N° 99, février 2014

La conquête mongole en Perse, ses causes et ses consequences


Afsaneh Pourmazaheri


La conquête mongole a débuté en Perse en 1219 et s’est prolongée jusqu’en 1221. [1] Elle marqua le début de l’invasion des pays musulmans d’Eurasie. Après avoir battu les Kara-Khitans, l’empire Mongol de Gengis Khân voisinait alors avec les frontières iraniennes de l’Empire Khorezmien, gouverné par Shâh Alâeddin Mohammad. Celui-ci, ayant récemment pris sous son contrôle quelques nouvelles contrées musulmanes, était entré en conflit avec les califes de Bagdad. Il refusait de rendre les hommages dus aux leaders autoproclamés de l’islam et souhaitait être reconnu en tant que sultan de son propre empire. Ce désaccord avait, à lui seul, engendré de nombreux problèmes dans les frontières méridionales et orientales du pays. [2] De plus, c’est dans ces zones que les frontières persanes côtoyaient celles de l’empire Mongol. [3] Malgré cette proximité géographique, l’avancée mongole n’avait pas, au départ, pour cible la Perse. Ainsi, il n’était pas originellement dans l’intention des souverains mongols d’envahir les contrées perses de la dynastie khorezmienne. La preuve en est qu’immédiatement après avoir conquis les territoires voisins de la Perse, Gengis Khân envoya une dépêche au gouverneur de l’empire Khorezmien, Alâeddin Mohammad, dans le but d’établir des liens commerciaux et de le saluer en tant que nouveau gouvernant du voisinage : "Je suis le maître des territoires du Soleil levant tandis que vous régnez sur ceux du Soleil couchant. Je souhaite donc que l’on conclue un solide traité d’amitié et de paix" [4] annonçait-il. L’unification des tribus nomades de la Mongolie ainsi que celles des Turcomans, et même l’invasion de la Chine, eurent lieu en causant relativement peu de pertes humaines et matérielles. [5] Voilà pourquoi cette proposition de paix venant de la part du puissant empire naissant ne fut pas pour déplaire aux souverains iraniens dont l’intérêt allait dans le sens de la ratification d’un traité.

Ruines archéologiques de l’antique Neyshâbour ou Kohandej, définitivement rasée lors de l’attaque mongole, située au sud de l’actuelle ville de Neyshâbour

Or, le roi iranien, Shâh Alâeddin Mohammad, était extrêmement méfiant à l’égard de ce nouveau traité de paix et de commerce proposé par Gengis Khân. Ce sentiment fut renforcé par la lecture des messages envoyés par son ambassadeur à Zhongdou (Beijing) en Chine, dans lesquels étaient rapportés les actes de barbarie des Mongols au cours de leurs assauts répétés contre les appartenances de la dynastie Jin (1115-1234). [6]

Cette alliance irano-mongole fut néanmoins favorisée par l’omniprésence des conflits qui continuaient d’envenimer les relations entre la Perse et le Calife de Bagdad An-Nasir. Qui plus est, Gengis Khân s’était déjà engagé dans une guerre contre la dynastie Jin en Chine septentrionale, et il voulait éviter d’entrer dans une nouvelle guerre avec la Perse. Pour cause : les bénéfices à tirer d’un commerce avec l’un des plus riches pays de la région.

Par conséquent, Gengis Khân dépêcha une caravane de 500 hommes vers la Perse dans l’espoir de nouer officiellement des liens commerciaux avec les Khorezmiens. Or, la caravane fut arrêtée par Inalchuq, gouverneur de la ville iranienne d’Otrar, qui considérait que ce plan n’était qu’une conspiration contre le roi kharezmide et que les membres de la caravane n’étaient que des espions envoyés dans le but de déclencher une guerre. Il est pourtant fortement improbable que Gengis Khân ait projeté de provoquer un conflit ouvert avec la Perse. [7]

