N° 30, mai 2008

Au Journal de Téhéran

L’influence de l’archéologie sur l’Histoire (II)


Saïd Naficy

Voir en ligne : Première partie


21 Farvardine 1318
11 Avril 1939


Conférence faite au Musée de Téhéran par M. Saïd Naficy, professeur d’histoire et d’archéologie à l’Université de Téhéran et membre de l’Académie iranienne

L’archéologie fait disparaître le doute, elle fait quelquefois des découvertes très importantes, en tout cas son influence sur l’histoire est très grande. L’exemple le plus frappant est celui qui concerne l’incendie du palais de Persépolis. D’après Plutarque, ce palais fut incendié pendant un grand festin donné par Alexandre et sur la demande d’une courtisane athénienne appelée Thaïs afin de venger ses compatriotes. D’après le même auteur, "tout le monde est d’accord sur le fait que le conquérant macédonien regretta après cet acte et ordonna l’extinction du feu". Cette dernière phrase prouve que dès l’époque de Plutarque, cette question avait été controversée par les uns et les autres et qu’il n’y avait pas de certitude en ce qui concerne l’incendie du palais de Persépolis. La controverse a persisté chez les historiens modernes jusqu’à ces dernières années.

Or, en Farvardine 1316 (mars 1936) nous étions en excursion avec un certain nombre d’étudiants et nous avons vu de nos propres yeux les traces de l’incendie sur les murs du palais ; nous avons rapporté à Téhéran quelques échantillons de morceaux de poutres transformés en charbon à la suite de l’incendie qui a causé la ruine de cet édifice. Voici donc un fait certain obtenu par des recherches archéologiques après plus de deux mille ans d’hésitation et d’incertitude. Ce fait nous démontre le secours inestimable que l’archéologie peut apporter à l’histoire.

D’autre part, les objets retrouvés dans les fouilles ne se présentent pas à nous dans des positions déterminées ; leur disposition, leur emplacement et l’état dans lequel on les trouve nous donnent des renseignements précieux. Une ville détruite par un tremblement de terre nous permet de constater l’état de ses habitants dans les quelques secondes qui ont précédé l’événement. Dans les fouilles de Pompéi on a trouvé des cadavres, leurs lampes à la main, étendus par terre, dans la rue, suffoqués par les gaz qui se dégageaient du volcan et ensevelis sous les cendres dans un état de convulsion et de terreur. Une ville incendiée se présente aux fouilleurs d’une façon différente ; l’inondation d’une région peut nous conserver sous une couche de sable les objets tels qu’ils se trouvaient au moment de l’accident.

Bas-relief de Darius Ier, Persépolis

Les objets trouvés dans une tombe à côté du mort sont au contraire toujours placés intentionnellement et ont une signification qui nous donne la clef de la croyance de ses possesseurs sur la vie d’au-delà. D’autres fois, il peut arriver qu’un monument tombe en ruines et que ses matériaux servent pour la construction d’un bâtiment plus récent. Ceci complique gravement le travail de l’archéologue. Tel objet trouvé dans une couche sassanide peut appartenir à l’époque Parthe, glissé accidentellement dans cette couche. L’architecte de l’époque Seldjoukide peut s’être servi pour la construction d’une mosquée de pierres recueillies dans les ruines sassanides.

D’autre part, les fouilles elles-mêmes peuvent se présenter de différentes façons. Il y a des pièces qui sont très facilement transportables. Mais il y en a d’autres qu’il est très difficile de dégager et qui ne peuvent être déplacées. Le transport de la statue en bronze de Shami, au Musée de Téhéran, a demandé plus de deux mois de travail. Il a fallu enlever des milliers de mètres cubes de terre pour dégager un palais sassanide enfoui sous la terre à Chapour. Il se présente à nous aujourd’hui dans toute sa splendeur, nous permettant de définir d’une façon précise l’architecture du début de la période sassanide.

Le travail devait être exécuté avec beaucoup de soins pour ne pas abîmer la mosaïque qui couvrait la cour du palais. L’histoire nous avait renseigné d’une façon plus ou moins exacte sur les conquêtes de Chapour 1er, mais sans ces découvertes archéologiques, elle n’aurait jamais été capable de nous donner des détails sur l’architecture de cette époque, ni sur l’emploi de la mosaïque dans les constructions.

Aucune histoire ne nous dira comment on fabriquait sous les Sassanides les chaises, les meubles, la vaisselle, les étoffes, les escaliers et l’intérieur d’un palais, d’un temple ou d’une habitation ordinaire. C’est par la voie des fouilles qu’on obtient tous ces détails.

Avant les dernières fouilles de Chapour, nous étions très peu renseignés sur les débuts de l’architecture sassanide. On y a découvert une statue colossale de Chapour I, des mosaïques, un monument votif représentant la statue du souverain placée sur deux colonnes reliées par un architrave, et une belle inscription pouvant nous servir de modèle de l’art et de la calligraphie de cette époque.

