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Le roman et la nouvelle littéraire après la Révolution islamique iranienne
(1979-1989)
La première décennie suivant la Révolution islamique est marquée par des événements majeurs et des courants de pensée importants. On peut citer la Guerre imposée, la constante menace occidentale et surtout les campagnes anti-iraniennes et les politiques culturelles d’exportation. Bien évidemment, un tel climat culturel et conflictuel ne peut que servir de base pour inspirer et alimenter diverses créations littéraires ou artistiques.
Et il ne faut pas oublier qu’outre la Révolution et la guerre, cette période marqua la fin d’une période de censure tous azimuts qui caractérisait le règne pahlavi, et qui ouvrit la voie à une renaissance explosive de la littérature. De nombreux écrivains, qui n’étaient désormais plus muselés par la censure, entreprirent d’écrire l’expérience vécue des années de frustration et de silence obligés sous le régime du Shâh.
Cette ouverture socioculturelle favorable a permis aux jeunes talents de se présenter sur la scène de la création littéraire, en particulier dans le domaine romanesque. La renaissance littéraire est surtout remarquable dans la nouvelle, renaissance due en particulier à l’intérêt du public. On peut dire que dans l’histoire de la littérature iranienne contemporaine, rares ont été les périodes où un si grand nombre d’œuvres de bonne qualité ont été rédigées sous forme de nouvelles.
La littérature persane d’alors connut également d’importantes périodes d’affaiblissement puis d’élévations pour que n’en soit pas tiré par les auteurs une expérience sociale. D’autre part, parallèlement à la maturité politique grandissante de l’opinion publique sur les diverses questions du temps, les écrivains progressaient aussi en se dotant de nouvelles techniques. C’est pour cette même raison que l’on remarque que de nombreuses œuvres de cette période prônent naturellement les mots d’ordre et les devises de la Révolution.
En général, la littérature de cette époque est une littérature expérimentale. Cela signifie que la génération d’après 1979 écrit autrement que la génération précédente.
Ce changement culturel quantitatif, puis qualitatif, mérite d’être l’objet d’une attention particulière. Car on peut qualifier les années 1979-1989 de décennie de domination de la prose par tous les moyens possibles. La Révolution iranienne préfère et recommande son propre contenu et la littérature poursuit son chemin naturel.
Dans ce contexte, la question de l’engagement littéraire se pose aussi pour certains écrivains sous l’angle de la responsabilité morale et sociale. Ils entendent corriger le passé et redorer le blason de la culture. Voilà pourquoi ils écrivent tant, entre autres sujets, sur la question de la défense de la patrie. En outre, parmi les vétérans de la guerre figurent de très bons écrivains qui ont parfaitement réussi à restituer l’ambiance particulière de la vie au front en temps de guerre. Ainsi, ce mouvement de renaissance littéraire s’inspire aussi de la guerre et l’une de ses branches est la littérature de guerre iranienne, aujourd’hui en plein développement.
Selon Mahmoud Ebâdiân, « l’évolution majeure de la narration iranienne et surtout du roman résulte de ces années de révolte et de guerre. La chute du régime Pahlavi généra un climat favorable à l’épanouissement littéraire. Les changements politico-sociaux fournissent assez de sujets et d’ingrédients nécessaires à la création littéraire et artistique, aux formes et contenus nouveaux, ouvrant ainsi des horizons neufs au champ de la littérature persane.
Les sujets principaux abordés dans les romans et les nouvelles littéraires post révolutionnaires en Iran sont plutôt politiques et sociaux. Ils se sont formés autour des axes suivants, à savoir : les convictions intellectuelles, les traditions familiales, historiques ou modernes, la guerre et ses fronts, l’immigration, la mort en martyr, les familles des martyrs et mutilés de guerre, les bombardements urbains, l’histoire ancienne, etc. (…) Les œuvres créées dans les premières années de la révolution, dans un cadre ressemblant aux rapports historiques journalistiques dont le langage est descriptif, ont en général tendance à l’extraversion ».
Le récit d’expériences violentes et douloureuses vécues par des activistes politiques durant cette période de répression, les souvenirs des arrestations, des disparitions et des tortures, ainsi que les combats sont les sujets favoris des ouvrages de cette première décennie. Parmi ces ouvrages, on peut citer :
- Khasteh ammâ râhro (Epuisé mais résistant) et une collection intitulée Inak vatan tab’idgâh (Voici la patrie comme un lieu d’exil) par Dârioush Kâregar publiés en 1358 (1979).
- Roshanfekr-e Koutchak (Le petit intellectuel) de 1359 (1980) et Gâmhâ-ye peymoudani (Les pas à parcourir), par Nassim Khâkssâr.
- Fil dar Târiki (L’éléphant dans les ténèbres), 1358(1980) par Ghâssem Hâsheminejâd.
- Une collection des nouvelles : Molâghâti-hâ (Les visiteurs) en deux volumes, 1358 (1980), par Hessâm.
- Sallâkh (Le boucher), par Fereydoun Doustdâr, 1358(1979).
- Cellule numéro 18, par Ali Ashraf Darvishiân, 1359 (1980).
- Dâstân-e Djâvid (L’éternel récit), 1359 (1980), par Esmâïl Fassih.
- Pâ-ye Kouzeh-hâye Djonoub (Au pied des cruches du Sud) et Nassimi dar kavir (Brise dans le désert), 1359 (1980) par Madjid Dânesh Arâsteh.