Voilà pourquoi il fit preuve de tolérance et envoya de nouveau un groupe de trois ambassadeurs (parmi lesquels un musulman et deux Mongols) afin qu’ils rencontrent le roi en personne et lui demandent de libérer les détenus et de punir les responsables de cette mésaventure. La réaction du Shâh fut non seulement perçue comme un sacrilège déshonorant venant remettre en cause tous les liens établis entre les deux pays, mais elle attisa le feu qui enflamma l’Iran pendant les années qui s’ensuivirent : le Shâh ordonna d’assassiner les membres de la caravane, de tondre deux des ambassadeurs et de décapiter le troisième avant de les renvoyer chez Gengis Khân. [8] Ne pouvant accepter cette infamie, Gengis Khân s’en prit sans tarder à la dynastie khorezmienne dans son ensemble. Les Mongols traversèrent les montagnes de Shan (ou Tian) et atteignirent la contrée de l’empire khorezmien en 1219. [9]

En se rendant sur le champ de bataille (sur la Route de la Soie), Gengis Khân prit soin de rassembler suffisamment d’informations relatives à l’armée du Shâh pour écraser cette dernière en temps voulu. Il renforça ainsi sa défense en choisissant parmi ses guerriers les plus forts, tout en conservant pour sa cavalerie de nomades des méthodes traditionnelles d’attaque, en y incorporant de nouvelles stratégies issues de la tradition chinoise. Le réseau d’espionnage des Mongols était sophistiqué et très élaboré. Ils n’envahissaient jamais une contrée adverse sans avoir mis à jour le potentiel économique et militaire de leurs ennemis. Ce fut le cas de Subutai et de Batu Khân qui passèrent une année entière à se renseigner au sujet de l’Europe centrale avant de s’en aller vaincre les armées hongroise et polonaise au cours de deux batailles. [10]

Empire des Khwârazm-Shâh (1171-1230)

Le nombre réel des guerriers de l’armée de Gengis Khân a toujours fait l’objet de controverses. Il varie selon les témoignages de 90 000 à 250 000 âmes. Mais ce sur quoi les historiens s’accordent est la question de la qualité de ses généraux, les plus habiles et les plus aptes, choisis pour attaquer le roi de Perse. Il eut également recours aux meilleurs corps étrangers des territoires conquis, notamment ceux de la Chine, qui possédaient chacun un point fort - constructeurs de pont, médecins, architectes, cuisiniers, techniciens, stratèges, généraux, etc.

Au cours de l’occupation de la Transoxiane en 1219, tout en bénéficiant des ressources et de la force mongole, Gengis Khân ne se priva pourtant pas d’avoir recours à des catapultes, à l’instar des Chinois. [11] Les catapultes chinoises auraient fait office de projectiles à explosifs. Parmi les Chinois qui servaient dans l’armée de Gengis Khân, certains maniaient efficacement le mécanisme de ces machines de guerre dont étaient privés les Persans. [12] C’est paraît-il durant cette conquête que l’usage des explosifs pulvérulents, notamment la poudre noire, se serait répandu en Asie centrale et au Proche-Orient. Le plus connu, appelé Huochong, était une arme redoutable et très en vogue à l’époque au Moyen-Orient. [13]

Cette incursion inopinée des Mongols en Perse surprit le Shâh, auquel il ne resta d’autre parade que la fuite à l’intérieur de son propre empire. [14] Gengis Khân scinda son armée en deux troupes qui dévastèrent les chemins au sein du pays. Bientôt, la première bataille était remportée et les Mongols, victorieux, dont le nombre atteignait 30 000 âmes, poursuivirent le roi iranien sous les ordres de Djِtchi (fils aîné de Gengis Khân) jusqu’au sud du Khârezm. [15] Quant à l’autre troupe, dirigée par Gengis Khân lui-même, elle entra dans la ville d’Otrar où l’on avait assassiné les 500 commerçants mongols en automne 1219. Après cinq mois de résistance, les portes cédèrent [16] et la ville capitula. Cependant Inalchuq, le gouverneur responsable de cette catastrophe, n’abandonna pas et se retrancha au sommet de sa citadelle pour y faire pleuvoir, à titre de dernier recours désespéré, des tuiles sur les têtes des agresseurs. [17]

