le site a fait l’objet de plusieurs campagnes de fouilles, sous ma direction, avec
    l’aide scientifique et matérielle de l’Institut afghan d’archéologie. Ces campagnes nous ont
    permis de mettre au jour un complexe bouddhique comportant 5 chapelles orientées
    nord/sud, contenant des sculptures en argile, un grand stupa mesurant 10,60m de côté, des
    cellules de prière, un ensemble de 5 stupas circulaires de diamètres divers, 3 socles en pierre,
    qui supportaient des statues monumentales ainsi qu’en témoignent les pites de 70cm d’un
    bodhisattva ?, et une pièce circulaire sans doute une salle de réunion comportant un foyer, en
    sont centre.
    Photo 1-2, Site de Tepe Narenj vue avant le lancement de fouille en 2004 (à gauche), en 2008 (à droite)
    ( photo Z. Paiman )
    Plan général de Tepe Narenj
    L’ensemble du site peut donc être divisé provisoirement en 8 groupes de constructions
    s’étendant d’ouest en est, sur une longueur de 240 m et une largeur de 40 à 50 m par
    endroits :
    1- La salle de réunion.
    2- Les stupas circulaires.
    3- Les socles et les grands pieds.
    4- Le grand escalier entre les chapelles et les socles.
    5- Les chapelles.
    6- Le grand Stupa
    7- Les cellules et la grande terrasse en contrebas.
    8- Les niches (période islamique ?) également en contrebas.
    Comme les années passées, nous avons consacré deux jours à nettoyer l’ensemble du
    site, et à enlever les bâches de protection que nous avions disposées au-dessus des murs et
    des chapelles, à la fin de la dernière campagne.
    Notre activité durant cette campagne de 2008 a porté sur les points suivants :
    1- Consolidation et restauration des sculptures les plus fragiles (photos 3-4).
    2- Construction d’une toiture au-dessus de la salle circulaire (salle de réunion) et
    protection (photos 5-6).
    3- Fouille du côté nord des socles et la consolidation des grands pieds de 70cm (photos 7).
    4- Protection et délimitation de l’ensemble du site par une clôture métallique.
    5- Sondages pour trouver le chemin ou l’escalier d’accès reliant la partie basse, où se
    trouvent les niches et la partie haute du monastère.
    6- Ouverture d’un nouveau chantier sur le site de Qol-e-Tut.
    Photo 3, la restauration des statues fragile de la chapelle 4 (photo Z. Paiman )
    Photo 4, restauration des statues fragile de la chapelle 3 (photo Z. Paiman )
    photo 5, vue générale de la partie haute du site et
    le toit en tôle (vues de côté nord) (photo Z. Paiman )
    Photo 6, les cellules et la salle de réunion avec son toit en tôle (photo Z. Paiman )
    Photo 7, Le socle aux pieds découvert en 2007 (à gauche), les pieds après la restauration 2008 (à droite)
    (photo Z. Paiman )
    Photo 8, Le grand stupa 10,60m de côté vue de côté sud-ouest (photo Z. Paiman )
    Photo 9, Tête de bouddha en stuc découverte en 2008 dans la chapelle 4 de tepe Narenj (photo Z. Paiman )
    Zafar PAIMAN
    Archéologue franco-afghan, INRAP, AIPRA
    Responsable de fouilles à l’Institut afghan d’archéologie de Kaboul.
    Membre du conseil administratif et scientifique de la SEECHAC (Société Européenne pour
    l’Etude des Civilisations de l’Himalaya et de l’Asie Centrale).
    Exe membre de la DAFA (de mars 2003 au mars 2005)

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