N° 71, octobre 2011

La musique à la radio iranienne
Depuis la création de la radio en 1940 jusqu’à la Révolution de 1979


Djamileh Zia


Le Bureau des recherches de la radio iranienne a publié récemment un livre qui retrace l’historique des programmes de musique de la radio iranienne depuis 1940 jusqu’à la Révolution de 1979. L’auteur, Iraj Barkhordâr, a consacré la plus grande partie de son livre aux différents orchestres qui ont joué à la radio au cours de cette période et a décrit quelques émissions de musique dont la série des Gol-hâ. L’auteur précise que la radio iranienne a invité les maîtres de musique iranienne à jouer à la radio dès sa création et a produit des émissions qui ont fait connaître aux auditeurs de la musique de qualité. Les années 1960 ont été marquées par la diffusion de chansons plus commerciales à la radio et par la création de quelques orchestres qui jouaient de la musique iranienne selon un modèle occidental. Une réaction de retour vers la musique iranienne de qualité jouée de façon traditionnelle est apparue à la radio iranienne quelques années avant la Révolution de 1979. [1]

La création de la radio iranienne

La création de la radio en Iran fait suite à l’installation du télégraphe sans fil, transféré du Ministère de la guerre au Ministère de la poste et du télégraphe en 1926. Le développement des installations sans fil à partir de 1932 aboutit à la création de la radio, inaugurée officiellement le 24 avril 1940. Dès lors, des microphones sont installés dans les lieux publics partout dans le pays pour permettre aux gens d’entendre les émissions de la radio. Au début, la durée des programmes diffusés à Téhéran est de cinq heures par jour, mais les provinces diffusent le soir des programmes locaux car ceux de Téhéran ne sont pas bien entendus en province. [2] Les programmes de la Radio de Téhéran comprennent des informations, des conférences ainsi que des émissions de musiques iranienne et occidentale.

La musique à la radio iranienne au cours des dix premières années, les premiers orchestres

Gholam-Hossein Minbâshian, qui dirige la Commission de musique de l’Organisation du Développement des Pensées (Sâzmân-e parvaresh-e afkâr), [3] invite dix musiciens tchèques pour qu’ils enseignent la musique occidentale aux élèves du Conservatoire de musique de Téhéran. [4] Après la création de la radio, en 1940, ces musiciens et quelques étudiants du Conservatoire de musique jouent chaque soir à la radio de la musique classique occidentale, pendant une demi-heure. L’orchestre est dirigé par Gholam-Hossein Minbâshian. De plus, l’Orchestre de l’Ecole Militaire (Orchestr-e dâneshkadeh-ye afsari), composé de militaires, joue à la radio des musiques occidentales telles que des valses, des tangos, des marches, etc. Quant à la musique iranienne, deux orchestres sont créés à la radio, l’un dirigé par Abol-Hassan Sabâ, l’autre par Mortezâ Mahjoubi, composés tous deux des meilleurs musiciens et chanteurs iraniens de l’époque. [5] Chacun des musiciens de ces deux orchestres joue également en solo une ou deux fois par semaine à la radio au cours d’un programme d’une quinzaine de minutes. Ali-Naghi Vaziri crée lui aussi un orchestre composé de quelques diplômés du Conservatoire de musique et d’autres musiciens, qu’il appelle Orchestre-e novin (Le Nouvel Orchestre). Cet orchestre commence son activité à la radio en novembre 1941 et joue de la musique iranienne dans un style nouveau, deux fois par semaine, jusqu’en 1946. [6] Le premier violon et le soliste de l’orchestre est Abol-Hassan Sabâ. Celui-ci et d’autres musiciens de l’orchestre poursuivront leur collaboration avec la radio par la suite. De plus, l’Orchestre de l’Association de la Musique Nationale (Orchestr-e anjoman-e moussighi-ye melli) dirigé par Rouhollâh Khâleghi, joue parfois à la radio des morceaux composés par Khâleghi.

L’Orchestre de l’Association de la Musique Nationale, dirigé par Rouhollâh Khâleghi

Les émissions de musique des années 1950, les émissions Gol-hâ

Après le coup d’Etat de 1953, Nasrollah Mo’iniân est nommé Ministre des informations. Sous son ministère, les répétitions des orchestres de la radio et la création des émissions musicales prennent une allure plus disciplinée, et quelques programmes de musique sont enregistrés. [7] De plus, sept orchestres sont créés à la radio (numérotés de 1 à 7) pour jouer surtout des mélodies simples et des chansons composées par les musiciens qui collaborent avec la radio en tant que solistes. En somme, l’activité de ces orchestres est surtout centrée sur la musique iranienne populaire et à la mode. Le nombre de ces orchestres est réduit à quatre, puis à deux au bout de quelques années.