Par la suite, Gengis Khân nomma Djebé, l’un de ses meilleurs généraux, à la tête de son armée qui se dirigea vers le sud de la Perse. Lui-même accompagné de Tolui prit la tête d’une armée de 50 000 soldats et se rendit à Samarkand ainsi qu’à Boukhara avec pour objectif d’y faire le siège. Après avoir parcouru le désert, ils atteignirent en toute discrétion les portes de Boukhara. Aux dires des polémologues, cette attaque serait la meilleure des attaques surprises jamais menée et répertoriée dans les annales militaires. [18] La ville de Boukhara protégée par une garnison et des généraux turcs, mais faiblement fortifiée, ne résista tout au plus que douze jours. Un grand nombre de civils furent exécutés sur le champ, des artisans et des jeunes furent envoyés en Mongolie, et le reste de la population fut réduite en esclavage. Les Mongols brûlèrent la ville. Ce ne fut qu’après sa destruction totale que Gengis Khân réunit le reste de la population dans la mosquée principale pour s’y déclarer "envoyé de Dieu" ayant pour mission de punir les infidèles pour les péchés qu’ils avaient commis. [19] Après le ravage de Boukhara, ce fut le tour de Samarkand, où le roi déchu avait cherché asile. En mars 1220, il arriva accompagné de ses deux fils Djaghataï et Ögödei dans une ville qui semblait bien mieux fortifiée que la dernière. Ils avancèrent pourtant, en utilisant des prisonniers en guise de boucliers. En cinq jours, la majorité des soldats périrent et ceux qui survécurent, cédèrent sans hésiter devant les occupants. Il ne resta que quelques défenseurs fidèles au roi qui l’aidèrent à prendre la fuite après la chute de la citadelle. Gengis Khân ordonna l’évacuation totale de la ville, fit réunir et les civils et les soldats qui lui avaient fait face à l’extérieur de la ville, et assista à leur décapitation.

Le roi, suivi par Subِtai et Djebé, les généraux mongols, se réfugia dans une petite île au milieu de la Mer Caspienne en compagnie de son fils Jalâl-ed-din et de ses plus fidèles compagnons, pour y finir ses jours en décembre 1220. Il mourut d’une mort soudaine selon certains, pour cause de pneumonie ou, selon d’autres, en raison du choc subi par la perte de son empire.

