Le professeur Rémi Brague, spécialiste de la philosophie médiévale et enseignant à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne ainsi qu’à la Ludwig-Maximilian Universitنt de Munich, a publié plusieurs ouvrages et essais sur la religion chrétienne ainsi que des essais comparatifs entre judaïsme, christianisme et islam. M. Brague a également publié plusieurs travaux sur la philosophie grecque notamment Aristote et la question du monde (1988) et Introduction au monde grec (2005), ainsi qu’un ouvrage sur les diverses représentations de la notion de monde intitulé La sagesse du monde (1999). Il a aussi traduit des auteurs comme Maïmonide, Shlomo Pinès, Leo Strauss… M. Brague est membre de l’Académie catholique de France et a été élu en 2009 à l’Académie des sciences morales et politiques. Il a eu l’amabilité de m’accorder un entretien à propos de l’un de ses derniers ouvrages intitulé Du Dieu des chrétiens et d’un ou deux autres paru en 2009 chez Flammarion.

Massoud Djalâli Farahâni : Dans votre dernier livre Du Dieu des chrétiens et d’un ou deux autres, il semble que vous faites une distinction entre le mot tawhid et le mot monothéisme. Vous dites que nous ne pouvons pas réunir les trois religions abrahamiques (c’est à dire le judaïsme, le christianisme et l’islam) sous le même monothéisme. Mais d’autre part, dans ce même livre, vous écrivez que ces religions sont, chacune à leur façon, monothéistes. Que faut-il comprendre au juste ?

Rémi Brague : Ce qui est dangereux dans le mot monothéisme, c’est qu’il suppose ou qu’il fait entendre que la manière dont on conçoit l’unicité de Dieu serait définie et comprise dans toutes ces religions de la même façon, ou comme si le monothéisme était nécessairement religieux. Cela m’énerve quand on dit « les trois religions monothéistes », comme s’il n’en était que trois.

Dans mon livre, je donne comme exemple Aristote. Aristote, en pur philosophe, était monothéiste, dans ce sens qu’il pensait que le premier moteur immobile et unique qu’il faut postuler pour que la physique trouve son unité, pouvait être appelé Dieu. Il le fait très clairement dans le livre Lambda de la Métaphysique. Mais ce Dieu qui est unique n’est pas l’objet d’une religion. Le Dieu d’Aristote ne connaît que lui-même. Il ignore le reste du monde. L’idée d’une prière qui lui serait adressée serait absurde. Réciproquement, la notion selon laquelle Dieu puisse s’adresser à Sa créature (et déjà Aristote ne conçoit pas qu’Il soit créateur) est également impossible. C’est donc un monothéisme strict, mais un monothéisme radicalement non religieux. Même à l’intérieur des religions, là où un culte est possible, par exemple dans l’Egypte ancienne, nous avons l’empereur Akhénaton, qui est peut-être le premier à avoir été strictement monothéiste. On peut adresser des prières à ce dieu unique d’Akhénaton. Il agit sur le reste du monde. Mais la religion de ce pharaon égyptien ne connaît pas de Révélation. Il est donc maladroit de réunir sous un titre commun non seulement la philosophie et la religion, mais des religions extrêmement diverses. Il me paraît que ce concept est très vague.

M.D.F. : Ces religions sont donc, chacune à leur façon, monothéistes. C’est-à-dire qu’il peut y avoir plusieurs sortes de monothéismes. Et le tawhid signifie-t-il également une sorte de monothéisme ?

R.B. : Il faut d’abord préciser que la difficulté avec le mot tawhid est qu’il a une connotation islamique très forte puisque du point de vue de la langue, les grammairiens disent que la racine du mot tawhid exprime l’unité. Tawhid signifie « affirmer l’unité ». En islam, il ne s’agit donc pas, comme c’est le cas du monothéisme, d’une simple constatation et démonstration de l’unité de Dieu. Quand j’emploie le mot tawhid, je veux dire que : « J’affirme qu’il n’y a qu’un seul Dieu contre toutes les tentatives pour Lui associer d’autre formes de divinité ». Dans le mot tawhid, il y a une prise de position contre le polythéisme. Ceci alors que le monothéisme est une constatation neutre. Il est simplement une façon de voir, et non une croyance confessée, comme c’est le cas du tawhid. Le tawhid est une activité. C’est le fait de dire que quelque chose est vrai. C’est l’acte de l’unification. Le mot tasdiq n’est pas le fait de dire que quelque chose est vraie, c’est dire seulement que quelqu’un dit la vérité. Le sens du mot tawhid s’explique par sa forme grammaticale. Alors que le « monothéisme » est un mot neutre. Il n’a pas été inventé par les religieux mais par un théologien anglais (évidemment croyant), l’un des néo-platoniciens de Cambridge, c’est à dire Henri Moore.

