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Tactiques, doctrines militaires et armes mongoles utilisées contre l’empire des Khorezmiens
Les armes, les compétences militaires et la composition ethnique d’une armée dépendent non seulement des conditions économiques, géographiques et humaines, mais aussi de la structure politique de la société, de la richesse et de la perception de la guerre au cœur de la population. Par exemple, les tactiques et techniques militaires d’une civilisation sédentaire sont très différentes de celles d’une civilisation itinérante (non sédentaire). Une civilisation itinérante tend à préférer la cavalerie légère, armée d’arc composite, et à utiliser des attaques à distance ainsi que des tactiques de guérilla. Ces techniques et tactiques militaires sont conformes à la composition sociale, tandis que les civilisations sédentaires préfèrent l’infanterie lourde, recourant à des tactiques et techniques de guerre mises en place par des soldats de différents groupes ethniques. D’autres facteurs influençant la nature de la guerre sont la proximité des montagnes, des plateaux, de la mer ou d’une rivière, l’existence de mines naturelles, la taille de la population, l’espace géographique, la possibilité d’obtenir des armes peu coûteuses, les qualités de commandement et le talent d’organisation. [1] La conquête de l’Iran au cours de la période d’Alâeddin Mohammad II par les Mongols constitue un exemple classique d’une confrontation militaire entre une civilisation sédentaire et une civilisation non sédentaire.
Les Shâhs khorezmiens ont régné sur le Khorezm (au nord-ouest de la Transoxiane), l’est et le centre de l’Iran et l’Afghanistan actuel de la fin du XIe siècle jusqu’au début du XIIIe siècle. Ils furent d’abord gouverneurs provinciaux de l’empire de Seldjouk, pour devenir plus tard une dynastie indépendante. En 1219, Gengis Khân envahit le royaume de Khwarezm [2] pour le vaincre en 1220. Malgré la taille de son empire, le Shâh de Khwarezm Alâeddin Mohammad II (le père de Jalâleddin) ne put fournir une résistance suffisante contre Gengis Khân. Alâeddin Mohammad II dut fuir vers l’ouest et mourut plus tard en exil sur une île de la mer Caspienne. Son fils Jalâleddin, en mesure de résister militairement, peu ou prou, contre les Mongols, réussit en même temps à remporter la victoire dans plusieurs batailles contre les contingents de l’armée mongole mais pas contre Gengis Khân lui-même. [3]
L’attaque militaire de l’armée de Gengis Khân fut très brutale. Il existe de nombreux documents rapportant le nombre de soldats mongols qui envahirent l’Iran. Cependant, la majorité semble être exagérée. Dans une publication antérieure, Desmond Martin (1943, p. 43) critique déjà le fait que l’armée de Gengis Khân ait attaqué la Perse de Khwarazm avec 700 000 soldats et soutient qu’une analyse plus attentive des documents historiques révèle que les triomphes mongols reposaient plus sur une organisation, une discipline et un parfait commandement que sur le grand nombre de soldats. Cela signifie que l’armée mongole avait des compétences stratégiques et tactiques remarquables. [4] Un contemporain de l’invasion mongole en Europe centrale explique qu’ "Il n’y a personne au monde qui réussisse comme les Mongols, de par leur habilité dans l’art de la guerre, à vaincre un adversaire sur terrain libre." [5] Desmond Martin (1943, p. 43) estime que Gengis Khân marcha contre la dynastie Jin en 1211 avec une armée de 110 000 soldats (un sixième de la force militaire chinoise). En 1219, Gengis attaqua la Perse de Khwarezm avec une armée de 150 000 soldats contre une armée de 300 000 soldats de Khwarezm. [6] Mais la résistance khwarezmite contre les forces mongoles fut féroce. [7] L’historien iranien du XIIIe siècle, Joveyni, décrit comment l’armée de Gengis Khân accula les troupes de Jalâleddin sur les rives de l’Indus : face à la défaite imminente, Jalâleddin ordonna à ses troupes de jeter tous ses trésors dans le fleuve en furie. Puis il plongea lui-même dans le fleuve et s’échappa. Gengis Khân, s’étonnant de son audace, ordonna à ses soldats d’arrêter la poursuite et dit à ses fils : "Un père doit avoir un tel fils." [8]
