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La vie ne diffère nullement
De la mort quand
L’on est au fond des habitudes
Tu as trouvé la mort
Seulement
Tu n’en es pas conscient.
La poésie persane contemporaine suit toujours son mouvement naturel d’intégrer la vie de tous les jours, ainsi que de se faire remarquer par la simplicité de son langage et la rectitude des sentiments de son auteur.
Entre autre, Rasoul Younân, né en 1969, est une figure assez connue de ce courant, pour qui la forme favorite de rendre ses poèmes est le minimalisme. Forme qui convient aux expériences individuelles, fragmentaires et plurielles de l’homme de nos jours. Ce n’est cependant pas dire que l’œuvre de Younân nous fait découvrir de nouveaux secrets de notre existence. Elle ne fait que reprendre les images de ses prédécesseurs, mais son intérêt se trouve dans l’usage particulier qu’elle fait de mêmes mots et du peu de l’espace qu’elle a à sa disposition, pour raconter l’histoire. Court mais bien fait, son texte entame d’habitude une histoire, celle de ses amours, son village natal, ses amis ou sa famille, qui s’achève d’une façon surprenante, comme pour tirer son lecteur de la torpeur, ou de ses "habitudes". Les fins de ses poèmes marquent pour ainsi dire un moment important, voire le plus intéressant, dans l’appréciation de son art. En ce qui concerne le fond, le sentiment amoureux et la nostalgie du passé constituent les éléments marquant de l’œuvre du poète. Son public est donc formé pour l’essentiel des gens qui vivent l’expérience de l’amour, ou des personnes qui cherchent refuge contre le tumulte de la vie moderne.
Au coin de la rue
Je me suis appuyé au mur
Hésitant
De rentrer ou pas
Ma mère m’attend à la maison
Et toi au café, ce soir
Comme un nuage je suis
Hésitant
De pleuvoir ou pas…
Avec poésie et cigarette
Je vais à la guerre contre les injustices.
Je suis un Don Quichotte ridicule
Ayant
Au lieu de la baïonnette
Et du casque
Un stylo à la main
Et une casserole sur la tête.
Prenez de moi une photo souvenir
Je suis l’homme du vingt et unième siècle.
Tiré du recueil Concert aux enfers.
Lorsque j’étais enfant
Tu étais pour moi
Un cerf-volant
Et puis une belle rose
Dans le pot de chez nous
Finalement
Tu devins le mot
Et moi je devins le poète
Demain, je sais,
Tu seras un train gentil
Qui m’emmènera d’ici.
Tiré du recueil Bonjour mon amie !
Tu n’es pas là
Mais je te sers du thé
Hier non plus
Tu n’étais pas là
Mais j’ai pris pour toi un billet de cinéma
Ris, si tu veux !
Et si tu veux, pleurs !
Ou même, si tu veux, sois étonnée !
Etonnée de moi et de mon petit univers.
Peu importe
Que tu sois présente ou pas
Je vis avec toi.
Tiré du recueil Bonjour mon amie !
Je montai jeune
Les marches du pont
Mais de l’autre côté
Je descendis vieux
Qu’est-ce qui est arrivé ?
Je ne m’en souviens pas
Si ce n’est que je sifflais
Pour ne pas avoir peur
De craindre
De me noyer
Du chien et du vent
Tu n’étais pas là
Et la nuit fut une horrible rivière.
Tiré du recueil Descendre le piano des marches d’un hôtel de glace.
Je me réveillais déjà
Avec le chant du coq.
Mais maintenant
Je me réveille
Au son des messages.
Et toi, quand me réveilleras-tu enfin, mon amour ?
Le monde va bientôt finir.
Tiré du recueil Taxi.
Les gratte-ciels
Nous avaient ôté la vue du ciel
Et les bombes qui n’avaient pas fonctionné
Les promenades aux champs
La mer était pour sa part
La piscine privée des dictateurs
Ce monde ne nous a servi en rien
Nous avons vécu dans nos songes.