Le philosophe Aristote, reprenons-le, constate qu’il n’y a qu’un seul Dieu. Il peut le démontrer à partir d’arguments, et il n’y a pas dans cette démonstration d’engagement de la personne. D’autre part, - je ne connais pas l’équivalent du mot monothéisme en persan (d’ailleurs je ne connais pas cette langue) -, en arabe, nous pouvons le traduire par « wahdat al-lahut », qui signifie en français « l’unité de la divinité ». « Wahdat al-lahut » est différent du « wahdat al-vojud » qui se traduit en français par « monisme ». La langue française a le pouvoir de fabriquer des mots à partir du grec et du latin. Le « monothéisme » est un mot français qui s’est fait avec un mot grec, monos (adjectif courant signifiant « un seul »), et un autre mot grec, theos (Dieu). Si je voulais traduire le mot « monothéisme » en français, j’aurais dit « l’unité de Dieu » ou « l’unité du divin ».

Rémi Brague

M.D.F. : Il semble que vous dissociez de la religion tout ce qui relève de l’irrationnel. Vous dites par exemple que la magie, le chamanisme, l’extase, et tout ce qui vient du « sentiment religieux », ne sont que de la « religiosité » et non de la religion (page 65). Il semble donc que pour vous, la religion ne peut être que rationnelle, avec une fonction plus sociale que métaphysique et extatique. Elle n’est pas avant tout une voie ou un chemin qui nous conduit vers Dieu, mais une loi sociale. Est-ce que d’après vous, la vérité d’une religion, celle d’Abraham, de Moïse et de Jésus, n’est pas dans sa capacité de nous rapprocher de Dieu ? De nous rendre divin ? « Une échelle pour monter au Ciel » ou un chemin de « Retour » ?

R.B. : C’est une question très difficile. Je me demande si le mot religion n’est pas un peu dangereux. Il a été inventé en Occident dans son usage actuel. Utiliser ce mot pour dire qu’il y a plusieurs religions (par exemple le bouddhisme, l’hindouisme, le judaïsme, l’islam, etc.) est, en ce sens, très récent.

Au Moyen Age, le mot latin de « religion » n’avait pas le même sens qu’aujourd’hui. A l’époque, lorsque les scolastiques latins voulaient désigner le judaïsme, le christianisme et l’islam (quant aux autres religions, ils ne les connaissent pas ou très peu) ils utilisaient le mot Lex, qu’on traduit souvent par « loi ». Ce terme désigne moins une croyance qu’un système de vie. Une manière de se comporter qui, bien entendu, implique la relation à Dieu, mais qui est en même temps et surtout, un mode de vie. La manière de se nourrir, de s’habiller, l’ensemble des coutumes et tout ce qu’on appellerait aujourd’hui une civilisation. De nos jours, ce qui reste de cette pratique de la religion sont les cultes et les prières. On a donc conservé une petite partie de ce très vaste concept de Lex pour désigner uniquement les actes de cultes et de prières ; le culte qu’on rend à Dieu, la façon dont on s’adresse à Lui, et on laisse de coté la manière dont les règles de vie font système avec ces cultes et ces prières.

Je dirai donc que la religion est un concept occidental. Il ne faut pas l’utiliser sans précaution, et savoir qu’il est géographiquement localisé. Nous ne pouvons pas employer ce concept pour parler des religions non occidentales. Notre conception de la religion dans le sens actuel, on vient de le voir, est très récente, elle a gardé les croyances et les prières et a laissé de côté le mode de vie. La religion s’est ainsi réduite à sa dimension intellectuelle.

M.D.F. : Mais comment pouvons-nous connaître ce divin tant qu’on ne sait pas qui est ce divin ? Comment savoir si nous sommes à son service ou non ? Comment savoir si nous nous trompons ou non ? N’est-ce pas par la voie mystique que nous pourrons nous rapprocher de la divinité ou de la volonté divine ? Autrement dit, par l’ascension spirituelle qui implique l’accès aux étapes supérieures de l’existence (par l’acquisition des maqâmât selon le soufisme) ? Quels critères peuvent nous dire si telle parole (par exemple les Saintes Ecritures ou les autres livres à revendication divine) est celle de Dieu ?