Néanmoins, il est important de noter que les Mongols ne furent pas les premiers ni les seuls à utiliser le tir à l’arc à cheval, la technique de flèche du Parthe et l’équitation sur la steppe. Différentes civilisations utilisaient déjà ces techniques, comme les Parthes. En outre, les Parthes et les Scythes utilisaient déjà les méthodes d’évasion et d’encerclement avant les Mongols. L’armée mongole était typique pour sa résistance. [9] Se basant sur le livre Jâme’ al-Tavârikh de Rashideddin Fazlollâh Hamedâni, (1995/1374), Smith (1975, p. 273) affirme que le nombre de soldats mongols recensés à la suite de la réunification mongole en 1206 était de 95 000 ou 96 000 plus un tumen (dix mille) gardes, ce qui faisait 105 000 à 106 000 soldats. Après la victoire de Jochi sur divers "peuples de la forêt" en 1207, 20 000 soldats de ces peuples vaincus comme les Oyirads, Kirghizes et autres tribus se joignirent aux Mongols. Par la suite, avant le début de la campagne dans le nord de la Chine en 1211, le nombre total de soldats réguliers, de gardes de Khân et des soldats de la famille s’élevèrent à 134 500. [10] Dans Jâme’ al-Tavârikh, Rashideddin Fazlollâh Hamedâni estime le nombre des soldats mongols au moment de la mort de Gengis Khân à 129 000. [11]
Cependant, Smith (1943, p. 274) met l’accent sur le fait qu’il s’agissait du nombre de soldats durant la période précédant le début de l’expansion impériale. Malgré le fait que les forces mongoles étaient dépassées en nombre par leurs adversaires, il ne faut pas oublier que les Mongols recevaient des renforts turc, toungouz, tibétains et dans une certaine mesure même des troupes russes, géorgiennes et chinoises. [12]
La stratégie de combat et l’état d’esprit mongol comprenaient les facteurs suivants :
3.1 La guerre psychologique : Les Mongols exagéraient leurs propres victoires pour démoraliser les adversaires avant et pendant la bataille (la propagande). Les Mongols commençaient à recueillir autant d’informations que possible sur l’ennemi avant la bataille. Les espions et éclaireurs recueillaient des informations sur les points faibles de défense de leurs adversaires, spécialement sur la rivalité entre les alliés qui pouvait être utile par la suite, ainsi que sur les routes, les prairies, et les conditions météorologiques. En même temps, ils informaient la population pauvre sur la libération qu’ils allaient apporter, et la population riche sur la facilité du commerce qu’entraînerait leur victoire, mais ils exagéraient avant tout au sujet du nombre de leurs propres troupes, leur cruauté et leurs massacres. [13]
3.2 La philosophie de la guerre : Un autre facteur stratégique important pour le succès des Mongols était leur philosophie de la guerre impliquant les aspects suivants : a) ne jamais perdre de vue l’objectif global dans la bataille (l’objectif étant de gagner une guerre et non uniquement une bataille), b) utiliser une discipline de fer avec une pratique constante de la chasse, c) battre l’adversaire avec une mobilité constante, d) utiliser la force contre la faiblesse au combat, e) survivre (contrairement à d’autres cultures, les Mongols n’avaient pas de troupes suicidaires et évitaient les combats individuels), e) la position des commandants mongols qui se plaçaient toujours entre leurs armées pour combattre à leur côté (cependant, les généraux étaient placés à l’extérieur du champ de bataille pour diriger les soldats) et f) les Mongols ont toujours choisi le lieu de bataille avec leurs adversaires.
