Bahrâm Zand, doubleur confirmé de célèbres films et séries télévisées étrangers ou iraniens tels que Navarro ou Sherlock Holmes, possède une voix connue de tous les Iraniens, une voix avec laquelle ils ont grandi, pleuré et ri.

E.M. : Monsieur Zand, vous avez commencé très jeune le doublage. Comment vous êtes-vous orienté vers ce métier ?

B.M. : Je me suis toujours intéressé à la présentation des films. Etant donné la particularité de ma voix, on m’encourageait souvent à passer l’examen d’entrée, en m’assurant que je réussirais, car chaque fois que je commençais à parler, mon entourage se taisait pour m’écouter. Un jour je me suis rendu à l’association des présentateurs pour passer l’examen. A l’époque, il fallait faire un stage chez les professionnels et les pionniers de ce métier afin d’adapter sa voix au rôle prévu, d’apprendre à traiter la voix et de la raffiner pour qu’elle soit claire malgré les parasites. De cette façon, j’ai suivi des stages et après plusieurs étapes, voilà presque 40 ans que je travaille dans ce domaine.

Bahrâm Zand

E.M. : D’après vous, le doublage est-il un art ou une technique ?

B.M. : Les deux ; je ne les considère pas comme des choses séparées. Vous ne trouvez aucun art qui ne soit accompagné de sa technique propre. Comme la musique et la poésie. En fait, chaque domaine artistique suit certaines règles spécifiques qui pourront s’adapter à votre état d’esprit, lequel présente un caractère unique. En apprenant la technique de chaque art, on prépare le terrain pour l’épanouissement de ce qui est caché et inconnu. Un musicien qui joue d’un instrument de musique ne fait rien d’autre que de suivre une pratique répétée et mathématique, mais au moment où ses doigts jouent vraiment la note, de par sa volonté, l’art apparaît. C’est le même cas pour le doublage. Une partie du doublage consiste en sa technique et l’autre est comme une inspiration qui revivifie l’artiste. Ce phénomène en apparence facile est en réalité assez difficile à mettre en pratique.

E.M. : Peut-on considérer le doublage comme une action où le jeu est mené par la voix ?

B.M. : Oui, c’est exactement cela. Lors d’un doublage, nous faisons autant d’efforts que l’acteur lui-même, en évitant d’en dire plus que lui. Nous nous transformons en acteurs. Quand nous faisions le doublage du film Patriot, après le doublage d’une scène où le fils de Gibson meurt, le doubleur du rôle du père a quitté le studio et a pleuré à chaudes larmes, comme s’il était vraiment le père. Ou bien, au moment du doublage du film Le sixième sens, mesdames Shirzâd et Râdpour, affectées par la scène entre la mère et le fils, se sont mises à pleurer et, en tant que directeur du doublage, j’ai quitté le studio pour qu’elles soient à l’aise et exprimer leur peine.

Je suis plutôt fier de nos doubleurs qui, sans être vus, sont en réalité de véritables acteurs. Evidemment, ce type de travail valorise tout le monde.

Certains directeurs peuvent, en deux jours, travailler sur deux ou trois films. Ce n’est pas du tout mon cas, ce qui ne veut pas dire que je suis un directeur lent.

Notre métier ressemble quelque peu à celui du gardien de but dans le football ; ce dernier est chargé de défendre le but. Quand il réussit, cela reste inaperçu, mais dès qu’il échoue, on pense toujours qu’il aurait pu faire mieux. Cette règle s’applique aussi à nous. Si nous travaillons bien, cela ne se voit pas, mais un petit manquement se remarque énormément.

E.M. : Quant à l’avenir des doubleurs, existe-t-il des assurances ?

B.M. : Notre métier n’a pas de retraite. Si un jour, je perds ma voix, je serai fini. Une personne qui consacre toute sa vie à ce métier s’expose à un grand risque, comme une petite bulle à la surface de l’eau qui peut disparaître à tout instant. Comme si elle n’avait jamais existé. Beaucoup ont couru ce risque.

