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La réaction de quelques poètes iraniens à l’invasion des Mongols en Iran
Zolfaghâr Allâmi*
Résumé et traduction :
L’invasion mongole (1219-1223) provoqua un bouleversement majeur dans le monde iranien. C’est lors de la conquête de l’Iran que la férocité des Mongols se montra le plus. La plupart des villes iraniennes furent incendiées et leurs habitants exterminés ; toute résistance fut impitoyablement écrasée par la terreur et même les réfugiés ne furent pas épargnés. Le désastre frappa également le champ culturel du pays : de nombreux ouvrages scientifiques et littéraires furent jetés dans les fleuves ; un grand nombre de bibliothèques, d’universités, d’hôpitaux, etc. disparurent dans des incendies ; beaucoup de savants et d’érudits furent massacrés lors de cette invasion. La littérature ne pouvant se mettre à l’écart des événements politiques et sociaux de son temps, on vit de nombreuses personnalités littéraires de cette époque se révolter contre la terreur ambiante ou l’exprimer dans leurs œuvres. Dans ce qui suit, nous allons brièvement rappeler la réaction de certains esprits littéraires à l’égard de l’autorité des Mongols en Iran.
En tant que Maître soufi [1] au Khwarezm [2], il fut supplié par ses fidèles de quitter la ville, mais il refusa d’abandonner sa patrie et rejoignit la résistance. Il lutta vaillamment contre l’ennemi et l’on dit qu’il tomba alors qu’il empoignait pour le tirer à terre un étendard ennemi. Cet épisode est ainsi raconté par Mowlavi :
Nous sommes de cette noblesse d’ivresse
Et non de ces pauvres matérialistes
La Coupe de notre Foi à une main
L’étendard de notre ennemi à l’autre [3]
Connu sous le nom de Mowlavi ou Mowlânâ (qui signifie "notre maître"), Djalâleddin Mohammad Balkhi ou Roumi est un mystique musulman originaire de la ville de Balkh dans l’actuel Afghanistan, région de l’antique Khorâssân. La poésie de Mowlâvi a acquis une renommée mondiale. Il est enterré à Konya, dans l’actuelle Turquie.
En 1256, les provinces situées en Asie mineure dont Konya (lieu de résidence de Mowlavi) sont massivement attaquées et envahies par les troupes mongoles. Mowlavi reste indifférent à cette invasion, et ne se soumet pas à l’ennemi. En tant que maître spirituel, il invite ses disciples à la résistance et à l’espoir. Il méprise alors avec vaillance l’autorité des Mongols. Toute collaboration ou toute entente avec l’ennemi était selon lui une trahison, et donc un crime impardonnable. Voici quelques exemples qui démontrent le caractère intransigeant de Mowlavi envers les Mongols :
Un jour, Ezzoddin Keykâvouss, le sultan seldjoukide [4], vint avec sa suite rendre visite à Mowlavi, qui refusa de les recevoir pour la seule raison de leur entente avec Hulagu Khân. En effet, après la conquête de Bagdad par Hulagu Khân en 1258, Ezzoddin Keykâvouss s’était rapidement rendu à Bagdad pour l’honorer et manifester sa soumission à l’autorité mongole.
Mo’inoddin Parvâneh, chef seldjoukide, était l’un des adeptes favoris de Mowlavi. Cependant, lorsqu’il s’allia avec les troupes mongoles, il fut expulsé du cercle de Mowlavi. Peu de temps après, en 1280, regrettant d’avoir commis une telle faute, il joua un rôle primordial dans la défaite de l’armée mongole en Anatolie.
L’un des prodiges attribués à Mowlavi est d’avoir prédit l’invasion mongole en Iran et à Konya. En 1256, l’armée mongole était aux portes de la ville. Mowlavi monta au sommet d’une colline pour être vu par les militaires mongols et se mit à prier Dieu. Le commandant mongol, impressionné par ce vieillard, renonça à attaquer la ville.
