Le vaste territoire de l’Iran est tel un grand corps constitué de membres aux natures et tissus différents, chacun assurant à leur manière la survivance du corps principal. Les diverses ethnies formant ensemble le peuple iranien, quelles que soient leur langue et leur culture, sont ainsi les membres inséparables du corps nommé Iran.

L’un des membres de ce grand corps est l’ethnie arabe, qui représente environ 4 % de la population iranienne. La plupart de ses membres sont installés au sud du pays, notamment dans les provinces du Khouzestân, de Hormozgân, de Boushehr, ainsi que dans les îles du golfe Persique. Ils vivent également, bien que moins nombreux, dans le Khorâssân, le Fârs et Qom, ou encore à Ilâm, Kermânshâh et Téhéran.

La grande majorité de ces Arabes iraniens sont actuellement établis dans le Khouzestân, région ayant payé le plus lourd tribut humain et matériel durant la guerre contre l’Irak, dont les conséquences se font encore ressentir. Les Arabes y vivent en tribus ayant chacune à leur tête un chef nommé « sheikh ». Les Arabes de cette province vivent majoritairement dans un milieu urbain même si certains, fermiers ou pêcheurs, vivent à la campagne. Un petit nombre d’entre eux continuent à mener une vie nomade - le doux et chaud climat du Khouzestân faisant de cette région le lieu d’élection de diverses tribus nomades durant l’hiver.

Gravure représentant un sheikh arabe dénommé Sheikh Boushehr et son fils dans la ville de Boushehr, 1886

Il existe également les Arabes dits kamari vivant au pied des montagnes Zagros, dans le voisinage des Bakhtiâris. Ils s’y seraient installés durant l’ère safavide et auraient développé d’importants échanges culturels, sociaux et économiques avec les tribus iraniennes de la région, d’où l’existence de nombreux points communs entre leurs coutumes et langues. Ainsi, l’arabe parlé par les kamari est plus proche de l’arabe irakien que de l’arabe du Khouzestân, avec des expressions bakhtiâri. De façon générale, la langue maternelle des Arabes d’Iran reste l’arabe, qui est parlé en différents dialectes selon les régions. Bilingues, ils parlent aussi le persan. Concernant les Arabes du Khouzestân, bien que leur dialecte soit proche des dialectes arabes frontaliers de l’Irak, il a subi l’influence du persan et n’est pas toujours compris par les autres arabophones. Les Arabes iraniens sont pour la plupart musulmans chiites, mais il existe aussi des minorités sunnites.

Il existe quatre hypothèses historiques expliquant la présence des Arabes en Iran. Selon une première version, leur installation dans ce pays remonterait à l’époque préislamique et plus précisément à l’ère achéménide, où l’ensemble des territoires du sud du golfe Persique faisait partie de l’Iran. Par conséquent, une importante population arabe vivait de fait sur le territoire iranien. Selon une seconde version, cette présence daterait de l’époque islamique où, à la suite de l’invasion arabe en Iran, certaines tribus arabes y ont immigré avec les conquérants, à la recherche de meilleures conditions de vie. Selon une troisième, après l’introduction de l’islam en Iran, des nomades arabes sont entrés dans le pays en quête de nouveaux territoires pour s’y établir et de conditions climatiques plus favorables, s’alliant aux Iraniens au travers de mariages, de relations commerciales, etc.

