N° 63, février 2011

La philosophie pour les enfants


Djamileh Zia


La philosophie pour les enfants fut l’un des thèmes discutés dans les journées de philosophie organisées en Iran du 21 au 23 novembre 2010. Des invités étrangers ont présenté leur point de vue sur ce sujet et ont montré, dans des ateliers, leur façon de parler philosophie avec les enfants. Des conférenciers iraniens ont parlé de ce qui a été mis en place dans ce domaine en Iran. La philosophie pour les enfants n’a pas pour objectif de transmettre un savoir philosophique ; elle tente de développer la pensée critique chez les enfants.

Les conférenciers non Iraniens qui ont parlé de la philosophie pour les enfants étaient Miloš Jeremić, Oscar Brenifier, Tim Sprod, Walter Omar Kohan, et Larisa Retyunskikh. L’intervention de Miloš Jeremić [1] portait sur l’intérêt de l’utilisation des histoires issues de la mystique islamique dans les cours de philosophie pour les enfants. Les autres intervenants étrangers ont tenté de montrer comment ils philosophaient avec les enfants en discutant avec les auditeurs et en suscitant des questions auxquelles l’auditoire n’avait pas de réponses précises au départ.

Rappelons que la philosophie pour les enfants n’est pas un enseignement dans le sens classique du terme. Pour Oscar Brenifier [2], la philosophie peut être enseignée aux enfants quel que soit leur âge et leur niveau de connaissance. L’objectif n’est pas d’enseigner l’histoire des idées, les différents auteurs, les écoles de pensée et les principaux concepts, mais de mettre en place une autre conception de la philosophie, qui est d’apprendre à comment penser et comment vivre. Des philosophes tels que Socrate, qui questionnaient les citoyens, sont les modèles de cette forme d’enseignement.

Lors de son intervention, Tim Sprod [3] a brièvement présenté son prochain livre qui traite du rôle des discussions philosophiques dans l’enseignement des matières scientifiques aux enfants. Pour Tim Sprod, les discussions philosophiques à propos des termes scientifiques permettent aux élèves d’avoir une meilleure compréhension des concepts scientifiques, de développer leur pensée scientifique, d’approfondir leur compréhension de la nature de la science, et de lier ce qu’ils ont appris dans les cours de science aux évènements de leur vie quotidienne. Tim Sprod a rappelé que les termes scientifiques sont souvent tirés des mots que nous employons dans la vie de tous les jours (par exemple le travail, le mouvement) mais ce qu’ils signifient dans le domaine scientifique est différent de leur sens dans la vie quotidienne, ce qui génère des confusions pour les élèves. Les discussions philosophiques permettent de développer la capacité des enfants de raisonner, en leur montrant comment le professeur lui-même réfléchit, avec eux, à voix haute, au cours de ces discussions. Ces discussions commencent souvent avec une histoire courte écrite pour susciter des questions.

L’objectif de la philosophie est d’apprendre comment penser et comment vivre.

Walter Omar Kohan [4] a parlé de son expérience d’enseignement de la philosophie aux élèves des écoles primaires, ainsi que de son expérience d’enseignement aux adultes qui reçoivent une formation pour devenir des enseignants de philosophie pour les enfants. Lors de son intervention, il a mis en pratique ce qu’il entend par « l’expérience de penser philosophiquement », en invitant les auditeurs à réfléchir sur deux phrases, l’une dite par un élève qui avait participé pendant un temps aux « cours de philosophie pour les enfants », l’autre dite par un enseignant qui avait reçu pendant deux ans une formation pour enseigner la philosophie pour les enfants dans les écoles de Brésil. L’élève avait dit qu’avant d’apprendre la philosophie, il réfléchissait avec sa bouche mais maintenant, il réfléchissait avec sa tête ; l’enseignant avait dit qu’après deux ans de formation, il s’était rendu compte que tout avait changé pour lui (les concepts, les valeurs, etc.) sauf une chose, et cette chose qui restait invariable était qu’il n’était plus capable d’être l’enseignant qu’il était auparavant. Pour Walter Omar Kohan, la philosophie n’est pas quelque chose qui appartiendrait à l’enseignant et serait transmise à l’élève ; elle est donc impossible à « enseigner ». Ce qui se produit au cours des discussions que l’enseignant et les enfants ont ensemble est une expérience réalisée en commun dans le groupe, où tous les participants, adultes comme enfants, mettent en question leur vie, leurs passions, leurs croyances. Cette expérience de « penser philosophiquement » et de questionner déstabilise les idées établies de chacun des participants, y compris l’enseignant, et permet à chacun de changer.