Tiré du recueil J’étais un mauvais garçon.
Promets-moi de venir
Mais ne viens jamais !
Car si tu viens
Tout sera gâté
Je ne pourrais plus fixer
Ainsi avec ferveur
La route et la mer
Car, je me suis habitué
A cette attente
A ces errances
Sur le quai, à l’arrêt
J’attendrais qui, si tu viens ?
Tiré du recueil Concert aux enfers.
Plus que tout
Tu aimais la lune
Et maintenant
Chaque nuit
La lune me fait me rappeler de toi
Je voudrais t’oublier
Mais nul chiffon
N’efface la lune
De la fenêtre.
Tiré du recueil Concert aux enfers.
L’amour n’existerait pas
Si tu n’existais pas
L’insistance pour la vie non plus
Si tu n’existais pas
La Terre ne serait qu’un cendrier de terre
Où l’on éteindrait ses ennuis
Je n’aurais rien à faire
Si tu n’existais pas
Car, dans ce monde, je n’ai rien à faire
Si ce n’est que
T’aimer.
Tiré du recueil J’étais un mauvais garçon.
Je suis le voyageur
D’un songe à l’autre
Je me trouve parfois au pôle Sud
Parfois à la mer des Caraïbes
Je suis
Parfois blanc
Parfois noir
Je prends du thé avec les jaunes
Fume une pipe avec les rouges.
Je vis partout
Mon pays
Est collé aux pieds des oies sauvages.
Tiré du recueil J’étais un mauvais garçon.
J’ai acheté un ours en peluche
Pour la fille que je n’ai pas
Et des lunettes
Pour mon père aveugle
Je vais maintenant
Cueillir des jonquilles
Pour elle qui n’est pas là.
Heureuse ou malheureuse
La vie est la vie
Et ne vous étonnez guère
Si demain
Je suis allé à la mer
Pour chasser
Un léopard.
Tiré du recueil Bonjour mon amie !
Il était une fois
Tu liais les monts
Les hommes
Et les cœurs
Mais maintenant
ش pont brisé !
Seuls les nuages sont à même
De passer sur toi.
Tiré du recueil J’étais un mauvais garçon.
Si tu ne m’aimes pas
Je me couche et meurs
La mort
N’est ni un voyage sans retour
Ni une disparition soudaine
Mais c’est ne point t’aimer
Juste au moment où il faut t’aimer.
Tiré du recueil Descendre le piano
des marches d’un hôtel de glace.
Lorsqu’elle arrive
Je m’en vais
Comme le soleil et l’ombre
Lorsque j’arrive
Elle part
Comme l’automne et l’hirondelle
Et ce jeu est éternel
Personne ne gagne.
Personne ne perd.
Tiré du recueil Descendre le piano des marches d’un hôtel de glace.
Je devins le nuage
Et tu m’as dit :
« Je suis soleil »
J’ai tant pleuré
Te souviens-tu ?
Pour te faire briller plus joliment.
Tiré du recueil Bonjour mon amie !
Je ne peux plus comparer
Le corbeau à l’aigle
Ni le coing
A la lanterne magique
Tu as fait ta valise
Et je ne pourrais plus
تtre poète
Derrière toi, je m’effondre en moi
Comme un vieil appartement
Et rends moche la ruelle.
Tiré du recueil Descendre le piano
des marches d’un hôtel de glace.
Notre amour prit fin
Les objets et le monde
Retrouvèrent leur réalité
Les rideaux de rêves sont retirés
Et la ville
Avec toutes ses laideurs
S’est assise
Dans le cadre de la fenêtre
Notre amour prit fin
Et la poésie fut changée en prose
Désormais, les jours seront banals et les chants ordinaires. La lune ne sera que la lune. Elle ne sera plus la mer de songe. Désormais toute chose aura son propre sens, et la vie ne sera échauffée que par le feu réel.
Tiré du recueil Descendre le piano des marches d’un hôtel de glace.