N° 105, août 2014

Aperçu sur la culture et les coutumes
de la province de Hormozgân


Mahsa Hashemi Taheri


Daprès les sources historiques, le golfe Persique est appelé ainsi depuis l’installation définitive des Perses dans la région au IIe millénaire av. J.-C. Depuis lors, c’est sous ce nom que l’étroite mer est connue. Le nom du port de Hormoz situé sur la côte du golfe Persique vient de son fondateur, le roi sassanide Hormoz, qui a également donné son nom au détroit qui sépare le golfe Persique de la mer d’Oman. Les noms Hormozd ou Ormozd signifient « Dieu unique » ou « Maître savant », et Hormozgân signifie littéralement « territoire de Hormoz ». En 1976, sur la proposition du ministère de l’Intérieur, ce nom local a été officiellement choisi pour désigner cette province côtière qui comprend les ports, les îles du golfe Persique et le littoral de la mer d’Oman. Le port de Bandar Abbâs, jusqu’alors de taille assez réduite, a été agrandi en 1644 sur ordre de Shâh Abbâs le Safavide. Cette région historiquement ancienne possède une culture et des coutumes propres dont nous allons donner un aperçu dans cet article.

Ceux qui ont visité la province de Hormozgân savent bien que la première caractéristique de ses habitants est leur hospitalité. Cette générosité trouve peut-être ses racines dans la situation du golfe Persique, qui fut au cours de l’histoire un véritable carrefour commercial et culturel, et un lieu de rencontre entre des peuples de différentes tribus et des marins venus de tous les continents. En déambulant dans les rues des villes de cette province, on peut ainsi croiser des hommes avec des vêtements arabes - de longues djellabas blanches - ainsi que des femmes aux vêtements noirs et aux pantalons bouffants propres à la région, ainsi qu’avec des masques-voilettes de cuir décoré qui leur recouvrent le haut du visage. 97 % des habitants de Hormoz parlent le persan ou des dialectes issus du persan, et une minorité s’exprime dans des dialectes arabes ou indiens.

Confection de masques féminins, province de Hormozgân. Photo de Amir Rezâ Fakhri

Les fêtes et les coutumes festives dans le Hormozgân

Les fêtes et les cérémonies traditionnelles sont très prisées par les habitants de cette région, qui les préparent avec minutie, en suivant des traditions locales particulières et propres à la province. La fête islamique du Sacrifice (eyd-e ghorbân) offre par exemple aux habitants l’occasion de perpétuer des traditions propres à leur région. Parmi elles, figure la visite aux défunts le matin de la fête, suivie d’une grande ablution rituelle et de rassemblements à la mosquée. Cette fête est aussi l’occasion pour des amis brouillés de se réconcilier. Dans cette région, la fête du Sacrifice dure trois jours, durant lesquels les familles se rendent visite. La fête de la fin du mois de Ramadan et celle de la naissance du Douzième Imâm des chiites est également l’occasion de commémorations joyeuses et bon enfant.

Les noces : Dans cette région de l’Iran, les noces sont organisées selon des cérémonies propres à la province de Hormozgân. Cette cérémonie commence avec la « demande en mariage » (khâstegâri), traditionnellement faite par la mère du futur marié. Pour ce faire, la mère, la ou les sœurs de l’homme, accompagnées de quelques autres femmes mariées de la famille rendent une visite officielle de demande en mariage à la famille de la jeune femme. En cas d’acceptation de la demande, la seconde famille répond, en prenant son temps, et de nouvelles rencontres sont organisées. Sinon, un prétexte quelconque suffit pour refuser la demande. Si les deux parties s’accordent, la mère du gendre invite d’autres femmes chez elle. Elles achètent un collier ou une médaille en or, une alliance, des vêtements, des fruits et des gâteaux, et rassemblent une certaine somme d’argent, puis vont rendre visite en groupe à la mère de la future mariée pour lui offrir ces cadeaux.

Les frais des trois jours que durent les noces, ainsi que ceux des vêtements sont à la charge du marié. En ce qui concerne le douaire, le père de la fille le reçoit en liquide, et le nombre exact de pièces d’or le composant est enregistré dans l’acte de mariage. Le douaire d’une mariée est généralement plus élevé à la campagne qu’en ville. Le douaire de la fille d’une famille riche est également très élevé. Si les deux familles se connaissent déjà ou vivent dans le même quartier, la somme du douaire sera moins élevée.

