N° 30, mai 2008

Les Français qui ont traduit les œuvres de "Saadi" du XVIIe au XIXe siècle


Djamileh Zia


 [1]

Le Golestân de Saadi fut traduit en français pour la première fois en 1634, par André Du Ryer. La traduction effectuée par André Du Ryer n’est pas intégrale, et ce qui fut publié en 1634 sous le titre Le Gulistan ou l’Empire des Roses, composé par Sadi, prince des poètes turcs et persans ne correspond en réalité qu’à une partie du texte du Golestân. Cette traduction marqua un tournant dans l’histoire des échanges culturels entre la France et l’Iran ; c’était en effet la première fois qu’un chef-d’œuvre de la littérature persane était traduit en français.

André Du Ryer était un orientaliste et un diplomate important, et semble-t-il influent. Il naquit en Bourgogne vers la fin du XVIe siècle (en 1580 ou en 1599), et vécut plusieurs années dans divers pays du Moyen Orient. Il parlait l’arabe et le turc. Il fut Consul de France en Egypte, puis agent diplomatique à Constantinople où il apprit le persan. En 1630, il fut nommé interprète des langues orientales à la cour de Louis XIII. Louis XIII le chargea en 1631 d’une mission en Iran, pour reprendre les négociations avec le Roi d’Iran afin d’obtenir l’accord de celui-ci concernant des échanges commerciaux entre la France et la Perse. Ces négociations étaient restées en suspens quelques années auparavant, à cause du décès de Shâh Abbâs Ier [2]. Cependant, Du Ryer n’arriva jamais en Iran : le sultan ottoman Murat IV, qui surveillait attentivement les relations franco-persanes, reçut solennellement Du Ryer en 1632 et le retint à sa cour, pour le renvoyer ensuite à Paris avec une lettre amicale adressée au roi de France. André Du Ryer publia, en 1630, une Grammaire turque en latin. Il est surtout connu pour sa traduction du Coran, qu’il publia en 1647. Il laissa également un dictionnaire turc-latin à l’état de manuscrit. Il décéda en 1672.

Une deuxième traduction du Golestân en français fut publiée à Paris en 1704, sous le titre de Gulistan ou l’Empire des Roses, traité des mœurs des rois. C’est d’Alègre qui a fait cette traduction. Il n’existe pas d’informations accessibles à propos de Monsieur d’Alègre. Nous n’avons donc malheureusement aucune idée de ce qu’il a fait pendant sa vie, ni des raisons qui l’ont poussées à traduire un texte de Saadi.

La troisième traduction du Golestân, qui cette fois est une traduction complète, fut effectuée par l’abbé Jacques Gaudin et publiée à Paris en 1789. L’abbé Jacques Gaudin a écrit un Essay historique sur la législation de la Perse, qu’il publia avec sa traduction du Golestân dans le même livre. Ce même abbé Jacques Gaudin a apparemment écrit un livre intitulé Les Inconvénients du Célibat des Prêtres, Prouvés par des Recherches Historiques, publié à Genève en 1781 ; livre qui fit scandale, mais dont le contenu fut largement utilisé quelques années plus tard, au moment de la Révolution Française, pour nourrir les débats en faveur d’une législation concernant le mariage des prêtres. L’abbé Jacques Gaudin fut membre de la congrégation religieuse de l’Oratoire. Il fut juge et bibliothécaire de la ville de La Rochelle.

Quelques années plus tard, la préface et les premiers chapitres du Golestân furent de nouveau traduits par Tancoigne, qui était l’un des drogmans [3] du général Claude-Mathieu de Gardane. Gardane était à la tête d’une mission composée de 70 personnes qui arriva en Iran à la suite d’un accord signé entre le roi d’Iran et Napoléon Ier. Napoléon rêvait de dominer l’Inde, ce qui impliquait le passage par la Perse. Il avait chargé le général Gardane de réformer l’armée iranienne et de l’équiper de matériel moderne.

La cinquième personne qui traduisit le Golestân en français fut N. Sémelet. Sa traduction, intitulée Gulistan ou parterre des fleurs du Sheikh Moslih-eddin Sadi de Chiraz, fut publiée à Paris en 1834. Il était précisé que ce livre était une traduction littérale du texte persan du Golestân, que Sémelet a publié lui-même semble-t-il en 1828. Le texte français comportait des notes historiques et grammaticales. Sémelet était professeur à l’Ecole des Langues Orientales. Sa traduction a été semble-t-il assez fidèle par rapport au texte original.

Une page du Boustân de Saadi, artiste inconnu, XVIIe siècle, musée de Rézâ Abbasî

Le Golestân fut également traduit en français par Charles Defrémery. Le texte de Defrémery, publié à Paris en 1858 sous le titre Gulistan ou le Parterre de Roses, était accompagné de notes historiques, géographiques et littéraires. D’après Monsieur Javâd Hadidi, la traduction de Defrémery est rédigée dans un style plus élégant. [4] Charles Defrémery publia la même année (en 1858) un texte dans le Journal Asiatique, intitulé "Le Bostan de Saadi, texte persan, avec un commentaire persan" ; ce texte comportait une traduction d’une partie du Boustân de Saadi. Charles Defrémery (1822 - 1883) fut un orientaliste, spécialiste de l’Histoire et de la littérature arabe et persane. Il fut titulaire de la chaire de la langue et de la littérature arabes à l’Ecole des Langues Orientales, et membre de la Société Asiatique de Paris. Il fut élu membre de l’Académie des Inscriptions et des Belles Lettres en 1869, et devint titulaire de la chaire de la langue arabe au Collège de France en 1871.

