N° 41, avril 2009

La gendarmerie et les puissances étrangères


Rezâ Bastâmi
Traduit par

Babak Ershadi


Les Britanniques

La Grande-Bretagne a soutenu, dès le début, l’idée de la création d’une gendarmerie nationale en Iran. En réalité, les Britanniques souhaitaient que cette organisation militaire joue le rôle d’un contrepoids face à l’influence de la Russie sur la Brigade des cosaques. [1]

Les officiers suédois avaient une confiance totale dans les Britanniques et n’avaient pas compris tout de suite les intentions du gouvernement de Londres. Au départ, le colonel Hjalmarson se rendit tous les jours à l’ambassade britannique de Téhéran pour discuter avec l’ambassadeur des affaires de la gendarmerie iranienne. Les Britanniques soutenaient les activités du colonel Hjalmarson et de ses officiers étant donné que les gendarmes iraniens et leurs commandants suédois assuraient la sécurité des routes caravanières pour le transport des marchandises des commerçants britanniques. En avril 1925, l’ambassadeur britannique à Téhéran écrivit : « Les gendarmes sont de très bons soldats et travaillent efficacement pour la sécurité du pays. » [2]

Cependant, un événement survenu peu après la formation du régiment de gendarmerie de la province du Fars (sud) changea radicalement les relations entre les Britanniques et les commandants suédois. Le consul d’Allemagne à Boushehr relate ainsi les détails de cet événement : « Vers la fin du mois de décembre 1912, deux officiers suédois de la gendarmerie nationale, c’est-à-dire le major Brandel et le capitaine Nystrِm sont venus de Shiraz à Boushehr, à la tête de 40 gendarmes iraniens. Ils devaient se rendre au service des douanes pour prendre 1500 fusils et plusieurs mitrailleuses fabriqués en Allemagne pour la gendarmerie iranienne. Après leur arrivée à Boushehr, les deux officiers suédois reçurent de Téhéran l’ordre de rester quelques jours à Boushehr. Le consulat britannique réserva un accueil très chaleureux aux officiers suédois. Ces derniers furent invités à séjourner au consulat britannique. Mais le major Brandel et le capitaine Nystrِm préférèrent rejeter l’invitation du consulat britannique et louèrent une maison à l’extérieur de la ville. En effet, les officiers suédois voulaient montrer aux habitants de Boushehr qu’ils travaillaient pour le gouvernement iranien et non pas pour les Britanniques." Il ajouta également : "L’un des officiers suédois me confia : « Les Anglais nous tendent la main pour nous aider, mais ils entravent en même temps nos activités. Nous devons leur faire comprendre que nous sommes au service du gouvernement iranien et non pas au service du gouvernement de Londres. » La vigilance des officiers suédois fit comprendre aux autorités britanniques qu’il serait difficile de les mettre au service de leurs intérêts. C’est la raison pour laquelle l’ambassade de Grande-Bretagne à Téhéran essaya d’étendre son influence sur le commandement central de la gendarmerie nationale à Téhéran afin de contrôler l’ensemble des activités de la gendarmerie et de ses officiers suédois. Cependant, les Britanniques préféraient attendre la fin du projet de l’établissement de la gendarmerie dans la province du Fars, pour réaliser leur dessein." [3]