Après la prise de Samarkand, ce fut le tour de la ville d’Ourguentch qui, gouvernée par la mère de Shâh Alâeddin Mohammad, était encore aux mains des Khorezmiens. Djِtchi, le fils aîné de Gengis présent depuis le début de la conquête, attaqua la ville par le nord et Gengis, Djaghataï et Ögödei s’approchèrent de cette dernière par le sud. Cette attaque s’avéra l’une des plus difficiles pour les Mongols car la ville d’Ourguentch, bâtie le long du fleuve Amou-Daria, bénéficiait d’une aire marécageuse qui indisposa les Mongols. Malgré un grand nombre de pertes humaines et matérielles, ils parvinrent une fois de plus à mettre le siège devant la ville. Les relations tendues entre Gengis et son fils aîné Djِtchi, à qui il avait promis la ville d’Ourguentch comme récompense, compliquèrent quelque peu la situation. [20] Djِtchi tenta à plusieurs reprises de négocier avec la troupe adverse afin de les persuader de se rendre en évitant ainsi d’inutiles pertes humaines. Cela parut mettre en colère Djaghataï qui incita Gengis à désigner son frère cadet à sa place à la tête de l’armée. Cette décision indigna Djِtchi et brouilla ses relations avec son père et ses frères cadets. [21] Comme le voulait la coutume, les femmes et les enfants capturés furent mis à la disposition des soldats tandis que le reste de la population fut massacré. D’après les écrits de Ata-Malek Juvaini (1226-1283) auteur de Tâ’rikh-i Jahân-Goshâ (Histoire du Conquérant du monde), environ 50 000 soldats mongols attaquèrent Ourguentch et chacun fut chargé de tuer vingt-quatre civils, ce qui veut dire qu’environ un million deux cent mille innocents furent massacrés au cours de cette attaque. Cela peut sembler exagéré mais la prise de cette ville est considérée comme l’une des tueries les plus sanglantes de l’histoire de l’humanité. Après cela s’ensuivit la destruction totale de la ville de Gurjang, au sud de la mer d’Aral. Parallèlement à l’avancée de Gengis dans l’est du pays, son fils cadet Tolui se dirigea à l’ouest vers le Khorâssân à la suite de rumeurs selon lesquelles le fils du roi déchu, Jalâleddin, aurait été en train de réunir une armée contre les attaquants. Parmi les premières villes à succomber devant la force de l’armée de Tolui, on peut nommer Merv, Termez, Balkh, Herat et Neyshâbour. C’est dans cette ville de Tokuchar que le beau-fils de Gengis fut tué et que Tolui, pris de rage, ordonna d’abattre l’ensemble de la population, ainsi que les chats et les chiens, sous les yeux de la veuve de Tokuchar. [22] Puis Toûss et Mashhad furent assiégées et au printemps 1221 la province du Khorâssân passa entièrement sous le contrôle de Tolui qui y laissa sa garnison et s’en fut rejoindre son père.

Territoire des Ilkhânides (1253-1291)

Après la campagne du Khorâssân, l’armée de Shâh Jalâleddin se retrouva déstabilisée. Il réussit pourtant à réunir ses dernières forces et créa une armée dans le sud près de l’Afghanistan pour défier celle des Mongols au voisinage de la ville de Parwan en 1221. Chose étonnante, la bataille se conclut par une défaite honteuse pour la force mongole. L’événement entraina la colère de Gengis qui se rendit en personne sur place pour défaire l’armée de Jalâleddin près de l’Indus. Celui-ci s’enfuit vers l’Inde, après sa défaite, et ne revint en Perse que quelques années plus tard pour venger son père et reconquérir ces territoires. Après avoir détruit les derniers centres de résistance, Gengis Khân obtint le contrôle total de la Perse. La prise de la Perse démontra la force et la barbarie des Mongols auxquelles ils eurent recours pour envahir la Russie du Sud et la Pologne, puis l’Austrie, la mer Baltique et l’Allemagne. [23]

La guerre avec les Khorezmiens souleva le problème de la succession, d’autant plus que Gengis Khân n’était pas jeune et qu’il avait quatre fils belliqueux, ayant chacun de nombreux partisans. Après la prise d’Ourguentch par son troisième fils, Ögödei, Gengis lui confia le trône en tant que successeur. Djِtchi, quant à lui, ne pardonna jamais ce choix à son père et se retira au nord en refusant de le revoir, même quand il reçut l’ordre de se rendre auprès de lui. [24] Les graines de la discorde étaient semées entre les générations futures. Cette amertume passa à ses fils et à ses petits-fils Batu et Berke Khân de la Horde d’Or qui organisèrent un empire turco-mongol gouverné par les descendants de Djِtchi. Plus rebelles que les autres branches de la descendance de Gengis Khân, ceux-ci se retirèrent au nord et prirent le contrôle des steppes russes aux XVIIIe et XIVe siècles. [25] Cette dynastie fut appelée par les Djِitchides eux-mêmes, la Grande Horde. Les Persans et les Arabes appelèrent dès lors leur territoire le Royaume des Tatars ou Khanat de Kiptchak. Cette séparation déplaisait à Gengis Khân qui la considérait comme un danger menaçant l’hégémonie de son royaume. [26]