R.B. : La difficulté avec l’expérience mystique est qu’elle est incommunicable. Je peux avoir des expériences mystiques mais je n’arriverai pas à vous les transmettre. En tout cas, je ne pourrai pas les transmettre de la manière d’un savoir vérifiable. Mais il y a un critère, me semble-t-il, qui montre qu’on est en présence de quelque chose de divin. C’est lorsque celui qui vous propose ce divin, il le fait contre lui-même, contre ses intérêts personnels. En revanche, le critère d’une utilisation ou d’une instrumentalisation du divin est qu’il demande que vous vous soumettiez à lui. C’est le critère de faux divin. Le faux divin vous demande que vous vous soumettiez à lui au nom de sa revendication, ou au nom d’un contact avec Dieu. C’est là qu’il faut douter de la véracité de ce soi-disant messager. C’est peut-être pour ça que, sans me rendre compte, le titre de l’un des chapitres de mon livre est : « Un Dieu qui ne nous demande rien ». C’est-à-dire qu’il ne nous demande que ce qui est notre bien à nous. On n’a pas besoin d’une religion pour savoir que l’argent, le pouvoir et la gloire ne font pas notre bénédiction et n’apportent pas ce qu’ils prétendent nous apporter, c’est-à-dire notre vrai bonheur, à savoir notre perfectionnement moral et notre sainteté. Tout le reste, comme être beau, puissant et riche peut avoir des conséquences épouvantables. Mais ce critère de la moralité, qui se déploie dans la perspective kantienne, est valable pour toute l’humanité. Aucun homme ne souhaite qu’on transgresse ce qui s’appelle traditionnellement la règle d’or. Aucun homme n’a envie qu’on lui fasse mal.

Il y a donc ce critère. Quelle est la revendication de celui qui se présente comme le messager de Dieu. Est-ce qu’il demande qu’on se soumette à lui ? Si c’est oui, c’est un faux divin. Ce critère est valable aussi pour les autorités non religieuses. Cette exigence de la soumission peut venir des partis politiques non religieux. En se présentant comme les connaisseurs des lois de l’Histoire et avec la prétention de conduire l’humanité vers la société idéale, ils demandent la soumission à leur autorité. Ceci est un exemple tout à fait non religieux. Cette autorité peut être aussi intellectuelle, sans coercition physique ; ça peut être aussi des chantages affectifs. C’est donc le critère le plus important : pour qui travaille-t-on ? Si Dieu existe et s’Il a une voiture, Il doit rouler pour ses créatures. Sur cette voiture il y a une auto- collante sur laquelle est écrite : « Je roule pour vous ». La voiture de Dieu ne roule que pour le bonheur des créatures.

M.D.F. : Dans une citation fameuse, Spinoza dit que « La religion c’est bien pour le peuple, mais moi, pour bien me conduire et respecter les autres, je n’ai pas besoin de religion ». Est-ce que pour vous la religion, à part sa fonction morale, n’a pas d’autres fonctions essentielles ? En étudiant la vie de Jésus, à travers les Saintes Ecritures, ou les hagiographies, nous constatons que, outre une vie moralement brillante, ils ne vivaient pas comme tout le monde, ils avaient des moments de « crise » durant lesquels leur raison cartésienne était mise de côté, car ils vivaient une existence supérieure qui leur permettait parfois de voir avec « l’œil du cœur », des moments où les lois physico-chimiques ne sont plus valables ; et c’est dans ces moments de divination qu’ ils accédaient à la vérité des choses. Puisque c’est seulement dans ces rares moments que les voiles tombent l’un après l’autre. La vie morale d’accord, mais celle-ci résume-t-elle toute notre divinité ? Est-ce que la moralité ne doit pas être complétée par d’autres critères, c’est-à-dire une ascension verticale ?

R.B. : Il y a plusieurs choses à dire à ce sujet. Il y a cette idée que l’on retrouve en particulier au Moyen Age et que Maïmonide et Fârâbi ont notamment développée, selon laquelle la religion serait la traduction, à l’intention des âmes simples et des non-philosophes, des vérités que le philosophe serait capable de saisir directement, sans les revêtements et les images qu’utilise la religion. Spinoza est l’héritier de cette idée. Là- dessus, j’ai deux remarques à faire :

D’abord, comment je sais que je suis philosophe ? Est-ce que je peux être sûr que la conception que je me fais de Dieu n’est pas elle-même simplement une image ? Même si je méprise les représentations que se fait le vulgaire (je les méprise, mais je les accepte, parce que pour le vulgaire, cela vaut mieux que rien), est-ce que je peux être sûr que j’ai cet accès direct à Dieu ?

