N° 23, octobre 2007

L’économie iranienne et le défi de la croissance


Arefeh Hedjazi


Nous sommes actuellement au début de la troisième année de l’application de la Convention du développement économique, qui a été mise en place en 2005.

Selon la Convention du développement économique sur vingt ans de la République Islamique, l’Iran doit devenir dans dix-huit ans, c’est-à-dire en 2025, la première puissance économique régionale.

Les statistiques montrent que les grands pays en voie de développement de la région tels que les Emirat Arabes unis, le Pakistan, l’Arabie saoudite avancent plus vite et mieux que l’Iran dans la voie du développement économique et la permanence de cette situation montre bien évidemment que l’Iran ne réussira pas à atteindre l’objectif fixé dans les années qui viennent.

Les variations des taux du développement économique iranien rendent difficiles les prévisions pour l’avenir. Selon la Caisse internationale de la monnaie, la croissance moyenne de l’Iran de 1998 à 2002 s’élevait à 4,2%, ce qui est plus élevé que la moyenne de l’ensemble des pays de la région du Sud-ouest asiatique, qui n’atteint que 3,9%. Mais depuis 2004, la croissance de l’économie iranienne a baissé par rapport à celle des autres pays de la région. Elle était de 5,2% en 2005, de 5,3% en 2006, contre 6,2 et 6,5% pour l’ensemble de la région.

La Bourse de Téhéran, Septembre 2007

Dans les économies pétrolières de la région du Golfe Persique, l’augmentation du rôle des infrastructures non pétrolières dans la progression du PIB est très importante. En comparaison, l’Iran a relativement peu développé son secteur non pétrolier, et cela est d’autant plus inquiétant que le pays est en train de régresser en la matière. Alors que de 1998 à 2002, l’Iran occupait la cinquième place des pays pétroliers en matière de développement des activités non pétrolières de son économie, elle occupe aujourd’hui la onzième position. La moyenne du développement des secteurs économiques non pétroliers des pays pétroliers du Golfe Persique a été en moyenne de 7,1%, ce qui est un indice parfait des défis que l’Iran, qui affiche une croissance de 5,8% en 2006 en la matière, doit affronter pour pouvoir tenir son pari.

Après l’Arabie Saoudite, l’Iran détient le PIB le plus important de la région. [1] Cependant, ceci n’est qu’une comparaison artificielle étant donné que si l’on compare le PIB par habitant, qui est relativement faible en raison du fort accroissement de la population, l’Iran n’est pas en meilleure position que ses voisins. Cependant, la part de la dette dans le PIB y est relativement plus faible que dans les autres pays de la région. Ainsi, la dette cumulée moyenne de l’Etat par rapport au PIB a connu une baisse constante, en passant de 26,4% entre 1998 et 2002 à 19,6% l’année dernière.

Au niveau des échanges extérieurs, l’Iran arrive en troisième position dans l’Asie du sud-ouest, après les Emirats et l’Arabie saoudite, avec cette différence que la croissance des échanges économiques de ces deux pays est beaucoup plus rapide que celle de l’Iran. La valeur des exportations iraniennes s’élevait à 77,3 milliards de dollars en 2006 et celle de ses importations à 64,8 milliards, alors que durant cette même année les Emirats ont enregistré 157 milliards de dollars d’exportation et 123 milliards de dollars d’importation. Pour l’Arabie, ces chiffres atteignent respectivement 220 et 120 milliards de dollars. Le niveau de la balance des transactions courantes est également un indice important des échanges extérieurs d’un pays. Elle demeure excédentaire en Iran - 6,7% en 2006 -, notamment en raison des exportations de pétrole.

L’inflation et la croissance excessive de la masse monétaire, qui depuis deux ans occupe le centre des débats politiques et les experts en économie, sont en quelque sorte les deux maladies récurrentes de l’économie iranienne. Les statistiques de le la Caisse internationale de la Monnaie montrent que depuis 1998, la progression du taux d’inflation a toujours été plus élevée en Iran que dans les autres pays de la région. Ceci est notamment dû au fait que la croissance de 27,1% de la masse monétaire en Iran de 1998 à 2002 est près de deux fois plus élevée que la moyenne des pays de la région. En outre, l’augmentation rapide des revenus issus des exportations pétrolières est peu à même de permettre de juguler l’inflation.

