N° 23, octobre 2007

Entretien avec Mohammad Ali Inânlou


chercheur, réalisateur, documentaliste et globe-trotter

Afsaneh Pourmazaheri, Farzâneh Pourmazâheri


Né en 1947, Mohammad ’Alî Inânlou (محمدعلی اینانلو) a vécu son enfance dans la tribu Shâhsavane. Il s’accoutuma donc très tôt aux champs ensoleillés et à l’air frais des vastes plaines. Alors qu’il n’était encore qu’un jeune homme, il se lança dans les activités télévisuelles et journalistiques. Toutefois, il ne s’éloigna jamais de la nature. Dans le domaine du journalisme, il a une expérience riche d’une quarantaine d’années et a notamment travaillé comme rédacteur en chef. Il a également animé plusieurs programmes radiophoniques dont "Bonjour l’Iran" et "Eté 69". En outre, il est connu pour avoir réalisé et produit plusieurs films documentaires dont L’Iran : un monde à la frontière unique, La Balance et Le tourisme au lieu du pétrole. Il a également réalisé des travaux publicitaires et manifeste un grand intérêt pour la recherche, le sport, et la photographie. Reconnu comme le fondateur de l’enseignement de l’écotourisme en Iran, il dirige actuellement l’Institut Nature ainsi que le Club de l’Art et de la Nature.

Farzaneh POURMAZAHERI : Que pensez-vous des conditions actuelles de production des films documentaires en Iran ?

Mohammad ’Alî INÂNLOU : La situation est en train de s’améliorer. A vrai dire, ce genre cinématographique n’est pas bien accueilli par un grand nombre de spectateurs. Etant donné la faible perspective de gain, il faut en général attendre qu’un organisme, par exemple une chaîne de télévision passe une commande. Cela arrive cependant rarement, d’autant plus que la production des films documentaires est une activité coûteuse et qui n’intéresse pas les réalisateurs du cinéma. Il reste à souhaiter que cette situation s’améliorera grâce à l’association des producteurs et réalisateurs de films documentaires qui existe depuis deux ans. A titre d’exemple, cette année, au onzième festival de la fête du cinéma, les films documentaires ont désormais été présentés dans une section indépendante.

La cachette du photographe

F.P. : Le problème concerne-t-il seulement le budget ou bien existe-t-il d’autres obstacles ?

M.A.I. : La question principale est celle du budget. Mais il faut aussi ajouter que la production de films documentaires est un travail qui exige beaucoup d’énergie et d’effort. Pourtant, beaucoup de réalisateurs aiment bien ce travail.

A.P. : Vous qui avez fait l’expérience des milieux de la télévision, de la radio et de la presse, au travers duquel de ces médias avez-vous le mieux réussi à transmettre votre message ?

M.A.I. : Puisque la télévision attire la majorité des gens, elle a eu une plus grande influence que les autres médias sur le public.

F.P. : Dans quel but faites-vous des documentaires ? Quels sont vos sujets préférés ?

M.A.I. : Je ne suis pas réellement un réalisateur de films documentaires, étant donné que je n’ai pas vraiment trouvé le temps pour me lancer professionnellement dans cette activité. Si j’en ai réalisé quelques uns, ce ne sont pas des films que je peux moi-même appeler des "documentaires" au sens propre. Je me définirais plus précisément comme un "documentaliste". Cela veut dire que je cherche, je trouve, j’examine et j’enregistre officiellement et très rapidement des espèces animales ou végétales en Iran de peur qu’elles ne disparaissent. Le lion, le tigre et la panthère d’Iran ou bien la citadelle de Bam en sont quelques exemples. J’ai donc l’intention de les enregistrer pour que les générations à venir les protègent - ou ne les oublie pas.

A.P. : Nous avons entendu dire que vous avez exploré tous les recoins de l’Iran, et parcouru des distances équivalant à cinq fois le tour de la terre. Est-ce vrai ?

M.A.I. : Oui, avec chacune de mes voitures je parcours 400 000 kilomètres puis je la mets de côté. Pourtant, je garde toutes mes voitures parce qu’elles me rappellent des souvenirs inoubliables de ces voyages. Jusqu’à aujourd’hui, j’ai une collection de huit voitures… J’ai donc parcouru 3 200 000 kilomètres dans ce pays. Bien sûr, il m’est arrivé de me rendre sur un même lieu à plusieurs reprises.

A.P. : Quels sont vos sujets préférés dans votre travail ?

M.A.I. : Je travaille sur l’histoire, l’homme et la nature. Autrement dit, je m’occupe des héritages culturels et naturels. L’héritage culturel se divise en deux catégories principales : celui qui se rapporte à des monuments historiques et celui qui concerne la culture et les mœurs, tels que la tradition et la langue.

