N° 30, mai 2008

Christian Bobin :
l’écriture comme hymne à la vie, à l’amour et au silence


Mina Dârâbi


Christian Bobin est né le 24 avril 1951 au Creusot, une petite ville en Bourgogne. Dès son enfance, il préfère la compagnie des livres à celle des hommes : "Je me sens dans la société comme le gosse dans la cour de récréation qui ne participe pas aux jeux des autres. Ce n’est pas qu’il soit rejeté. Ce n’est pas qu’il méprise les autres - j’étais plutôt éperdu d’admiration mais je faisais toujours un pas de côté" [1]. Dans la solitude, il retrouve la source d’un amour permanent : l’écriture poétique. Au cours de ses études de philosophie, il s’intéresse à la pensée de Platon ainsi qu’à celle de Kierkegaard. D’ailleurs, nous pouvons bien constater chez lui une certaine philosophie dénuée cependant de ses concepts froids et figés.

Il est la parfaite illustration d’un style qui découle d’une vision. Comme l’affirme Marcel Proust : "le style n’est jamais un enjolivement, comme croient certaines personnes, ce n’est même pas une question de technique, c’est comme la couleur chez les peintres - une qualité de la vision, la révélation de l’univers particulier que chacun de nous voit et que ne voient pas les autres. Le plaisir que nous donne un artiste, c’est de nous faire connaître un univers de plus" [2]. La philosophie souriante et profonde de Bobin exige un style tout particulier. C’est la fluidité qui domine son œuvre, qui a la simplicité d’un chant joyeux. Il nous présente un monde plein de plaisirs inconnus et de charmes minuscules ; et tout cela pour parler de l’amour :

"Il n’y a pas de connaissance en dehors de l’amour. Il n’y a dans l’amour que de l’inconnaissable" [3].

Chez lui, la philosophie souriante et gaie consiste à porter un regard très doux sur la vie. Quelques mots reviennent comme des leitmotive dans son œuvre : Amour, Dieu, Enfance, Solitude, Lumière. Chez lui, les aventures amoureuses, les suspens de Proust, le héros blasé de Chateaubriand, l’héroïne ambitieuse de Faubert, les plages exotiques de Baudelaire… font place à une simple expression de la vie. Comme il affirme lui-même, il ne fait qu’"attendre le passage de Dieu ou d’un insecte, ou de rien". On a même reproché à Bobin de parler pour ne rien dire. A ce propos, les titres qu’il a choisis pour ses livres sont particulièrement révélateurs : Souveraineté du Vide, L’éloge du rien, La part manquante... comme s’il existe toujours un vide chez lui ; mais ce vide et ce rien ne témoignent pas de la vacuité ou du nihilisme, tout au contraire, c’est la Lumière, ou encore ce que Bobin ne peut exprimer par des mots. Cette absence est la plénitude. De même, nous pouvons dire qu’il existe une sorte de mysticisme chez lui, mysticisme dont il va progressivement révéler les différents aspects dans ces œuvres, mysticisme qui va aboutir à la lumière à laquelle Bobin nous a peu à peu habituée.

Tel un artiste, il nous révèle le côté lumineux de ce qui nous paraît noir et obscur :

"Le courage n’est pas de peindre cette vie comme un enfer puisqu’elle en est si souvent un : c’est de la voir telle et de maintenir malgré tout l’espoir du paradis" [4].

Son œuvre, dont Le Très Bas, a une teinte religieuse mais demeure dénuée de tout moralisme. Il y aborde ainsi Saint François d’Assise qui, selon lui : "est quelqu’un qui parle du ciel, d’accord - en un sens il ne parle que de ça - mais il en parle avec un goût incroyable pour la terre" [5]. Il se décrit d’ailleurs lui-même comme un "fou de pureté" :

"Je suis fou de pureté. Je suis fou de cette pureté qui n’a rien à voir avec une morale, qui est la vie dans son atome élémentaire, le fait simple et pauvre d’être pour chacun au bord des eaux de sa mort noire et d’y attendre seul, infiniment seul, éternellement seul" [6].

Stylistiquement, ce qui distingue son œuvre du roman et de la poésie en prose, c’est son écriture fragmentée. Il écrit de tous petits livres qui contiennent à leur tour des contes ou lettres très courtes. Suivant ce rythme, son œuvre se caractérise par une succession de phrases courtes. D’une manière très simple et claire, ses phrases nous conduisent vers le bonheur et la jouissance. Même pour s’expliquer d’avantage, il fait des analogies ; ainsi, le mot "comme" revient sans cesse sous sa plume.

"Mourir c’est comme tomber amoureux : on disparaît, on ne donne plus de nouvelles à personne". [7]

"Ceux qui recueillent les faveurs de la foule sont comme des esclaves qui auraient des millions de maîtres". [8]

Ses petites phrases énoncent une vérité profonde, d’une façon concise souvent exprimées au moyen d’une formule lapidaire. Pour représenter bien ces vérités profondes, il recherche le brillant de l’expression et manie parfois des paradoxes qui donnent l’effet de la surprise par sa formulation inattendue :

"Ce qui est fait pour tout le monde, n’est fait pour personne". [9]

Il semble construire ses textes comme une source d’eau claire au-dessus de laquelle le lecteur pourrait se pencher pour y distinguer le monde apaisé et calme que Bobin lui décrit. Il porte ainsi un regard d’enfant sur le monde. Si son écriture est considérée comme "non savante", il n’en reste pas moins que, de par sa justesse et sa légèreté exempte de toute tonalité moralisatrice, elle semble presque chanter et danser sur la page. Une écriture harmonique donc, regorgeant de mouvements et de rythmes. Les phrases courtes ressemblent d’ailleurs davantage aux vers d’un poème qu’à la stricte prose. Cette écriture est une chanson joyeuse ; un hymne à la vie, à l’amour, et au silence ; c’est un hymne à Dieu.

Notes

[2Du côté de chez Swann

[3Une petite robe de fête, Folio No. 2466, p.86.

[4La Lumière du monde, Gallimard NRF, 2001, p.40.

[6L’inespérée [1994], 1996, Gallimard, 120 pages Collection Folio, No 2819.

[7Le Christ aux Coquelicots, p.45, Lettres Vives, 2002, p.45.

[8Autoportrait au radiateur, Gallimard NRF, 1997, p.133.

[9La folle allure, Gallimard, 1995, p.40.


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