N° 32, juillet 2008

Trois îles iraniennes dans le golfe Persique : Abou Moussa, la Grande Tomb et la Petite Tomb*


Babak Ershadi


La Petit Tomb est une toute petite île du Golfe Persique de 1,5 sur 1 km, située à 32 km des côtes iraniennes. La Grande Tomb se situe à 25 km des côtes iraniennes et à 64 km au sud-ouest de l’île iranienne de Qeshm, la plus grande île du Golfe Persique.

L’île d’Abou Moussâ se situe presque au milieu du Golfe Persique, à quelques kilomètres de Siri, une île iranienne du Golfe Persique. Depuis des temps très reculés, ces trois îles font partie intégrante du territoire iranien, même si la souveraineté iranienne sur ces îles est actuellement remise en cause par les Emirats Arabes Unis.

D’après Hérodote, les côtes et les îles du Golfe Persique constituaient, sous l’empereur Darius Ier (521-485 av. J.-C.), le quatorzième satrape [1] de l’Empire perse. Au IVe siècle avant notre ère, Alexandre et son armée portèrent un coup fatal à l’Empire achéménide, déjà déchiré et affaibli par de nombreuses révoltes intérieures. A la mort d’Alexandre en 323 av. J.-C., ses généraux se disputèrent longuement le trône de Perse. Le vainqueur fut finalement Séleucos Ier qui annexa le reste de l’ancien Empire perse jusqu’à l’Indus. Vers 250 av. J.-C., les Séleucides perdirent peu à peu le contrôle des pays de l’est de l’Euphrate et furent chassés d’Asie Mineure. Les Parthes réussirent alors à établir un royaume indépendant, qui devint au Ier siècle av. J.-C. l’Empire arsacide, allant de l’Euphrate à l’Indus et de l’Oxus (aujourd’hui Amou-Daria) jusqu’au Golfe Persique et à l’Océan indien. Les Parthes assurèrent ainsi la domination perse sur toutes les côtes et les îles du Golfe Persique. Après le milieu du Ier siècle av. J.-C., l’Empire arsacide rivalisa avec Rome et plusieurs guerres opposèrent les deux puissances. En 226 ap. J.-C., l’empire des Parthes fut conquis par le roi de Perse, Ardachêr Ier (en persan : Ardéshir), fondateur de la dynastie des Sassanides. Ces derniers régnèrent jusqu’en 641 de notre ère, avant l’effondrement de leur empire face aux conquérants arabes.

Après l’islamisation de la Perse, les côtes et les îles du Golfe Persique, comme toutes les autres régions principales du monde iranien, sont restées des territoires dominés par la culture, la langue et la civilisation iraniennes. Dès le IXe siècle, des dynasties locales s’émancipèrent de la tutelle abbasside. Les Bouyides chiites régnèrent même sur Bagdad, capitale du califat abbasside, à partir de 945. Pendant cette période, le Golfe Persique fut entièrement dominé par les pouvoirs locaux iraniens. Au milieu du XIe siècle, les Seldjoukides établirent un vaste empire en Iran et dans les pays voisins, et prirent Bagdad en 1055. Les Seldjoukides régnèrent jusqu’à la fin du XIe siècle sur un territoire dont les frontières reconstituaient l’ancien Empire perse. Aux XIIIe et XIVe siècles, l’Iran subit les invasions mongoles de Gengis Khan et de Tamerlan. Cependant, pendant cette période, les régions du Fars et de Kermân gardèrent leur autonomie et elles contrôlaient comme avant les côtes et les îles du Golfe Persique et du détroit d’Ormuz. En effet, pendant une période de 150 ans, de 1346 à 1500, les côtes et les îles du Golfe Persique étaient dominées par le royaume d’Ormuz qui se soumettait aux gouverneurs locaux du Fars ou de Kermân.

En 1505, les Portugais arrivèrent par la mer d’Oman au Golfe Persique. Ils installèrent leur siège principal dans l’île d’Ormuz pour contrôler l’ensemble de la région pendant une période de cent ans.