3.3 Les tactiques de la guerre :
a) Le rôle des éclaireurs : Les éclaireurs, qui étaient des archers à chevaux légers, représentaient les premiers soldats mongols entrant en contact avec les adversaires et testant la puissance et la réaction de l’ennemi à tirer des flèches. Si les corps principaux de l’ennemi étaient faibles et peu nombreux, les éclaireurs pouvaient les vaincre. Sinon, les éclaireurs se retiraient. [14] Les archers à chevaux-légers représentaient les forces d’avant-garde mongoles, qui tuaient à distance leurs ennemis par les flèches et qui étaient suivies par les lanciers lourds à cheval qui pénétraient les rangs ennemis et tuaient les survivants.
b) Séparer les adversaires dans les groupes et les vaincre : Pour atteindre cet objectif, les forces mongoles essayaient d’étendre leur front militaire aussi loin que possible, et d’attaquer leurs adversaires avec plusieurs groupes d’archers à chevaux-légers. [15]
c) Utiliser les attaques par vagues : Pour ce faire, les Mongols commençaient leurs différentes attaques l’une après l’autre telles des vagues. Pour atteindre cet objectif, ils mettaient en place une formation militaire de cinq rangs dont chacun était séparé par de larges intervalles. Les deux premiers rangs étaient composés par la cavalerie lourde, armée de lances et de sabres et montée sur des chevaux cuirassés. Les trois rangs suivants étaient composés par la cavalerie légère armée d’arcs composites et de javelots, et portant des armures plus légères. Quand la bataille commençait, les archers à chevaux légers avançaient à travers les écarts dans la cavalerie lourde en tirant leurs flèches et en jetant leurs javelots [16] ;
d) Attaquer avec la stratégie à trois broches (attaquer à la fois au milieu et par les flancs ; formation à trois broches) : Après l’attaque précédente, les ailes de la cavalerie légère commençaient à encercler les adversaires pour les attaquer au niveau du flanc.
e) Attaquer tous les côtés de l’armée ennemie simultanément de sorte que les unités ennemies ne puissent s’aider entre elles : Cette tactique comprenait les attaques sur les côtés et à l’arrière. Cette tactique est également connue sous le nom de tulughma [17]. En ayant recours à cette tactique, les forces mongoles attaquaient sans cesse par petites escarmouches à des angles différents.
f) Avancer et battre en retraite pour tendre une embuscade : Les archers à chevaux-légers mongols feignaient la panique en plein milieu de la bataille pour entraîner l’ennemi dans une chasse mortelle. [18] Cela signifiait que quand la cavalerie légère entrait en contact avec l’ennemi et que celle-ci était repoussée par la détermination de l’adversaire, elle se retirait tranquillement tout en continuant à tirer avec des flèches. [19]
g) Concentrer la cavalerie lourde sur un point d’attaque et puis étaler les forces (formation de coin) : Après que l’ennemi ait été affaibli par les flèches des arcs (puissance de feu), les tactiques de choc et la mobilité de la cavalerie légère mongole, la cavalerie lourde commençait à attaquer avec les lances pour finalement tuer le reste des troupes ennemies.
h) Utiliser les armes de siège pour attaquer les fortifications : Initialement, le talon d’Achille des Mongols était la conquête des fortifications et des villes fortifiées, et ce car les troupes mongoles préféraient la guerre à champ ouvert. Mais avec l’aide d’ingénieurs chinois et musulmans et leurs engins de siège, les Mongols ont finalement appris à attaquer les fortifications. [20] L’une des caractéristiques les plus impressionnantes de la guerre de siège menée par les Mongols était le savoir-faire de leurs unités de siège notamment dans l’exploitation de la topographie et des milieux naturels autour d’une ville assiégée. Les Mongols détournaient les rivières, construisaient des barrages, des remparts de boue ou des murs de briques afin d’isoler la ville et de la couper de son environnement. [21]
Sous leur armure, les guerriers mongols préféraient utiliser des sous-vêtements en soie chinoise. La raison était que cette étoffe pouvait arrêter les tirs de flèches ennemis tirés à une longue distance. La soie étant une matière résistante, les flèches pénétrant l’armure ne pouvaient pas transpercer la soie, et si d’une manière quelconque une flèche avait pénétré la peau humaine, la soie pouvait rester intacte. De cette façon, on pouvait retirer la flèche de la plaie en tournant la soie. Par dessus les sous-vêtements de soie, les guerriers portaient les vêtements mongols typiques : un manteau lourd fixé par une ceinture de cuir.
