N° 70, septembre 2011

Hommage rendu à Mme Zohreh Zarshenas pour ses travaux
sur les langues iraniennes anciennes, en particulier le sogdien


Djamileh Zia


La réunion culturelle de la librairie Shahr-e Ketâb [1] du mardi 31 mai 2011 était un hommage à Mme Zohreh Zarshenas pour ses travaux sur les langues iraniennes anciennes, en particulier le sogdien. Les textes sogdiens sont précieux car ils permettent aux Iraniens de mieux connaître leur histoire et leur culture.

Lors de cette réunion, M. Ali-Asghar Mohammad-Khani, directeur des programmes culturels des librairies Shahr-e Ketâb, présenta brièvement Mme Zarshenas avant de donner la parole aux invitées. Mme Zohreh Zarshenas a obtenu son doctorat en « Culture et langues anciennes de l’Iran » en 1986. Elle est chercheuse au Centre de recherche en sciences humaines et études culturelles [2] et professeur à l’Université de Téhéran. Elle a publié des dizaines d’articles sur le sogdien dans des revues internationales. Le guide de la grammaire sogdienne intitulé Dastnâmeh-ye soghdi (Manuel de sogdien) qu’elle a rédigé a été primé à trois reprises. [3]

De gauche à droite : Mme Badr ol-Zaman Gharib, Mme Zohreh Zarshenas, M. Ali-Asghar Mohammad-Khani

Mme Badr-ol-Zaman Gharib

Mme Badr-ol-Zaman Gharib, personnalité de renommée mondiale pour ses travaux sur le sogdien, fut la première invitée à prendre la parole lors de cette réunion. Mme Badr-ol-Zaman Gharib, née en 1929, est membre de l’Académie de la langue et de la littérature persanes. Elle a mis en place l’enseignement du sogdien à l’Université de Téhéran en 1971 (le sogdien n’était pas enseigné en Iran auparavant). Lors de cette réunion, Mme Gharib parla de sa méthode d’enseignement : elle se basait sur un texte sogdien qui racontait l’histoire de la naissance de Bouddha ; elle traduisait le texte pendant le cours et s’attardait sur chaque mot en donnant des explications grammaticales. « A l’époque, les étudiants en langues iraniennes anciennes ne connaissaient pas le sogdien, ne savaient pas quel était le lien entre cette langue et les autres langues iraniennes, ni quel avait été le rôle des Sogdiens dans les échanges culturels entre l’Asie Centrale, la Chine et l’Iran. Ils ne savaient donc pas quel était l’intérêt pour eux d’apprendre cette langue. De plus, le sogdien est une langue très difficile car tous les mots se conjuguent, contrairement aux autres langues iraniennes de la période moyenne », expliqua Mme Gharib, qui fit ensuite une brève allusion au Dictionnaire sogdien-persan-anglais qu’elle a mis près de dix ans à rédiger et qui a facilité le travail des étudiants. Elle dit ensuite : « Je me demandais si quelqu’un poursuivrait en Iran les recherches sur le sogdien après moi. Je suis heureuse que Mme Zarshenas, mon ancienne étudiante devenue professeur à son tour, ait pris le relais. Les textes sogdiens dont nous disposons sont un trésor de la culture iranienne ; ne pas y faire attention revient à trahir notre culture ».

Un texte sogdien

Mme Katayoun Mazdapour

Mme Katayoun Mazdapour, docteur en culture et langues iraniennes anciennes et chercheuse au Centre de recherche en sciences humaines et études culturelles, fut la deuxième intervenante. Elle rendit hommage à Mme Zarshenas pour ses efforts au cours des années où elle dirigeait le Département des langues iraniennes anciennes, ainsi que ses efforts actuels en tant que rédactrice en chef d’une revue spécialisée en langues iraniennes anciennes publiée par le Centre de recherche en sciences humaines et études culturelles. Elle présenta ensuite deux livres de Mme Zarshenas intitulés Mirâs-e adabi-e ravâyi dar Iran-e bâstân (L’héritage de la littérature orale en Iran Antique) et Zabân va adabyiât-e Iran-e bâstân (La langue et la littérature de l’Iran Antique) dans lesquels les différentes langues iraniennes anciennes et l’héritage littéraire qui nous reste de cette époque lointaine sont présentés de façon simple et accessibles au grand public. Selon Mme Mazdapour, « ce sont deux livres très précis et pédagogiques accessibles aux non spécialistes. Ils sont très utiles car nombreux sont les Iraniens qui n’ont aucune connaissance même rudimentaire de la littérature et des langues anciennes de l’Iran ». Mme Mazdapour termina son intervention en exprimant le vœu de voir les Iraniens s’intéresser aux langues anciennes de leur pays pour enrichir la culture de l’Iran d’aujourd’hui.

