N° 17, avril 2007

Les forêts de mangrove iraniennes


Arefeh Hedjazi


L’Iran est un pays vaste à la beauté souvent méconnue. Doté d’une diversité naturelle remarquable, ses multiples microclimats lui donnent une beauté à toutes les saisons. Ses déserts, montagnes, plaines, forêts humides ou sèches, côtes de la Caspienne ou du golfe Persique demeurent pourtant toujours très peu connus. Parmi les originalités de l’écosystème iranien, il faut évoquer ses forêts de mangrove, monde méconnu, frontière entre la mer et la terre et lieu de vie d’une multitude d’espèces rares dont l’existence dépend de ces forêts assez spéciales.

Les premiers rapports sur l’existence des mangroves du golfe Persique et de la mer d’Oman furent écrits par la plume du géographe alexandrin Eratosthène (276-194 av. J.-C.), et de Nerkhos, amiral alexandrin. Outre les côtes sud de l’Iran, les mangroves du golfe Persique couvrent une large superficie des littoraux du golfe, dont les alentours de Manama au Bahreïn, la presqu’île du Qatar, les alentours de Doha, et poussent également dans un grand nombre d’îles petites et grandes des côtes Nord des Emirats Arabes Unis. Des forêts de mangrove plus ou moins épaisses et étendues couvrent également les côtes de la mer d’Oman, aux alentours de Fojayra.

La localisation de la mangrove iranienne

Les mangroves iraniennes s’étendent sur de larges superficies de plus de 1830 km tout au long des côtes Nord du golfe Persique et de la mer d’Oman. Dans certaines des régions côtières du Sud, l’existence des mangroves est très ancienne. Les chercheurs ont divisé la mangrove en plusieurs genres selon la répartition géographique des espèces qui y vivent. Le littoral Sud de l’Iran est sous l’influence des courants d’air chauds du Soudan-Dakkani ; le climat de ces régions est donc tropical et les précipitations ne descendent pas à moins de 200 millimètres par an. Les pluies tombent pendant l’automne et l’hiver et il ne gèle jamais.

Il y a géographiquement trois groupes de mangroves en Iran :

- La mangrove du Sistân et Baloutchistân, surtout présente dans le golfe de Gavater, à l’embouchure du fleuve Bahoukalat.

- La mangrove du Hormozgân, qui s’étend sur tout le littoral de ce département.

- La mangrove de Boushehr qui couvre la région de Pouzemâshe, le Khourbardestân et les deux baies de Gorm et Pozm dans le golfe de Nayband.

La superficie des mangroves iraniennes

La forêt de Harâ à marée haute

De nombreux chiffres parfois contradictoires ont été avancés concernant la superficie des mangroves iraniennes. En 1942, Karim Saei avança le chiffre de 500 000 hectares. Il a été accepté comme étant le chiffre exact de la superficie des mangroves, mais manque toutefois de précision. En 1960, le botaniste et géographe Mohammad Hossein Jâzirey présenta le résultat de ses recherches en la matière. Il déclara que les mangroves iraniennes couvraient une superficie de 70 000 ha et précisa que la plus grande partie de ces forêts couvraient l’île de Qheshm sur plus de 24 000 ha, le reste s’étendant sur tout le long du littoral, de Jâghin à Massab Gâb dans le Jask, sur une superficie de 20 000 ha. Plusieurs autres expertises eurent lieu par la suite, dont la plus précise fut celle faite en 1990, qui annonce une superficie totale de 20 267 ha pour la mangrove iranienne. Aujourd’hui, les estimations font état de 20 000 à 25 000 ha de mangrove en Iran, et alors qu’il y a peine 70 ans, la mangrove iranienne couvrait entre 180 000 et 200 000 ha, il n’est pas difficile de se rendre compte de l’impassibilité des organismes de protection de l’environnement face à la disparition rapide de ce patrimoine naturel qu’est la mangrove.