En 1224, Jalâleddin revint en Perse après quelques années d’exil. Il emprunta la route de Kermân et se dirigea vers la région de Fârs pendant que son frère cadet Ghiâssoddin était en train de reprendre les territoires iraniens du Khorâssân, Koumesh, Rey et Arâk. Atabak Sa’d, son beau-père, le reçut chaleureusement. Après s’être ravitaillé, il se vit dans l’obligation de se battre contre son frère qui s’était insurgé contre lui. Puis il assiégea Shoushtar et Basra dont le calife s’était refusé à s’allier avec lui contre les Mongols. En 1225, il reprit l’Azerbaïdjan et la région d’Arrân et anéantit la dynastie des Atâbaks. La même année, il attaqua Tabriz, réprima l’insurrection des Géorgiens et réduisit en cendres la ville de Tiflis en 1225. [27]

Il défia finalement l’armée mongole en 1227 à Ispahan, mais ses attaques répétées commencèrent à affaiblir ses troupes. Par conséquent, il rentra de cette bataille les mains vides et le cœur gros. [28] Par la suite, il entra en guerre avec la reine de la Géorgie, le calife abbaside ainsi que les Ismaélites sans aucun but militaire ou stratégique, et se retrouva seul et sans allié face aux Mongols. [29] Il tourmenta tellement les habitants de Tabriz et de Ganjeh qu’ils préférèrent se placer sous la protection de l’empire mongol. Sa mort de la main des vengeurs de son frère, ou d’après certains, par un paysan kurde, fut portée sous silence à tel point que trente années plus tard, dans certaines villes, on le considérait toujours en vie et on parlait encore de sa bravoure et de sa vaillance. [30]

La deuxième conquête mongole fut lancée après la mort de Gengis Khân par son fils et successeur, Ögödei Khân. [31] En 1228, il chargea son général et fidèle ami Tchormaghan Noïon de se rendre de nouveau en Perse afin de conquérir les contrées qui avaient échappé à la mainmise mongole notamment Kabul, le Zabolestân, le Tabarestân, Guilân, Arrân et l’Azerbaïdjan. [32] Après la mort de Djalâleddin, l’armée mongole se divisa en trois troupes, l’une se dirigeant vers Diyarbakir jusqu’aux frontières de l’Euphrate, l’autre à Bitlis et la dernière vers Marâgheh et Tabriz. [33]

Quarante ans après la prise de la Perse par Gengis Khân et ses fils, Houlagou Khân, petit-fils de Gengis Khân et frère de Kubilai Khân, entra en Iran en 1255 et fonda la dynastie des IlKhânides au XIVe siècle. Cette nouvelle descendance des Mongols se comportait de manière plus "civilisée" au cours des attaques, et faisait preuve de davantage de savoir-faire dans les affaires militaires. [34] Ils avaient tout prévu à l’avance avant de s’engager dans leur campagne militaire, ayant même tracé l’itinéraire exact de leur expédition, réparé les ponts et les passages qu’ils considéraient comme des obstacles à leur avancée. Ils savaient que pour devenir une puissance durable et défaire le califat de Bagdad et les Ismaélites, il leur fallait éviter tout "amateurisme". [35]

Cette illustration issue d’un manuscrit persan datant du XIVe siècle représente Gengis Khân et trois de ses fils. Le plus jeune, Tolui, est le père de Mِngke et de Hulagou Khân.

Houlagou Khân fonda officiellement sa dynastie en Perse en 1255 et divisa les territoires conquis entre ses fils et ses gouverneurs. Il confia le Khorâssân et Djibal à son fils aîné et son successeur Abaqa Khân et l’Arrân et l’Azerbaïdjan à Yashmout, son fils cadet. Il confia la gestion du pays à son vizir plénipotentiaire Amir Seifeddin Kharezmi qui assura ce poste jusqu’à sa mort en 1262. Houlagou Khân, quant à lui, s’éteignit à l’âge de 48 ans d’une maladie mortelle près du lac Ourmia en 1264. [36] Sa mort sonna le glas de la longue dynastie des Mongols avant la venue, un siècle plus tard, de Tamerlan.

