N° 70, septembre 2011

Rasoul Younân
Poète du train et de la lune


Rouhollah Hosseini


La vie ne diffère nullement

De la mort quand

L’on est au fond des habitudes

Tu as trouvé la mort

Seulement

Tu n’en es pas conscient.

La poésie persane contemporaine suit toujours son mouvement naturel d’intégrer la vie de tous les jours, ainsi que de se faire remarquer par la simplicité de son langage et la rectitude des sentiments de son auteur.

Rasoul Younân

Entre autre, Rasoul Younân, né en 1969, est une figure assez connue de ce courant, pour qui la forme favorite de rendre ses poèmes est le minimalisme. Forme qui convient aux expériences individuelles, fragmentaires et plurielles de l’homme de nos jours. Ce n’est cependant pas dire que l’œuvre de Younân nous fait découvrir de nouveaux secrets de notre existence. Elle ne fait que reprendre les images de ses prédécesseurs, mais son intérêt se trouve dans l’usage particulier qu’elle fait de mêmes mots et du peu de l’espace qu’elle a à sa disposition, pour raconter l’histoire. Court mais bien fait, son texte entame d’habitude une histoire, celle de ses amours, son village natal, ses amis ou sa famille, qui s’achève d’une façon surprenante, comme pour tirer son lecteur de la torpeur, ou de ses "habitudes". Les fins de ses poèmes marquent pour ainsi dire un moment important, voire le plus intéressant, dans l’appréciation de son art. En ce qui concerne le fond, le sentiment amoureux et la nostalgie du passé constituent les éléments marquant de l’œuvre du poète. Son public est donc formé pour l’essentiel des gens qui vivent l’expérience de l’amour, ou des personnes qui cherchent refuge contre le tumulte de la vie moderne.

Au coin de la rue

Je me suis appuyé au mur

Hésitant

De rentrer ou pas

Ma mère m’attend à la maison

Et toi au café, ce soir

Comme un nuage je suis

Hésitant

De pleuvoir ou pas…

Avec poésie…

Avec poésie et cigarette

Je vais à la guerre contre les injustices.

Je suis un Don Quichotte ridicule

Ayant

Au lieu de la baïonnette

Et du casque

Un stylo à la main

Et une casserole sur la tête.

Prenez de moi une photo souvenir

Je suis l’homme du vingt et unième siècle.

Tiré du recueil Concert aux enfers.

Lorsque j’étais enfant

Lorsque j’étais enfant

Tu étais pour moi

Un cerf-volant

Et puis une belle rose

Dans le pot de chez nous

Finalement

Tu devins le mot

Et moi je devins le poète

Demain, je sais,

Tu seras un train gentil

Qui m’emmènera d’ici.

Tiré du recueil Bonjour mon amie !

Toi…

Tu n’es pas là

Mais je te sers du thé

Hier non plus

Tu n’étais pas là

Mais j’ai pris pour toi un billet de cinéma

Ris, si tu veux !

Et si tu veux, pleurs !

Ou même, si tu veux, sois étonnée !

Etonnée de moi et de mon petit univers.

Peu importe

Que tu sois présente ou pas

Je vis avec toi.

Tiré du recueil Bonjour mon amie !

La nuit

Je montai jeune

Les marches du pont

Mais de l’autre côté

Je descendis vieux

Qu’est-ce qui est arrivé ?

Je ne m’en souviens pas

Si ce n’est que je sifflais

Pour ne pas avoir peur

De craindre

De me noyer

Du chien et du vent

Tu n’étais pas là

Et la nuit fut une horrible rivière.

Tiré du recueil Descendre le piano des marches d’un hôtel de glace.

Déjà…

Je me réveillais déjà

Avec le chant du coq.

Mais maintenant

Je me réveille

Au son des messages.

Et toi, quand me réveilleras-tu enfin, mon amour ?

Le monde va bientôt finir.

Tiré du recueil Taxi.

Ce monde

Les gratte-ciels

Nous avaient ôté la vue du ciel

Et les bombes qui n’avaient pas fonctionné

Les promenades aux champs

La mer était pour sa part

La piscine privée des dictateurs

Ce monde ne nous a servi en rien

Nous avons vécu dans nos songes.

