N° 17, avril 2007

Seyyed Ali Sâlehi


La poésie en toutes circonstances

Rouhollah Hosseini



Ils ont raison

Je n’ai pas été bon

Il y a longtemps

Au soir d’une journée loin du chagrin du Dey [1]

Une colombe malhabile

Devinant l’éternuement du ciel

Chercha refuge sur la terrasse de notre maison

La fenêtre était close

Je n’étais pas chez moi

Et toute la nuit

Il avait plu.

Seyyed Ali Sâlehi

L’avenir est à la poésie de parole", estime Seyyed Ali Sâlehi, digne représentant du mouvement poétique du même nom apparu vers la fin des années quatre-vingt. Officiellement fondé en 1988 avec la publication du recueil La trigonométrie et les Ishrâghs, la naissance dudit mouvement est très tôt considérée comme une réforme au sein de la poésie moderne persane. La poésie de parole mit un terme à l’archaïsme ainsi qu’à l’élitisme dans le domaine de la création verbale. Notre poésie contemporaine fut en effet exclusivement et pendant de longues années, réservée au cercle restreint des grands érudits et des universitaires. Bref, elle était restée longtemps étrangère à la langue de la rue et des cafés. Ce fut contre ce monopole poétique que s’insurgea le poète de parole. Une poésie était née, de "quiétude et de paix ", aussi simple en fait que "les salutations de bon voisinage". Elle s’écarta et continue de se tenir à l’écart des contraintes despotiques langagières. Il s’agit là d’une poésie démocratique au sens fort, qui garde ses distances vis-à-vis du langage argotique, mais qui relève néanmoins du parler standard. Le poète met en effet l’accent sur le potentiel onirique et souvent surprenant de la langue de tous les jours, injustement négligée, comme pour en effacer la poussière et les scories du quotidien.

Seyyed Ali Sâlehi, initiateur de la poésie de parole est natif du sud de l’Iran. Prolifique, il a donné le jour à nombre de recueils, parmi lesquels, J’étais naïf, tu n’étais pas là, il pleuvait et Bon voyage ô voyageur endolori de l’automne 58.

Il y a des années

On m’emmena à la mer

On me dit de m’asseoir là-bas

Face à la Qibla des hautes larmes du vent

De mourir peu à peu et sans "pourquoi" !

Et moi j’étais mort

Il était mort

Et ne revint plus

Vers ce berceau brisé.


Noms, personnes, noms de personnes

Maintenant

Cela fait mille années pleines

Que de temps en temps

Je retourne plus bas qu’une vallée lointaine

En face d’un rang de sapins brûlés

Je me poste et j’observe

Toujours avant le soir

Les confidents des chants les plus secrets

Ont vu ta silhouette sur le mur

Donnant sur les haies en ruine :

Tu viens tenir

Une chemise bleu foncé, humide de pluie

Dans le vent

Devant le songe du soleil accablé

Tu pries

Suppliant la lumière

Et tu comptes les portes, les fenêtres et les barreaux

Tu comptes les barreaux et les noms des morts

Et la nuit

Tu réalises enfin

Que de l’envie de tant de rendez-vous

De tant d’amour

De tant d’humains

Il ne te parviendra

Plus aucun écrit

Ni aucune nouvelle

Sinon quelques mots dans les airs

Nus, sans songes, errants

S’enfonçant dans les arbrisseaux

Sourds de pleurs

Attendant que des années plus tard

Vienne peut-être à tomber

Une pluie de rosée

Ou d’étoiles

Sur le repos des souvenirs assoiffés

Ou peut-être le baiser accompagnant la pluie, peut-être…

Maintenant

Cela fait mille années pleines

Que de temps en temps

Tu retournes

Hésiter un instant

Face au seuil clos

Et là

Comme si tu entendais depuis la mer

La voix d’un être cher

Doucement

Tu demandes aux tombes des disparus

"Quelqu’un parmi vous n’a-t-il pas vu dans le voisinage

Le songe de la lumière ?"

Maintenant

Cela fait mille années pleines

Que de temps en temps

Nous retournons nous asseoir

Derrière les arbrisseaux sourds de pleurs

Pour voir en cachette

Les mots dénudés

Et encore sur le mur

La silhouette des autres…



Il se peut qu’on rentre tard


Doucement, un mot

Côte à côte, un chant

Un chemin, une rivière, un songe…

As-tu sur toi des allumettes ?

Il se peut qu’on rentre tard !

Le silence des objets

Le clair-obscur des mots

Le lourd sac à dos

Les hautes falaises et le vent de là-haut

Et la nuit de la probabilité d’un accident… !

Sens !

Cela sent le loup, la rivière et les pleurs

Une pluie menaçait… !

Viens doucement

Nous irons côte à côte

Et puis nous rentrerons

Avant la pleine nuit du probable

La nuit tombante

Risquant à 2% de manquer la mer

Tard nous rentrerions

Prends garde !

Nous rentrâmes tard

Tu n’étais pas là

Le chemin fut long

Tu n’étais pas là

Impatiente fut la rivière

Tu n’étais pas là

Et le songe inaccompli d’un chant qui toujours…

Je suis encore assis à l’ombre brumeuse des sapins assoiffés

Surveillant le chemin

S’en va et revient la rivière

Notre retard

La longueur du chemin

Et le songe inaccompli d’un chant qui toujours…



Continuellement

Comme il me manque

De passer à travers le sommeil

De tous ces murs !

De ma vie jamais

Je n’ai aimé ces murs sans fenêtre

De ma vie jamais

Je n’ai été si triste

Franchement

Le jour de ma naissance n’a jamais eu de nuit

Ni de mur ni de pleurs

Au début même de chaque joli soir

Nous allions vers le ciel connu

Et le matin

De bonne heure

Plus familiers avec le soleil

Nous rentrions

La couverture de la nuit fut alourdie

Par le scintillement de l’étoile

Le sommeil nous gagnait

Nous dormions

Au milieu du dialogue et de la grâce de Dieu

Nous ignorions la valeur claire du songe

Personne ne comptait les goûtes plaisantes de la pluie

Nous appelions l’odeur de l’herbe : le vert

Le goût céleste de l’eau fut même bleu

Et la lune, cristal indifférent au nuage,

Chantait pour n’importe quel passager

En route vers la lumière

Nous aussi nous étions habitués

A la visite de la pluie et du miroir

Nous venions l’un après l’autre

Cueillir les mots

De la pointe des branches fragiles du temps

Et puis nous parlions

Nous apercevions

Nous comprenions et l’astuce et le mystère des instants

Jusqu’à la nuit où soudain

Se brisa le miroir

Et le silence

Traversa la ruelle muette des mots

Jusqu’à l’asile caché des pleurs

Et maintenant ma part

Du repos de tant de souvenirs

Est de quarante ans et quelques astuces

Et mille autres mystères encore muets

Vas-t-en maintenant

Je veux dire : il vaut mieux s’en aller

Le matin est silencieux

Sans fenêtres sont les murs

Tu te trouves au coin de la maison

Et moi en face d’un lointain chemin…

Notes

[1Mois de décembre


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