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Sur le plan religieux, quatre-vingt-dix-neuf pour cent de la population iranienne est musulmane mais quelques minorités - zoroastrienne, juive et chrétienne - coexistent avec l’islam. Les Arméniens d’Iran, dont le nombre est difficile à estimer, forment une grande partie de la minorité chrétienne qui compte également des Assyro-chaldéens (catholiques de rite oriental) et des Nestoriens, assimilés à l’Eglise orthodoxe russe. Sur le plan ethnique, les Arméniens sont des Indo-européens probablement originaires de Thrace ou d’Asie Mineure. La langue arménienne, qui a son propre alphabet, existe depuis le Ve siècle après J.-C. Langue indo-européenne, elle se divise en trois catégories : la norme classique, qui eut le monopole de l’écrit jusqu’au XIXe siècle, la langue arménienne dite orientale, parlée en Iran et en Arménie, et l’Arménien occidental, parlé en Turquie et au sein de la diaspora.
Proche voisin de l’Iran, l’Arménie a été une province de l’Empire perse sous de nombreuses dynasties, depuis les Achéménides jusqu’au début du XIXe siècle. Au XVIIe siècle, Shâh Abbâs Safavide fit déplacer de cette province un grand nombre d’Arméniens, officiellement pour les protéger des pogroms dont ils étaient victimes de la part des Ottomans, mais surtout pour construire Ispahan, sa nouvelle capitale. Après avoir parcouru des milliers de kilomètres dans des conditions très difficiles, seuls 4 000 Arméniens sur les 20 000 du départ arriveront vivants à Ispahan, secourus par des moines augustiniens portugais. Ils s’installent au nord de la ville, créant la Nouvelle Jolfa - d’après Jolfa, leur ville arménienne d’origine - et pratiquent le commerce entre les pays traversés par la route de la Soie.
Au début du XXe siècle, fuyant les massacres de Turquie puis la révolution soviétique, une nouvelle vague d’immigration arménienne vient grossir la communauté iranienne existante. En dehors d’Ispahan où ils avaient constitué la première communauté, ces nouveaux venus s’installent également à Téhéran - où ils exercent leurs talents dans le travail des métaux et le traitement des peaux - et dans la ville de Tabriz, capitale de la province iranienne de l’Azerbaïdjan de l’Est. Cette ville étant proche de la frontière irakienne, le début du conflit Iran-Irak (1980-1988) verra de nombreux jeunes arméniens quitter l’Iran pour l’Occident chrétien.
Comme les autres minorités religieuses reconnues (chrétienne, juive et zoroastrienne), les Arméniens sont officiellement protégés par la Constitution iranienne de 1979 qui leur accorde la liberté d’accomplir leurs rites religieux et d’enseigner leur religion. La communauté arménienne est représentée par deux députés au Parlement de Téhéran et elle dispose de ses propres écoles et hôpitaux. Dans les lieux communautaires qui leur sont réservés, femmes et hommes peuvent former un même groupe, et les femmes sont autorisées à enlever leur voile. Comme les autres chrétiens, ils sont autorisés à fabriquer de l’alcool et à en consommer, sous réserve de ne pas en faire commerce avec les citoyens musulmans.
Depuis la Révolution islamique de 1979, on estime que près de la moitié des quelque 300 000 chrétiens d’Iran, majoritairement arméniens, ont quitté le pays. Environ 15 000 Arméniens vivraient encore dans la province d’Ispahan, la communauté de Jolfa constituerait à elle seule un refuge pour les quelque 6 000 Arméniens qui l’habitent. Tout en restant discrète, la petite communauté arménienne d’Iran fait tout pour ne pas se faire oublier, comme en témoigne son musée d’Ispahan, dont une vitrine commémore le génocide perpétré en 1915, toujours nié par les autorités turques.
Absorbé de nos jours par la ville d’Ispahan, le quartier chrétien de Jolfa est aisément identifiable par sa cathédrale et ses treize églises arméniennes. Outre la cathédrale de Vank, la plus intéressante sur le plan artistique et architectural, reste la très belle église Sainte-Marie de Bethléem datant de 1628 et surmontée d’un dôme, caractéristique commune aux églises d’Ispahan.
Les parois intérieures de ces deux monuments sont entièrement recouvertes de fresques illustrant avec réalisme le martyre de Saint-Grégoire l’Illuminateur, qui baptisa le souverain arménien en 301 et qui, selon la tradition, demeura dans une fosse pendant plus de treize années puis deviendra le fondateur de l’église chrétienne d’Arménie.
Très active sur le plan artistique et social, la communauté arménienne d’Iran organise régulièrement des événements festifs, notamment dans son grand stade Ararat de Téhéran, centre de la vie communautaire sportive et culturelle des Arméniens de la capitale iranienne. De nombreux concerts, mettant en scène des artistes arméniens très populaires - tel le chanteur de musique pop Tata, gloire de Bakou, capitale de la République d’Azerbaïdjan - y sont régulièrement organisés.
Le registre des musiciens arméniens ne se limite bien évidemment pas ni à la musique pop ni au folklore. La communauté invite régulièrement des grands noms de la musique classique parmi lesquels Loris Tjeknovarian, célèbre compositeur iranien d’origine arménienne, dont l’œuvre majeure est l’opéra Rostam et Sohrâb mettant en scène les héros du Livre des Rois de Ferdowsi. Sa grande popularité lui permet d’organiser des événements musicaux d’une grande ampleur, tout en lui laissant le choix des interprètes et des œuvres. C’est ainsi que Loris Tjeknovarian a organisé pendant toute une semaine, à l’occasion du 250e anniversaire de la naissance de Mozart, une série de concerts dans le cadre prestigieux du grand auditorium de la salle Vahdat de Téhéran. Entre autres œuvres plus attendues - airs d’opéra et sonates pour violon et piano, dont les interprétations valaient déjà à elles seules le déplacement -, Loris Tjeknovarian a dirigé des extraits de la Messe du Couronnement et du Requiem interprétés en latin par un chœur composé en majeure partie de musulmans, à l’exception des quatre solistes et de quelques choristes arméniens.
C’est ainsi qu’à Téhéran, en terre d’Islam, cette communauté, dont le sens artistique est reconnu dans le monde entier, permet à un large public d’écouter des œuvres majeures de la culture chrétienne occidentale, procédant alors au rapprochement des deux cultures, la musulmane et la chrétienne, que l’on ne cesse d’opposer, opposition que, bien souvent, seule la musique est capable de transcender.