Quelques cérémonies locales du Hormozgân

Le littoral nord du golfe Persique est historiquement marqué par la difficulté d’accès aux régions septentrionales du fait de l’existence de chaînes montagneuses. La proximité de la mer et la séparation géographique générée par le relief ont occasionné au fil du temps une culture propre à la région, aux traditions et aux coutumes n’existant nulle part ailleurs en Iran. Parmi elles, nous pouvons notamment citer la « cérémonie du panier », le « sacrifice pour la pluie », le « jour des morts », les moloudi aux rituels spécifiques locaux et les cérémonies de prière dans le sanctuaire de Seyyed Mozaffar (un descendant d’Imâm).

Cueillette de dattes à Minâb, province de Hormozgân. Photo de Fakhri

La cérémonie du panier : Cette tradition courante dans la région de Hormozgân est unique en Iran. Quand un enfant âgé de 18 mois ou plus ne peut pas encore bien marcher, ses parents appellent les enfants des voisins, mettent leur enfant dans un panier et le leur confient. Ces derniers prennent les bords du panier et l’emmènent à six maisons de distance au moins, en lisant devant chaque porte un poème particulier. Les enfants de chaque maison où l’on fait escale se rajoutent ensuite à la procession. Ce "tour" dure près de deux heures. A la fin de la cérémonie, les enfants rendent le panier avec l’enfant à ses parents. La croyance locale voudrait que l’enfant puisse marcher après l’accomplissement de cette procession.

Le sacrifice pour la pluie : D’après une tradition ancienne, tous les ans, dans cette province et surtout à Gheshm, les habitants sacrifient quelques moutons et préparent un ragoût que l’on sert généralement avec du riz. Ils distribuent ensuite ces repas aux pauvres. Cette cérémonie a pour but de susciter la pluie à une période bonne pour les récoltes. Les repas sont distribués à la campagne et chaque étape du voyage de distribution est précédée de prières. Les réserves d’eau sont ensuite vidées dans l’attente de la pluie à venir.

La Fête du jour des morts : Dans le village de Pir Tchogân, il existe une cérémonie de pèlerinage connue sous le nom de « Jour des morts ». Durant la journée où se tient cette cérémonie, la matinée est consacrée à la préparation de plats, de pâtisseries ou de fruits qui seront distribués gratuitement. Le reste de la journée est dédié à des prières et des récitations du Coran pour la paix de l’âme des défunts. Finalement, en soirée, un hôte se propose pour offrir le dîner à tout le monde.

Le jour du Damour : Dans la ville de Roudân, quelques jours avant le Nouvel An, les familles accompagnées de leurs enfants vont à la campagne, en particulier aux palmeraies. Ils déjeunent puis, en utilisant les feuilles des dattiers nommées chilak, tissent des cordes et fabriquent des balançoires appelées damour pour les enfants. Les jeux de balançoire se poursuivent ensuite jusqu’au soir, qui marque le retour à la maison. Ce rite tend cependant aujourd’hui à tomber en désuétude.

Norouz : En tant que l’un des événements festifs les plus importants de la culture iranienne, les coutumes et traditions festives de l’antique Nouvel An iranien sont toujours associées à des cérémonies et traditions locales particulièrement variées. Cependant, dans la province de Hormozgân, probablement en raison de son voisinage avec les pays arabo-musulmans du golfe Persique, Norouz est fêté avec moins de fastes qu’ailleurs en Iran. Ainsi par exemple, la fête à l’origine zoroastrienne du tchahârchanbeh souri, qui se tient le dernier mardi soir de l’année, n’est pas tenue dans la région. De même que les rites des derniers jours de Norouz comme le Sizdabedar, les habitants consacrant ces derniers jours à leurs coutumes locales, notamment le Damour ou la Fête du jour des morts, etc.