Des dégâts irréparables furent commis par les Mongols, mais ce fut surtout le moral et l’esprit des Iraniens qui furent atteints durant cette longue période. [37] Au cours de ces années de cauchemar, un grand nombre de bibliothèques et de centres scientifiques et culturels furent réduits en cendres ; beaucoup de grandes villes furent dévastées et entièrement ruinées. La vie culturelle et intellectuelle du pays déclina radicalement. Le peuple se désintéressa de son sort et il ne resta plus de place pour l’espoir sur la scène sociale. [38] Par conséquent, un mysticisme du salut se développa par compensation et trouva beaucoup de partisans. Au niveau économique, l’une des raisons les plus évidentes de la stagnation économique de l’Iran fut sans aucun doute la décroissance de la population due aux massacres sans fin des Mongols. Parmi les rares sources qui apportent des renseignements fiables sur ce sujet, on peut citer Djoveyni malgré le fait qu’il ait été l’historien officiel des Moghols. Le carnage mis à part, un grand nombre de personnes furent capturées et envoyées en Mongolie et d’autres moururent de maladie ou de faim. Les Mongols se servaient par ailleurs des civils en tant que boucliers dont la quasi-totalité, exposée aux flèches de l’adversaire, perdait la vie avant que l’armée mongole n’atteigne la ville assiégée. [39]

L’agriculture aussi subit des dégâts irréparables notamment à cause de la destruction des qanâts (systèmes d’irrigation souterraine). Léodo Hartog, historiographe hollandais, note dans son livre L’Histoire des Mongols que les Iraniens avaient construit de vastes structures très élaborées à Khârezm à l’aide desquelles ils conduisaient l’eau du fleuve Amou-Daria aux contrées voisines. Ce système sophistiqué de conduite d’eau avait fait de Khârezm l’une des villes les plus développées de la région. Mais les Mongols détruisirent entièrement la ville et il ne resta rien de ce système. [40] Un autre élément responsable de la dégradation spectaculaire de l’agriculture fut la transformation des champs de culture en pâturage pour le bétail des Mongols. [41] Pour être à l’abri des massacres, les paysans quittaient leurs propriétés et suivaient les nomades, ce qui entraîna très tôt la perte des champs agricoles et les ravages de la famine dans le pays. [42]

Les Mongols étaient tout à fait conscients de la valeur des artisans et des techniciens iraniens et, avant de perpétrer leurs massacres comme à Neyshâbour, à Samarkand, à Merv et à Gorgandj, ils séparaient d’abord les hommes de métier et les envoyaient en Mongolie. Cela détériora encore plus l’état économique de la Perse en accentuant le manque d’effectifs et de personnes qualifiées. [43]

Gengis Khân proclamé Khâghân de tous les Moghols, illustration tirée d’un manuscrit du Jâme-ol-Tawârikh datant du XVe siècle

Quant à la science, elle ne resta pas non plus à l’abri des dangers qui menacèrent tout le pays. Parmi les scientifiques et les hommes de lettres qui en réchappèrent, certains se réfugièrent dans des endroits sûrs notamment en Asie Mineure car ce territoire, dirigé sous les ordres des Seldjoukides de l’ouest, avait toujours résisté à la barbarie mongole. La ville de Mossoul (située en Irak) et ses alentours, étant dirigée par Badreddin Lo’lo, se transforma pour ainsi dire en centre principal des sciences et des savoirs islamiques. Les Atâbaks du Fârs aussi parvinrent à créer un territoire relativement calme et accueillirent tous les savants et les philosophes iraniens qui avaient fui le joug mongol. [44] La majeure partie de la vallée de l’Indus ainsi que le sous-continent indien devinrent un lieu de refuge sûr pour les Iraniens et la dynastie des Esclaves (ou la dynastie Ilbaride (1206-1290)). Elle défendait les valeurs et la culture iraniennes de toute sa force. Cette initiative marque la première grande immigration des lettrés, des artistes, des poètes, des princes iraniens, etc. de la Mésopotamie vers l’Inde. [45]