Enfin, selon une quatrième, au cours du califat tyrannique des Abbassides, l’établissement de dynasties chiites locales en Iran a induit un mouvement d’immigration des Arabes chiites réfugiés. [1] Nous pourrions en citer une cinquième [2] , qui situe la présence des Arabes en Iran avant la conquête islamique, mais la fait cette fois remonter à l’ère sassanide, tout en soulignant que leur immigration massive dans ce pays ne commence réellement qu’après la conquête arabe. Il est en effet avéré qu’après la conquête musulmane, un certain nombre d’Arabes en provenance d’Irak se sont progressivement installés dans le Khorâssân et à Neyshâbour. Un autre groupe issu d’Irak et d’Arabie s’installa dans le Khouzestân. D’autres arrivèrent d’Oman ou du centre de l’Arabie, prenant place le long des côtes du golfe Persique, entre Boushehr et Bandar Abbâs. Des tribus arabes s’installèrent dans d’autres villes iraniennes telles que Hamedân, Qom, Qazvin, Ispahan, etc., tandis qu’une tribu nomade d’ascendance arabe et syrienne s’établit dans le Fârs, ainsi que parmi les nomades pastoraux vivant le long des plaines côtières du golfe Persique. La plupart sont des descendants des Arabes venus de la péninsule arabique, en particulier d’Oman. Néanmoins, la grande majorité des Arabes d’Iran habitent actuellement dans les provinces de Hormozgân et de Boushehr.

En résumé, il est certain que l’installation de ces Arabes en Iran ne s’est pas réalisée en une vague d’immigration unique, mais de façon progressive, au gré des événements historiques. Leurs descendants sont aujourd’hui des Iraniens à part entière et vivent aux côtés des autres ethnies de ce territoire, tout en conservant un attachement particulier à leurs origines et leur langue.

Cérémonie de deuil de Hazrat-e Qâsem organisée chaque année par les femmes arabes du Khouzestân

Noyau principal de la société arabe, la famille est considérée comme l’axe essentiel de la vie de chaque individu de cette communauté, et le vecteur de la transmission des valeurs. [3] Bien qu’ayant accepté les atours de la vie moderne, les Arabes d’Iran restent majoritairement fidèles à leurs coutumes et cultures tribales. Cet attachement se manifeste notamment dans leur apparence et leur façon de se vêtir ; les hommes continuant à porter de longues djellabas et les femmes les tchadors arabes, même si la nouvelle génération a tendance à davantage mettre de côté ces pratiques.

Bien qu’ayant leurs propres coutumes comme le fasl [4] ou leurs cérémonies de mariage, les Arabes d’Iran partagent certaines coutumes avec les Iraniens, telles que la fête de Norouz. Le mois du Ramadan est l’occasion pour cette ethnie d’exprimer ses propres coutumes. Au début de ce mois, les Arabes du Khouzestân se rendent chez les personnes âgées de leur famille pour les féliciter de l’arrivée du Ramadan, occasion de beaucoup de visites familiales. Tout au long de ce mois, on s’efforce de ne pas être seul au moment de la rupture du jeûne (eftâr). Des assemblées de prédication sont également organisées dans la plupart des maisons et des centres religieux. Au cours de ces réunions, on sert du café selon des rites propres aux Arabes. Si un Seyyed (descendant du Prophète) est présent, on le servira en premier ; sinon, ce sera le Sheikh ou la personne la plus âgée. [5] Les deux derniers jours de ce mois sont consacrés à la préparation de la fête de Fetr, qui passe notamment par l’achat des victuailles et un grand nettoyage des maisons. Le jour de la fête, après la prière, les Arabes rendent visite à leurs voisins et à leur famille. Toutes les portes des maisons sont laissées ouvertes en cette occasion, l’inverse étant perçu comme un manque de respect vis-à-vis de cette grande fête. Les invités ne restent que quelques minutes dans chaque demeure, les visites se faisant des plus âgés aux plus jeunes. Les nomades arabes fêtent également ce jour en effectuant en chemin des danses folkloriques, et se rassemblent ensuite chez le chef de la tribu pour y lire des poèmes. [6]

Les noces des Arabes du Khouzestân sont également une bonne occasion de découvrir leurs spécificités culturelles. Avant de demander la main d’une jeune fille, l’homme arabe doit s’assurer qu’aucun membre de la famille de sa future épouse n’est opposé à ce mariage. Ceci est considéré comme une marque de respect vis-à-vis de la famille de cette dernière. Après s’en être assuré, il peut demander la main de la jeune fille. Si la famille de la future mariée l’autorise, la mère du prétendant se rend chez elle pour échanger les premières paroles entre femmes. Si elles s’entendent, le prétendant et sa famille apportent une bague, un tchador arabe, du tissu ou des vêtements pour la jeune fille, inaugurant ce qui est proche du concept de fiançailles.