Certains de nos collègues choisissent ce métier en tant que métier secondaire. Mais c’est uniquement quand c’est votre seul et unique métier que vous pouvez montrer tout votre potentiel. Pour moi, le doublage est mon métier ultime, et j’ai conscience du risque que je cours de tomber un jour malade, de perdre ma voix et donc mon emploi.

E.M. : Que pensez-vous du doublage iranien par rapport à ceux des autres pays ?

B.M. : A mon avis, l’Iran possède un très bon rang dans l’art du doublage et est placé au-dessus des autres pays voisins. Il peut même être considéré comme un modèle pour les pays développés. Mail il faut être attentif à ce métier. D’un côté, il faut respecter les pionniers du métier et les encourager à coopérer avec les jeunes, et de l’autre, il faut donner courage et assurance aux talents qui, au début, rencontrent beaucoup de difficultés. L’expérience n’est pas comme une révélation ; il faut avoir de la persévérance. Toute personne doit exécuter son travail avec une grande conscience professionnelle, car notre peuple mérite de voir et d’écouter des programmes de qualité. Avoir une belle voix ne suffit pas pour assurer la réussite dans ce métier. Plusieurs éléments y sont demandés, dont le travail d’équipe, l’étude des caractéristiques du personnage, la conscience professionnelle, la technique, etc.

E.M. : Comment évaluez-vous la qualité du doublage des nouveaux films ?

B.M. : Le doublage a deux étapes : l’une est technique et l’autre dramatique ou bien artistique. Aujourd’hui, la plupart des œuvres s’arrêtent à l’étape technique, sans tenir compte des aspects artistico-dramatiques. Ce métier exige une grande concentration et il ne faut pas avoir le souci de l’encadrement temporel. Je me concentre beaucoup sur le dialogue avant l’enregistrement. Cette pratique aide beaucoup le doubleur dans l’établissement d’une relation intime avec l’image. Après, c’est le moment où le directeur du doublage intervient et fait ses remarques sur ce qui pourrait être amélioré.

Bahrâm Zand et Ezzatollah Entézâmi, pionniers iraniens en matière de doublage

E.M. : Que proposez-vous pour améliorer la qualité du doublage des films ?

B.M. : Une bonne planification préalable. Par exemple, on peut programmer le doublage des films sur toute une année pour présenter un travail de qualité. Ce serait dommage de ternir les résultats de par exemple 57 ans de travail de doublage pour une demande de travail pressée par les fêtes.

E.M. : Pourriez-vous nous parler un peu de vous-même et de vos inquiétudes ?

B.M. : Je ne peux parler de moi-même sans parler de mon métier. J’ai l’impression que tout ce que j’ai fait jusqu’à présent restera dans les mémoires et j’en suis ravi. Pour moi, c’est la meilleure récompense.

Chaque jour, lorsque je vais au travail, j’ai l’impression de faire une nouvelle chose. Et ce qui m’attire dans ce métier, c’est peut-être la diversité des personnages que je double. J’investis beaucoup d’énergie dans mon travail. J’essaie toujours de reproduire exactement ce que l’acteur a voulu faire et non pas ce que moi j’aurais fait éventuellement à sa place. Je méfforce, donc, d’être le plus fidèle à la façon dont il joue. Je me suis consacré corps et âme à ce métier et je suis devenu une personne fragile et sensible, résultat des émotions que j’ai ressenties pour faire le doublage. La moindre douleur éprouvée par les personnages du film me rend triste. Là, je voudrais aussi me plaindre un peu : j’ai reçu plusieurs cadeaux de la part de fans anglais de Sherlock Holmes, mais je regrette de n’avoir jamais été remercié pour mes efforts dans mon pays.

E.M. : Que diriez-vous de la fin d’une voix ?

B.M. : La voix est la troisième créature de Dieu : une créature dont l’énergie et la vibration restent, même après la disparition de son possesseur. Donc, la voix ne s’éteint pas, elle reste.

E.M. : Merci pour le temps que vous nous avez accordé pour cet entretien.

B.M. : Merci à vous.


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