Contrairement à la stagnation voire la régression de tous les aspects de la vie en Perse qu’elle entraîna, la conquête mongole aida au développement des relations commerciales avec d’autres pays conquis notamment la Chine. Gengis Khân était dès le début très favorable à l’établissement de relations commerciales avec la Perse et connaissait bien le potentiel de ce pays en matière de développement économique. L’établissement du pouvoir mongol dans la plupart des territoires de l’Asie Mineure, du Proche Orient et du Moyen Orient consolida la sécurité des routes et en peu de temps, facilita le transport entre tous ces pays, notamment vers la Chine, leur centre de pouvoir, et la Perse. De plus, la politique étrangère des IlKhânides de la Perse, leur savoir-faire et leur sens de la stratégie militaire, contribuèrent au rétablissement des liens avec le Pape et l’Europe en général d’un côté, et avec la Syrie et l’Egypte de l’autre. [46]

Empire des Khwârazm-Shâh (1170-1230)

Notes

[1Sicker, Martin, The Islamic World in Ascendancy : From the Arab Conquests to the Siege of Vienna (Le Monde Islamique en ascension : Depuis les Conquêtes Arabes jusqu’au Siège de Vienne), Praeger Publishers, 2000, p. 105.

[2Saunders, John Joseph, The History of the Mongol Conquests (L’Histoire de la Conquête Mongole), University of Pennsylvania Presse, 2001, p. 33.

[3Hildinger, Erik, Warriors of the Steppe : A Military History of Central Asia, 500 B.C. to A.D. 1700 (Les Guerriers de la Steppe : une Histoire militaire de l’Asie central), Da Capo Press, 6 novembre 2001, p. 111.

[4Ratchnevsky, Paul, Genghis Khan : His Life and Legacy (Gengis Khan : Sa vie et son Héritage), Wiley-Blackwell Press, Reprint edition, December 1993, p. 120.

[5Nicolle, David, The Mongol Warlords (Les Seigneurs de Guerre Mongols), Brockhampton Press, 2004, p. 132.

[6Soucek, Svatopluk, A History of Inner Asia (Une Histoire de l’Asie Centrale), Cambridge University Press, March 2000, pp. 103-117.

[7Hildinger, op.cit., 2001, p. 115.

[8Prawdin, Michael, The Mongol Empire (L’Empire Mongol), Transaction Publishers, 2005, pp. 15-17.

[9Ratchnevsky, op. cit., 1993, p. 129.

[10Chambers, James, The Devil’s Horsemen (Les Cavaliers du Diable), BkClubEd edition, septembre 1985, p. 89-93.

[11Warren Chase, Kenneth, Firearms : a global history to 1700 (Les armes à feu : une histoire globale jusqu’en 1700), Cambridge University Press, 2003, p. 58.

[12Nicolle, David, op. cit., p. 86.

[13Ahmad Hasan Dani, Chahryar Adle, Irfan Habib, History of Civilizations of Central Asia : Development in contrast : from the 16th to the middle of 19th century (Histoire des Civilisations de l’Asie Centrale), Vol. 5, UNESCO éd., 2003, p. 474.

[14Saunders, J. J. op.cit. P. 37.

[15Morgan, David The Mongols (Les Mongols), Wiley-Blackwell, 2e éd., juin 2007, p. 139.

[16Morgan, David, op. cit., p. 233.