Les fêtes religieuses : Les fêtes des habitants d’Hormozgân sont de quatre types : nationales, privées, locales et religieuses. Les fêtes et commémorations religieuses festives nommées moloudi sont courantes partout dans le pays. Elles sont tenues indifféremment dans l’espace privé et familial ou dans les mosquées. Sur l’île de Gheshm, les plus importants moloudi sont ceux qui célèbrent la naissance du prophète Mohammad, son ascension nocturne (me’râj), celui de la fête de Fitr qui clôt le mois de ramadan, ainsi que celui de la Fête du Sacrifice (ayd-e ghorbân). Les habitants de cette province sont plutôt religieux, c’est pourquoi les fêtes et les traditions religieuses tiennent une place importante dans leur vie.

L’une des cérémonies religieuses anciennes de cette province est celle de « la demande de pluie », que nous avons évoquée plus haut. Cette cérémonie préislamique a gardé de l’époque islamique une sacralité particulière, bien que les rites ancestraux se soient depuis longtemps islamisés. Durant les années sèches, cette cérémonie de prière est tenue dans les mosquées.

Les traditions du deuil dans le Hormozgân pendant le mois de Moharram : La journée de l’Ashourâ, qui marque l’apogée de la commémoration annuelle du martyre de l’Imâm Hossein et de ses compagnons, est l’occasion dans tout l’Iran de l’organisation de cérémonies nationales et locales. Dans la province de Hormozgân comme dans tout le sud de l’Iran, les rites de cette journée sont remarquables du fait de leur spécificité vis-à-vis du reste du pays.

L’un de ces rites est la « procession de l’étendard », qui date du XVIIe siècle. Durant cette procession, deux étendards principaux, symboles de la famille du Prophète de l’islam, sont transportés par des chemins déterminés qui quadrillent l’ensemble de la ville. En chemin, d’autres processions porteuses d’étendards symbolisant les autres Imâms rejoignent les processions principales. A la fin, les processions se rejoignent et accomplissent les cérémonies de deuil. On peut notamment assister à cette tradition tous les ans dans la ville de Minâb. Les étendards sont faits en bois de figuier et ornés de tissus colorés. Chaque année, ce rite attire des visiteurs notamment venus d’autres pays du golfe Persique. Parmi les cérémonies qui accompagnent ces processions, il y a aussi un duel d’épée symbolique, à la chorégraphie spécifique, exécuté avec deux épées en bois et deux pierres tenues par une même personne qui les frappe l’une contre l’autre. Ce geste est accompagné de pas et de chants funèbres. On appelle aussi cette cérémonie tchaktchakou, onomatopée qui fait référence au bruit des pierres ou des bois lorsqu’ils se heurtent.

L’Imâmzâdeh Seyyed Mozaffar à Bandar Abbâs, une nuit de la Destinée (Laylat al-Qadr) durant le mois de Ramadan

Un autre rite de la province d’Hormozgân au mois de Moharram s’appelle Moharramâ. Durant les trois premiers soirs de ce mois, deux groupes chantent alternativement des poèmes décrivant le martyre de l’Imâm. Ces mêmes groupes organisent également des processions durant lesquelles un cercueil symbolique orné de tissus colorés, de miroirs et d’épées, est transporté dans la ville, accompagné de chants funèbres et de pièces musicales exécutés avec les instruments de musique régionaux.

Au niveau culinaire, l’une des traditions courantes et propres des habitants du Hormozgân durant le mois de Moharram est la préparation de halim (mets composé de viande, blé, cannelle, sucre et beurre fondu) dans des cuves en terre, avec des recettes différentes d’un lieu à l’autre. La cuisson commence dès les premières heures du 5e jour de Moharram et dure jusqu’au coucher de soleil. Les plats sont ensuite distribués.

Les cérémonies du sinezani (pratique consistant à se frapper la poitrine en signe de deuil durant le mois de Moharram) pratiquées dans tout l’Iran sont également remarquables dans le Hormozgân, du fait de leur chorégraphie et des chants psalmodiés sur les rythmes musicaux propres aux parlers locaux et à la thématique marquée par la culture régionale.