Le caravansérail de Marandjâb

F.P. : Quelle différence faites-vous entre la mise en scène et le tournage d’un film documentaire et ceux d’un film de fiction ?

M.A.I. : Auparavant, je l’ignorais. Un jour, Ebrâhim Hâtamî Kîâ m’a invité à collaborer dans son film Haute Altitude. J’ai accepté car je souhaitais comprendre comment fonctionnait le monde du cinéma. "En ce qui me concerne, je n’aime pas avoir quelqu’un sur le dos quand je travaille", ai-je dis à Hâtamî Kîâ, et j’ai ajouté : "Je serai à tes côtés lorsque tu travailleras, mais je ne serais jamais un importun". J’ai donc été tout le temps avec lui afin de voir de près comment il travaillait. J’allais entreprendre un nouveau projet de film, alors je désirais en savoir davantage. Après le tournage de la dernière scène de Haute Altitude, alors qu’il faisait nuit, il m’a demandé à quelle conclusion j’étais arrivé, ce à quoi j’ai répondu : "Je crois qu’il vaut mieux que je ne réalise pas mon projet cinématographique moi-même". Il m’a alors demandé la raison, et je lui ai expliqué qu’à mon avis, le cinéma était très cruel tandis que mon travail ne l’était pas autant. En fait, la nature du travail l’exige. Pour vous donner un exemple, au moment du tournage de ce même film, l’une des actrices jouant un second rôle était sérieusement malade au point qu’on l’avait amenée sur le plateau de tournage sur un brancard. Elle devait jouer son rôle à tout prix, bien que sa présence n’ait pas été si importante. Même dans le cas du décès d’un acteur, on est obligé de le remplacer le plus rapidement possible. Quant à moi, je ne peux pas supporter voir le malaise des autres. Dans une situation pareille, je suis pris de pitié. Bien sûr, je suis très sérieux dans mon travail au point qu’il m’est arrivé par fois de me fâcher sérieusement avec mes assistants ! Quoiqu’il en soit, un projet cinématographique coûte très cher, alors que pour nous, si notre travail est interrompu, nous ne subissons pas tant de pertes et ne sommes pas autant sous pression.

A.P. : Vous vous êtes récemment lancé dans la réalisation et la mise en scène du film documentaire L’Iran : un monde à la frontière unique. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet ?

M.A.I. : C’est un grand projet réalisé en collaboration avec les Nations Unies. Nous possédons en Iran près de 1 200 000 de monuments historiques. Des hommes sont venus peupler la Perse il y a environ 100 000 ans. Nous avons également une richesse climatique et géographique, favorisant une diversité de la faune et de la flore : l’Iran abrite ainsi plus de 500 espèces d’oiseaux, plus de 160 espèces de mammifères et plus de 8 200 espèces végétales. D’un point de vue anthropologique, la présence de nombreuses traditions et de diverses tribus souligne la richesse de la civilisation persane. Ce pays est donc à lui seul un véritable "monde". Voilà la signification de L’Iran : un monde à la frontière unique.

F.P. : Quels sont les éléments caractéristiques de la faune iranienne par rapport à celle d’autres pays ?

M.A.I. : La faune de l’Iran est étroitement influencée par son climat. Comme nous avons des climats variés, la faune et la flore iraniennes sont diverses. Les 8 200 espèces végétales présentes dans notre pays dépassent le nombre de celles présentes dans toute l’Europe. Il faut aussi souligner la diversité de la faune animale. Des espèces animales iraniennes aussi bien qu’asiatiques, européennes et africaines cohabitent sur le territoire iranien.

La nature de Shahrestânak

A.P. : A votre avis, quand sera-t-il possible de réaliser un film documentaire de longue durée dans l’espace et sur ses planètes ?

M.A.I. : Quand l’homme aura lui-même la possibilité de s’y promener. Nous sommes déjà parvenu à enregistrer quelques films. Mais ce n’est pas encore d’actualité pour le cinéma iranien. Selon le professeur Von Brown, le père de l’astronautique, nous n’avons pas autant travaillé sur la terre que sur l’espace, et n’avons pas non plus exploré de façon suffisante le fond des mers. A ce sujet, l’un de nos plongeurs internationaux, Kâzem Bâyrâmbakhsh, a réalisé des films précieux sur les merveilles du fond des océans. Cependant, de façon générale, ce n’est pas seulement la question du budget qui nous empêche de réaliser de tels films, mais aussi celle du manque de spécialistes sur ces questions.

F.P. : Parmi les gens de la société, quel groupe s’intéresse mieux à la nature ?

M.A.I. : Tout le monde part à "Sizdah Bedar [1]", mais ceux qui se servent consciemment de la nature sont ses vrais amis. Des étudiants comprennent la majorité des protecteurs de la nature, sans tenir compte de leur sexe. Pourtant, les filles sont plus intéressées. En tout cas ils doivent être éduqués.

