N° 41, avril 2009

La gendarmerie nationale d’Iran


Rezâ Bastâmi
Traduit par

Babak Ershadi


Au début du XXe siècle, pendant les premières années du mouvement constitutionnaliste, la nécessité de l’existence d’une force militaire centralisée, puissante et efficace, capable d’assurer l’autorité du gouvernement central sur l’ensemble du territoire se fit ressentir. Cependant, les premières initiatives pour former une telle force échouèrent, jusqu’à ce que les évolutions politiques de l’époque de la révolution constitutionnelle révèlent l’urgence de la formation d’une « organisation militaire fiable ».

En 1908, la Brigade iranienne des Cosaques commandée par les Russes [1] bombarda violemment le siège du Parlement, avant de le dissoudre illégalement. Par conséquent, les commandants de la Brigade des Cosaques manifestèrent ouvertement leur opposition au régime constitutionnel. Un an plus tard, en 1910, après le couronnement du jeune roi qâdjâr Ahmad Shâh, le pays souffre encore de l’absence d’une armée unifiée et puissante. En outre, les événements survenus pendant les trois ans de combat entre les constitutionnalistes et les forces contre-révolutionnaires réunies autour de Mohammad Ali Shâh affaiblirent considérablement le pouvoir du gouvernement central, de sorte que ce dernier perdit pratiquement son autorité sur la plupart des provinces du pays. En outre, l’affaiblissement du gouvernement central entraîna des conflits d’influence et de pouvoir parmi les chefs de tribu, ce qui menaça la sécurité du commerce et des activités économiques. La trésorerie publique fut incapable de payer ses dettes et fut au bord de la faillite.

Tandis que l’insécurité régna dans les provinces, la Grande-Bretagne exigea du gouvernement central la création d’une nouvelle organisation militaire pour protéger les voies commerciales, notamment dans les régions du sud. La Russie soutint, pour sa part, la position de Londres, en mettant l’accent sur la sécurisation des régions septentrionales du pays. En réalité, les deux puissances coloniales se préoccupèrent, l’une comme l’autre, de la sécurité de leurs zones d’influence en Iran. Les Britanniques avaient même menacé de prendre directement en main l’initiative de la formation d’une nouvelle organisation militaire en Iran si le gouvernement iranien ne s’en occupait pas lui-même.

Dans un premier temps, le gouvernement iranien s’efforça de restructurer ce qui restait encore de son armée de terre, en comptant surtout sur les unités militaires installées à Téhéran. Mais cette stratégie révéla aussitôt ses limites. C’est la raison pour laquelle le cabinet du nouveau Premier ministre, Mostofi al-Mamâlek, élabora un plan prévoyant la formation d’une nouvelle organisation militaire pour assurer la sécurité intérieure du territoire, sous la supervision des conseillers militaires étrangers. Ce plan aboutit d’abord à la création de la « Gendarmerie du Trésor » (jândarmeri-e khazâneh) et ensuite de la « Gendarmerie nationale » (jândarmeri-e melli). La gendarmerie moderne créée à l’époque de la dynastie des Qâdjârs ne dura que onze ans, car cette organisation militaire créée en 1910 par le suédois Hjalmarson et ses conseillers fut dissolue en 1921, peu de temps après le coup d’Etat de Rezâ Khân.

Création de la Gendarmerie du Trésor

La deuxième législature du Parlement iranien (1909-1911) approuva le projet de loi portant sur la formation de la Gendarmerie nationale. Cette loi prévoyait la création de la gendarmerie, dans le cadre d’un plan général de modernisation des forces armées iraniennes par les conseillers militaires étrangers. [2]

Harald Hjalmarson

Le 10 août 1910, le gouvernement présenta un projet de loi au Parlement pour demander l’autorisation d’embaucher plusieurs conseillers étrangers pour les ministères des Finances, de l’Intérieur et de la Justice. Dans ce projet de loi, le gouvernement proposait également d’engager trois officiers italiens dans la gendarmerie. Cependant, la trésorerie étant en difficulté, le projet d’embaucher des officiers étrangers pour accélérer le plan de la formation de la gendarmerie avança très lentement ; et ce d’autant plus que le Parlement s’était opposé à l’époque aux conditions définies par les gouvernements russe et britannique pour l’octroi de prêts demandés par le gouvernement iranien. [3]

En tout état de cause, la gendarmerie nationale fut fondée dans le cadre d’un plan général pour les réformes des forces militaires. En novembre 1910, le Parlement ratifia une loi autorisant le gouvernement à engager des conseillers militaires italiens pour la gendarmerie ainsi que des conseillers financiers américains et français pour les ministères de l’Intérieur et de la Justice. Ces conseillers étrangers devaient présenter leur service au gouvernement iranien dans le cadre de l’application d’un plan général de réformes et de modernisation.

