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Bahman Panahi
Un artiste iranien à Paris : une exposition au Centre culturel Algérien
Paris, 4 décembre 2013 - 4 janvier 2014
Entre tradition persane et modernité
Bahman Panahi vit en France depuis une dizaine d’années ; il est musicien et calligraphe et y poursuit des études d’art commencées en Iran. Dans son pays natal, il a acquis un diplôme de maître en calligraphie et appris à jouer du tar et du sétar, instruments à cordes de la musique traditionnelle. En France, après avoir étudié à l’Ecole des Beaux Arts de Valenciennes, il est entré en Sorbonne où il rédige actuellement une thèse en Arts Plastiques et Sciences de l’Art, une thèse où s’articulent la théorie et la pratique. Fort de ses deux formations, en calligraphie et en musique traditionnelles persanes, Bahman Panahi mène une double et très active carrière d’artiste, comme musicien fort apprécié et comme peintre calligraphe, jouant et exposant de par le monde. Il n’est donc pas étonnant que les propos tenus par Bahman Panahi, lorsqu’il présente et commente ses œuvres calligraphiques au Centre Culturel Algérien de Paris, soient des propos qui s’appuient d’une part sur la terminologie spécifique à la calligraphie et sur le vocabulaire des arts plastiques tels qu’ils se sont constitués comme discipline universitaire en France, et des propos par ailleurs riches du vocabulaire de la musique. Ainsi comprend-on que la démarche de cet artiste établit un pont entre des disciplines trop souvent et trop arbitrairement isolées l’une de l’autre.
Le Centre Culturel Algérien est un grand bâtiment récent dont l’architecture extérieure comme intérieure emprunte discrètement à l’architecture musulmane, en une postmodernité mesurée. C’est aussi l’un des centres culturels parisiens des plus actifs, ce qui est remarquable alors qu’un certain nombre de centres culturels semblent sommeiller. Outre une assez vaste salle d’exposition le centre comporte une salle dédiée aux concerts, au cinéma et aux spectacles en général.
D’autre part il y a une bibliothèque, des salles de danse, des espaces consacrés à l’apprentissage de l’arabe et à d’autres activités pédagogiques et culturelles comme par exemple ce que fait en ce moment Bahman Panahi avec des cours de calligraphie. La salle d’exposition alterne entre montrer des œuvres d’artistes et des expositions documentaires, comme ce fut le cas avec une exposition de photographies, courant octobre dernier, sur l’art préhistorique du Tassili N’ajjer. Et puis le centre culturel, au sujet de l’Algérie, accueille diverses manifestations à caractère culturel, relevant de l’histoire ou de l’époque contemporaine. Une revue de bonne qualité inventorie ces activités multiples. Cependant, il va de soi que la vitalité de ce centre culturel trouve ses racines dans l’histoire qui lie les deux peuples et les deux cultures de France et d’Algérie, une histoire marquée par la colonisation et la décolonisation autant que par l’émigration et l’installation définitive de très nombreux algériens, venus de ce pays voisin d’en face, de l’autre côté de la Méditerranée.