Le bas-relief très connu de Persépolis où figure le souverain achéménide sur son trône, soutenu par les représentants de différentes nations, nous donne les détails de la construction d’un trône et le costume des différentes nationalités. Un autre bas-relief nous fait voir les dentelles qui bordaient les vêtements. La statue colossale de Chapour I nous fait voir les détails de la ceinture et d’autres ornements du costume royal. Cette statue a été sculptée dans un seul bloc de stalactites, placée à l’entrée de la grotte où on l’a trouvée couchée à la suite d’un tremblement de terre. De nombreux reliefs sculptés sur les rochers nous renseignent encore sur les détails des costumes portés par les souverains et leurs sujets, le harnachement des montures, les armes, la chasse etc.

Enfin un relief provenant de Persépolis et conservé au Musée de Téhéran nous montre les cérémonies pratiques dans une réception à la cour, l’interlocuteur devait garder la main devant sa bouche en signe de respect.

Il y a 13 ans, Monsieur Hertzfeld acheta à un juif une plaque en argent ayant une inscription cunéiforme concernant la construction de la ville d’Hegmatâneh, et la rapporta à Téhéran. Il y eut des doutes sur l’authenticité de cette pièce ; il y a à peu près 5 ans on découvrit une plaque identique sous l’angle sud-est du palais d’Apâdânâ de Darius I, portant des inscriptions cunéiformes, se rapportant à la construction de ce palais.

Statue colossale de Chapour Ier

Il fut ainsi prouvé que les Achéménides avaient l’habitude de placer sous les autres angles de leur palais des plaques en or et en argent placées dans une grande boîte hermétiquement close. Ces deux dernières plaques indiquent les frontières de l’Empire de Darius vers 515 avant J.-C. On savait que Darius avait poussé ses conquêtes à l’est jusqu’aux Indes et à l’ouest jusqu’en Grèce, mais les limites de cette extension n’étaient pas bien déterminées. Ces plaques nous indiquent les frontières du sud-ouest qui allaient jusqu’en Abyssinie, et celle du nord-est qui s’étendaient jusqu’au Turkestan Chinois.

Pour notre histoire, vieille de près de 6 000 ans, l’archéologie est d’un secours inestimable. La découverte des objets cachés sous la terre de l’Iran rendra de grands services à la société humaine tout entière, car nos ancêtres ont été les héritiers de presque toutes les civilisations antiques. C’est pourquoi les savants de tous les peuples attachent une grande importante aux découvertes archéologiques et historiques de l’Iran. Une visite au Musée de Téhéran vous étonnera par le résultat obtenu depuis ces dernières années dans le domaine de l’histoire et de l’art de l’Iran, pour la période antique aussi bien que pour les époques plus récentes.

Sa majesté Impériale notre grand Shâhinshah, animateur du génie iranien dans tous les domaines, attache une grande importance à notre passé glorieux. Elle a toujours honoré de sa visite les sites archéologiques et les champs de fouilles quand l’occasion s’est présentée.

Cet attachement que notre souverain porte aux monuments historiques doit nous servir de modèle et nous devons faire tout notre possible afin de mettre en relief toutes ces richesses encore inconnues et nous pouvons avoir l’espoir, que dans un avenir proche, quand des fouilles scientifiques de vaste envergure seront, pratiquées dans différents endroits, la terre de l’Iran livrera au monde scientifique ses secrets et sa civilisation antique brillera d’un plus grand éclat dans le monde entier.


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  • L’influence de l’archéologie sur l’Histoire (II) 5 mai 2010 01:38, par Asselineau Michel

    Cher Monsieur, Nous avons pris récemment connaissance de vote très intéressant article consacré à "l’influence de l’archéologie sur l’Histoire" et tenons à vous en féliciter mais aussi à vous soumettre une question. Nous sommes éditeurs à vocation pédagogique et allons prochainement publier le premier volet d’une collection intitulée "Arts et Musiques dans l’Histoire". Nous consacrons une importante partie de notre publication à l’approche de la civilisation perse avant notre ère. Nous sommes à la recherche de documents iconographiques ayant un rapport avec les pratiques instrumentales (exemple mosaïque du palais de Chapour avec une harpiste…) ou tout autre illustration montrant un musicien en situation de jeu instrumental. Seriez-vous en mesure de nous dire comment nous pouvons agir pour obtenir les autorisations mais aussi les conditions et modalités afin de nous procurer des illustrations afférentes à nos demandes. Nous vous savons gré par avance pour l’intérêt que vous porterez à notre requête et vous prions de croire à l’expression de nos sentiments les meilleurs. Michel Asselineau / Editions Lugdivine www.lugdivine.com ed.lugdivine@wanadoo.fr

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