Larisa Retyunskikh [5], quant à elle, à présenter sa méthode d’approche basée sur le jeu. Larisa Retyunskikh a créé le Club Socrate à Moscou, où le plus jeune membre est âgé de six ans, et le plus âgé de 89 ans. Les membres du club participent à des jeux de rôle, dessinent, écrivent des histoires courtes, etc. Ces activités ludiques ont pour thème des questions philosophiques. Pour Larisa Retyunskikh, le jeu est un processus vivant et dynamique, très proche du processus de la réflexion. Les enfants éprouvent un grand plaisir quand ils jouent. Larisa Retyunskikh expliqua que sa méthode est différente de celle que les Américains ont mise en place pour philosopher avec les enfants : elle utilise les textes originaux des grands philosophes et des grands écrivains du monde, en choisissant des extraits compréhensibles pour les enfants. Son objectif est de montrer aux enfants que l’on peut discuter à propos de n’importe quel concept, même le plus simple ; et le jeu permet de se lancer dans des discussions philosophiques. Pour Larisa Retyunskikh, la pensée critique n’est pas une forme particulière de pensée, c’est la pensée elle-même. La pensée critique consiste à voir autrement les choses, en essayant de réfléchir sur les aspects non montrés des choses.

Des conférenciers iraniens présentèrent également ce qui se fait actuellement en Iran en matière de philosophie pour enfants, et les projets en cours. Yahyâ Ghâedi [6] fit une présentation générale de la philosophie pour les enfants, de ses objectifs et de son contenu, et la compara avec l’enseignement scolaire mis en place actuellement dans les écoles en Iran. Mansour Mar’ashi, Massoud Safâei Moghaddam et Parvin Khazami [7] présentèrent les résultats d’une étude faite à Ahvâz sur 120 élèves de CM2. Selon leur étude, les cours de philosophie ont amélioré le développement du jugement moral de ces enfants, et ce résultat est comparable aux études similaires faites dans d’autres pays. Selon Saeed Nâji [8], les programmes de philosophie pour les enfants peuvent prévenir la détérioration de la morale que l’on observe dans les sociétés actuellement. Pour lui, la philosophie pour les enfants développe les bases sociales et psychologiques de l’éthique, et du respect de l’autre. Mehrnoush Hedâyati [9] présenta une étude comparative entre l’approche rationnelle qu’Albert Ellis a mise en place en 1954 pour diminuer la tristesse et l’anxiété des gens, et la « philosophie pour les enfants » que Matthew Lipmann, professeur à l’Université de Columbia, mit en place vers la fin des années 1950 afin de permettre aux enfants d’accéder à un raisonnement analytique et logique, grâce à des histoires ayant un contenu philosophique. Maliheh Sâberi [10] parla des méthodes d’apprentissage actives et interactives, où l’élève est invité à se faire une idée à propos de quelque chose grâce à son propre raisonnement et ses propres expériences. Ces expériences, souvent ludiques, peuvent avoir lieu dans les musées interactifs.

Afzalossâdât Hosseini et Fâtemeh Sâdât Moussavi [11] quant à eux présentèrent et analysèrent les expériences que des pays pionniers en matière de philosophie pour les enfants (tels que les Etats-Unis, l’Australie, l’Angleterre) ont eu dans ce domaine, et les cours de philosophie qui ont été mis en place à titre d’essai en Iran. Ces cours ont développé la curiosité et l’envie de poser des questions chez les enfants, ce qui a provoqué des difficultés pour les enseignants chargés des autres cours, et a rendu les parents anxieux face au changement survenu chez leur enfant. Les histoires qui ont été utilisées dans ces cours de philosophie pour les enfants étaient les versions persanes des histoires écrites par les Américains, et les enseignants se sont rendus compte que ces histoires n’étaient pas tout à fait adaptées : les enfants iraniens ont apparemment d’autres centres d’intérêt et posent des questions qui ne sont pas incluses dans les discussions prévues par ces histoires. Pour pallier à ces problèmes, il serait important de créer des réseaux de soutien et d’information pour les parents et les enseignants des autres cours, et d’adapter le contenu des histoires qui sont mises à discussion dans les cours de philosophie aux spécificités culturelles et aux centres d’intérêts des enfants iraniens.