La flore de la mangrove iranienne

Rhizophora mucronata

L’arbre "Harâ" ou le palétuvier gris, dont le nom scientifique est Avicennia marina, constitue la plante la plus répandue de la mangrove iranienne. Ce palétuvier existe dans toutes les régions de la mangrove. C’est cet arbre qui a donné son nom à l’appellation persane de la mangrove, la "Harâ". La grande famille des plantes de la mangrove est la famille des Avicenniaceae, ainsi baptisée en l’honneur d’Avicenne, reconnu comme le père de la botanique iranienne, qui a décrit et minutieusement classifié les plantes de la mangrove dans son livre Shafâ. Cette famille de plante comprend onze sous-familles et plusieurs variétés. Les Avicenniaceae poussent dans toutes les mangroves du monde, des côtes Est et Ouest des Etats-Unis aux mangroves de l’Afrique et de l’Australie, en passant par le Sud-Est de l’Asie. L’Avicennia marina, espèce la plus commune de la mangrove iranienne, est caractérisée par sa grande résistance aux changements climatiques et à la salinité environnante. Il peut pousser avec le minimum requis pour les palétuviers. Par ailleurs, il se multiplie rapidement et se développe en formations boisées le long du littoral. La mangrove iranienne est formée de plantes aux âges très divers mais provenant de la même famille.

L’Avicennia marina est depuis très longtemps utilisé par les habitants de la côte qui s’en servaient, en tant que plante médicinale, pour guérir la lèpre, les blessures gangreneuses et les maladies de peau. L’huile de la graine du palétuvier gris avait également des propriétés médicamenteuses et l’on s’en servait pour le traitement des tumeurs et des blessures. Mais il a surtout été exploité en tant que bois de chauffage et producteur de sel, étant donné qu’il rejette le sel de la mer par ses feuilles. Aujourd’hui, le pétrole et le gaz ont remplacé cette bonne source de chauffage, mais on continue malheureusement à arracher les nouvelles et fragiles branches de cet arbre pour nourrir les animaux domestiques, surtout les chameaux, qui apprécient particulièrement les feuilles du palétuvier. Heureusement, comme l’Avicennia marina possède des bourgeons placés exactement sous l’écorce, il peut rapidement produire de nouvelles branches ; mais malgré cela, une exploitation intense des ressources des mangroves va causer des dommages irréparables à cet environnement unique.

On a découvert que les branches aériennes du harâ contiennent beaucoup de saponine mais également, surtout dans les feuilles, du flavonoïde et du tanin, ce qui permet à l’arbre de réparer ses blessures.

Le Tchandal ou palétuvier rouge ou Rhizophora mucronata

La forêt de Harâ à marée basse

Cet arbre de la famille des Rhizophoracées est l’un des plus communs de la mangrove. La famille des Rhizophoracées, qui comprend quatre sous-familles et 16 sous-espèces, est appelée " rhizophora ", du grec rhizo (mélange), et phora de pherein (porteur), en raison des racines aériennes qui la caractérisent.

Le palétuvier rouge, très commun, existe dans toutes les mangroves, de l’Asie du Sud-Est à l’Afrique et à l’Amérique. On pense qu’il est originaire de Madagascar. En ce qui concerne l’historique de cet arbre en Iran, certains chercheurs ont affirmé qu’il aurait été planté en Iran pour la première fois pendant la Première Guerre Mondiale. Pour d’autres, il existait en Iran depuis plus longtemps et avait été amené de Zanzibar. Mais une nouvelle recherche tend à prouver que cette plante existe depuis beaucoup plus longtemps en Iran, ce que soulignent les vieux ouvrages de botanique persans qui classifient le palétuvier rouge parmi les plantes indigènes. Comme cet arbre supporte la salinité de l’eau et du sol moins que le harâ, il pousse plus près de l’eau et donc en bordure de la mangrove. Même en temps de reflux, des ruisselets d’eau de mer courent entre les palétuviers rouges.

La plus importante caractéristique du palétuvier rouge est sa croissance rapide qui tient à la vigueur de ses racines aériennes. Contrairement au harâ dont la racine sort verticalement du sol pour permettre à la plante d’exsuder le surplus de sel, les racines du palétuvier rouge sont aériennes et poussent sur la branche, tout en se penchant vers le sol où elles s’enfoncent dans le sol mou. Ces racines soutiennent le tronc et permettent à la plante de respirer. Le bois du palétuvier est très dur et est très résistant aux parasites et aux divers maux arboricoles. Il résiste également très bien aux termites. De plus, c’est un excellent bois de chauffage et cinq tonnes de bois de palétuvier produisent l’équivalent de deux à trois tonnes de charbons d’énergie.

Aujourd’hui, le rhizophora mucronata est couramment utilisé dans diverses industries telles que les industries du bois, l’extraction de tanin, la production médicamenteuse concernant les maladies sanguines et la lèpre.

