N° 53, avril 2010

Vie et œuvres de ’Attâr Neyshâbouri : un subtil mariage entre mysticisme et littérature


Afsaneh Pourmazaheri, Farzâneh Pourmazâheri


Parmi les grandes figures de la littérature persane, celle de Fereydoun Abou Hâmed Mohammad ’Attâr Neyshâbouri est l’une des plus mystérieuses. Les rares données concernant sa vie et son parcours spirituel et littéraire le laissent encore plus inconnu que Sanâï (poète persan qui vécut un siècle avant lui). Ses parents, sa famille, ses contemporains, ses maîtres et ses voyages font tous partie du côté secret de sa biographie. A ce sujet, tout ce qui a été dit sur lui est entaché de légendes et de probabilités. C’est pourquoi, il est parfois perçu plutôt comme un saint oscillant entre mystère et réalité que comme un poète terrestre ayant un don littéraire particulier.

Pourtant, les quelques sources valables qui nous sont restées jusqu’à aujourd’hui attestent qu’il est né à Neyshâbour en 1146 et qu’il fut tué en 1221 lors de l’invasion mongole en Perse par des soldats mongols. Il avait choisi le pseudonyme de « Fereydoun » mais ses contemporains le connaissaient sous les trois noms Fereydoun, Mohammad et ’Attâr. [1] Son père était pharmacien et après sa mort, ’Attâr reprit le commerce familial et devint apothicaire. Apparemment, c’est vers le milieu de sa vie que sa rencontre avec un derviche changea sa vision du monde à jamais. La légende raconte ainsi cette rencontre : Un jour, un pauvre derviche entra dans sa boutique d’apothicaire et lui demanda une aumône qu’il refusa. « Mon fils, comment allez vous mourir ? » lui demanda le derviche. « Je vais mourir comme vous », lui répondit ’Attâr. Le derviche mit son bol en bois de derviche par terre, s’allongea et y posa la tête, puis mourut. En voyant cette scène, ’Attâr sortit de son magasin, se repentit et se consacra désormais au soufisme et à l’ascèse.

Mausolée de ’Attâr à Neyshâbour

Sa ville natale, selon les historiens de son époque fut Kadkan, septième province de l’ancien Neyshâbour. [2] A Kadkan, qui est aujourd’hui un petit village, il existait un tombeau, celui de Pir-e Zarvand (le vieux Zarvand), connu comme « le tombeau de Sheikh Ebrâhim », que la légende locale considère comme le père de ’Attâr. [3]

Concernant ses œuvres, dans le prologue de son ouvrage Mokhtar nâmeh (ensemble de ses quatrains) écrit vers la fin de sa vie en 2300 quatrains, il évoque lui-même ses livres : « Le règne de Khosrow est apparu dans le monde et mon Asrâr nâmeh est terminé. » Outre ses quatrains du Mokhtâr nâmeh, il est donc l’auteur de quatre autres livres de poésie : Asrâr nâmeh, Mantiq at-Tayr, Mossibat nâmeh et Elâhi nâmeh. Ce dernier a également été publié sous son vrai nom Khosrow nâmeh, mais popularisé par erreur sous le nom d’Elâhi nâmeh puisque le livre s’ouvre avec une prière commençant par « Elâhi » ("Mon Dieu"). D’après les recherches du professeur allemand Helmut Riter, ’Attâr n’a jamais eu l’intention de nommer son ouvrage Elâhi nâmeh. [4]

Mantiq at-Tayr, (La Conférence des Oiseaux) [5] composé en 1177, est l’unes des œuvres mystiques les plus brillantes de la mystique persane. Après le Mathnavi Ma’navi de Mowlânâ Jalâleddin Mohammad Molawi Rûmi, cet ouvrage est souvent considéré comme le plus beau mariage entre mysticisme islamique et littérature. Constitué de 4500 distiques, il était destiné à présenter les différentes étapes de la voie mystique en retraçant les pérégrinations d’oiseaux pèlerins voyageant ensemble dans l’espoir de rencontrer le Simorgh. Cette œuvre met en lumière de manière très subtile la relation entre Dieu et les hommes ainsi que les difficultés que ceux-ci doivent affronter pour atteindre la Vérité.

Asrâr nâmeh comprend également de courts contes mystiques en vers. Le recueil des poèmes lyriques de ’Attâr (des odes et des ghazals) fut très apprécié dès le vivant du poète. D’après les spécialistes, environ un tiers des poèmes de ce recueil ne sont pas de ’Attâr et il n’est pas difficile de reconnaître les siens propres grâce à l’harmonie et à la grande cohérence qui caractérise son style. [6]

Outre ses ouvrages en vers, ’Attâr est également l’auteur de Tadhkirat al-Owliâ’ (Le mémorial des saints), compilant de nombreux récits hagiographiques. D’autres ouvrages tels que Bolbol nâmeh, Pesar nâmeh, Pand nâmeh, Oshtor nâmeh, Me’râj nâmeh, etc., ne sont que des écrits anonymes attribués à ‘Attâr par la caste des derviches et donc il n’est sans doute pas l’auteur, même si des orientalistes et chercheurs iraniens les lui ont parfois faussement attribués. [7]

’Attâr dispensait également un enseignement mystique à Neyshâbour et accueillait des étudiants venus de tous les coins du pays, parmi lesquels on peut citer le grand mathématicien, philosophe, théologien et astronome Nassireddin Toussi.

’Attâr fut enterré à Neyshâbour et son mausolée attire chaque année de nombreux visiteurs qui peuvent se recueillir sur la tombe de ce grand mystique et poète.

Bibliographie :
- Shafi’i Kadkani, Mohammad-Rezâ, Mantiq at-Tayr (Le Langage des Oiseaux), Téhéran, 2005.

Notes

[1Les exemples de ces attributions sont présentés dans des œuvres telles que le Mantiq at-Tayr, édition Dr. Goharin, p. 26 ; Asrâr nâmeh p. 193 ; Mossibat nâmeh p. 367.

[2Le livre le plus documenté sur l’histoire et la civilisation de Neyshâbour jusqu’au XIIe siècle est l’Histoire de Neyshâbour écrit pas Abdollâh Hâkem-e Neyshâbouri en douze volumes.

[3Cet endroit qui avoisine une tour ancienne demeura intact jusqu’au début des années 80, époque à laquelle des « archéologues amateurs », qui pensaient y trouver des trésors, le détruisirent complètement. Il fut ensuite reconstruit en briques par les gens eux-mêmes sans ajout esthétique.

[4Helmut Riter, Elâhi nâmeh, éd. Riter, p. 384.
Rouhâni Foâd, Elâhi nâmeh, p. 304-317.

[5Cet ouvrage est également parfois traduit en français par "La Conférence des Oiseaux".

[6Tafazzoli, Taghi, Divân-e ghazaliât va ghasâ’ed-e ’Attâr (Le recueil des poèmes de ’Attâr), Markaz-e enteshârât-e elmi va farhangi, Téhéran, 1987

[7Rypka, Jon, History of iranian literature, p. 383.


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