Etant donné l’opposition des gouvernements russe et britannique, l’Italie décida finalement de ne pas envoyer ses conseillers militaires en Iran. Par conséquent, Rome rejeta finalement les demandes successives de Téhéran. Le gouvernement iranien changea donc de stratégie pour ne pas attiser la sensibilité des gouvernements russe et britannique, en décidant d’engager des officiers suédois, avec qui il avait engagé des pourparlers en janvier 1911. Ainsi, en juin 1911, le gouvernement suédois envoya une équipe trois officiers en Iran commandée par le capitaine Jalmarson afin de former les effectifs de la gendarmerie iranienne, sous la supervision du ministère de l’Intérieur. Le premier objectif de la gendarmerie était alors d’assurer la sécurité des routes dans différentes régions du pays. Au mois de septembre 1911, le Parlement approuva l’engagement de sept autres conseillers militaires suédois, qui arrivèrent avant la fin de cette même année. [4]

Au même moment, le conseiller financier américain qui avait été engagé par le ministère des Finances fut nommé à la tête du Trésor Public. Le Parlement iranien avait autorisé l’engagement de l’américain Morgan Shuster pour qu’il dirige les réformes et la modernisation du système financier du pays. Dans le cadre de ses projets financiers, ce dernier décida de créer une gendarmerie du Trésor pour la collecte des impôts sur l’ensemble du territoire, mais également pour sécuriser les routes et lutter contre les bandits, afin de la transformer peu à peu en une véritable gendarmerie nationale. Cependant, de nombreux responsables politiques iraniens s’opposèrent aux projets de Morgan Shuster et le contraignirent à abandonner, tout en continuant à poursuivre avec beaucoup d’énergie ses efforts visant à créer sa gendarmerie du Trésor. Bien qu’il ait exprimé lui-même l’inutilité et le coût financier de la création de deux corps administrativement indépendants, le Parlement finit par ratifier, le 6 juillet 1911, la création de la gendarmerie du Trésor proposée par Shuster, et de la gendarmerie nationale supervisée par des officiers suédois.

Morgan Shuster

La première, originellement chargée de la collecte des impôts, prit de plus en plus de pouvoir, de sorte que ses effectifs furent également chargés de sécuriser les routes. [5] Quant à la gendarmerie du Trésor, elle fut essentiellement composée d’effectifs iraniens, et ne compta que quelques officiers américains et européens. L’un d’entre eux était le major Stocks, ancien attaché militaire de l’ambassade britannique à Téhéran, qui était connu pour son soutien aux partisans du mouvement constitutionnaliste en Iran. En parallèle, des avancées importantes furent réalisées en vue de transformer la gendarmerie en une force militaire entièrement iranienne, par la formation de nouveaux officiers ainsi que par le transfert des officiers d’autres corps armés vers la gendarmerie du Trésor. Morgan Shuster supervisa directement le choix des officiers.

Sur ordre de ce dernier, la gendarmerie du Trésor s’impliqua dans de nombreux conflits et affrontements survenus à l’époque, ce qui contribua à augmenter l’importance de cette organisation militaire tant dans la politique intérieure que dans la politique étrangère de l’Iran. [6] Dans son Journal, Morgan Shuster écrit : « Il était absolument nécessaire que pour la collecte des impôts, le gouvernement iranien forme de nouvelles unités militaires modernes dans quatre points importants du pays, c’est-à-dire Tabriz, Qazvin, Ispahan et Shiraz. J’ai eu l’idée de créer un corps indépendant sous forme d’une gendarmerie du Trésor directement commandée par le Garde des Sceaux. J’exigeai que ce corps militaire soit considéré comme indissociable de la trésorerie. » [7]

En vertu de la loi du 13 juin 1911, le major Stocks, ancien attaché militaire de l’ambassade britannique à Téhéran, fut nommé commandant de la gendarmerie du Trésor. Il avait servi à l’ambassade britannique pendant quatorze ans et parlait très bien le persan. Cependant, les Russes s’opposèrent à sa nomination et le gouvernement iranien décida de ne pas le garder à ce poste. [8] Le gouvernement britannique ne réagit pas à l’opposition des Russes étant donné que l’insécurité régnait à l’époque dans les régions du sud de l’Iran, et les autorités civiles avaient du mal à choisir le lieu de service du major Stocks. Par ailleurs, l’acceptation de cette situation par les Britanniques était considérée par les autorités iraniennes comme la reconnaissance du traité de 1907. Le major Stocks quitta l’Iran pour l’Inde, avant d’y revenir après quelque temps. Le premier régiment de gendarmerie du Trésor fut formé par Morgan Shuster, et commandé par lui-même et cinq officiers américains. [9]

Hjalmarson, (cinquième personne en partant de la gauche)