Cependant, l’évènement musical le plus important de cette période est la série des émissions intitulées Gol-hâ. En 1956, Dâvoud Pirniâ crée une émission appelée Gol-hâye rangârang (Les fleurs multicolores) composée à la fois de morceaux de poèmes classiques déclamés, de musique traditionnelle iranienne jouée par un très bon soliste qui accompagne un chanteur exécutant un morceau de chant sans rythme (âvâz), ainsi que des chansons iraniennes (anciennes ou créées par des musiciens contemporains) jouées par un orchestre accompagnant un(e) très bon(ne) chanteur(se). Cette émission a un grand succès, ce qui amène les responsables de la radio à produire d’autres émissions du même type qui seront intitulées Gol-hâye jâvidân (Les fleurs éternelles), Barg-e sabz (Une feuille verte), Shâkheh-gol (Une fleur), Gol-hâye sahrâ’i (Les fleurs des champs). Dâvoud Pirniâ supervise toutes ces émissions jusqu’à son décès. Ensuite, la production de ces émissions continue presque de la même manière, sous la direction du poète Rahi Moayeri, puis de Mohammad Mirnaghibi (violoniste). Gol-hâye rangârang est produite régulièrement jusqu’en 1972 à raison d’une trentaine d’émissions par an en moyenne. Parmi les autres émissions qui combinent la poésie classique et la musique traditionnelle persanes, citons Shâ’erân ghesseh migouyand (Les poètes racontent une histoire), une émission hebdomadaire de 60 minutes où des solistes célèbres improvisent en fonction de l’ambiance créée par le thème des poèmes déclamés dans l’émission. [8]

Les émissions pédagogiques sur la musique

Rouhollâh Khâleghi produit deux émissions de qualité au cours de la période où il dirige le Conseil de la musique de la radio en 1958-59. [9] Il s’agit de Sâz-o-sokhan (Instrument et parole), une émission hebdomadaire de quinze à vingt minutes dans laquelle les mélodies de la musique traditionnelle iranienne sont analysées. Des extraits joués par des musiciens célèbres ou des chansons célèbres créées sur la base de ces mélodies sont ensuite diffusés à titre d’exemple pour augmenter les connaissances des auditeurs sur la musique iranienne. L’autre émission produite par Khâléghi est Yâdi az honarmandân-e Irân (Une évocation des artistes de l’Iran), une émission hebdomadaire de quinze minutes dans laquelle la vie et l’œuvre d’un musicien iranien sont présentées et des extraits d’une musique jouée ou créée par ce musicien sont diffusés. Cette émission attire l’attention non seulement des auditeurs non spécialistes mais des musiciens eux-mêmes du fait de sa forme simple et agréable et son ton narratif et distrayant.

L’Ensemble Aref

Tendance à une occidentalisation de la musique iranienne diffusée par la radio iranienne au cours des années 1960

A partir de 1960, les programmes de la radio sont diffusés 24 heures sur 24 et deviennent plus diversifiés, y compris les programmes de musique. Progressivement, des chansons et de la musique pop font leur entrée à la radio, phénomène qui est concomitant avec la production et la vente de disques en Iran. Ainsi, certains chanteurs populaires deviennent célèbres grâce aux programmes de musique de la radio.

Les années 1960 sont également marquées par des créations d’orchestres de type occidental pour jouer de la musique iranienne. Citons l’Orchestre Farabi, créé à la radio en 1964 selon le modèle d’un orchestre symphonique, mais avec des instruments à la fois occidentaux et iraniens, et dirigé par Mortezâ Hannâneh après son retour d’Italie. Citons également le Chœur et l’Orchestre de la radio iranienne, créés vers 1966 pour exécuter des morceaux d’opéra des compositeurs occidentaux célèbres, ainsi que des mélodies folkloriques des différentes régions de l’Iran arrangées pour le chœur et l’orchestre. Ces expériences n’étant pas très séduisantes pour les auditeurs iraniens, cet orchestre est dissout assez rapidement. [10] Pour Iraj Barkhordâr, ces orchestres sont créés alors que l’on assiste à des changements sociaux en Iran, et témoignent de la tendance des Iraniens au cours de cette période à imiter les pays Européens et à mettre de côté (du moins en apparence) les traditions iraniennes. Mais cette tendance provoque en retour, à partir de 1970, la création de groupes qui imitent la façon de jouer des musiciens iraniens de l’époque qâdjâre et du début du XXe siècle, façon de jouer que nous appelons par convention « la musique iranienne traditionnelle ». [11]