L’armée mongole était répartie en cavalerie lourde et cavalerie légère. Chaque membre de la cavalerie lourde mongole portait une longue lance avec un crochet attaché à la tête de lance pour desseller l’ennemi. Parfois, il portait une hache ou une masse. [22] Ziegler et Hogh (2005, p. 60) soutiennent que la lance de cavalerie lourde mongole faisait quatre mètres de long et que les membres de la cavalerie lourde portaient non seulement un sabre, mais aussi une hache. La cavalerie légère portait un sabre légèrement courbé ou une épée courte ainsi que deux à trois javelots. [23] Dans le catalogue Dschingis Khan und seine Erben : Das Weltreich der Mongolen (2005, p. 83, cat. 56), on peut voir un sabre mongol de la cavalerie. Ce sabre date du XIe siècle et vient d’Arcatdel, dans la province de Bajanchongor. Il est légèrement courbé et mesure 93 cm de long. La poignée du sabre est en bois. La lame a un tranchant mais près de la pointe, la lame a une partie à double tranchant. Le fourreau est en bois et composé de deux parties initialement recouvertes de cuir. Chaque soldat menait trois chevaux. Grâce à la viande séchée que la cavalerie mongole portait dans des vessies de vache, les guerriers mongols pouvaient se nourrir pendant des semaines. [24]
Chaque guerrier mongol de la cavalerie légère portait deux versions de l’arc composite mongol : une version légère pour le tir à l’arc à cheval, et une version lourde pour l’utilisation sur de longues distances. [25] L’arc composite était l’arme principale des guerriers mongols. [26] En comparaison avec les autres arcs composites traditionnels, l’arc composite mongol était de taille plus petite que l’arc long européen avec ses doubles courbures. On fabriquait l’arc composite avec plusieurs éléments étroitement associés pour former l’âme en bois contrecollée de tendon au dos et de corne sur sa face interne. On utilisait la souplesse de branches recourbées, légères et courtes, dans lesquelles beaucoup d’énergie pouvait s’accumuler lorsque l’arc était tendu. La forme de l’arc composite détendu était semblable à un C fermé. Les doubles courbures servaient à conférer plus de force à l’arc composite en comparaison aux branches droites. Elles réduisaient également la taille de l’arc et permettaient un transport aisé. Les deux branches étaient fixées sur la poignée de l’arc composite et étaient séparées l’une de l’autre par une jonction. Ensuite, par le même procédé, chacune des branches recevait son levier. L’âme était ensuite assemblée et séchée. C’est la raison pour laquelle ce type d’arc était appelé arc composite. On peut voir dans le catalogue Dschingis Khan und seine Erben : Das Weltreich der Mongolen (2005, p. 83, cat. 567), un arc composite mongol. L’arc date du XIe siècle et provient d’Arcatdel, dans la province de Bajanchongor. Il est fait de bois, de tendons et de corne. Les guerriers mongols étaient maîtres dans l’art de la cavalerie et du tir à l’arc, mais aussi dans celui de la fausse retraite. Les guerriers mongols simulaient la retraite à un moment critique de la bataille et lorsque leurs adversaires les suivaient, les Mongols se retournaient pour les noyer sous une pluie de flèches.
Chaque guerrier mongol de la cavalerie légère portait un carquois rempli de différents types de flèches. Pour tirer à longue distance, les archers mongols utilisaient des flèches légères avec des petites pointes de flèches. Grâce à cette méthode, il était possible de percer l’armure de l’ennemi. Sur courte distance, ils utilisaient des flèches plus longues avec de grandes pointes de flèches. [27] Chaque carquois contenait 30 flèches. [28] Pour durcir leurs pointes de flèches, les guerriers mongols chauffaient celles-ci à blanc et les trempaient ensuite dans de l’eau salée.
