N° 32, juillet 2008

Mana


Moniroo Ravanipour
Traduit par

Samira Fakhâriyân


Le robot est sans pareil et il fait tout en appuyant sur un bouton, avait dit Andrew. On charge sa batterie, programme sa mémoire, et alors, il fait tout, comme un être humain, et agit selon les ordres qu’on lui donne… Le robot peut accueillir cent personnes sans se fatiguer ; en voyant arriver chaque invité, il s’approche de lui, s’incline, lui serre la main et le conduit au salon. La réception terminée, il raccompagne chacun jusqu’à l’ascenseur et appuie sur le bouton. Quand l’ascenseur arrive, il fait un signe de la main en guise d’adieu… le robot peut même sourire… Andrew racontait tout cela à la femme venue d’orient. Cette dernière le fixait du regard et lui avait demandé : et pleurer ? Est-ce que le robot peut pleurer ? Andrew l’avait regardé d’un air étonné : pleurer ? Mais pourquoi ?

L’ascenseur s’arrête au trente-cinquième étage d’un gratte-ciel de New York. Une femme vêtue d’une jupe courte couleur citron et d’une veste verte en sort. Elle regarde sa montre : une heure de retard ; glisse sur le tapis rouge du couloir, regarde le numéro de l’appartement, arrive derrière la porte, s’arrête. La porte s’ouvre automatiquement. Personne ne l’accueille. Vacarme incessant de la foule et le bruit de la musique. Elle est étrangère. Elle cherche Andrew du regard mais ne le trouve pas… un homme assez grand, à l’allure soignée, avec des cheveux blonds et un pas régulier se dirige vers elle du coin du salon et lui tend la main : "Bonsoir madame, pourrais-je vous aider ?"

La femme sourit joyeusement et lui serre la main. On dirait que l’homme s’étonne et regarde sa main comme une chose étrange, la femme dit :

"Je suis l’amie d’Andrew, je suis en retard, nous avions rendez-vous à quatre heures…"

L’homme relève la tête, regarde le fond du salon, et dit d’une voix monotone :

"Andrew est occupé, une fois son travail terminé, je l’appellerai."

L’homme regarde en silence l’habit bigarré de la femme et, fixant son regard sur la main de celle-ci, la touche de sa propre main droite avant de se retirer. A mi-chemin, il retourne sur ses pas, comme s’il avait changé d’avis, s’approche de la femme et lui tend la main. Elle lui serre la main avec un nouveau sourire. Elle regarde ses joues de couleur rouge vif et en saillie avant de se dire : "Cela doit être un métis indien". L’homme demande :

"Que buvez-vous ?"

La femme s’assied sur un sofa et sourit d’un air las :

"De l’eau, un verre d’eau si c’est possible…"

L’homme part d’un pas bien régulier et la femme s’aperçoit qu’il regarde de temps en temps sa main droite…

L’homme rentre en portant un plateau sur la main, s’incline légèrement, et le pose devant elle. Elle prend le verre d’eau. Boit une gorgée. Sourit :

"Merci, j’avais très soif. Asseyez-vous, vous allez vous fatiguer à rester debout comme ça…"

Et elle fait une place pour l’homme sur le sofa. Il s’assied. Maintenant, elle peut voir de près la peau rouge de l’homme et ses joues en saillie qui donnent l’impression d’avoir été façonnées par un sculpteur. La femme regarde les yeux bleus de l’homme et ses cheveux blonds.

"Vous devez être métis, votre père ou votre mère était sans doute indien. Je suis aussi orientale et vous savez… je m’appelle Mana…"

La femme attend que l’homme se présente mais ses yeux ne semblent refléter qu’une recherche désespérée.

"Voudriez-vous quelque chose à manger ?"

L’homme se lève stupéfait. S’incline. La femme prend sa main :

"Non, asseyez-vous s’il vous plaît. Je ne mange rien, parlez-moi. Sincèrement, comme ça je pratique la langue, bien que je parte demain. C’est la raison de mon retard. Je suis allée pour changer mon billet. C’est difficile, ici, tout ressemble à la fin du monde, l’être humain s’y perd.

L’homme s’assied. La femme s’assied sur le côté pour lui faire davantage de place et continue :

"Vous ne m’avez pas dit de quelle province vous venez. Où habitent votre père et votre mère, votre famille ?"

La femme boit une gorgée d’eau et attend. L’homme regarde d’un air embarrassé les personnes qui l’entourent et se lève pour se diriger vers une femme qui l’appelle :

"Excusez-moi, un instant". Il se lève. La femme le regarde. Le pas de l’homme perd de son assurance.