Plate-forme pétrolière iranienne, Golfe Persique

La Révolution islamique, qui s’est notamment traduite par la mise en œuvre de théories révolutionnaires socialisantes, répondaient aux slogans d’égalité sociale et de sécurité financière pour tous. Les réformes à effectuer étaient nombreuses, cependant, dans un pays dont l’économie se débattait entre le modèle traditionnel des siècles passés et une modernisation très superficielle et qui dépendait en grande partie des pétrodollars qui alimentaient l’économie du pays et de la bonne entente qui existait entre l’Iran et les Etats Unis, on ne pouvait guère attendre des progrès à court terme. On mit donc en place des plans quinquennaux et des plans s’échelonnant sur vingt ans, dont le dernier en date, comme nous l’avons évoqué, a pour but que l’Iran devienne la plus grande puissance économique régionale dans dix-huit ans. Malheureusement l’une des politiques les plus néfastes de l’avant Révolution fut poursuivie : l’octroi de subventions à l’impressionnante pléthore des entreprises publiques et des services administratifs étatiques. En outre, les vagues d’expropriations ayant eu lieu après la Révolution, et le placement de l’argent provenant de ces ventes immobilières dans de puissantes fondations à but social a favorisé la mise en place d’une économie rentière qui paralyse encore aujourd’hui la croissance et le développement des potentialités productives nationales. Après la Révolution, l’exportation du pétrole chuta de manière importante, entraînant un appauvrissement de l’Etat et une forte baisse du PNB. Du fait de l’hostilité manifeste de nombreux pays au nouveau régime post-révolutionnaire, le gouvernement comprit rapidement qu’il ne fallait compter que sur les ressources internes et se baser sur une distribution assurée par l’Etat. Un an plus tard, l’Irak de Saddam Hussein attaquait l’Iran et plus que jamais, l’influence de l’Etat sur l’économie se fit sentir du fait des conditions de guerre. L’après-guerre et la difficile reconstruction d’un pays dévasté par huit années de guerre et de privations et sous le coup d’un embargo toujours en vigueur alimentèrent la création d’un marché noir, qui contribua encore davantage à l’augmentation de l’inflation. Dans ces conditions, les déficits chroniques du gouvernement furent comblés par l’augmentation de près de 100% l’an de la masse monétaire, ce qui généra évidement de lourds problèmes économiques, politiques et sociaux.

Après la guerre et au début des années 90, les importations augmentèrent de façon remarquable et malgré un large programme de libéralisation, l’Etat dût avoir recours à l’endettement, d’autant plus que le prix du pétrole et par voie de conséquence, le revenu national, eurent tendance à baisser. Ceci conjugué aux embargos explique en grande partie la stagnation économique qui affecta durablement la croissance de l’économie iranienne.

Cependant, les réformes agraires et les plans quinquennaux de développement privilégiant en particulier l’industrie lourde qui furent lancés après la Révolution islamique commencèrent à porter leurs fruits et l’économie iranienne enregistre depuis quelques années un taux de croissance honorable. Le secteur agricole commence lentement à se moderniser, et dans le courant du mois de septembre les premières exportations de blé iranien sont parties en direction de l’Inde. Pour l’Iran, dont la place de second importateur mondial de blé a longtemps symbolisé l’archaïsme du secteur agricole, ce changement est le symbole d’une profonde mutation.

Depuis le début des années 2000, les choses tendent cependant à connaître une certaine évolution dont le dernier tournant a été marqué par la loi constitutionnelle sur la privatisation. En effet, en juillet 2006, l’ayatollah Khamenei a demandé au gouvernement l’accélération de l’application de l’amendement de l’article 44 de la Constitution iranienne qui prévoit la privatisation économique. Dans son décret, le Guide suprême a précisé que "la cession de 80% des parts des grandes entreprises publiques servira au développement économique, à la justice sociale et à l’élimination de la pauvreté".