Les coutumes du mois de Ramadan : Le mois de Ramadan, neuvième mois du calendrier hégirien lunaire, est pour les musulmans du monde entier un mois providentiel durant lequel sont organisées des célébrations internationales, nationales et locales. Les habitants du Hormozgân ont aussi leurs traditions propres à ce mois béni. Parmi les vieilles traditions toujours existantes, on peut notamment citer celle du Gomgom de l’aube. Son but est de réveiller les gens pour qu’ils se nourrissent avant l’aube, qui marque le début du jeûne quotidien. Elle consiste à jouer deux fois de la musique, notamment du tambour local, la première fois une heure avant l’appel à la prière et la seconde fois au moment exact du commencement du jeûne. A Jâsk, où cette coutume est toujours régulièrement pratiquée, elle est appelée Saharou. Des habitants se proposent ainsi pour frapper à la porte des voisins et à jouer de la musique pour les réveiller et annoncer l’aube prochaine en disant "Saharou", c’est-à-dire « C’est bientôt l’aube. »

Plus de 80 % des habitants de l’île de Gheshm dans le Hormozgân sont sunnites, d’où des rites parfois différents du reste de la région et du pays. Parmi eux figure celui de la lecture de l’intégralité du Coran, accompagné de prières pour les défunts, qui commence le 21e jour du Ramadan. Cette cérémonie dure neuf soirs. Pour préparer les repas que l’on prend pour rompre le jeûne, quelques familles se réunissent dans une même maison pour les préparer ensemble. Dans le Hormozgân, on rompt généralement le jeûne en prenant du thé léger et des dattes. Un quart d’heure plus tard, des aliments assez légers suivent, comme le fereni (bouillie composée de farine, de riz, de lait et de sucre), des gâteaux secs, du pain local, un plat sucré nommé ranginak, ou encore le décho (du riz cuit dans du jus de dattes). Les repas sont généralement partagés entre les voisins.

La fête de Fitr clôt le mois du Ramadan. Elle est célébrée partout dans le monde musulman, et les habitants du Hormozgân fêtent également cette journée selon leurs traditions propres. Cela comprend notamment la cuisson de pains, de gâteaux secs et de pâtisseries locales qui commence deux jours avant la fête. Cette journée est aussi l’occasion de l’échange de bons vœux parmi les familles et les voisins, ainsi que l’achat de nouveaux vêtements. De plus, certains organismes publics organisent des compétitions et des jeux très populaires pour les jeunes et les moins jeunes.

Quelques croyances et superstitions de la province de Hormozgân

Dans certaines parties de cette province, en particulier dans le village de Kâseh où les habitants ont conservé nombre de leurs anciennes croyances, des superstitions aux origines mystérieuses attirent l’attention des anthropologues. Par exemple, un cheveu blanc sur la tête d’un jeune est nommé « cheveu de la chance », et il faut faire très attention à ce que ce cheveu reste sur la tête de cette personne ; ou bien après la cuisson du pain, il faut enlever brusquement la poêle qui est sur le feu, sinon elle maudit, paraît-il, le boulanger.

Les jeunes enfants qui ne parlent pas encore ne doivent pas sortir quand il pleut. D’après la croyance populaire, cela les rendrait sourds. Il ne faut pas non plus s’occuper de lessive au moment du coucher de soleil ou quand le ciel est rouge, car la saleté des vêtements irait gêner les défunts de la famille. Il ne faut pas sectionner de la viande à mains nues, car le repas préparé avec une telle viande serait empoisonné. Il ne faut pas garder pendant une longue période des porcelaines ébréchées ou cassées, car elles porteraient alors malheur. Il est préférable de garder la porte d’entrée ouverte le matin, car un ange passe dans la matinée et porte bonheur. Il ne faut pas se regarder dans le miroir pendant la nuit ; celui qui le ferait deviendrait fou petit à petit.

Il est intéressant de noter que les jeux anciens et locaux sont encore très populaires. Parmi ces jeux, nommons le rammâz, le Cache-visage, le Jeu avec le chameau ou le Jet de pierres.

Pour conclure, précisons que la richesse et la variété des coutumes, rites, cérémonies et traditions de la province de Hormozgân en font une région particulièrement intéressante à visiter dans une perspective anthropologique, d’autant plus que le melting-pot ethnique, linguistique et culturel propre à la région, où aux traditions du sud iranien se mêlent des influences arabe, baloutche, indienne, africaine et même européenne, et la proximité de la mer, donne une saveur et des caractéristiques uniques à la culture de cette province.

La musique traditionnelle de Hormozgân, rythmique et expressive, a parfois pour thème la mer et les coutumes maritimes des habitants.

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