Les manuscrits de l’époque réfèrent à l’existence de trois types d’armures utilisées par les guerriers mongols : a) en cuir, b) à écailles de fer et c) en maille. Pour faire une armure en cuir, on attachait diverses pièces de cuir, auparavant bouillies pour être plus souples et qui étaient réunies pour ensuite former une armure dure et flexible. Pour imperméabiliser les différentes sections de cuir, on les recouvrait d’une laque brute faite de goudron. John Plano de Carpini explique que les Mongols avaient une armure en fer qui se composait de minces plaques de métal. Chaque plaque avait une largeur de la taille d’un doigt et une longueur de la taille d’une main. On attachait ensemble une série de plaques par des lanières de cuir pour faire une armure lamellaire. [29] Friar William [30] (environ 1254) décrit qu’il vit deux guerriers mongols qui portaient des hauberts en maille, et les cavaliers lui dirent qu’ils les avaient eus à Kubetschkis dans le Caucase. William explique également qu’il vit l’armure faite de plaques de fer et le casque de fer d’origine persane. [31] Cela montre que l’armure typique des guerriers mongols était une armure lamellaire. Cependant, grâce au commerce les guerriers mongols obtenaient également d’autres types d’armures. William et Vincent de Beauvais (vers 1184-1194-1264) [32] affirment ainsi que seuls les guerriers importants portaient une armure, et Vincent de Beauvais estime qu’un guerrier mongol sur dix portait une armure. [33]
La cavalerie lourde mongole portait sur son manteau l’armure lamellaire asiatique composée de petites écailles de fer ou de cuir. Celles-ci étaient percées de trous et cousues avec des lanières de cuir. Les guerriers mongols portaient des bottes de cuir lourdes. Ils portaient également des boucliers de cuir plus légers cependant très résistants. De plus, les boucliers étaient laqués pour les rendre plus résistants à la pénétration de flèches et d’armes blanches. Les chevaux mongols étaient également protégés par une armure de cuir et d’écailles de fer. Pendant l’hiver, les guerriers mongols portaient plusieurs couches de laine sur le corps. Ils utilisaient un casque pour protéger leur tête. La partie supérieure du casque mongol était en métal et les parties couvrant les oreilles et le cou étaient en cuir durci. Les Mongols protégeaient leurs jambes avec des pièces de fer se chevauchant et semblables à des écailles de poisson.
De plus, chaque guerrier portait une pierre à aiguiser pour aiguiser les armes blanches, un couteau, un lasso, un poinçon, ainsi que du fil et une aiguille pour réparer l’équipement. [34] Avec l’aide de la technologie et des ingénieurs chinois et musulmans, l’armée mongole utilisait différents types de catapultes, balistes, trébuchets et lanceurs de pierres.
L’armée des Khorezmiens utilisait différents types d’armes et combinait les tactiques de la cavalerie des guerriers de la steppe avec les formations de l’armée de terre lourde du Moyen Orient comme l’utilisation des éléphants de guerre. [35] Utiliser les éléphants dans un champ de bataille faisait partie de la tradition militaire des Ghaznévides qui avaient emprunté cette tactique aux Hindous. Néanmoins, en raison des différentes conditions climatiques et de l’absence d’un consensus militaire, les éléphants utilisés comme arme lourde ne furent pas très efficaces au cours de la période des Ghaznévides. [36] Ce fut aussi le cas durant la période des Khorezmiens. Lors de la défense de Samarkand contre les forces mongoles, un groupe de soldats Khorezmiens sortit de la ville avec des éléphants. Mais les Mongols répondirent avec la cavalerie légère en se retirant tout en tirant des flèches. Juvayni décrit l’opération comme un jeu d’échecs : "Alors que le chemin du combat se fermait et que les deux parties s’empêtraient sur l’échiquier de la guerre et que les chevaliers vaillants n’étaient plus en mesure de manœuvrer leurs chevaux sur la plaine, ils apportèrent leurs éléphants. Mais les Mongols ne leur avaient pas tourné le dos. Au contraire, avec leurs flèches, ils libérèrent ceux qui étaient tenus en échec par les éléphants et brisèrent les rangs de l’infanterie, et ce alors que les éléphants blessés devenus aussi utiles que des pions tournaient et brisaient beaucoup de monde sous leurs pieds." [37]
Au cours de la période ghaznavide, la formation militaire était constituée de telle sorte que des éléphants marchaient devant les rangs de l’armée suivie par l’infanterie. [38] Les soldats de l’infanterie étaient armés de grands boucliers avec lesquels ils formaient un mur et empêchaient la cavalerie de l’ennemi d’avancer. Ils étaient suivis par les archers. Le rang suivant était composé de la cavalerie et des soldats montés sur des chameaux. De façon similaire à la formation militaire des Ghaznavides et selon la tradition militaire iranienne, l’armée des Khorezmiens était composée d’un centre (le cœur), d’un flanc droit et d’un flanc gauche. Le sultan et le commandant de l’armée étaient placés au milieu. Un ou deux éléphants étaient positionnés sur chaque flanc. [39] Les éclaireurs étaient positionnés sur les quatre côtés. Cepenant, contre les tactiques des guerriers de la steppe, ce genre de formation était inefficace.