Le siège du régiment de la gendarmerie du Trésor se situait à Bâgh-e Shâh, à Téhéran. Ce régiment était composé d’un bataillon d’infanterie et d’un bataillon de cavalerie, composés de cinq compagnies chacun. [10] Morgan Shuster envisagea le développement de régiments afin de pouvoir installer de nouvelles unités de gendarmerie du Trésor dans d’autres grandes villes iraniennes. Dans ce but, il décida de créer un centre de formation militaire à Bâgh-e Shâh pour y former de nouveaux effectifs de la gendarmerie du Trésor. Grâce aux efforts de l’américain Morgan Shuster, la gendarmerie du Trésor gagna rapidement le respect et le soutien de l’opinion publique ; cependant, cette nouvelle organisation militaire se heurta rapidement à d’importants problèmes, notamment l’existence d’importantes rivalités avec les Russes.

La Gendarmerie nationale

Le suédois Jalmarson avait, de son côté, préparé le terrain à la formation de la gendarmerie nationale, après s’être procuré assez d’informations sur la situation générale du pays. Il s’attela d’abord à préparer les programmes de formation militaire. En octobre 1911, l’Ecole des officiers commença ses activités avec une trentaine d’élèves. Quelques mois plus tard, en février 1912, Jalmarson fonda l’Ecole des sous-officiers, avec 66 élèves. Les premiers diplômés de ces écoles finirent leurs études six mois plus tard, c’est-à-dire au mois de mai 1912.

La gendarmerie nationale fut officiellement inaugurée en mai 1912 avec les officiers du ministère de la Défense et les officiers de la gendarmerie du Trésor. Les diplômés des écoles de Jalmarson rejoignirent peu à peu ce groupe. [11]

Deux ans après la création de la gendarmerie nationale, cette force militaire se déploya vers les autres villes iraniennes. En décembre 1912, la gendarmerie nationale était composée de 21 officiers suédois et près de 3000 officiers et effectifs iraniens. Un an plus tard, le personnel de la gendarmerie nationale avait presque doublé : 36 officiers suédois et près de 6000 effectifs iraniens. En février 1912, Jalmarson créa deux régiments à Téhéran ainsi qu’un régiment de gendarmes à Shiraz. Au début de l’année 1914, sept autres régiments de gendarmes sont fondés en Iran. La gendarmerie nationale avait deux sièges de commandements centraux à Téhéran, et des commandements locaux à Shiraz, Kermân, Qazvin, Ispahan et Boroudjerd. Durant ces années, le personnel de la gendarmerie nationale acquit de précieuses expériences au cours de ses nombreuses opérations, alors qu’elle absorbait un budget de plus en plus important. Les fonds nécessaires étaient fournis, en général, par les prêts octroyés par les gouvernements russe et britannique. [12]

Selon les statuts de la gendarmerie nationale approuvés en 1912, cette organisation militaire était responsable de la sécurité à l’intérieur et à l’extérieur des villes, notamment la sécurisation des voies et des routes commerciales. La gendarmerie nationale devait également lutter contre les bandits et empêcher le désordre et les troubles. Les missions de la gendarmerie nationale nécessitaient naturellement le développement des activités des forces commandées par Jalmarson dans l’ensemble du territoire iranien, ce qui ne pouvait se réaliser que progressivement. Dans ce but, Jalmarson envisagea un plan en deux étapes, prévoyant le développement de la présence administrative et opérationnelle de la gendarmerie nationale dans les principaux réseaux routiers reliant Téhéran aux grandes villes du pays. Il organisa ensuite la formation de nouveaux régiments pour assurer la sécurité des autres régions du pays.

Notes

[2Cronin, Stefanie, L’armée et le gouvernement des Pahlavi, traduit en persan par Gholâm-Rezâ Alibâbâ’ï, Téhéran, éd. Khojasteh, 1998, p. 37.

[3Ibid., p. 112.

[4Ibid., pp. 40-41.

[5Akhavân, Safâ, L’Iran et la Première Guerre mondiale, éd. du Ministère des Affaires étrangères, Téhéran, 2001, p. 240.

[6Ibid., pp. 242-243.

[7Shuster, Morgan, La tyrannie en Iran, traduit en persan par Abolhassan Moussavi Shoushtari, Téhéran, éd. SafialiShâh, 1983, p. 77.

[8Ghâem-Maghâmi, Jahânguir , L’Histoire de la gendarmerie en Iran, des origines à nos jours, Téhéran, 1976, pp. 110-112.

[9Ibid., p. 112.

[10Cronin, Stefanie, Op.cit., p. 43.

[11Alibâbâ’ï, Gholâm-Rezâ, Ibid. pp.116-117.

[12Cronin, Stefanie, Op.cit., pp. 43-44.


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