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L’avenir est à la poésie de parole", estime Seyyed Ali Sâlehi, digne représentant du mouvement poétique du même nom apparu vers la fin des années quatre-vingt. Officiellement fondé en 1988 avec la publication du recueil La trigonométrie et les Ishrâghs, la naissance dudit mouvement est très tôt considérée comme une réforme au sein de la poésie moderne persane. La poésie de parole mit un terme à l’archaïsme ainsi qu’à l’élitisme dans le domaine de la création verbale. Notre poésie contemporaine fut en effet exclusivement et pendant de longues années, réservée au cercle restreint des grands érudits et des universitaires. Bref, elle était restée longtemps étrangère à la langue de la rue et des cafés. Ce fut contre ce monopole poétique que s’insurgea le poète de parole. Une poésie était née, de "quiétude et de paix ", aussi simple en fait que "les salutations de bon voisinage". Elle s’écarta et continue de se tenir à l’écart des contraintes despotiques langagières. Il s’agit là d’une poésie démocratique au sens fort, qui garde ses distances vis-à-vis du langage argotique, mais qui relève néanmoins du parler standard. Le poète met en effet l’accent sur le potentiel onirique et souvent surprenant de la langue de tous les jours, injustement négligée, comme pour en effacer la poussière et les scories du quotidien.
Seyyed Ali Sâlehi, initiateur de la poésie de parole est natif du sud de l’Iran. Prolifique, il a donné le jour à nombre de recueils, parmi lesquels, J’étais naïf, tu n’étais pas là, il pleuvait et Bon voyage ô voyageur endolori de l’automne 58.
Il y a des années
On m’emmena à la mer
On me dit de m’asseoir là-bas
Face à la Qibla des hautes larmes du vent
De mourir peu à peu et sans "pourquoi" !
Et moi j’étais mort
Il était mort
Et ne revint plus
Vers ce berceau brisé.
Maintenant
Cela fait mille années pleines
Que de temps en temps
Je retourne plus bas qu’une vallée lointaine
En face d’un rang de sapins brûlés
Je me poste et j’observe
Là
Toujours avant le soir
Les confidents des chants les plus secrets
Ont vu ta silhouette sur le mur
Donnant sur les haies en ruine :
Tu viens tenir
Une chemise bleu foncé, humide de pluie
Dans le vent
Devant le songe du soleil accablé
Tu pries
Suppliant la lumière
Et tu comptes les portes, les fenêtres et les barreaux
Tu comptes les barreaux et les noms des morts
Et la nuit
Tu réalises enfin
Que de l’envie de tant de rendez-vous
De tant d’amour
De tant d’humains
Il ne te parviendra
Plus aucun écrit
Ni aucune nouvelle
Sinon quelques mots dans les airs
Nus, sans songes, errants
S’enfonçant dans les arbrisseaux
Sourds de pleurs
Attendant que des années plus tard
Vienne peut-être à tomber
Une pluie de rosée
Ou d’étoiles
Sur le repos des souvenirs assoiffés
Ou peut-être le baiser accompagnant la pluie, peut-être…
Maintenant
Cela fait mille années pleines
Que de temps en temps
Tu retournes
Hésiter un instant
Face au seuil clos
Et là
Comme si tu entendais depuis la mer
La voix d’un être cher
Doucement
Tu demandes aux tombes des disparus
"Quelqu’un parmi vous n’a-t-il pas vu dans le voisinage
Le songe de la lumière ?"
Maintenant
Cela fait mille années pleines
Que de temps en temps
Nous retournons nous asseoir
Derrière les arbrisseaux sourds de pleurs
Pour voir en cachette
Les mots dénudés
Et encore sur le mur
La silhouette des autres…
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Comme il me manque
De passer à travers le sommeil
De tous ces murs !
De ma vie jamais
Je n’ai aimé ces murs sans fenêtre
De ma vie jamais
Je n’ai été si triste
Franchement
Le jour de ma naissance n’a jamais eu de nuit
Ni de mur ni de pleurs
Au début même de chaque joli soir
Nous allions vers le ciel connu
Et le matin
De bonne heure
Plus familiers avec le soleil
Nous rentrions
La couverture de la nuit fut alourdie
Par le scintillement de l’étoile
Le sommeil nous gagnait
Nous dormions
Au milieu du dialogue et de la grâce de Dieu
Nous ignorions la valeur claire du songe
Personne ne comptait les goûtes plaisantes de la pluie
Nous appelions l’odeur de l’herbe : le vert
Le goût céleste de l’eau fut même bleu
Et la lune, cristal indifférent au nuage,
Chantait pour n’importe quel passager
En route vers la lumière
Nous aussi nous étions habitués
A la visite de la pluie et du miroir
Nous venions l’un après l’autre
Cueillir les mots
De la pointe des branches fragiles du temps
Et puis nous parlions
Nous apercevions
Nous comprenions et l’astuce et le mystère des instants
Jusqu’à la nuit où soudain
Se brisa le miroir
Et le silence
Traversa la ruelle muette des mots
Jusqu’à l’asile caché des pleurs
Et maintenant ma part
Du repos de tant de souvenirs
Est de quarante ans et quelques astuces
Et mille autres mystères encore muets
Vas-t-en maintenant
Je veux dire : il vaut mieux s’en aller
Le matin est silencieux
Sans fenêtres sont les murs
Tu te trouves au coin de la maison
Et moi en face d’un lointain chemin…
[1] Mois de décembre