- Nakhl va Bârout (Le palmier et la poudre à canon), 1359(1980) par Ghâzi Rabihâvi.
- Djouyandegân-e Nân (Les chercheurs de pain), 1359 (1980) par Mohammad Rezâ Mâhidashti.
A part ce type d’œuvres, un certain nombre d’écrivains appartenant à la génération précédente ont préféré poursuivre leurs activités littéraires dans la veine prérévolutionnaire. Il n’y a pas ou peu de traces de la Révolution dans leurs travaux.
Parmi ces œuvres on citera :
1. Ghessehâ-ye Madjid (Les aventures de Madjid) et Batchehâ-ye Ghâlibâf (Les enfants tisseurs), 1359 (1980), de Houshang Morâdi Kermâni.
2. Djâ-ye Khâli-e Soloutch (La place vide de Soloutch), 1358 (1979), de Mahmoud Dowlat Abâdi.
3. Be ki salâm konam ? (A qui dois-je dire bonjour ?), 1359(1980), de Simin Dâneshvar.
4. Namâyesh (Le spectacle), de 1359 (1980) : une longue nouvelle de Dja’far Modares Sâdeghi.
Cependant, ces romans ne sont pas majoritaires et parmi les œuvres écrites entre 1357 et 1367 (1979-1989), un bon nombre s’intéresse aux événements et font au moins ne serait-ce qu’un signe à des choses vécues.
On peut en citer :
1. Hefdah be alâve-ye seh (Dix-sept plus trois), 1360 (1981), collection de nouvelles d’Akbar Khalili.
2. Esmâïl Esmâïl, 1360 (1981), de Mahmoud Golâb Darrei.
3. Khâterât-e yek sarbâz (Mémoires d’un soldat), 1360 (1981), par Ghâzi Rabihâvi.
4. Ashenâ-ye penhân (Le connu caché), 1360(1980), par Mohsen Soleymâni.
5. Zamin-e Soukhteh (Terre brulée), 1361(1982) par Ahmad Mahmoud.
6. Ziyârat (Pèlerinage), 1361 (1982), de Ghâssemali Farâssat.
7. Faryâd-e Kouhestân (Le cri de la montagne), 1361 (1982), et Seh mâh ta’tili (Trois mois de vacance), 1362 (1983), et Hizôm (Bois de chauffage), 1363 (1984), de Fereydoun Amouzâdeh Khalili.
8. Oroudj (Ascension), 1363(1984), de Nâsser Irâni.
9. Nakhl-hâye Bi-sar (Les palmiers sans têtes), 1363(1984), de Ghâssemali Farâsat.
10. Ziyâfat (Le banquet) de Seyyed Mahdi Shodjâi’i.
En 1985, en raison des embargos internationaux contre l’Iran, le prix du papier augmenta considérablement et cette situation conduisit à un arrêt momentané de la production littéraire, qui permit à son tour la réédition d’œuvres de qualité.
Les œuvres de cette première décennie post-révolutionnaire se démarquent par le recours à une forme de « réalisme magique marquisien » et d’un léger fantastique qui fait se dérouler le récit dans une ambiance mystérieuse, gnostique et floue, reflétant la nostalgie d’une vie d’exil, le passage absurde du temps vécu, et l’ambiance reconnue et avouée du romantisme poétique.
La Révolution islamique et le contexte des années qui la suivirent provoquèrent également une transformation radicale de la rhétorique et marqua le développement de l’enrichissement lexical du persan.
Grâce à la littérature de guerre qui, en Iran, puise son inspiration dans l’événement majeur que fut la tragédie de Karbalâ, les expressions religieuses, dorénavant utilisées pour le martyre des hommes tombés au front, ont retrouvé une vaste audience dans la culture générale du pays.
Selon le critique littéraire Mohammad Rezâ Sarshâr : « La tragédie de Karbala a une forte présence dans les nouvelles datant des années 80. On retrouve souvent sa répétition infinie et son influence remarquable sur les combattants des fronts. Sur le front réel, les combattants, se souvenant des compagnons de l’Imam Hossein, essayaient de s’engager dans une épopée semblablement extraordinaire et pleine de bravoure. Ainsi, un grand nombre d’expressions confinées dans les dictionnaires faute d’utilisation, retrouvèrent une nouvelle vie grâce à cette renaissance socioculturelle du pays (…) La culture de la résistance et les enseignements spirituels réapparaissant durant cette période dans les médias, la littérature religieuse devint une source d’inspiration. Plus tard, au fur et à mesure de l’éloignement des années de guerre, cette inspiration spirituelle perdit insensiblement de sa couleur originelle. Ainsi, les romans d’aujourd’hui portent de moins en moins visiblement cette empreinte du sacré sous cette forme. »
La plupart des œuvres écrites durant ces années reflètent l’état du temps. Si certains préférèrent rester neutres et en marge des événements sociaux, d’autres croient à l’engagement de la littérature.
Pour Mohammad Taghi Dja’fari, « la littérature persane s’épanouit sous la Révolution islamique et commença à donner ses fruits durant la guerre. (…) si quelqu’un veut l’étudier, il n’a qu’à commencer par le commencement (la Révolution), puis étudier l’immense impact de la guerre sur la littérature iranienne, car la guerre a fait renaître la conscience historique iranienne, ce qui a permis à la littérature de l’Iran d’atteindre des sommets depuis longtemps oubliés. »
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www.farhangeisar.org/