Si Dieu est Dieu, il me semble étrange que l’on puisse dire que je suis en possession d’un savoir adéquat de ce qu’Il est. Spinoza, à la fin du premier livre de l’Ethique, dit qu’il a décrit la nature et les attributs de Dieu. On peut donc décrire la nature et les attributs de Dieu en un ou deux chapitres ! Cela me paraît assez comique. Ensuite, est-ce que ce n’est pas prendre le mot de Dieu dans un sens tout à fait particulier, (par exemple le contraire de ce qui peut être à l’origine) pour désigner quelque chose qu’on peut décrire les propriétés, comme on décrit ce stylo que j’ai entre les mains ? C’est quand même assez drôle.

D’autre part, il y a l’idée selon laquelle la religion est une fonction de la vie sociale ; cette théorie, qui nous rappelle le nom de Durkheim, a une postérité qui remonte jusqu’au XIXe et même au XVIIIe siècle. La religion a donc, dans cette perspective, une fonction sociale. Elle permet à la société de se donner une image de soi, et lui permet également de se perpétuer.

Tout suppose que nous avons (ici le mot « nous » renvoie à la société et aux hommes comme espèces, comme homo-sapiens) un désir naturel de perpétuation. Une fois ce désir compris, on peut appréhender la religion en instrument, parmi d’autres, de la perpétuation de la société. La question que je poserai porte sur cette volonté de l’homme de continuer à exister. Cette volonté existe-t-elle ? Je ne partage pas trop ces intentions.

M.D.F. : Maintenant, je voudrais aborder un autre aspect de votre livre. A la page 59, vous dites que Dieu n’est ni personnel ni impersonnel, mais Il est supra-personnel. Ensuite, vous dites que Dieu est plus personnel que les personnes. Comment faut-il l’imaginer ?

R.B. : Quand on dit que Dieu n’est pas personnel, on conclut que Dieu est une chose, comme un stylo ou une chaise ou un arbre. Quand on dit que Dieu est personnel, on comprend qu’Il est un homme.

Je préfère alors dire qu’Il est supra-personnel. Il est plus personnel que nous. Pour quelle raison ? Parce que même si nous nous appelons des personnes, nous ne sommes pas, nous autres, entièrement personnels. Nous sommes aussi, par certains aspects, des choses. Parce que si nous nous jetons d’une fenêtre, nous allons tomber exactement de la même façon que notre stylo ou d’une chaise ou d’une bouteille. Nous avons tout un aspect de nous-mêmes qui n’est pas personnel. Or, quand on dit que Dieu n’est pas personnel, cela veut dire qu’Il n’est pas tout à fait comme nous. Et lorsqu’on dit qu’Il n’est pas non plus impersonnel, cela signifie qu’Il n’est pas identique aux choses. Dieu est supra-personnel signifie que Dieu est une pure liberté. Ce que nous avons de plus personnel en nous, c’est ce qui est capable de prendre des décisions libres. Il peut être tout ce qu’Il veut.

M.D.F. : Vous dites dans votre livre qu’il faut toujours critiquer et dépasser les modèles que nous avons de Dieu et que l’on projette sur Lui. Est-ce que ce critère s’applique également à l’image chrétienne de Dieu, c’est-à-dire la Trinité ? Est-ce qu’il faut également dépasser un jour ce modèle et déconstruire la Trinité, comme cela a été le cas pour beaucoup d’autres modèles, considérés comme dépassés ? Autrement dit, philosophiquement parlant, peut-on trouver une véracité universelle et commune à l’une de ces Images, ou sont-elles toutes relatives, au vu des autres croyances, cultures et sociétés ?