Retour vers la musique iranienne traditionnelle dans les années 1970

Goltchin-e hafteh (La sélection de la semaine) est le nom d’une émission de 60 minutes, produite et diffusée de 1975 jusqu’en septembre 1978 une fois par semaine le vendredi. Iraj Barkhordâr, qui était le producteur de l’émission, la décrit dans son livre comme une émission exigeante, ayant le souci de réhabiliter la musique iranienne de qualité. Cette émission permet de faire connaître au public des chanteurs tels que Mohammad-Reza Shajarian, Shahram Nazeri et Mme Hengâmeh Akhavân, et des groupes qui jouent la musique iranienne traditionnelle tels que l’Ensemble Sheyda, l’Ensemble Aref, l’Ensemble Samâ’i, l’Ensemble Payvar. L’émission Goltchin-e hafteh est produite quand Houshang Ebtehaj, poète iranien, dirige l’Unité de la musique de la Radio. Ebtehaj est également à l’origine de la création d’une émission sur le modèle des Gol-hâ, appelée cette fois Gol-hâye Tâzeh (Les nouvelles fleurs), dont la production commence en 1971 et se poursuit jusqu’à la Révolution de 1979, où l’on utilise de vieilles chansons iraniennes rejouées par l’Ensemble Payvar, l’Ensemble Sheyda et l’Ensemble Samâ’i. Ces émissions, qui reçoivent un accueil chaleureux de la part des auditeurs, sont un avant-goût de la musique qui deviendra prédominante après la Révolution de 1979, à côté des chansons révolutionnaires.

Source bibliographique :
- Barkhordâr, Iraj, Moussighi-ye radio va naghsh-e modiriat : barresi-ye moussighi-ye râdio pish az enghelâb-e eslâmi-ye Iraân (La musique à la radio et le rôle des directeurs : étude de la musique à la radio avant la Révolution islamique d’Iran), Ed. Tarh-e Ayandeh pour Le Bureau des recherches de la radio iranienne (Daftar-e pajouhesh-hâye râdio), Téhéran, 1387 (2008).

Notes

[1Barkhordâr évoque dans son livre d’autres genres musicaux diffusés par la radio iranienne de 1940 à 1979 (de la musique pour les enfants, de la musique folklorique, de la musique religieuse) que nous n’aborderons pas dans cet article.

[2La radio resta rattachée au Ministère de la poste, télégraphe et téléphone jusqu’en 1942, date à laquelle elle passa sous la direction du Bureau des Propagandes et des Publications (Edareh-ye Tablighât va Enteshârât) créé la même année. En 1963, la radio iranienne passa sous la tutelle du Ministère des informations, et finalement elle fut réunie avec la Télévision d’Iran au sein de l’Organisation de la Radio et de la Télévision Nationale d’Iran (Sâzmân-e râdio va television-e melli-ye Irân) en 1971.

[3L’Organisation du Développement des Pensées fut créée le 2 janvier 1939 (12 Dey 1317) par le Ministre de la culture afin de « développer et guider l’opinion publique ».

[4Gholâm-Hossein Minbâshian avait étudié le violon en Europe et ne s’intéressait pas beaucoup à la musique iranienne. Il dirigea le Conservatoire de musique jusqu’au départ de Rezâ Shâh Pahlavi en septembre 1941, et fut remplacé alors à ce poste par Ali-Naghi Vaziri.

[5Les musiciens étaient Mehdi Barkashli (violon), Sacha Tarkhânian (tar), Ali-Mohammad Khâdem-Missâgh (violoncelle), Mehdi Khâledi (violon), Rouhollâh Khâleghi (violon), Habib Samâ’i (santour), Hossein Sanjari (tar), Ali-Akbar Shahnâzi (tar), Abol-Hassan Sabâ (violon), Youssef Foroutan-Râd (violon), Mortezâ Mahjoubi (piano), Javâd Maroufi (piano), Mehdi Navâ’i (ney), Mortezâ Neydâvoud (tar), Ali-Naghi Vaziri (tar), Hayk (kamantcheh), Youssef Youssefzâdeh (piano). Les chanteurs étaient Adib Khansâri, Tâj Esféhâni, Javâd Badi’zâdeh, Gholâm-Hossein Banân, Abdol-Ali Vaziri, et les chanteuses Parvâneh, Rouhanguiz, Rouhbakhsh, Ghamar-ol-Molouk Vaziri. Rappelons que les musiciens qui utilisaient les instruments occidentaux (comme le violon et le piano) jouaient de la musique iranienne, avec y compris les quarts de ton qui n’existent pas dans la musique occidentale.

[6Ali-Naghi Vaziri fut le premier à utiliser en Iran les notes de musiques, dont il avait pris connaissance lors d’un séjour de cinq ans en France et en Allemagne.

[7Les programmes de musique diffusés par la radio iranienne furent toujours en direct jusqu’en 1953. La radio ne disposa pas d’appareil pour enregistrer les programmes jusqu’en 1950.

[8Les musiciens qui participaient souvent à cette émission étaient Habibollâh Badi’i (violon), Homâyoun Khorram (violon) et Farhang Sharif (tar).

[9Le Conseil de la musique de la radio (Showrâ-ye moussighi-ye radio) fut l’instance qui autorisait la diffusion des programmes musicaux produits et enregistrés. Khâleghi dirigea également pendant un temps l’orchestre qui jouait pour les émissions Gol-hâ.

[10Les mélodies iraniennes furent arrangées pour être jouées de façon polyphonique par ces orchestres, alors que la musique traditionnelle iranienne est monophonique.

[11Il existe quelques disques des musiciens iraniens du début du XXe siècle. Les musiciens iraniens des années 1970 ont reproduit la façon de jouer de ces maîtres en écoutant leurs disques.


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