Les Russes

La réussite de la gendarmerie nationale à Téhéran pour assurer l’ordre et la sécurité des routes menant à la capitale contribua à inquiéter les Russes. Ces derniers craignaient la formation d’unités de gendarmerie dans la province du Fârs (sud) susceptible de rendre de grands services aux Britanniques et à leurs intérêts commerciaux en Iran. C’est pourquoi, les Russes regardaient d’un mauvais œil les activités de la gendarmerie nationale. En réaction au développement rapide de la gendarmerie iranienne commandée par les officiers suédois, les Russes essayèrent de renforcer la Brigade des cosaques, constituée de forces iraniennes mais sous leur commandement. En outre, ils voulaient que les unités de gendarmerie se soumettent au commandement de la Brigade des cosaques dans les régions septentrionales du pays. [4] Lorsque la Grande Bretagne découvrit le projet de la Russie, Londres proposa à Moscou de ne pas infiltrer d’officiers russes dans la gendarmerie nationale iranienne, mais d’augmenter le nombre des effectifs de la Brigade des cosaques à 6000 soldats, tandis que la gendarmerie nationale aurait entre 12 000 et 15 000 effectifs, proposition qui fut acceptée par les Russes. En outre, le gouvernement iranien s’engagea à consacrer un budget au développement de la Brigade des cosaques. Les Britanniques réussirent ainsi à empêcher les Russes de s’infiltrer dans l’administration de la gendarmerie nationale iranienne, et ce d’autant plus que les officiers suédois avaient installé les unités de la gendarmerie dans la province du Fârs, rassurant les Anglais quant à la sécurité de leur commerce dans les régions méridionales de l’Iran.

Seyyed Ziaoddin Tabâtabâ’i, Premier ministre et ministre de l’intérieur, accompagné de ses collaborateurs lors du coup d’Etat de 1921

En avril 1914, Hjalmarson prit un congé de six mois durant lequel il retourna en Suède. Pendant son absence, le major Klineberg fut nommé le commandant par intérim de la gendarmerie nationale. Les Britanniques sautèrent sur l’occasion pour retarder le paiement du salaire des officiers suédois qui étaient au service de la gendarmerie iranienne. Le major Klineberg écrivit alors une lettre au gouvernement iranien pour annoncer le mécontentement des officiers suédois. Au même moment, l’ambassadeur de France à Téhéran tenta de calmer la situation en demandant à l’ambassade britannique d’octroyer les prêts nécessaires au gouvernement iranien. L’ambassadeur britannique rejeta la demande de son homologue français, mais ce dernier réussit enfin à convaincre les officiers suédois de continuer leur service jusqu’au retour du général Hjalmarson. [5]

Les Allemands

La nomination du major Edouwal, commandant du régiment de Boroudjerd, à la tête de la gendarmerie nationale iranienne constitua un tournant important dans l’histoire de la gendarmerie en Iran. La Première Guerre mondiale avait commencé et les Allemands cherchaient à étendre leur influence sur la gendarmerie iranienne qui était la plus grande organisation militaire moderne du pays. A l’époque où le suédois Hjalmarson était à la tête de la gendarmerie nationale, l’ambassade d’Allemagne en Iran recevait régulièrement toutes les informations relatives à la gendarmerie car contrairement à l’américain Morgan Shuster qui se méfiait des ambassades des pays étrangers à Téhéran, le général Hjalmarson ne cachait pas ses activités et il rendait régulièrement des rapports aux ambassades des grands pays européens.

Après le déclenchement de la guerre en Europe, les Allemands cherchèrent un moyen d’ouvrir un nouveau front contre les Russes et les Britanniques en Orient dans le but de menacer les intérêts de leurs adversaires surtout en Afghanistan et en Inde. Dans ce cadre, les Allemands avaient envisagé de prendre en main le contrôle de la gendarmerie nationale iranienne qui était la seule formation militaire régulière en Iran qui n’était pas sous l’influence des Russes ou des Britanniques.

Dans ce droit fil, l’ambassade d’Allemagne à Téhéran établit de bonnes relations avec les officiers suédois à Téhéran. Par ailleurs, l’ambassadeur d’Allemagne à Prague rencontra le général Hjalmarson lors de son retour en Iran afin de lui annoncer que le gouvernement allemand était prêt à l’aider à renforcer la gendarmerie nationale iranienne, notamment sous forme d’aides financières et logistiques. Cependant, Hjalmarson lui répondit que sa position dépendrait de la décision du gouvernement suédois de rester neutre ou d’entrer en guerre contre la Russie. Hjalmarson affirma à l’ambassadeur d’Allemagne à Prague que si la Suède restait neutre dans la guerre et dans le cas d’un conflit militaire entre l’Iran et la Russie, il rapatrierait les officiers suédois d’Iran. Par conséquent, Hjalmarson fit comprendre aux Allemands qu’il n’était pas disposé à coopérer avec eux contre la Russie et la Grande Bretagne en tant que commandant de la gendarmerie iranienne. Finalement, le gouvernement suédois décida de rapatrier la plupart de ses officiers en service en Iran, ce qui a affaiblit le commandement suédois de la gendarmerie nationale d’Iran. [6]

