|
L e musée archéologique de Téhéran (Mouzeh-ye Iran-e Bâstân) présente depuis le 12 septembre 2010, pour une durée de quatre mois, le cylindre de Cyrus (manshour-e Kourosh), prêté par le British Museum de Londres.
Le cylindre de Cyrus, petit rouleau de terre cuite d’une longueur d’environ 22 centimètres, a la particularité de présenter sur toute sa surface un texte en cunéiforme babylonien, gravé sur les ordres du roi de Perse Cyrus II le Grand, après sa conquête de l’Empire babylonien en 539 avant l’ère chrétienne. Il fut découvert en 1879 sur le site de Babylone - appartenant à l’époque à l’Empire ottoman, aujourd’hui en Irak - par une équipe d’archéologues du British Museum de Londres. Il fait partie des collections de ce musée, l’un des plus grands du monde, qui l’avait déjà prêté à l’Iran pour une exposition, il y a quarante ans.
La présentation particulièrement soignée par les organisateurs de l’exposition est digne de cette trouvaille archéologique qui a acquis un statut d’icône en sa qualité de témoin d’un grand événement de l’histoire du Moyen-Orient, à savoir la prise de Babylone qui a permis l’extension de l’Empire perse achéménide sur la plus grande partie du Proche-Orient, des frontières de l’Egypte à celles de l’Inde. Son texte, qui autorisait le retour vers leur pays d’origine de peuples déportés par les différents rois de Babylone, impliquait une liberté de l’expression religieuse dans l’Empire perse.
Le fait que cette exposition ait été inaugurée en présence du Président de la République islamique d’Iran indique la haute portée symbolique que le pays attribue à cet objet vieux de plus de 2500 ans. Bien qu’écrit en babylonien et exécuté en Irak, ce cylindre est considéré comme faisant partie de la longue histoire de la Perse. Il permet de rappeler qu’au faîte de sa puissance, Cyrus était à la tête d’un empire immense et prospère.
Un cérémonial très particulier pour la visite a été mis en place par le musée Iran-e Bâstân. L’introduction des visiteurs dans la salle du cylindre de Cyrus se fait par petits groupes, sous l’œil vigilant de nombreux gardiens. Le cylindre et les deux fragments de tablette qui l’accompagnent sont disposés au centre de la salle, protégés par une vitrine de verre. Cet unique dispositif est complété par quelques panneaux accrochés en cercle sur le pourtour de la salle, sur lesquels on peut lire la traduction en persan du texte du cylindre et la biographie d’Hormuzd Rassam, l’archéologue du British Museum à l’origine de sa découverte. Cette organisation particulière fait comprendre au visiteur qu’il est en présence d’un objet d’une valeur exceptionnelle.
Ce prêt a été consenti par le British Museum dans le cadre de sa politique de large diffusion de ses collections à travers le monde. C’est aussi un acte de réciprocité après que Le Musée National d’Iran lui eût prêté de précieux objets pour la grande exposition qui eût lieu en 2009 à Londres sur le règne de Shâh Abbâs, en association avec l’Organisation de l’héritage culturel d’Iran.
Le transfert du cylindre de Cyrus à Téhéran avait été initialement prévu pour septembre 2009 mais a été retardé par deux événements imprévus : les tensions politiques qui ont suivi l’élection présidentielle iranienne de juin 2009 puis une découverte tout à fait inattendue faite dans les réserves du British Museum, de deux minuscules fragments de tablette d’argile provenant d’un petit site de fouilles archéologiques proche de Babylone. Ces fragments reproduisaient le texte du cylindre, que tous les spécialistes pensaient unique. Ils étaient présents dans les réserves du musée depuis 1881 mais leur signification n’avait jamais été comprise jusqu’à la récente étude effectuée par le Professeur Wilfred Lambert de l’Université de Birmingham et par le Docteur Irving Finkel du département du Moyen-Orient du British Museum. Cette étude tardive s’explique par le fait que ces fragments font partie d’un vaste ensemble de 130 000 tablettes ou fragments cunéiformes acquis au XIXe siècle en provenance de Mésopotamie, et dont l’étude ne peut se faire que progressivement.
A la suite de cette découverte, un atelier organisé conjointement par le British Museum et l’Organisation de l’Héritage culturel d’Iran a eu lieu à Londres pour discuter de la signification, dans le contexte du cylindre de Cyrus, des deux fragments de tablette découverts. Des experts venus du monde entier, y compris d’Iran, ont été conviés à participer à cet atelier et une présentation publique en a été faite dans l’auditorium du musée. Cet atelier a conclu à la nécessité de joindre ces deux fragments au cylindre pour la présentation à Téhéran.
Cyrus y proclame qu’il a conquis Babylone sans combattre, avec l’aide de Marduk, le dieu principal de cette cité. Puis il décrit les mesures prises en faveur de ses habitants et détaille comment il a rendu aux temples de Mésopotamie et d’Iran occidental leur faste d’antan par des restaurations d’envergure et permis le retour des représentations de leurs dieux, que Nabonide, le roi de Babylone vaincu et capturé par Cyrus, avaient emportées. Il décrit par ailleurs l’organisation qu’il met en place pour permettre le retour dans leur pays des peuples conquis et déplacés dans l’Empire de Babylone par ses rois.