Tiré du recueil J’étais un mauvais garçon.

Promets !

Promets-moi de venir

Mais ne viens jamais !

Car si tu viens

Tout sera gâté

Je ne pourrais plus fixer

Ainsi avec ferveur

La route et la mer

Car, je me suis habitué

A cette attente

A ces errances

Sur le quai, à l’arrêt

J’attendrais qui, si tu viens ?

Tiré du recueil Concert aux enfers.

La lune

Plus que tout

Tu aimais la lune

Et maintenant

Chaque nuit

La lune me fait me rappeler de toi

Je voudrais t’oublier

Mais nul chiffon

N’efface la lune

De la fenêtre.

Tiré du recueil Concert aux enfers.

Si tu n’existais pas

L’amour n’existerait pas

Si tu n’existais pas

L’insistance pour la vie non plus

Si tu n’existais pas

La Terre ne serait qu’un cendrier de terre

Où l’on éteindrait ses ennuis

Je n’aurais rien à faire

Si tu n’existais pas

Car, dans ce monde, je n’ai rien à faire

Si ce n’est que

T’aimer.

Tiré du recueil J’étais un mauvais garçon.

Je suis…

Je suis le voyageur

D’un songe à l’autre

Je me trouve parfois au pôle Sud

Parfois à la mer des Caraïbes

Je suis

Parfois blanc

Parfois noir

Je prends du thé avec les jaunes

Fume une pipe avec les rouges.

Je vis partout

Mon pays

Est collé aux pieds des oies sauvages.

Tiré du recueil J’étais un mauvais garçon.

Un ours…

J’ai acheté un ours en peluche

Pour la fille que je n’ai pas

Et des lunettes

Pour mon père aveugle

Je vais maintenant

Cueillir des jonquilles

Pour elle qui n’est pas là.

Heureuse ou malheureuse

La vie est la vie

Et ne vous étonnez guère

Si demain

Je suis allé à la mer

Pour chasser

Un léopard.

Tiré du recueil Bonjour mon amie !

Le pont brisé

Il était une fois

Tu liais les monts

Les hommes

Et les cœurs

Mais maintenant

ش pont brisé !

Seuls les nuages sont à même

De passer sur toi.

Tiré du recueil J’étais un mauvais garçon.

La mort

Si tu ne m’aimes pas

Je me couche et meurs

La mort

N’est ni un voyage sans retour

Ni une disparition soudaine

Mais c’est ne point t’aimer

Juste au moment où il faut t’aimer.

Tiré du recueil Descendre le piano

des marches d’un hôtel de glace.

Le jeu

Lorsqu’elle arrive

Je m’en vais

Comme le soleil et l’ombre

Lorsque j’arrive

Elle part

Comme l’automne et l’hirondelle

Et ce jeu est éternel

Personne ne gagne.

Personne ne perd.

Tiré du recueil Descendre le piano des marches d’un hôtel de glace.

Moi…

Je devins le nuage

Et tu m’as dit :

« Je suis soleil »

J’ai tant pleuré

Te souviens-tu ?

Pour te faire briller plus joliment.

Tiré du recueil Bonjour mon amie !

Plus…

Je ne peux plus comparer

Le corbeau à l’aigle

Ni le coing

A la lanterne magique

Tu as fait ta valise

Et je ne pourrais plus

تtre poète

Derrière toi, je m’effondre en moi

Comme un vieil appartement

Et rends moche la ruelle.

Tiré du recueil Descendre le piano

des marches d’un hôtel de glace.

Le retour

Notre amour prit fin

Les objets et le monde

Retrouvèrent leur réalité

Les rideaux de rêves sont retirés

Et la ville

Avec toutes ses laideurs

S’est assise

Dans le cadre de la fenêtre

Notre amour prit fin

Et la poésie fut changée en prose

Désormais, les jours seront banals et les chants ordinaires. La lune ne sera que la lune. Elle ne sera plus la mer de songe. Désormais toute chose aura son propre sens, et la vie ne sera échauffée que par le feu réel.

Tiré du recueil Descendre le piano des marches d’un hôtel de glace.


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