Selon le quatrième plan quinquennal de développement (2005-2010), l’Etat doit fixer les prix et vendre les parts des grandes entreprises publiques au secteur privé. S’il est effectivement appliqué, ce programme permettrait d’améliorer la compétitivité de l’économie iranienne handicapée par le poids des entreprises publiques qui ne fonctionnent que grâce aux subventions étatiques. Par ailleurs, le décret du Guide suprême exige également une meilleure protection juridique des droits de propriété, ce qui pourrait favoriser une hausse des investissements privés, d’autant plus que d’après les chiffres de la Banque Centrale Iranienne, près de 70% des ménages iraniens ont un capital épargne confortable. Jusqu’en 2004, la quasi-totalité de l’industrie lourde, les télécommunications, les transports publics, le secteur énergétique, le secteur pétrolier, le commerce extérieur, l’assurance, le secteur des mines, etc. étaient publics. C’est-à-dire que malgré les ouvertures et les efforts de libéralisation effectués après la guerre par le gouvernement et poursuivis depuis lors, près de 70% de l’économie nationale demeurait publique en 2006. Parmi les efforts poursuivis dans la voie de la privatisation, la relance en 2004 de la bourse de Téhéran avec la mise sur le marché de parts de compagnies publiques et l’élimination de l’amendement à l’article 44 qui précisait que le noyau dur des infrastructures devait être géré par l’Etat.

Le port de commerce de Shahid Rajâï

On peut donc se demander pourquoi malgré plusieurs années d’efforts dans la voie de la privatisation, une part si énorme de l’économie demeure entre les mains de l’Etat. Plusieurs raisons ont été avancées par les analystes : la première est que les premières parts publiques mises sur le marché étaient si importantes que seules d’autres entreprises publiques auraient pu les acheter. L’inquiétude autour du programme nucléaire iranien et le manque d’informations concernant la mise en vente de ces parts d’entreprises constituent d’autres ralentisseurs importants du mouvement de privatisation. Cependant, le gouvernement du président Ahmadinejâd a mis en place un programme visant notamment à offrir des parts d’entreprises publiques aux familles à faible revenu. Ce programme a pour but de concrétiser la promesse électorale de ce président qui a pris le pouvoir grâce à des slogans basés sur la justice sociale et le partage des richesses. Jusqu’à ce jour, 700 000 personnes ont bénéficié de ce programme et la valeur des parts remises atteint près de 2,5 milliards de dollars. Il est prévu que 25 millions de personnes bénéficient de ce programme d’ici quatre ans.

Pourtant, la seule privatisation des entreprises publiques ne suffirait sans doute pas à permettre à l’Iran d’atteindre le rang qu’il souhaite et il est vital de prendre en compte les Investissements Directs à l’Etrangers (IDE), essentiels à la croissance d’un pays. Selon la loi iranienne, les investisseurs étrangers peuvent acheter des parts d’entreprises publiques mises sur le marché à condition d’avoir une autorisation du Ministère de l’économie. Les banques iraniennes possédant des filiales en Europe et dans les pays de la région du golfe Persique peuvent servir de filière d’investissement aux compagnies étrangères. Dans ce sens, la banque Mellî a déjà servi de base à des transactions de ce genre.

Un autre facteur susceptible de jouer un rôle très important dans la croissance économique iranienne est celui du poids économique et des éventuels projets d’investissement des Iraniens expatriés qui forment l’une des plus riches diasporas du monde avec, selon les évaluations, un capital de 1.3 trillion de dollars. Les statistiques montrent que Dubaï, en tant que premier port d’exportation vers l’Iran, bénéficie de flux d’investissements iraniens atteignant les 200 milliards de dollars. Conjugué au fait que près de 10 milliards de dollars de marchandises ont été exportées de Dubaï en Iran, ce fait montre très bien la potentielle influence de cette diaspora sur l’économie iranienne. Cependant, au niveau interne, il faudra également prévoir une sérieuse réforme douanière afin de faciliter les échanges avec l’extérieur. Une amélioration des infrastructures des zones franches est également nécessaire.