Partie d’une carte de Perse montrant le détroit d’Ormuz, par George Curzon**, 1892, The Royal Geographical Society

Ismaïl Ier édifia, à partir de l’Azerbaïdjan, un nouvel Etat central en Iran, fondant la dynastie safavide qui allait gouverner l’Iran, progressivement réunifié, de 1502 à 1736. Son règne fut marqué par la naissance d’un conflit avec les Turcs ottomans, qui ne s’acheva qu’à la prise de Bagdad en 1623 par Shâh Abbâs Ier, le plus grand souverain safavide. Il réussit en 1602 à libérer Bahreïn de l’occupation portugaise, avant de libérer en 1612 les autres côtes et îles du Golfe Persique, dont un territoire qui constitue aujourd’hui une partie des Emirats Arabes Unis. En 1722, des tribus afghanes pillèrent Ispahan, capitale de la dynastie safavide déjà épuisée par les conflits intérieurs et des problèmes économiques. Après la révolte des Afghans, ils furent chassés en 1729 par l’armée nationale qui envahit l’Inde et s’empara de Delhi en 1739, puis chassa les Turcs d’Iran. Le chef de cette armée monta sur le trône en 1736 et prit pour nom Nâder Shâh (1688-1747).

Vers la fin du règne des Safavides et après la révolte des Afghans, des pirates arabes d’origine omanaise perturbèrent la sécurité des îles et des côtes du Golfe Persique. Nâder Shâh créa une puissante force navale pour restaurer la sécurité du Golfe Persique. Le gouverneur du port de Lengêh prit la tête des forces navales de Nâder Shâh et contrôla les îles principales du Golfe Persique dont Farour, Siri, Abou Moussâ, la Grande Tomb et la Petite Tomb. La mort de Nâder Shâh en 1747 fut suivie d’une période de paix et de prospérité sous la dynastie des Zands. Ces derniers conclurent des accords avec les Néerlandais et les Britanniques pour assurer ensemble la sécurité du Golfe Persique.

Au début du XIXe siècle, la Grande Bretagne étendit son influence militaire et économique dans le Golfe Persique. A partir de 1820, les Britanniques adoptèrent une stratégie anti-iranienne dans la région du Golfe Persique pour affaiblir les fondements de la domination politique, économique et culturelle du monde iranien dans cette région. Ces derniers étaient surtout soucieux d’empêcher l’Iran de créer une force navale moderne et puissante dans le Golfe Persique. Par ailleurs, pour affaiblir, à long terme, la domination iranienne sur la région, les Britanniques essayèrent de réduire l’influence de la langue et de la culture iraniennes dans le Golfe Persique. Dans le cadre de cette stratégie de "diviser pour mieux régner", les Britanniques tentèrent de modifier la situation socioculturelle de Bahreïn dont la population était majoritairement composée de d’iraniens persanophones, en interdisant l’enseignement de la langue persane dans les écoles.

Par ailleurs, les documents, les notes et les rapports datant des XVIIIe et XIXe siècles conservés dans les archives du Foreign Office [2] montrent que les colonisateurs britanniques reconnaissaient la souveraineté de l’Iran sur les côtes et les îles du Golfe Persique dans leurs documents officiels, leurs cartes et leurs ouvrages géographiques, etc.

De 1820 à 1887, tous les documents officiels et les cartes d’origine britannique reconnaissaient que les trois îles d’Abou Moussâ, la Grande Tomb et la Petite Tomb faisaient partie intégrante du territoire iranien. En effet, pendant cette même période, les Britanniques ont élaboré plusieurs cartes lesquelles confirment l’appartenance de ces îles à l’Iran :

- En 1786, la Compagnie britannique des Indes orientales avait élaboré une carte maritime de la mer d’Oman et du Golfe Persique. Dans cet ouvrage, les îles du Golfe Persique ont été réparties en cinq groupes. Le quatrième groupe indique les îles iraniennes dont les îles d’Abou Moussâ, la Grande Tomb et la Petite Tomb.