Voici une partie du texte en français de la traduction effectuée par Irving Finkel, du British Museum :
« Je suis Cyrus, roi du monde, grand roi, puissant roi, roi de Babylone, roi de Sumer et d’Akkad, roi des quatre quarts du monde, le fils de Cambyse, grand roi, roi d’Anshan, petit-fils de Cyrus, grand roi, roi de la cité d’Anshan, descendant de Teispès, grand roi, roi d’Anshan, d’une lignée royale éternelle, dont Bel [Marduk] et Nabû aiment la royauté, dont ils désirent le gouvernement pour le plaisir de leur cœur. Quand je suis entré à Babylone d’une manière pacifique, j’établis ma demeure seigneuriale dans le palais royal au sein des réjouissances et du bonheur. Marduk, le grand seigneur, fixa comme son destin pour moi un cœur magnanime d’un être aimant Babylone, et je m’emploie quotidiennement à sa dévotion. Ma vaste armée marcha pacifiquement sur Babylone ; je ne permis à personne d’effrayer les peuples de Sumer et d’Akkad. J’ai recherché le bien-être de la cité de Babylone et de tous ses centres sacrés. Pour ce qui est des citoyens de Babylone, auxquels [Nabonide] avait imposé une corvée n’étant pas le souhait des dieux et ne [...] convenant guère [aux citoyens], je soulageai leur lassitude et les libérai de leur service. Marduk, le grand seigneur, se réjouit de mes bonnes actions. Il donna sa gracieuse bénédiction à moi, Cyrus, le roi qui le vénère, et à Cambyse, le fils qui est ma progéniture, et à toute mon armée, et en paix, devant lui, nous nous déplaçâmes en amitié. Par sa parole exaltée, tous les rois qui siègent sur des trônes à travers le monde, de la Mer Supérieure à la Mer Inférieure, qui vivent en des districts fort éloignés, les rois de l’Ouest, qui résident en des tentes, tous, apportèrent leur lourd tribut devant moi et à Babylone embrassèrent mes pieds. De Babylone à Assur et de Suze, Agade, Eshnunna, Zamban, Me-Turnu, Der, d’aussi loin que la région de Gutium, les centres sacrés de l’autre côté du Tigre, dont les sanctuaires avaient été abandonnés pendant longtemps, je retournai les images des dieux, qui avaient résidé [à Babylone], à leur place et je les laissai résider en leurs demeures éternelles. Je rassemblai tous leurs habitants et leur redonnai leurs résidences. En plus, sur commande de Marduk, le grand seigneur, j’installai en leurs habitats, en d’agréables demeures, les dieux de Sumer et Akkad, que Nabonide, provoquant la colère du seigneur des dieux, avait apportés à Babylone. Puissent tous les dieux que j’installai dans leurs centres sacrés demander quotidiennement à Bel et Nabû que mes jours soient longs, et puissent-ils intercéder pour mon bien-être. [...]Le peuple de Babylone bénit mon règne, et j’établis toutes les terres en de pacifiques demeures. »
Dès l’Antiquité, Cyrus fut considéré par quelques Grecs, Hérodote et Eschyle en particulier qui ont vécu après sa mort, comme un grand conquérant plein de bonté. Bien que les Juifs déportés à Babylone par Nabuchodonosor II ne soient pas mentionnés dans le texte du cylindre, la Bible mentionne leur retour à Jérusalem par la volonté du grand Cyrus.
Quand le dernier shâh d’Iran, Mohammad Rezâ Pahlavi, eut l’idée de célébrer les 2500 ans de l’Empire perse en 1971, il alla se recueillir sur la tombe du roi Cyrus II à Pasargades près de Persépolis. Au même moment, il envoyait sa sœur jumelle à New-York et la chargeait d’offrir aux Nations-Unies une copie du cylindre de Cyrus. Le Secrétaire général de l’organisation internationale s’empressa de la remercier de ce cadeau historique qu’il qualifia d’une des premières déclarations des droits de l’Homme, insistant sur la volonté de Cyrus à apporter la paix en respectant les autres civilisations. Les Nations Unis firent traduire le texte du cylindre de Cyrus dans toutes les langues officielles de l’organisation. Cette copie offerte est toujours exposée à la vue des visiteurs dans l’immeuble des Nations-Unies à New-York.
Comme le rappellent des historiens tels que Josef Wiesehِfer et Hanspeter Schaudig, spécialistes allemands de l’histoire de l’Assyrie, faire de Cyrus un pionnier de l’égalité est un non-sens historique, alors qu’il exigeait de ses sujets de lui baiser les pieds et qu’il fut responsable de trente années de guerre qui embrasèrent l’Orient et forcèrent des millions d’hommes à payer de lourds tributs.
Selon un article du magazine allemand Der Spiegel, le texte du cylindre est plus probablement le fruit d’une tradition mésopotamienne, remontant au troisième millénaire avant l’ère chrétienne, selon laquelle les rois commençaient invariablement leur règne par une déclaration des réformes à entreprendre. Et c’est là que les deux fragments de tablette d’argile qui accompagnent le cylindre dans la salle du musée de Téhéran prennent tout leur sens, car ils indiquent qu’il s’agissait bien d’un décret impérial destiné à être largement diffusé dans tout l’Empire perse.
Bibliographie :
Site Internet du British Museum
Articles de Matthias Shulz, édités dans le magazine allemand Der Spiegel