La Sogdiane est en orange sur cette carte

Brève présentation du sogdien et de quelques autres livres de Mme Zarshenas

Mme Vida Naddaf, une ancienne étudiante de Mme Zarshenas devenue elle-même professeur à l’Université de Hamedân, prit ensuite la parole en précisant que rendre hommage à Mme Zarshenas était tout à fait justifié compte tenu de la qualité et de la quantité de ses travaux sur le sogdien. Mme Naddaf présenta trois livres de Mme Zarshenas ; l’un d’eux est un recueil de six textes sogdiens traduits en persan. « La plupart des textes sogdiens découverts à Tourfan (dans le Turkestan chinois) ont des thèmes religieux correspondant aux trois grandes religions pratiquées par les sogdiens qu’étaient le bouddhisme, le manichéisme et le christianisme. Chaque communauté religieuse utilisait sa propre écriture pour transcrire le sogdien parlé. Ces trois écritures étaient cependant toutes les trois issues de l’araméen. Les textes en sogdien bouddhique, qui sont les plus nombreux, sont toutefois plus difficiles à lire car ils comportent des mots spécifiques au bouddhisme. Mme Zarshenas a traduit en persan six de ces textes gardés au musée de Londres. Elle est restée fidèle mot à mot au texte sogdien et elle a comparé les textes en sogdien avec leurs versions en chinois et en sanskrit », a-t-elle souligné.

Mme Maryam Dara, doctorante en langues iraniennes anciennes et élève de Mme Zarshenas, fit ensuite une brève intervention pour donner à l’auditoire des informations sur le sogdien : « Les langues iraniennes anciennes sont classées en langues orientales et langues occidentales, en fonction de l’ère géographique dans laquelle elles étaient parlées. Chacun de ces deux groupes est de plus subdivisé en langues des régions du nord et du sud. Le sogdien fait partie des langues iraniennes de la branche nord-orientale de la période moyenne. [4] Le sogdien était la langue iranienne la plus importante en Asie Centrale au cours de la période s’étendant entre le IIe et le XIIe siècle. Elle devint du VIe au Xe siècle la langue intermédiaire des populations d’une vaste région s’étendant de la mer Caspienne à la Chine, car ces populations avaient besoin de parler une langue commune pour le commerce le long de la Route de la Soie. Elle devint également la langue administrative, commerciale et culturelle de Tourfan dans le Turkestan Chinois. Le sogdien perdit peu à peu de son importance à partir du Xe siècle du fait de l’influence des sultans persanophones de la province du Khorâssân et de la Transoxiane [5] et de l’influence grandissante des langues turque et arabe, et finit par disparaître au XIIIe siècle. Les textes en sogdien qui existent de nos jours sont classés, selon leur thème, en textes religieux et textes non religieux. Les textes de thème religieux (bouddhiques, manichéens et chrétiens) sont généralement des traductions effectuées entre le VIIIe et le XIe siècle à partir des textes d’origine de chacune de ces trois religions, à la suite des voyages de missionnaires ou de prêtres. Les textes dont le thème n’est pas religieux sont beaucoup moins nombreux mais ils sont plus variés et plus attrayants, car ils nous fournissent de nombreuses informations historiques et culturelles. »

Sogdiens en habit de style Sassanide (détails de fresque), VIIIe siècle.