[17Man, John, Genghis Khan : Life, Death, and Resurrection (Gengis Khan : La vie, la mort, la résurrection), Macmillan, 2007, p. 163.

[18Greene, Robert, The 33 Strategies of War (Les 33 stratégies de la guerre), Penguin Books, décembre 2007.

[19Morgan, David, op. cit., p. 234.

[20Nicolle, David, op. cit. p. 133.

[21Saunders, J. J., op.cit. P. 38.

[22Stubbs, Kim, Facing the Wrath of Khan (Affronter la colère de Khan), mai 2006, vol. 23, p. 30.

[23Morgan, David, op. cit., p. 235.

[24Nicolle, David, op. cit. p. 133.

[25Dictionnaire de l’Islam, Religion et civilisation, Encyclopedia Universalis, p. 360.

[26Bosworth, Clifford, Historic cities of the Islamic world (Les villes historiques du monde islamique), Brill, 2007, p. 280 ; George Jehel (dir.), Edition du Temps, p. 266

[27Eghbbâl-Ashtiâni, Abbâs, Târikh-e Moghol (Histoire des Mongols), Enteshârât-e Negâh, 2e éd., Téhéran, 2010, pp. 128-138.

[28Sotoudeh, Hosseingholi, Naghsh-e Mardom-e Irân dar Modâfe’eh az tahâdjom-e Mogholân (Le rôle des Iraniens dans la défense de la Perse contre l’invasion mongole), Université de Téhéran, vol. 2, 1974, p. 411.

[29Eghbbâl-Ashtiâni, Abbâs, op.cit., p. 156.

[30Pârizi, Mohammad-Ebrâhim, "Gereftâriha-ye Ghâem Maghâm dar Kermân va Yazd" ("Les embarras du suppléant du roi à Kerman et à Yazd"), Revue Yaghmâ, n° 340, 1976.

[31Zarrinkoub, Abdolhossein, Rouzegârân, Sokhan, 12e éd. Téhéran, 2011, p. 524.

[32Eghbbâl-Ashtiâni, Abbâs, op.cit. p. 157.

[33Eghbbâl-Ashtiâni, Abbâs, op.cit., pp. 157-160.

[34Aigle, Denise, « Loi mongole vs loi islamique. Entre mythe et réalité », dans Annales Histoire Sciences sociales, 5/2004, p. 971-996.

[35Zarrinkoub, Abdolhossein, op.cit., p. 524.

[36Zarrinkoub, Abdolhossein, op.cit., p. 526.

[37Alamdâri, Kâzem, Cherâ Irân aghab mând va gharb pishraft ? (Pourquoi l’Iran resta à la traîne et l’Occident progressa ?), Tosse’eh, 9e éd., Téhéran, 2003.

[38Alamdâri, Kâzem, op. cit., p. 480.

[39Zibâkalâm, Sâdegh, op.cit., p. 153.

[40Zibâkalâm, Sâdegh, Ma chegouneh mâ shodim ? (Comment sommes-nous devenus nous ?), Rozâneh, 12e éd., Téhéran, p. 141.

[41Alamdâri, Kâzem, op. cit., p. 167.

[42Zibâkalâm, Sâdegh, op.cit., p. 148.

[43Zibâkalâm, Sâdegh, op.cit., p. 153.

[44Kassâï, Nourollâh, "Sagozasht-e dâneshmandân va marâkez-e dânesh dar hamleh-ye moghol" ("Histoire des scientifiques et des centres de recherches pendant la conquête mongole"), Revue Nameh Pajouhesh, n° 4, 1997, p. 296.

[45Mazhar, Mohammad-Salim, "Fârsi sorâyân-e mohâjer dar doreh-ye salâtin-e mamlouk" ("Les poètes persans immigrants à l’époque des sultans Mamlouks"), Revue Nâmeh-ye Fârsi, 1999, n° 13, p. 105.

[46Eghbbâl-Ashtiâni, Abbâs, op.cit. p. 569.


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