Les guerriers khorezmiens utilisaient un type d’épée qui s’appelait tigh [littéralement "lame"] ou shamshir [terme général désignant une "épée" en persan], qui très probablement n’était pas courbée. D’un autre côté, les guerriers Khorezmiens utilisaient une arme qui s’appelait qalâtchuri et était utilisée par les Turcs. Le qalâtchuri était plus long que le shamshir et plus courbé (kaj). A cheval, il causait des coupes plus profondes et coupait mieux grâce à sa courbure. Si la lance se cassait, on pouvait utiliser le qalâtchuri comme un tigh (épée) ou un neyzeh (lance). Les épées étaient faites d’acier Damas et étaient appelées shamshir-e gowhardâr. On fabriquait des lames en acier Damas de Perse ou d’Inde de différents modèles comme rowhinâ, surmân, tarâvateh, turmân et bâkheri. Les épées indiennes étaient connues sous les noms de tigh-e hendi (épée indienne) ou tigh-e kashmiri (épée du Kashmir). Un autre type d’épée portait le nom de rumi (épée anatolienne ou byzantine), d’autres épées fabriquées dans le Turkestan étaient appelées tigh-e tchini (épée de Turkestan) ou tigh-e yamâni (épée yéménite). On utilisait les épées courtes connues sous le nom shamshir-e kutâh. [40] Pour voir un sabre iranien avec une légère courbure du XIIIe au XIVe siècle consulter Komaroff et Carboni (2002, p. 13, fig. 7, cat. 136).
La cavalerie et l’infanterie utilisaient les lances appelées neyzeh et la tête de lance appelée senân. La cavalerie utilisait aussi un type de lance de jet connue sous le nom de shel. Les Khorezmiens utilisaient également l’arc composite connu sous le nom de kamân fabriqué avec plusieurs éléments étroitement associés pour former l’âme en bois contrecollée de tendon au dos et de corne sur sa face interne. Les archers utilisaient une bague d’archer pour protéger leur pouce connu sous le nom de angoshtvâneh. Les guerriers utilisaient différents types de flèches comme tir-e âmâj (flèche pour atteindre la cible), tir-e baqaltâq (flèche contre l’armure de cheval, armure de côté), tir-e bargostovân (flèche pour percer l’armure), tir-e gerân (flèche lourde), tir-e hesâr (flèche utilisée contre les défenseurs d’une fortification), tir-e kelk (un type de flèche composée de canne), tir-e nâvak (guide flèche), tir-e khaftân (flèche pour percer le gambison porté sous les armures), et tir-e zereh (flèche pour pénétrer la maille). Les guerriers protégeaient leurs têtes avec un casque de métal et une coiffe de mailles connus sur le nom de khud. Les guerriers protégeaient leur corps avec une cotte de mailles (zereh) ou des cuirasses (joshan) ou une combinaison des deux. Pour protéger leurs jambes, les guerriers utilisaient une jambière (rânin) et pour protéger leurs avant-bras, ils avaient recours à une pièce d’armure conue sous le nom de sâedin. On protégeait les chevaux avec une armure de cuir recouverte de plaques d’acier ou de fer connue sous le nom de bargostovân. On utilisait différents types de boucliers pour protéger le corps et la tête. Ces boucliers étaient normalement en cuir et ronds (separ-e gerdeh). Certains boucliers en cuir étaient faits de cuir de rhinocéros, particulièrement résistant. D’autres boucliers étaient fabriqués en bois connus sous le nom de separ-e tchubi et parfois en bois de peuplier connus sous le nom de separ-e khadang. Les boucliers grands et larges étaient connus sous le nom de separ-e farrâkh. Un large bouclier de lancier était appelé separ-e neyzeh.