R.B. : Je commence ma réponse en rappelant une banalité. A savoir que ce qui est dit de Dieu, même pour Ses attributs les plus flatteurs, tels que la bonté, n’a pas le même sens appliqué à un homme. Evidemment, il est plus juste et vrai de dire que Dieu est bon plutôt que dire que Dieu est méchant. Dire que Dieu est méchant serait doublement faux. Dire que Dieu est bon n’est faux qu’une fois. En ce sens qu’Il est bon mais pas comme serait bon un homme généreux. Alors, dans le cas de la Trinité, je crois qu’il ne faut pas comprendre cette histoire comme une affirmation. Il y a d’abord trois hypostases (et non trois personnes) avec la nature divine. La Trinité se comprend uniquement comme une manière d’exprimer une relation qui ne commence pas avec le christianisme, mais qui est déjà dans la Bible. Bien sûr, je ne dis pas que la Trinité se trouve dans la Bible. En revanche, ce que l’on trouve dans la Bible est l’idée d’un Dieu qui entre en relation avec l’Humanité. A commencer par le peuple d’Israël, avec lequel Il passe une alliance. Ce n’est pas une décision que Dieu prend de façon unilatérale à l’égard de l’Humanité. Mais c’est un engagement envers l’Humanité qu’Il accepte, quoi que fasse celle-ci. Il ne se contente pas d’aimer les Justes, ce qui Lui permettrait de haïr les méchants. Il continue à aimer les méchants également, sans aimer leur méchanceté, parce que leur méchanceté les abîme. Il y a dans la Bible la notion fondamentale de la distinction entre le Mal et celui qui fait le mal. Celui qui fait le mal, le méchant, est la première victime de sa méchanceté. Sa méchanceté le dégrade et le fait régresser. Dieu aime le méchant, non pour sa méchanceté, mais parce qu’il a besoin d’être libéré de sa propre méchanceté. Ceci montre la manière dont Dieu s’engage dans l’Histoire. L’idée d’Alliance signifie que Dieu s’est engagé avec l’humanité d’une manière si radicale que rien, ni même la méchanceté de l’homme, ne peut Le désengager. Dieu continue à aimer l’homme même lorsque l’homme fait mal afin de pouvoir continuer à l’aider en le guérissant de son mal.

C’est cela l’idée d’alliance. Cette idée se trouve dans la Bible, elle vaut autant pour les juifs que pour les chrétiens. Pour les musulmans, j’ignore si le positionnement divin est aussi radical, puisque le Coran précise que Dieu aime les justes et qu’il hait les méchants. La position du Coran est donc claire en la matière et en tant que parole divine, elle ne peut être modifiée.

Les chrétiens, eux, - et c’est ce que qui, entre autres, les sépare des juifs -, pensent que l’Alliance entre Dieu et l’homme s’est réalisée à l’intérieur d’une seule personne, qui est Jésus Christ. Cela signifie que Jésus est à la fois Dieu et homme, inséparablement. Un peu comme un texte bilingue. Un texte, par exemple écrit et en français et en persan, qui garde dans les deux langues exactement le même sens. C’est la signification de l’Incarnation pour les chrétiens. C’est un même personnage que vous pouvez lire dans le registre divin et dans le registre humain.

Evidemment, penser ainsi est un grand défi. Dans le Nouveau Testament, Jésus ne se prétend jamais Dieu ; mais il joue un rôle que seul Dieu peut jouer. Il dit par exemple qu’il pardonne les péchés. Aucun homme ne peut dire « Je te pardonne tes péchés ». Un homme peut dire « Tu m’as joué un mauvais tour, mais n’en parlons plus. » Mais ce n’est pas pardonner. Pardonner c’est redonner la liberté à celui qui a été blessé par le choix du mal. Seul Dieu peut accorder cette liberté ; et Jésus le fait aussi. Il se comporte comme Dieu. Les chrétiens pensent donc que le comportement de Jésus montre clairement l’intervention de Dieu et non pas l’un de Ses représentants. L’Incarnation est le fait de pousser jusqu’au bout cette idée d’Alliance. L’Incarnation nous montre comment Dieu intervient dans l’histoire. La Trinité est le rapport entre le divin et l’humain. En même temps que Dieu reste inaccessible (le Père), il est aussi dans l’Histoire (le Fils). Dans la Trinité, nous assistons à une sorte de dépassement de la transcendance et de l’immanence. On peut dire que « Dieu décide de transcender sa propre transcendance ». On revient alors sur la définition de Dieu comme pure liberté. Dieu sort de Lui-même. Il est capable d’intervenir dans la création du monde. C’est aussi cela, l’idée d’Alliance. Les juifs croient uniquement à l’alliance entre Dieu et un peuple (le peuple d’Israël) et ne vont pas jusqu’à la réaliser entre Dieu et une personne.


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