Bahman Panahi est un artiste calligraphe atypique en ce sens que par sa recherche universitaire en tant que doctorant, il a acquis les outils conceptuels nécessaires à l’analyse de son œuvre en tant que ce qu’elle est au regard de la tradition comme au regard du contexte culturel dans lequel il se meut depuis une dizaine d’années. Ce à quoi s’ajoute la musique qui, dans le cadre de l’entretien mené devant ses œuvres, ajoute une ouverture, permet un dialogue, instaure un regard analytique supplémentaire sur cette œuvre calligraphique. L’exposition, ainsi qu’elle est organisée, commence par une œuvre inscrite au cœur même de la tradition calligraphique persane : Soura hamd, sacré Qorân. Celle-ci s’inscrit effectivement dans la plus pure tradition et veut témoigner à la fois d’un savoir faire et d’un ancrage. Le commentaire de Bahman Panahi, expose les modalités selon lesquelles le calligraphe opère ; modalités non seulement techniques mais celles qui relèvent d’une profonde spiritualité, d’une concomitance entre ce que fait la main et ce que dicte l’esprit. Car la calligraphie, et au-delà de la calligraphie persane, la calligraphie extrême orientale, peut-être plus familière ici en France, pour être de haute qualité, nécessite cette parfaite coordination de ce que fait la main et de ce que dicte l’esprit. Cette œuvre de Bahman Panahi s’inscrit dans le contexte de l’islam, espace spirituel et religieux déjà-toujours offert à l’action du calligraphe. Devant ses œuvres, Bahman Panahi parle beaucoup de l’espace blanc, celui du vide, qui, comme dans la peinture ou dans la calligraphie chinoise, n’opère pas tant comme un vide que comme une présence active, en possible inversion de ce qui est inscrit sur la page, dès lors que le vide n’est pas considéré comme une absence. Voir le vide comme une substance : en effet, dans la calligraphie extrême orientale ou persane, l’espace blanc peut cesser d’être un fond vide et informe, une absence, pour contribuer à construire l’œuvre, autant que la construisent les formes et lettres tracées au calame. Evidemment, Bahman Panahi, lorsqu’il explique cela en tant que plasticien et musicien conduit à une lecture extrêmement informée et savante des œuvres, conscient de ce que fait la main, du pourquoi elle le fait, conscient de ce qui est mis en jeu dans de déploiement formel inscrit sur la page blanche.
Au-delà de la virtuosité et du savoir faire déployés avec cette œuvre, Soura Hamd, sacré Qorân, inscrite dans la tradition, les autres œuvres présentées dans l’exposition se présentent de deux manières : celles où le tracé calligraphique est en gros plan, comme le grossissement soudain du texte. Ici la calligraphie se joue avec la nécessité d’outils fabriqués par l’artiste lui-même : des calames de larges dimensions faits d’objets soigneusement choisis, bouts de plastique, tissus, par exemple, afin d’effectuer ces tracés à une autre échelle que celle pratiquée lorsqu’il s’agit du livre. Une œuvre comme L’envol du Hou (couleurs) voit se déployer le tracé spiralé en une triple répétition du même, comme psalmodiées, formes flottant en un espace indéfini, formes témoignant d’un lyrisme omniprésent dans la calligraphie persane. Cependant la lecture de l’œuvre, pour qui n’a pas accès au sens de ce qui est là, se fait comme s’il s’agissait d’une peinture abstraite qui peut être qualifiée de lyrique et gestuelle, selon les catégories de l’art moderne et contemporain occidental. Cette affinité avec les abstractions gestuelles est indéniable, ceci d’autant plus que certains des peintres de ces abstractions avaient une large connaissance des philosophies extrême-orientales. Cette lecture au regard de référents dans la peinture gestuelle ne saurait évidemment être la seule, d’autant plus qu’elle fait l’impasse, pour celui qui ne lit pas le persan, sur le sens de ce qui est écrit. Ici la virtuosité du calligraphe impose un contrôle gestuel, une concentration, un savoir faire dont dépendent l’advenir de l’intention préalable aux tracés. Ce type de travail implique aussi des ratés, ils font partie du jeu, en cohérence avec cette idée d’aller vers la perfection à laquelle aspire l’action du calligraphe. Cette idée et cet objectif de perfection nourrissent d’ailleurs toujours l’esprit des enseignements artistiques en Iran, et du même coup les différencie de l’esprit de ceux d’ici où le raté s’expose volontiers comme témoignage d’un faire tâtonnant et en devenir. Bahman Panahi en expliquant le sens du titre : L’envol du Hou, précise ce qu’est le Hou : Dieu et en même temps Ce qui est au-delà, Là-bas, Lui, Celui qui est partout, dans une dimension inimaginable, Ce qui est pure perfection. Mais le Hou signifie également dans le cadre du travail du calligraphe, cette expiration/inspiration de l’air des poumons, celle qui participe à la concentration précédant l’inscription, le juste tracé sur la page. Revenant sur la question du blanc, de l’espace blanc de l’œuvre, du blanc comme silence actif, Bahman Panahi situe plus précisément ce qu’il entend, passant par l’exemple de l’œuvre musicale de John Cage. Cet artiste fut profondément marqué par le bouddhisme zen et indéniablement son œuvre plastique et son œuvre musicale en sont les reflets. Avec les œuvres présentées ici, le blanc, ce qui est le fond n’est donc pas conçu comme absence mais comme présence : le fond ne relève pas d’un faire, d’une activité scripturale, mais il est activé par ce que le calligraphe trace sur la page, ce qui travaille le blanc et avec le blanc. D’autres œuvres constituant cette exposition voient l’écriture se déployer sur des fonds préalablement travaillés en lavis et taches pâles, comme si cet espace-fond devenait connaissable, comme si le rien suggéré par le fond blanc faisait place à un monde un peu plus identifié où la forme commence à succéder à l’informe. Bahman Panahi développe des mots, des lettres qui en leur double appartenance au sens et à la forme tournoient en des mouvements spiralés symbolisant ce qui est sans fin, ce qui est in-fini, rappelant également le mouvement des derviches tourneurs, culture persane oblige.