Le haut des remparts était protégé par des planches de bois lourdes appelées takhteh-ye gerân. Pour défendre les fortifications, on jetait de l’huile brûlante appelée roqan-e jushideh et de lourdes pierres connues appelées sang-e gerân sur la tête des soldats ennemis qui escaladaient les murs des fortifications. Les guerriers utilisaient aussi un marteau-piolet connu sous le nom de nâtchakh ou une hache appelée tabar. L’armée avait aussi recours à des frondeurs qui utilisaient pour lancer les pierres des frondes appelées falâkhon. [41]
Comme cet article l’a montré, contrairement à la croyance populaire, le succès des Mongols ne reposait pas sur le grand nombre de leurs soldats. En 1219, Gengis Khân affronta la Perse de Khwarezm avec une armée de 150 000 soldats contre une armée de 300 000 soldats de Khwarezm. De plus, le génie de Gengis Khân dans l’art de mener une guerre joua un grand rôle. La Perse de Khwarezm était divisée à cause de querelles au sein des différents commandements. Avant de s’engager dans toute bataille, les Mongols avaient recours à de la propagande pour effrayer les populations. La formation militaire rigide de Khwarezm, avec des éléphants positionnés devant les soldats construisant un mur de boucliers, ne constituait pas un avantage contre la cavalerie mongole composée d’une cavalerie légère et d’une cavalerie lourde. La formation militaire des Mongols était très fluide et leur permettait de battre en retraite et de tirer des flèches. Après que de nombreux soldats ennemis aient été blessés ou tués, la cavalerie lourde commençait à attaquer pour anéantir l’ennemi. Ces tactiques combinées à des vengeances impitoyables au sein de la population aidèrent les Mongols à conquérir rapidement la Perse. Mais la résistance de Jalâl al-Din Mohammad, le fils du Shâh de Khwarezm Alâ’ al-Din Mohammad II, fut très forte.
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[1] Voir Hassanzâdeh (2007, p. 223) et Azghandi (1998, p. 16-17).
[2] Pour l’invasion mongole de Khwarezm par Gengiz Khân, voir Roux (1993).
[3] Voir Morgan (1988).
[4] Smith (1975, p. 271).
[5] Desmond Martin (1943, p. 43).
[6] Desmond Martin (1943, p. 43).
[7] Voir Farrokh et Moshtagh Khorasani (2012).
[8] Morgan (1988).
[9] Voir Smith (1975, p. 272).
[10] Smith (1975, p. 273).
[11] Smith (1975, p. 274).
[12] Smith (1975, p. 273).
[13] Voir Turnbull (2003, pp. 24-25).
[14] Voir Turnbull (2003, p. 25).
[15] Voir Turnbull (2003, p. 25).
[16] Voir Turnbull (2003, pp. 26-27).
[17] Turnbull (2003, p. 27).
[18] Turnbull (2003, p. 26).
[19] Turnbull (2003, p. 26).
[20] Turnbull (2003, p. 28).
[21] Raphael (2009 , p.362).
[22] Turnbull (2003, p. 19).
[23] Voir Ziegler et Hogh (2005:60) et Turnbull (2003, p. 19).
[24] Voir Ziegler et Hogh (2005:61).
[25] Citent Carpini (voir Turnbull, 2003, p. 18).
[26] Turnbull (2003, p. 18).
[27] Turnbull (2003, p. 18).
[28] Turnbull (2003, p. 18).
[29] Turnbull (2003, p. 20).
[30] Friar William était un voyageur du XIIIe siècle à la Cour des Grands Khâns mongols.
[31] Turnbull (2003, p. 22).
[32] Vincent de Beauvais était un frère dominicain français, auteur, entre autre, d’une célèbre encyclopédie du Moyen Âge.
[33] Turnbull (2003, p. 22).
[34] Turnbull (2003, p. 19).
[35] Farrokh et Moshtagh Khorasani (2012, p. 44).
[36] Hasanzâdeh (2007, p. 222).
[37] Voir Turnbull (2001, pp. 21-22).
[38] Hasanzâdeh (2007, p. 222).
[39] Voir Hasanzâdeh (2007, p. 218).
[40] Farrokh et Moshtagh Khorasani (2012, pp. 44-45) et Mobârak Shâh Fakhr-e Modabbar (1967).
[41] Farrokh et Moshtagh Khorasani (2012, pp. 44-45) et Mobârak Shâh Fakhr-e Modabbar (1967).