L’écosystème de la mangrove iranienne

Le serpent marin, de la famille des Hydrophides

D’une part, la salinité élevée de l’eau (18 à 55/5 sur 1000), la teneur en oxygène (1/3 à 6/4 ml/litre) de l’eau de mer, la température de l’eau (35 à 60 degrés) et de l’air (0 à 50 degrés centigrades), le niveau annuel d’humidité (50 à 100%), la durée de la saison sèche (8 à 9 mois) et les caractéristiques du sol sablonneux, et d’autre part, les alternances écosystème marin-écosystème terrestre ont favorisé le développement d’une flore et faune originales et uniques qui, en interdépendance ou de façon autonome, dépendent de cet écosystème particulier qu’est la mangrove. La flore de la mangrove, bien qu’unique en son genre, n’est pas très variée, ce qui n’est pas le cas pour sa faune. De nombreuses espèces d’animaux marins, crustacés, mollusques, reptiles, oiseaux et même des mammifères vivent dans la mangrove iranienne.

Tout de suite après leur naissance, la plupart des poissons ont besoin d’un milieu très calme où ils puissent grandir et être à l’abri des dangers. Les forets de mangrove leur offrent cette sécurité. Elles sont donc un lieu de prédilection pour les poissons de la mer d’Oman et du golfe Persique qui viennent s’y reproduire

D’une manière générale, on peut classer les poissons de la mangrove en deux groupes : les ceux qui séjournent périodiquement dans ces forêts et ceux qui y vivent de façon permanente. Dans le premier groupe, on peut nommer les Clupéidés, les Penaedae, les Juveniles mais aussi la Plectorhynchus picus, le Mugil dussumieri, le Myliobatis nichofii et le Leignathus sp.

Dans le second groupe, on peut citer le Psettodidae, le Platycephalus sp, le Sillago sihama, le Nematolosa nassus, le Sardinella fimbriata et le Periophthalmus.

Les crustacés de la famille des Crassostrea cucullata font aussi partie de ce groupe. Les mangroves sont d’excellentes réserves de protection des crevettes, même si certaines d’entre elles se reproduisent hors de la mangrove, qu’elles ne regagnent que pour se nourrir.

Des tortues marines et des serpents de mer vivent également dans la mangrove. Le serpent marin, de la famille des Hydrophides, ne doit pas être confondu avec les couleuvres d’eau. Ce serpent, qui possède le plus puissant venin découvert à ce jour (20 fois plus puissant que le venin du cobra), vit dans la mangrove où les conditions de vie lui conviennent particulièrement. D’ailleurs, la densité de la population de ces serpents dans la mangrove rend les recherches sur le terrain très dangereuses pour les biologistes, même si ces serpents ne sont pas agressifs et préfèrent éviter la présence des hommes.

Mais les animaux les plus intéressants de la mangrove sont les nombreuses espèces d’oiseaux migrateurs, dont certains sont en voie de disparition, qui viennent passer l’hiver dans ces forêts. De plus, certains oiseaux marins et oiseaux de proie, endémiques dans la région, passent une partie de leur cycle de vie dans la mangrove. En tout, plus de 100 espèces d’oiseaux dépendent de la mangrove.

La mangrove étant un biome particulier à la faune et flore caractéristiques et le lieu de vie de plusieurs centaines d’espèces rares, finalement, en 1973, 85 686 ha des forêts de mangrove et des terres environnantes de la région de l’île de Qheshm et du port de Khamir furent décrétées zone protégée. Trois plus tard, cette zone devint un parc national. Cette région, l’une des réserves du biome iranien, est également classée "réserve mondiale de l’environnement" par la UICN.

La mangrove de la région de Gavater et une partie de la réserve naturelle de la faune de Bahoukalat forment la seconde réserve nationale de la mangrove iranienne, placée sous le contrôle de l’Organisation de la Protection de l’environnement iranien. De plus, cette mangrove ainsi que trois autres marais à mangroves font partie des "Zones humides" protégées par la convention de Ramsar.

Aujourd’hui, la protection des mangroves des côtes iraniennes du golfe Persique et de la mer d’Oman, considérées comme "zones marines sensibles" est sérieusement prise en charge par l’Organisation de la Protection de l’Environnement Marin. Un plan de protection de cet écosystème a été donc mis en place. Ce plan projette notamment de créer un parc éco-touristique garantissant les intérêts économiques de la mangrove en même temps que sa protection.


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