D’autres œuvres m’ont semblé faire le lien avec certains aspects de l’art occidental, échange ou contamination, le contexte de vie et le tutoiement d’un art reposant sur une autre conception de ce qu’il est, jouent leur rôle. Ces œuvres témoignent à la fois de l’ancrage de l’œuvre calligraphique de Bahman Panahi dans sa culture persane et de son ouverture à l’autre, celle d’ici, de là où il vit depuis une décennie. Et ce métissage me parait positif puisqu’il s’agit d’un enrichissement de la capacité créative de l’artiste sans que cela passe par un renoncement à ce qu’il est, à sa culture d’origine. Ainsi l’œuvre intitulée Jardin de Hou, se présente comme bien différente de celles où s’affirment, comme en gros plan, quelques signes de la langue persane. Ici l’espace pictural est infiniment morcelé par la présence de petits signes de couleurs très variées et il en ressort un effet de rideau informel/abstrait - je veux dire où les formes ne s’identifient plus guère comme signes linguistiques, mais en tant que simples formes. On peut ainsi penser à certaines œuvres de Simon Hantaï ou à certains travaux de Mark Tobey où la répétition du même signe conduit ce dernier à être perçu comme un simple module répété indéfiniment, discours sous-jacent sur l’infini ? Ici les sens du Hou rejoignent peut-être cette notion d’infini bien présente chez de nombreux artistes ayant rencontré la philosophie bouddhiste zen.
Bahman Panahi semble attaché à rester ancré dans sa culture persane et dans sa formation de calligraphe, puis sa maîtrise en tant que calligraphe. Il est certes arrivé à un certain équilibre dans cette rencontre d’une autre conception de l’art sur les bases qui sont les siennes, le texte, l’écriture calligraphique lyrique, cette épreuve répétée qu’implique chacune des œuvres, épreuve qui engage le corps - le geste- comme l’esprit, et le conduit à la rencontre du Hou. Mais aussi il y a chez Bahman Panahi cette omniprésence de la musique et de l’écriture musicale, un peu comme la pratiquait John Cage : œuvre musicale et en même temps œuvre plastique où les partitions deviennent œuvres graphiques autonomes, détachées du sens de l’écriture musicale. D’ailleurs Bahman Panahi confirme lui-même le rôle de sa musique, celle qu’il interprète et celle qu’il compose, en tant qu’ « …âme de mes œuvres, fluide et libre… ». Ainsi énoncé, cela conduit encore à une autre lecture des calligraphies, cette fois comme constituées de signes sonores, ceux qui résonnent en sourdine dans la tête du spectateur et lecteur, ceux que génère la poésie. Mais dans l’aire de la pensée persane, poésie, musique et écriture des textes coraniques se fondent et confondent volontiers.
Le CV de Bahman Panahi témoigne d’une intense activité dans ses deux domaines de prédilection, la calligraphie et la musique : expositions et concerts dans les lieux les plus prestigieux, ce à quoi s’ajoutent des activités d’enseignement à haut niveau et des publications. Ces activités pédagogiques révèlent un engagement de l’artiste dans un partage des arts qu’il pratique. Ainsi œuvre Bahman Panahi, un iranien vivant à Paris.