A.P. : Après avoir vécu tant d’années dans la nature et pour la nature, qu’est-ce qu’elle vous a appris ?

M.A.I. : La réponse exigerait la rédaction d’un livre ! J’ai beaucoup appris de la nature. Tout ce que la nature nous enseigne peut être appliqué dans la vie quotidienne à condition que nous essayions de bien la comprendre. La nature nous transmet des messages. Le vent, la pluie, la brise, le feu, la forêt, le ciel, l’eau… tous communiquent à leur façon. A titre d’exemple, pouvez-vous faire du feu ? Si vous prenez une seule bûche en vue d’allumer un feu, vous ne réussirez pas même si vous versez un litre de pétrole ou que vous utilisez plusieurs boîtes d’allumettes. Il en faut absolument une paire. Si les deux sont très loin, elles s’éteindront l’une après l’autre. Par contre, si elles s’emboîtent, les deux bûches vont se suffoquer. C’est en les mettant à une distance convenable qu’elles vont se transmettre de l’énergie et s’allumer. Dans le domaine des sentiments, les hommes ressemblent à cette paire de bûches : pour deux êtres humains ayant n’importe quelle relation, il faut une distance logique.

Parc national de Khodjir

F.P. : Avec quels instituts et organisations étrangers avez-vous déjà collaboré ?

M.A.I. : Jusqu’à maintenant, je n’ai collaboré avec aucune organisation située hors du pays. Mais je sens désormais la nécessité de développer davantage mes activités à l’extérieur de l’Iran.

A.P. : En tant que fondateur du premier institut d’écotourisme en Iran, l’Institut Nature, pouvez-vous nous présenter brièvement le but de cet institut et ses activités ?

M.A.I. : L’institut Nature a été fondé par une équipe spécialisée, sachant parler de la nature et l’utiliser en la respectant. L’Institut Nature est le premier institut d’enseignement de l’écotourisme en Iran et a été inauguré en 2002. Le but est d’éduquer les personnes souhaitant travailler comme guide professionnel dans la nature. De nombreux cours y sont dispensés et beaucoup de ses diplômés travaillent actuellement dans les agences de voyages les plus renommées en Iran. Cet Institut est également un centre de recherches sur la nature et le plus grand projet de cet équipe est actuellement la réalisation de L’Iran : un monde à la frontière unique dont je vous ai parlé. De plus, l’institut organise des voyages au sein de l’Iran. Grâce à ces voyages, les gens apprennent à découvrir la nature tout en la respectant. Bref, nous mettons en place des excursions dans la nature axées sur l’idée de développement durable. J’ai d’ailleurs l’intention d’en faire une discipline universitaire, mais j’ai besoin de personnes qualifiées et sur qui je puisse compter. D’autres instituts d’écotourisme ont été créés après le nôtre et déploient d’autres activités intéressantes dans ce domaine.

F.P. : Comment vous est venue l’envie de travailler dans ce domaine ?

M.A.I. : Je suis né dans la tribu Shâhsavane, qui est établie au pied de la montagne de Sabalân. Jusqu’à l’âge de 9 ans, je n’avais jamais vu aucune ville. Donc quand je suis allé pour la première fois à Téhéran, j’étais étonné de voir tous ces bâtiments et voitures. Ensuite, j’ai effectué mes études primaires et secondaires dans un milieu urbain, mais ce qui me plaisait réellement était la nature : les arbres, la terre, la montagne, le désert… Je me sentais davantage compatible avec la nature et je lui ai donc consacré mon existence.

A.P. : Comment définiriez-vous l’art de connaître la nature ?

M.A.I. : Parallèlement à l’Institut Nature, j’ai fondé le Club de l’Art et de la Nature. L’idée m’est venue à l’esprit quand je voyais que les photographes confondaient l’image de la vraie nature avec un paysage. Un paysage est une partie coupée de la nature tandis que la nature se manifeste dans ses plus petits détails. Quand vous vous penchez sur ses détails, vous pouvez trouver des merveilles cachées dans une simple petite fleur. Vous ne pouvez pas non plus imaginer à quel point la structure du corps du moindre insecte est extraordinaire. Par sa couleur, par sa forme, par la finesse de ses jointures. Lorsque vous observez cet insecte sous le microscope, vous restez bouche bée. Voilà ce qui signifie l’art de connaître la nature. Des jeunes souhaitant apprendre cet art de la découverte participent à ce Club. J’aime beaucoup que les jeunes gens y viennent apprendre cet art de communiquer avec la nature pour ensuite s’en servir concrètement.

F.A.P. : M. Inânlou, la Revue de Téhéran vous remercie de nous avoir accordé votre temps pour cet entretien.

M.A.I. : Merci à vous et à la Revue de Téhéran.

Notes

[1Le treizième jour de la nouvelle année persane où tout le monde sort dans la nature.


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