Après le départ de Hjalmarson, le major Edouwal fut nommé commandant en chef de la gendarmerie nationale iranienne. Il établi très vite de bonnes relations avec les Allemands et il réussit à convaincre les officiers suédois qui restaient toujours en Iran de coopérer avec l’Allemagne. Les ambassades russes et britanniques à Téhéran se méfiaient des activités de l’Allemagne destinées à s’infiltrer dans la gendarmerie iranienne. Pour empêcher la réalisation des projets des Allemands, ils devaient affaiblir la gendarmerie et le moyen le plus efficace était de bloquer le budget de la gendarmerie nationale. En 1915, la gendarmerie fut ainsi privée de toutes ressources financières pendant deux mois. Le major Edouwal écrit à ce sujet : « C’était une période très difficile. Nous devions résister et essayer de trouver de l’argent. » [7]

Pendant ce temps, plusieurs officiers suédois avaient déjà quitté l’Iran et le contrat de ceux qui restaient était sur le point de se terminer. C’est pourquoi, le gouvernement iranien présenta un projet de loi au Parlement pour demander un budget afin de renouveler les contrats avec les officiers suédois. Après l’approbation de cette loi, le gouvernement iranien conclut de nouveaux contrats avec six officiers suédois dont le major Nystrِm. [8]

Après quelques mois, le major Nystrِm fut nommé commandant en chef de la gendarmerie nationale. Tous les conseillers militaires suédois durent quitter l’Iran et il n’en resta que quatre au service du major Nystrِm. Le départ de la plupart des officiers suédois constitua une victoire politique pour les Britanniques, mais dans le même temps, la gendarmerie nationale perdit de son prestige par rapport à la Brigade des cosaques, sous l’influence des Russes. Les Britanniques durent donc trouver une solution pour empêcher le développement de l’influence des Russes dans le pays. [9]

Les gouvernements iranien et britannique s’inquiétèrent du développement de l’influence des Russes en Iran. Dans ce sens, le gouvernement britannique proposa au gouvernement iranien la création de la police du sud sous l’égide des Britanniques. Jusqu’en mars 1917, les Anglais formèrent deux brigades de police dans les provinces du Kermân et du Fârs. Cependant, le gouvernement iranien préféra renforcer la gendarmerie nationale et entama des négociations avec la Suède en vue de réengager plusieurs officiers suédois. Au même moment, les Russes retirèrent leurs forces militaires d’Iran en raison de la révolution bolchevique de 1917. [10]

Pendant la présence des officiers suédois dans la gendarmerie nationale iranienne, les Russes et les Britanniques essayèrent constamment d’entraver leurs activités et d’affaiblir la gendarmerie. Mais à partir de 1917, les Britanniques s’aperçurent de la présence de tendances bolcheviques parmi certains éléments de la Brigade des cosaques. Cela conduisit de nouveau les Britanniques à soutenir le renforcement de la gendarmerie (1917) et l’engagement de nouveaux officiers suédois dans cette organisation militaire.

Azizollah Khân Zarghâmi

Cette fois-ci, le gouvernement soviétique de la Russie s’opposa à ce plan, étant donné que les bolcheviques russes souhaitaient rétablir leur influence en Iran par le biais de la Brigade des cosaques. Mais le coup d’Etat de Rezâ Khân, général de la Brigade de cosaques, déjoua les plans des soviétiques : après ce coup d’Etat, les Anglais s’emparèrent du contrôle des divisions des cosaques en Iran.