Mahboubeh Espidkar [12] présenta les ateliers de philosophie pour les enfants qu’elle et son équipe ont mis en place dans 45 centres de l’Institut du développement intellectuel des enfants et des adolescents (Kânoun-e parvaresh-e fekri-ye koudakân va nojavânân), dans plusieurs villes d’Iran. Ces ateliers sont basés sur une méthode intitulée « Gâm be gâm tâ andisheh » (Pas à pas jusqu’à la pensée), qui a été conçue par l’équipe de l’Institut après une recherche portant sur les points faibles des enfants en matière de réflexion logique et critique. L’objectif est de permettre aux enfants d’approfondir leurs réflexions en suscitant la curiosité et l’étonnement à l’égard des phénomènes naturels, et en suscitant des doutes logiques à propos des jugements personnels et des sensations qui peuvent être erronés. Les discussions en groupe permettent aux enfants de s’acheminer vers des réponses à leurs questions. Le contenu des discussions est essentiellement tiré des idées des philosophes iraniens tels que Mollâ Sadrâ Shirâzi et Sohrawardi, et de penseurs mystiques tels que Mowlânâ Jalâleddin Mohammad Balkhi (connu également sous le nom de Rûmi), mais la base du travail est inspirée des principes connus en psychologie pour développer les différents aspects de la réflexion.

Tayyebeh Mahrouzâdeh [13] présenta à son tour les principes théoriques de l’enseignement de la philosophie aux enfants, ainsi que les résultats d’une étude portant sur les changements survenus chez les enfants d’une classe de CM2 à Ispahan qui avaient participé à des cours de philosophie. On a observé une nette amélioration du comportement social de ces enfants, à la fin de l’année scolaire, à tel point que les responsables d’autres écoles primaires à Ispahan ont demandé que des cours de philosophie aient lieu dans leur école. Tayyebeh Mahrouzâdeh préconise d’utiliser des histoires courtes adaptées du Golestân de Saadi pour les cours de philosophie dans les écoles d’Iran ; elle a rappelé à cette occasion que les histoires du Golestân de Saadi, et comportaient généralement une thématique pouvant être utilisée dans des discussions portant sur des questions éthiques et sociales.

Notes

[1Miloš Jeremić, Serbie. Email : prof.milosh@gmail.com.

[2Oscar Brenifier, Institute of Practical Philosophy, France. Email : alcofrib@club-internet.fr.

[3Tim Sprod, University of Tasmania, Australia. Email : tsprod@friends.tas.edu.au.

[4Walter Omar Kohan, State University of Rio de Janeiro, Brazil. Emal : wokohan@gmail.com.

[5Larisa Retyunskikh, Moscow State University, Russia. Email : retunlar@gmail.com.

[6Yahyâ Ghâedi, Tarbiat Moallem University, Iran. Email : ahyaghaedy@yahoo.com.

[7Mansour Mar’ashi, Shahid Chamran University of Ahvaz, Iran. Email : Marashi_s@scu.ac.ir. Masoud Safâei Moghaddam, Shahid Chamran University of Ahvaz, Iran. Email : safaei_m@scu.ac.ir. Parvin Khazami, Tarbiat Moallem Center of Ahvaz, Iran.

[8Saeed Nâji, Institute for Humanities and Cultural Studies, Iran.

[9Email : mehrnooshhedayati@yahoo.com.

[10Maliheh Sâberi, Iran. Email : sabermelih@yahoo.com.

[11Afzalossaâdât Hoseini, University of Tehran, Iran. Email : afhoseini@ut.ac.ir. Fâtemeh Sâdat Moussavi, University of Tehran, Iran.

[12Mahboubeh Espidkar, Institut du développement intellectuel des enfants et des adolescents (Kânoun-e parvaresh-e fekri-ye koudakân va nojavânân), Iran.

[13Tayyebeh Mahrouzâdeh, Université Alzahrâ, Iran.


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