C’est J. B. Nicolas qui traduisit pour la première fois en français une partie du Boustân, et publia cette traduction sous le titre Le Bostan, poème persan de Sé’édi à Paris en 1869. J.B. Nicolas est l’auteur d’un texte intitulé Dialogues persan-français, dont la première édition date de 1857. J.B. Nicolas faisait partie d’une mission diplomatique française importante, dirigée par le comte de Sercey. Cette mission quitta Paris en novembre 1839 et arriva à Téhéran en avril 1840. J. B. Nicolas fut le premier drogman de l’Ambassade de France à Téhéran pendant un temps. Il fut ensuite Consul de France à Racht [5]. Il séjourna une trentaine d’années en Iran. Il connaissait bien le persan. Ce fut lui qui traduisit pour la première fois en français les quatrains d’Omar Khayyâm, et publia cette traduction quand il retourna à Paris, en 1867.

La première traduction complète du Boustân de Saadi a été faite par A. C. Barbier de Meynard, et a été publiée à Paris en 1880. Le texte de Barbier de Meynard comportait une introduction et des notes. Charles Adrien Casimir Barbier de Meynard naquit en mer, sur un bateau qui allait de Constantinople à Marseille, en 1826. Il décéda à Paris en 1908. Il était un orientaliste, spécialiste de l’arabe, du turc et du persan. Barbier de Meynard fut l’élève de Jules Mohl. Il termina la traduction commencée par Julius Von Mohl du Shâhnâmeh de Ferdowsi, après le décès de son maître en 1876. Il rédigea également un livre intitulé La poésie en Perse. Barbier de Meynard travailla principalement sur l’Histoire des débuts de l’Islam et le califat. Il traduisit de nombreux textes d’historiens de l’époque du califat. Il étudia également l’Histoire du Zoroastrisme, édita un Dictionnaire géographique de la Perse, et écrivit des textes sur le Bahaïsme. Barbier de Meynard faisait partie d’un corps diplomatique qui fut envoyé en Iran par le gouvernement français en 1855 ; il fut attaché culturel en Iran, mais ne put supporter le climat local et rentra en France après quelques mois. Barbier de Meynard fut professeur de turc à l’Ecole des Langues Orientales en 1863. Il entra au Collège de France en 1875 pour enseigner le persan, puis à partir de 1885 l’arabe. Il devint membre de l’Académie des Inscriptions et des Belles Lettres en 1878, vice-président de la Société Asiatique en 1884 et président de la Société Asiatique en 1892.

En parcourant cette liste, ce qui frappe est que bon nombre de ces traducteurs étaient des diplomates. Ils avaient séjourné en Iran ou dans d’autres pays du Moyen Orient pendant un temps plus ou moins long. Quelques uns de ces traducteurs enseignaient le persan, le turc ou l’arabe à l’Ecole des Langues Orientales. Cette école, fondée en 1795, remplaça en 1880 l’Ecole des Jeunes de Langues, fondée par Colbert en 1669 dans le but de former un corps de drogmans aptes à servir dans les missions étrangères. Un certain nombre de ces traducteurs étaient également membres de la Société Asiatique (société savante fondée en 1822, qui avait pour mission de développer et de diffuser des connaissances relatives au Proche, au Moyen et à l’Extrême Orient).

On peut faire ainsi l’hypothèse que traduire les chefs-d’œuvre littéraires persans, dont le Golestân et le Boustân de Saadi, était un moyen de mieux connaître et faire connaître aux français la culture et la civilisation de l’Iran. Outre la fascination qu’exerçait la Perse sur l’imagination des Français, (une fascination ancienne, qui datait du Moyen Age, car on imaginait la Perse comme un pays mystérieux, aux abords inaccessibles, où l’or et les joyaux de toutes sortes se trouvaient en abondance), les efforts des Européens, dont les Français, pour mieux connaître la culture et la civilisation de l’Iran et des autres pays de l’Asie et de l’Afrique, avaient probablement également pour but de mieux faire avancer les affaires de la France dans ces pays lointains que l’on regroupait sous le terme d’Orient.

Notes

[1Le livre intitulé De Sa’di à Aragon, de Monsieur Javâd Hadidi, Editions Internationales Alhoda, Téhéran, 1999, a constitué la source de base pour l’écriture de ce texte.

[2Roi de la dynastie des Safavides.

[3Le terme "drogman" signifie "interprète dans les pays du Levant".

[4De Sa’di à Aragon, Javâd Hadidi, Editions Internationales ALHODA, Téhéran, 1999.

[5Ville située dans la province de Guilân, au nord de l’Iran.


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