N° 116, juillet 2015

Sur un tapis d’Ispahan (3)


Kathy Dauthuille


V
Le deuxième carré
ou
Le jardin de l’est
Azâdeh

La porte du jardin de l’est

est gardée par un monstre ;

aussi, Omid le passeur

le connaît et conseille

tout digne visiteur.

– Là se trouve le dragon

qui vole et qui rampe ;

il a l’œil aux aguets

et sa queue gigantesque

est garnie de flèches.

Des iris dentelés

l’encerclent de façon serrée,

et l’on ne peut

que distances garder.

– Tu fais bien de me préparer ;

aussi, je vais lui parler.

Rostam s’adresse doucement

à la bête qui est dressée,

lui expliquant précisément

la mission qu’il a à remplir :

celle qui est de remettre

un Sceau-cylindre au Vizir.

– Regarde, grande hydre,

le présent pour le Vizir.

Je t’implore de me laisser

entrer dans le domaine sacré.

Le dragon se dresse sur ses pattes,

sort sa langue qui sillonne le ciel,

puis se recouche par vagues

posant la tête sur le sol,

signe qu’il le laisse passer.

C’est alors que dans

le surnaturel et tournant

passage des nuages,

la lumière rose de l’aube

vient caresser le portail

du carré matérialisé.

Rostam avance lestement

jusqu’aux arcades blanches

tandis que les chardonnerets

chantent et prennent leur envol

dans l’azur du ciel éclairé.

Entre les narcisses

et le jasmin blanc

apparaît Azâdeh

qui vient déposer

son voile de mousseline

près de la source irisée

à laquelle le méditant

vient souvent, en soirée,

boire quelques gorgées.

Là, règne Azâdeh, la libre.

Elle se lave avec le suc

des fleurs de jasmin

et tresse ses cheveux

en y plaçant délicatement

des perles de musc

et des éclats de turquoise.

Elle porte des galons d’argent

à ses divers vêtements

et de lourds grelots d’étain

aux chevilles et aux mains.

D’étoiles son bonnet est semé.

D’or, ses caleçons bouffants

sont soigneusement pailletés.

Azâdeh est la messagère ;

elle prononce ou chante

des mots d’amour liés

au langage des épices

comme celui évoqué

de la cardamome fendue

ou des bâtons de cannelle

parfumés ou enlacés.

Quand elle a rangé le khôl

dans les étuis odorants,

et redessiné la ligne pure

de ses sourcils joints ;

elle ordonne par tons

les fioles colorées

et se perd en songes

dans « le pavillon aux flacons ».

Elle y dépose savamment

les tourterelles vernissées

aux teintes de cornaline,

d’ambre ou de jade,

et polit les surfaces opalines

d’autres oiseaux cristallisés.

Si Azâdeh très raffinée

fait chanter les teintes,

elle sait aussi par ailleurs

nouer les divers sorts ;

elle colore de garance

sa petite bouche,

chausse ses babouches

couleur de pleine lune,

et part à la conquête

de ses diverses amours.

Tendant distraitement l’oreille

et jouant comme une enfant

avec les clapotis des fontaines ;

elle distribue aux élus de son cœur

de multiples symboles de fleurs.

Allume-t-elle

la bûche de santal ?

ou offre-t-elle

le bâton de cannelle ?

Dépose-t-elle

une fleur d’oranger ?

ou lance-t-elle

un clou de girofle doré ?

Mais Azâdeh est joueuse

et s’éclipse vite,

laissant Rostam

à la divination des signes.

Absorbé et séduit,

il veut la croire ;

il la regarde avec curiosité

longer les interminables murs

couverts de mosaïques en miroirs.

La belle se déplace avec grâce

et dispose avec art

les candélabres de cristal

qui ouvriront la voie royale.

Alors, elle orne en chantant

la souple litière de roses

et tire les tentures amarantes

sur les percées en ogive

pour dissimuler savamment

la future et élégante amante.

Déjà les flambeaux envoient

une lumière tremblante

sur les arches lancéolées.

Le cœur de l’homme

se met à battre d’émotion.

Il sent la fraîcheur

du « ravisseur des vents »

et profite du canal obscur,

profond et caché,

qui livre à cette heure,

le souffle d’air frais

montant soudain

du sous-sol carrelé.

La messagère s’empare

du lourd plateau

aux émaux bleus

sur fond d’albâtre

et le garnit de coings

et de grenades.

– Prends le fruit que tu désires,

dit-elle en clignant des yeux.

– J’opte pour la grenade

qui éclate, pour t’en faire

un collier sucré et carminé.

Des chuchotements d’amour

et des syllabes lointaines

chantent les villes avec passion.

Sur les parties nommées du corps,

susurrées avec émotion,

viennent se poser en accompagnement,

mille sons aux douces vibrations.

Rostam est dans les délices

et oublie le temps ;

à peine entend-il Omid

qui se met à crier.

Sa voix module des sons

de telle façon que Rostam

se dresse, sortant du songe.

Les stridulations soudaines

déchirent l’espace

où le miel ensoleillé

et la liqueur d’orange

s’étaient alliés

pour créer ensemble

un tournoiement

de fragrance dense.

De curieuses oscillations

pourfendent son cœur

et l’émoi fait naître les pleurs

au bord de ses yeux.

Ainsi son âme se dilate

jusqu’à l’infini de son être.

D’une voix tremblante,

il demande :

– Qui crie ainsi ?

– C’est Omid qui t’appelle.

– Le passeur !... Le passeur !

Que le temps passe vite !

Belle Azâdeh, je dois te quitter.

– Oui... va... suis ton désir,

tu ne dois pas faire attendre le Vizir.

– Est-il loin le Vizir ?

Je suis perdu ; aide-moi.

– Non ; le pavillon d’à-côté,

Omid va t’accompagner.


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