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Elle était dans une prière intense, entièrement tournée vers le Ciel, ou l’intérieur, oublieuse du monde, de son agitation. A l’autre bout de ce monde, dans un monastère, au milieu d’une grande ville.
Et elle priait, priait, priait, tendue vers l’Au-Delà, jusqu’à son paroxysme… Un éclair traversa son corps, suivi d’un énorme coup de tonnerre, presque aussitôt, comme elle n’en avait jamais entendu. Elle se trouva projetée en l’air, retomba indemne. Heureuse. Resplendissante de joie : elle était sûre d’avoir atteint l’Illumination. La Libération finale, la Vie éternelle… Elle se ressaisit, sortit dans la rue.
Tout était ruine, désolation. Et feu, chaleur intense, comme celle qu’elle avait senti brûler en son corps, une fraction de seconde. A l’extérieur cette fois. Et des morts, des morts, des morts. La rue, les trottoirs, jonchés de cadavres, par centaines, aux visages révulsés, figés dans un instant d’horreur. Elle resta hébétée, ne comprenant plus rien.
… A Hiroshima, ou à Nagasaki, il ne sait plus au juste, un certain mois d’août 1945.
Il avait lu cette histoire de la religieuse japonaise dans une revue sérieuse, il ne sait plus laquelle, il y a longtemps. Bien avant son virage à l’intérieur. Ce passage l’avait marqué, s’était gravé dans sa mémoire.
… Et refait surface, ce soir, en arpentant les ruelles de Kashan, au retour d’Abianeh.
Géhel pense à Roumi ; comme à Soltaniyeh, au monastère soufi :
“Il y a un soleil caché dans l’atome… Cet atome ouvre la bouche. Les cieux et
la terre s’effritent en poussière devant ce soleil.”
L’atome, ce réceptacle sacré d’une énergie prodigieuse. De l’Energie. Ou de l’Essence de l’Univers. Et la Gita lui vient à l’esprit aussitôt :
“Si la splendeur de mille soleils éclatait à la fois dans les cieux, cela serait
comparable au rayonnement de ce grand Etre.”
Il imagine Arjouna, le guerrier valeureux, l’Aryen, frémissant à cette vue. Epouvanté, émerveillé :
“Je vois Ton visage, rayonnant comme le feu du sacrifice, dont l’éclat brûle l’Univers.”
Arjouna, comme la religieuse japonaise, confronté à la lumière divine… Et sains et saufs l’un et l’autre. Protégés par leur adoration. Et pas l’adoration d’un jour ! L’adoration d’une vie. Une vie entière aspirant à ce mystère qui la dépasse, infiniment. S’en imprégnant jour après jour. Et pas seulement par la prière ! L’émerveillement, l’amour…
L’un et l’autre tournés vers l’Absolu. Et l’Absolu les pénétrant, les transformant. Jusqu’au fond des cellules. Jusqu’à l’atome, ce réceptacle sacré d’une énergie prodigieuse… infusant dans le corps, à dose infime. Et ce corps de plus en plus vibrant, rayonnant. Récepteur, émetteur. Radio-actif. Une irradiation naturelle accélérant les flux d’énergie, et la “photosynthèse”. Ou les provoquant. Géhel le sait, le ressent lui aussi. Et perçoit cette irradiation, et ces flux, comme le moteur de l’évolution. Il pense au Véda, cette “Connaissance” qu’apportèrent à l’Inde les tribus aryennes dès l’aube de la civilisation :
“… Maître de l’Ame ;
Te manifestant dans la créature, tu cours tout au long de ses membres ;
Mais qui n’est pas mûr et dont le corps n’a pas subi le feu ne goûte pas ce délice ;
Seul peut l’endurer et pleinement en jouir qui a été cuit à la flamme.”
Il a une intuition soudaine. Qui l’interpelle, et l’épouvante, et l’éblouit. D’une logique implacable… L’énergie nucléaire… Et toute cette énergie de l’homme pour la produire. Pour le meilleur, croit-il ! ou pour le pire. Comme mû par une volonté souterraine, inconsciente, pour accomplir sa destinée. Et une nouvelle déflagration un jour, obligatoire. Surpassant de loin les précédentes. Une apothéose, une apocalypse. “La splendeur de mille soleils.” L’humanité balayée. Couchée au sol. Certains se relevant, péniblement, hébétés, amoindris. Dégénérés. Et quelques-uns, des hommes, des femmes, ayant aimé le monde jusqu’à l’extrême, restés debout, rayonnant du feu du sacrifice, comme de nouveaux soleils. L’humanité nouvelle, accomplie.
Obligatoire, vraiment ?… Est-ce l’homme qui tient en main sa destinée ?… Les hommes, les femmes du monde entier… Et s’ils pouvaient aimer, aimer, aimer. S’émerveiller, prier. Produire une énergie colossale, irradiant la planète… Et que ce soit l’Humanité entière qui se lève, rayonnante au feu du sacrifice, comme un nouveau soleil.
*Ce texte a été envoyé par son auteur à La Revue de Téhéran. Il est extrait de l’ouvrage Le Miroir du Monde publié par Les 3 Orangers, 13 avenue de Saint-Mandé, 75012 Paris. Mail : les3orangers@noos.fr
Prix de l’ouvrage : 19,00 euros. Frais de port offerts.