Un moment plus tard, il revient avec une coupelle pleine de fruits ; une orange tombe à mi-chemin ; elle heurte la pointe de son pied. L’homme regarde avec étonnement l’orange qui roule vers un coté. Les têtes se retournent et regardent avec stupéfaction l’homme et l’orange.

La femme dit :

"Ne vous fatiguez pas, asseyez-vous. Andrew a sans doute oublié notre rendez-vous et il ne sait pas que je pars demain. Parlez-moi un peu d’ici. Dites donc, je ne sais pas encore votre nom. Quel est votre nom ?"

L’homme la regarde stupéfié. Ses lèvres bougent doucement mais il ne dit rien. Puis un sourire apparaît sur ses lèvres, un sourire d’impuissance ou peut-être un sourire de mépris envers soi-même. Il se relève en appuyant ses mains sur ses genoux. Ses mouvements sont chancelants et étrangers à ce milieu, comme s’il était un inconnu. Troublé, il regarde autour de lui. Il remue ses mains dans l’air. Il fixe son regard sur le fond du salon et une voix brisée et faible/aigue sort de sa gorge : "Andrew …"

Andrew dresse la tête du fond du salon, se fraie un chemin à travers la foule et se dirige joyeusement vers la femme :

"Quand es-tu arrivée ?"

"Il y a presque une demi-heure"

L’homme jette un regard sur Andrew et se dirige vers la table pleine de fruits et de boissons. La femme dit :

"Andrew, je pars demain."

"Demain, n’est-ce pas un peu tôt ?" En entendant un bruit de verre cassé, Andrew se retourne brusquement. L’homme debout regarde les petits morceaux des verres cassés. Andrew, étonné, se dresse à demi : "C’est impossible !"

Il appelle l’homme par un geste de la main. L’homme s’approche d’Andrew d’un pas qu’il essaie d’être ferme et régulier. Andrew relève la manche gauche de sa chemise. Il examine un bouton. L’homme confus et déçu fuit le regard de la femme et demande en bégayant :

"Mon n…nom, quel est mon nom monsieur ?"

Andrew le regarde avec étonnement et dit :

"Va ramasser les verres cassés."

L’homme s’en va d’un pas las.

Andrew murmura alors à la femme orientale : "Je pense que sa mémoire s’est déplacée."

Jusqu’à tard dans la nuit, la femme sentit le regard étrange du robot sur elle. Ce dernier vint la voir deux autres fois. Il lui tendit la main pour que la femme la serre… Andrew aussi rit et tous les deux se rendirent compte que le robot regardait sa main droite comme un objet extraordinaire.

A deux heures et demie, la femme se leva. Elle serra la main d’Andrew ; le robot attendait son tour. La femme lui serra la main. Le robot écarta Andrew pour pouvoir raccompagner la femme jusqu’à l’ascenseur. Il appuya sur le bouton de l’ascenseur ; l’ascenseur monta et s’arrêta. La femme se dressa sur la pointe des pieds et l’embrassa sur la joue. Le robot s’enroua. Il ne put dire : bienvenue. Il dit…b…bien… et rien de plus. Quand la porte de l’ascenseur se referma, la femme aperçut quelque chose dans les yeux du robot, quelque chose d’étrange.

Lorsque la femme arriva dans la rue, elle entendit un bruit. Quelqu’un s’était jeté du trente-cinquième étage du gratte-ciel.

Andrew se mit à côté de la femme orientale qui stupéfaite, regardait les pièces éparpillées du robot et dit :

"Quand tu es partie, il était troublé. Il ne comprenait pas ce qui s’était passé. Il a touché plusieurs fois sa joue et a regardé sa main. On dirait qu’il cherchait le baiser comme une fleur dans sa main. Puis il ne pouvait plus s’orienter. Tout à coup, il a couru vers l’ascenseur. Il a frappé à coup de poing sur la porte de l’ascenseur et est ensuite retourné dans le salon comme un homme étranger et seul, sans parents ni amis. Déçu, il m’a montré sa joue et sa paume où il n’y avait rien. Je lui ai dit : Il n’y a rien. Calme-toi ! Mais lui, égaré, sans faire attention à mes paroles, regardait autour de lui. Il a tourné sur lui-même. Il s’est cogné au mur et à la porte et enfin il s’est dirigé vers la fenêtre… Tout le monde s’était levé et le regardait … J’ai soudain couru vers lui. Mais je n’ai pas pu le rattraper. Il marchait distraitement et éperdument… Son attitude était amère, très amère…

Les passants se rassemblèrent, on se passait de main en main les pièces fragmentées du robot. Parfois, quelqu’un riait aux éclats et jetait un morceau de ferraille dans un coin.

La femme orientale ferma ses yeux, refoula ses larmes et dit : "Andrew… cette fois, fais quelque chose qui peut pleurer."


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