Membre d’une tribu nomade arabe du Khouzestân

La réunion officielle de demande en mariage (khotbeh en arabe) comporte ses rites particuliers. Après avoir consulté ses frères s’il en a, le père de la jeune fille donne une réponse positive à la famille du prétendant et se prépare à déterminer le douaire (mehrieh en persan, sedâq en arabe). En outre, la famille du prétendant offre à celle de la jeune fille une somme d’argent pour acheter la dot (djahâz). Cette réunion masculine a lieu chez la famille de la future mariée et si possible dans un grand salon, en présence des personnes âgées et notables du clan. Les femmes restent quant à elles dans une autre pièce. Lorsque les hommes se sont accordés sur le sedâq, leur réunion prend fin en prononçant une formule spéciale de bénédiction du Prophète et de ses descendants (salavât). On reçoit ensuite les convives en servant du café, du thé, des friandises, etc. Avant le mariage, le futur marié doit également acheter du tissu pour la mère, les sœurs et les belles-sœurs de son épouse.

L’étape suivante est la cérémonie du mariage (’ors en arabe). La mariée porte généralement une robe blanche et son mari un costume, mais dans certaines régions, il revêt l’habit traditionnel des hommes arabes. Lorsqu’elle emmène la mariée chez son futur mari, la mère et d’autres femmes et filles parentes de celui-ci produisent un son appelé helheleh avec la langue en posant la main au-dessus de la bouche, et ce, pour exprimer leur joie.

Au moment de l’entrée du jeune couple lors de la cérémonie de mariage, on immole un mouton (fedyeh en arabe) afin qu’il soit protégé de tout malheur. Après le festin de noces (valimeh), quand la cérémonie touche à sa fin, les proches du marié accompagnent le couple jusqu’à la chambre nuptiale en dansant, chantant des poèmes, et en leur souhaitant succès et bonheur. Une semaine après, la famille du marié doit inviter les proches de leur bru. C’est alors la première fois depuis son mariage que la jeune mariée voit sa propre famille. Ce sera ensuite le tour des amis et parents d’inviter tour à tour le nouveau couple. [7] Ces us et coutumes diffèrent cependant parfois quelque peu selon les villes de la province du Khouzestan.

Notes

[1Helâli, Nâser, Ghowm-e bozorg-e arab dar Irân (La grande ethnie arabe en Iran), en ligne.

[2Articles sur les Arabes d’Iran en persan et en français publiés sur Wikipedia.org.

[3Barakât, Halim, traduction : Basiri, Hodâ, Hoviat-e arabi az chandgânegi ta yekpârchegi : Khanevâdeh-ye arab (L’identité arabe, du pluralisme à l’unité : la famille arabe), en ligne.

[4Le fasl consiste en une coutume arabe de dédommagement à l’amiable de tout préjudice, hors du système judiciaire.

[5Ashen’â’i ba âdab va rosoum-e mardom-e ostân-e Khouzestân dar mâh-e mobârak-e Ramazân (Connaissance des coutumes du peuple de la province du Khouzestân au mois béni de Ramadan), Hamshahri online.

[6Arab-hâye Irân va âeen-hâye eyd-e fetr (Les Arabes de l’Iran et les rites de la fête de Fetr), entretien avec Ghâsem Mansour Al-e Kasir réalisé par ISNA, en ligne.

[7Ghâsem Mansour Al-e Kasir, Aeen-e ezdevâj dar beyn-e mardom-e arab-e Khouzestân (Les rites du mariage entre les Arabes du Khouzestân), en ligne.


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1 Message

  • Les Arabes d’Iran 28 septembre 2017 11:28, par Laurence Lacroix

    Bonjour, je suis en pleine découverte de l’Iran grâce à Nicolas Bouvier et son usage du monde ; éblouie par ce récit, je cherche à le compléter grâce à vos articles passionnants. Merci pour leur qualité.

    repondre message