Quoiqu’il en soit, et quelques soient les efforts faits par les acteurs économiques, il est vital aujourd’hui pour l’Iran de diminuer sa dépendance au secteur énergétique. Même si la balance des transactions courantes demeure excédentaire et que le PNB iranien occupe le 20ème rang du classement de la Banque mondiale, ces beaux chiffres sont entièrement dus au prix du pétrole. Après la Révolution islamique et la baisse des exportations pétrolières ayant induit la nécessaire mise en place d’une économie indépendante, quelques programmes d’aide à l’exportation furent appliqués mais les progrès en la matière sont très lents. Pourtant, l’expérience a démontré que les aides étatiques à l’exportation et la simplification des conditions douanières et juridiques d’échanges peuvent grandement aider à la croissance des exportations non pétrolières. Dans ce sens, le gouvernement a récemment adopté vingt-deux projets de soutien à l’exportation approuvés par le Haut Conseil de l’Exportation. L’optique gouvernementale de soutien comprend l’aide aux petites entreprises pour la production destinée à l’exportation, une gestion plus précise des récompenses destinées aux meilleurs exportateurs, l’aide au développement des exportations technologiques et industrielles comprenant également les produits aux valeurs ajoutées les plus élevées. L’application effective de ces projets facilitera l’accès des exportateurs nationaux aux marchés mondiaux où ils ne sont pas très présents aujourd’hui.

Cela dit, la croissance et le développement des exportations non pétrolières, qui sont la condition essentielle de la croissance économique du pays, sont en relation étroite avec la politique étatique. Les recherches montrent que chaque dollar investi par l’Etat dans le soutien à ce secteur produit un bénéfice de 300 dollars. En la matière, le gouvernement peut concentrer ses efforts sur trois axes principaux : intéresser les acteurs économiques et les informer du potentiel existant dans ce secteur, aider les exportations en organisant des stages d’information, de publicité, de marketing, etc., et enfin aider à la prospection des marchés en envoyant des commissions économiques gouvernementales et en mettant en place des réseaux de communications entre les exportateurs des divers secteurs. Les voies diplomatiques jouent également un rôle non négligeable dans le développement des relations économiques. L’inauguration des consulats dans les régions économiquement importantes augmentent de 6 à 10 % le taux d’exportation d’un pays.

Parmi les politiques étatiques destinées à encourager l’exportation, on peut faire allusion à l’octroi de récompenses aux meilleurs exportateurs ; et même si ces prix montrent une certaine volonté de l’Etat à poursuivre cette politique, les retards pris dans l’octroi de ces récompenses ont créé des problèmes pour les exportateurs. On peut également évoquer la récente décision de l’Etat visant à instituer un conseil de décision économique qui tiendrait compte de l’avis direct du secteur privé dans la prise des décisions. Ceci est également un pas en avant dans la voie d’une utilisation optimale du potentiel du secteur privé et des exportateurs.

Le succès rencontré ces deux dernières années par les exportateurs des produits et services techniques démontre également l’importance d’un soutien étatique dans ce domaine. En effet, le succès fut si grand que l’année 2006 marqua une progression importante des exportations non pétrolières, à tel point qu’elles dépassèrent de 159% les espérances du quatrième plan de développement. Il est à espérer que toutes les réformes prévues seront appliquées, auquel cas l’économie iranienne pourra espérer concrétiser les meilleures prévisions.

Notes

[1La caisse internationale de la Monnaie a dit que le PIB officiel de l’Iran pour l’année 2006 était de 212,5 milliards de dollars, ce qui est, après le PIB de 348 milliards de dollars de l’Arabie Saoudite, le chiffre le plus élevé de la région.


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