Carte d’Abou Moussâ, de la Grande Tomb et de la Petite Tomb

- En 1813, une délégation politique britannique en mission en Iran élabora une série de documents géographiques confirmant la souveraineté de l’Iran sur les îles du Golfe Persique dont les trois îles d’Abou Moussâ, la Grande Tomb et la Petite Tomb. Contrairement à la carte monochrome de 1786, cette nouvelle carte était en couleurs et ces trois îles clairement marquées par la même couleur que le territoire iranien.

- La 1ère (1864) et la 2ème (1883) éditions du livre de navigation publiées par la marine britannique présentent un "Guide maritime du Golfe Persique" qui confirment que les trois îles appartenaient incontestablement à l’Iran.

- En 1876, une carte du Golfe Persique fut élaborée en Inde par la compagnie britannique des Indes orientales, laquelle présente normalement les trois îles comme faisant partie intégrante du territoire iranien.

- En 1887, le ministère britannique de la Défense offre au roi Nâssereddine Shâh une carte qui représente les trois îles d’Abou Moussâ, la Grande Tomb et la Petite Tomb sous la souveraineté iranienne. Cette carte avait été dessinée en 1886 par le centre des renseignements du ministère britannique de la Défense.

De nombreux documents britanniques datant du XIXe et du début du XXe siècle reconnaissent ainsi la souveraineté de l’Iran sur un grand nombre d’îles du Golfe Persique dont les îles d’Abou Moussâ, de la Grande Tomb et de la Petite Tomb. Cependant, avant de quitter la région, au début des années 1970, les Britanniques décidèrent de remettre les îles iraniennes de la Grande Tomb et de la Petite Tomb à l’émirat de Ras al-Khaïmah et l’île iranienne d’Abou Moussâ à l’émirat de Sharjah, ces deux petits émirats faisant partie d’un Etat nouvellement créé suite à la fédération des sept émirats d’Abou Dhabi, Dubaï, Sharjah, Umm al-Qaïwain, Fujaïrah et Ras al-Khaïmah. Les colonisateurs britanniques furent ainsi à la source d’un litige territorial concernant la souveraineté de ces trois îles iraniennes du Golfe Persique.

Mais en réalité, l’ensemble des documents de toutes les périodes historiques montrent que ces îles ont depuis de nombreux siècles fait partie de la sphère politique, géographique et culturelle de l’Iran. Par ailleurs, pendant l’occupation britannique des îles du Golfe Persique, le gouvernement iranien a toujours protesté contre le maintien de la présence des forces étrangères et dès le départ des forces navales britanniques, les forces iraniennes rétablirent incontestablement et légitimement la souveraineté iranienne des îles d’Abou Moussâ, de la Grande Tomb et de la Petite Tomb, avant même la proclamation de la création des Emirats Arabes unis.

Cependant, le malentendu concernant la souveraineté de ces îles persiste étant donné que la région du Golfe Persique souffre toujours des conséquences du colonialisme britannique et de la présence renforcée des forces extrarégionales durant les dernières décennies.


* Egalement orthographiées “Grande Tunb” et “Petite Tunb”, leur nom provient du persan “tonb”(تنب) signifiant “colline”. (en persan : تنب بزرگ و تنب کوچک Tonb-e Bozorg va Tonb-e Kuchak).

** George Curzon (1859-1925), homme d’État britannique et ancien dirigeant du parti conservateur. Il connut une importante carrière diplomatique et fut notamment vice-roi des Indes, pour être ensuite nommé secrétaire d’État au Foreign Office. Il a donné son nom à la ligne Curzon partageant la Pologne et l’ex-URSS.

Notes

[1Satrapie : division administrative de la Perse antique, depuis Cyrus le Grand, gouvernée par un satrape.

[2Foreign Office : Ministère britannique des Affaires étrangères.


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