Après le coup d’Etat de Rezâ Khân, le gouvernement britannique se débarrassa rapidement de son adversaire russe sur la scène politique, économique et militaire de l’Iran. En outre, les Britanniques préférèrent soutenir les projets de Rezâ Khân pour créer une armée moderne et puissante, unifiée sous son commandement central. Pour réaliser ce projet, le gouvernement né après le coup d’Etat annonça la fusion des unités de la gendarmerie (ministère de l’Intérieur) avec les organisations militaires du ministère de la Défense. [11]

Les hauts commandants iraniens de la gendarmerie nationale qui avaient coopéré avec le gouvernement du coup d’Etat de Rezâ Khân et du Premier ministre Seyyed Ziâ furent récompensés en obtenant des postes importants au sein du cabinet. Deux officiers de la gendarmerie, le colonel Sayyâh et le major Keyhan qui avaient collaboré avec Rezâ Khân pendant la prise de Téhéran, furent nommés respectivement gouverneur militaire de Téhéran et ministre de la Défense. Après le coup d’Etat, les hauts commandants de la gendarmerie furent nommés préfets et sous-préfets de la plupart des grandes villes.

Malgré la coopération de la gendarmerie avec le gouvernement du coup d’Etat, les politiques de Rezâ Khân finirent par affaiblir la gendarmerie en 1921. En effet, Rezâ Khân essaya de préparer le terrain à la fusion totale de la gendarmerie nationale dans les divisions des cosaques. [12]

Le 6 décembre 1921, Rezâ Khân réunit les commandants de la gendarmerie nationale à Téhéran pour leur annoncer sa décision : « J’ai étudié depuis plusieurs mois le bilan de la gendarmerie nationale. C’est pourquoi je vous ai demandé de vous réunir tous ici, car vous êtes tous des militaires exemplaires et compétents. Je fais l’éloge des efforts inlassables du général Hjalmarson, fondateur de la gendarmerie iranienne, et aux efforts également de ses conseillers et commandants. Mais je pense que depuis quelque temps, la gendarmerie a perdu son organisation du départ, pour devenir un corps militaire qui devrait adhérer le reste de l’armée iranienne. Par conséquent, les officiers et les conseillers militaires étrangers ne doivent plus s’ingérer directement dans les affaires des forces armées. Aujourd’hui, je vous annonce officiellement que je me charge en personne du commandement de la gendarmerie nationale et je vais aussitôt prendre les mesures nécessaires pour la fusion de la gendarmerie dans le corps de l’armée iranienne. »

Le même jour, Rezâ Khân destitua le commandant en chef de la gendarmerie nationale, et désigna le colonel Azizollah Khân Zarghâmi en tant que commandant par intérim de la gendarmerie. Les opérations de la fusion de la gendarmerie et de l’armée s’achevèrent le 7 janvier 1922, avec le transfert de tous les officiers et les effectifs de la gendarmerie à l’armée. [13]

Rezâ Khân réussit ainsi à détruire la gendarmerie nationale au profit des divisions des cosaques. Il installa aussitôt ses camarades dans la Brigade des cosaques aux postes clé de l’armée, en vue de réduire l’influence politique et militaire des commandants de l’ancienne gendarmerie.

Notes

[1Alibâbâ’ï, Gholâm-Rezâ, Op.cit., p. 120.

[2Akhavân, Safâ, Op.cit., pp. 242-245.

[3Maddâdi, Mohammad, Les Suédois en Iran, Téhéran, éd. Goftemân, 2002, pp. 163-168.

[4Alibâbâ’ï, Gholâm-Rezâ, Op.cit., pp. 122-123.

[5Ibid., pp.123-125.

[6Akhavân, Safâ, Op.cit., pp. 244-245.

[7Maddâdi, Mohammad, Op.cit., pp. 104-106.

[8Alibâbâ’ï, Gholâm-Rezâ, Op.cit., p. 136.

[9Ibid., p. 137.

[10Ibid., pp. 143-144.

[11Cronin, Stefanie, Op.cit., pp. 92-97.

[12Ibid., pp. 98-99.

[13Alibâbâ’ï, Gholâm-Rezâ, Op.cit., p. 152.


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