Du fait de sa longue résidence à Ispahan, il est également connu sous le nom d’Ohadi Esfahâni. Marâghe’i est un mystique et poète qui, dans son œuvre, fait la satire de la situation politique de son époque. Dans certains de ses poèmes, il s’adresse aux chefs ilKhânides [5] et les invite à la justice et à la pitié :
O toi qui es assis sur le trône
Sois équitable, si tu es un homme de bien
En cas de justice, le trône ne risque pas de tomber
En cas de justice, le roi ne s’affaiblit pas
On ne maudit jamais un homme juste
On ne menace jamais un homme juste
L’injustice est comme du vent
Et le roi, une flammèche [6]
Dans un autre poème, Ohadi décrit en détail la situation sociale de son temps :
J’ai le cœur fatigué de cette terre déchirée
Tout ce monde perdu, cœur brisé, souffle coupé
Aucun chemin possible dans cette ville hantée
J’agonise et mes compagnons se sont dispersés,
Au son des tambours et des étendards [7]
Affligé par les horreurs commises par Abâghâ Khân, l’un des gouverneurs ilKhânides les plus cruels de l’époque, Seyf Farghâni quitte sa patrie et se dirige vers la Transoxiane, pour ensuite s’établir à Aghsarâ, petit village situé en Turquie. Etabli dans ce village, il ne cesse plus de critiquer virulemment les rois ilKhânides. Il est l’un des pamphlétaires les plus virulents de l’histoire de la littérature persane classique. Il décrit également les conditions de vie désastreuses des Iraniens à l’époque :
Aucune bonté n’existe en ce temps,
Aucun sel dans la salière,
Ce monde est rempli d’injustices
Aucune justice, aucune bonté à y retrouver
Sois riche de cœur,
Car nous ne demanderons rien à ces misérables ! [8]
* « Vâkonesh-e Barkhi shâ’erân dar barâbar-e Mogholân », in Madjalleh-ye Târikh-e adabiât (La Revue d’histoire littéraire), no. 60/3, 1389/2008.
[1] Adepte du soufisme, qui est une doctrine et pratique ascétique et mystique d’une secte de l’islam. Il vise au pur amour de Dieu, sans crainte de l’enfer ni espoir dans le paradis.
[2] Actuellement appelée Khârezm ou Khorezm, c’est une région historique située au sud da la mer d’Aral entre les actuels Ouzbékistan, Turkménistan et Iran. La fondation de cette ville remonte au Ve siècle av. J.-C.
[3] ما از آن محتشمانیم که ساغر گیرند نی از آن مفلسکان که بز لاغر گیرند.
به یکی دست می خالص ایمان نوشند به یکی دست دگر پرچم کافر گیرند
[4] Le sultanat de Roum est une dynastie établie par les Seldjoukides de Roum (Salâdjegheh-ye Rom) de 1077 à 1307 en Anatolie, qui avait Konya pour capitale.
[5] Les Mongols choisirent le nom d’IlKhânides (il-khân) pour leur dynastie. Ce mot est composé de deux parties : il qui signifie "tribu", et khân qui signifie "grand". Ils installèrent leur capitale à Tabriz, puis la transférèrent à Soltânieh (dans la province de Zandjân) au début du XIVe siècle.
[6] ای که بر تخت مملکت شاهی عدل کن گر ز ایزد آگاهی.
تخت را استواری از عدل است پادشه را سواری از عدل است
دود دل به دادگر نرسد عادلان را به جان خطر نرسد
پایداری به عدل و داد بود ظلم و شاهی چراغ و باد بود
[7] دل خسته همی باشم زین ملک بهم رفته خلقی همه سرگردان دل مرده و دم رفته.
راهی نه ز پیش و پس در شهر چنین بی کس من خفته و همراهان با طبل و علم رفته
[8] در این دور احسان نخواهیم یافت نمک در نمکدان نخواهیم یافت.
جهان سر به سر ظلم و عدوان گرفت در او عدل و احسان نخواهیم یافت
توانگر دلی کن قناعت گزین که نان زین گدایان نخواهیم یافت