L’intervention de Mme Zohreh Zarshenas

Dans un premier temps, Mme Zarshenas parla des habitants de la Sogdiane afin de mieux faire comprendre à l’auditoire l’importance de cette culture ancienne et ses liens avec l’Iran : « Les habitants de la Sogdiane étaient des gens cultivés. C’étaient de riches commerçants qui voyageaient tout au long de la Route de la Soie, et tout en transportant des marchandises, favorisaient des échanges culturels en racontant des contes sogdiens dans les pays qu’ils traversaient et en traduisant en sogdien les contes des autres pays. Ils jouaient donc un rôle d’intermédiaires culturels. Le sogdien fut au cours des dix premiers siècles de l’ère chrétienne une langue intermédiaire, comme l’anglais de nos jours. Les Sogdiens soutenaient les artistes, les chercheurs et les traducteurs. C’est pour cette raison que nous avons un grand nombre de textes relatifs au bouddhisme écrits en sogdien. Il est d’ailleurs intéressant de noter que tous ceux qui ont traduit les textes bouddhiques, du sanskrit en chinois puis du chinois en sogdien, étaient Iraniens. Nous le savons parce que nous avons leurs noms. » Mme Zarshenas évoqua également l’amour des Sogdiens pour la peinture, comme en témoignent les fresques retrouvées sur les murs des palais sogdiens en Asie centrale. Ces fresques, qui représentaient des scènes de cour, de guerre, des scènes religieuses ou encore des scènes inspirées des contes et des histoires populaires, furent réalisées jusqu’à la conversion des habitants de la Sogdiane à l’islam. Selon elle, « le sogdien a grandement influencé le persan pendant une longue période, comme en témoignent les nombreux mots persans que nous utilisons actuellement et qui sont sogdiens à l’origine. La culture des habitants de la Sogdiane a également influencé la culture persane. Il était donc important de rédiger un manuel de grammaire pour cette langue, afin que les persanophones puissent entrer facilement en contact avec cette langue ancienne. J’ai décidé de choisir trois contes sogdiens (un texte bouddhique, un texte manichéen et un texte chrétien) comme support, pour expliquer les questions complexes de la grammaire d’une façon plus attrayante ».

Mme Zarshenas présenta ensuite brièvement une traduction en persan moderne d’un texte avestique, le Tishtar Yasht, qu’elle a effectuée en collaboration avec Mme Goshtasb : « Il nous semble intéressant, dans le Département des langues iraniennes anciennes du Centre de recherche sur les sciences humaines et les études culturelles, de traduire les textes iraniens anciens en persan moderne pour les rendre accessibles aux Iraniens d’aujourd’hui. Le professeur Ebrahim Pourdavoud avait traduit ce Yasht en persan moderne il y a quelques décennies et il existe actuellement une bonne traduction en anglais de ce Yasht, mais il nous a semblé qu’une nouvelle traduction en persan moderne, réalisée par deux personnes de culture Iranienne, permettrait de mieux faire ressortir les points importants du texte ancien et de trouver des équivalents simples pour les expressions difficiles. Nous avons d’ailleurs le projet de traduire les autres Yasht de l’Avesta ».

Notes

[1Shahr-e ketâb signifie en persan « Cité des livres ». Les librairies Shahr-e ketâb (Book City) sont gérées par la mairie de Téhéran.

[2Le nom de ce centre est en persan Pajouheshgâh-e oloum-e ensâni va motâle’ât-e farhangui (en anglais Institute for Humanities and Cultural Studies).

[3Pour voir la bibliographie complète de Mme Zarshenas, vous pouvez consulter son site personnel à l’adresse www.zarshenas.com. Mme Zarshenas a également rédigé plusieurs articles de l’Encyclopédie de la langue et de la littérature persanes (Dâneshnâmeh-ye zabân va adab-e fârsi).

[4Le sogdien est une langue morte. Le yaghnobi, parlé de nos jours dans la vallée du Yaghnob au Tadjikistan, est considéré par les linguistes comme la seule langue moderne issue du sogdien. Une loi générale concernant les langues est qu’elles ont tendance à se simplifier. Avec le temps, la forme simplifiée d’une langue est parlée par la majorité de la population alors que la forme plus ancienne n’est plus utilisée et devient une langue morte. Les langues iraniennes ont eu cette évolution ; c’est pour cette raison qu’on les divise en langues de la vieille période, de la période moyenne et de la nouvelle période. Cette évolution s’est faite de façon progressive, mais on leur a attribué des dates arbitraires : on considère que la vieille période s’étend depuis plusieurs millénaires avant J.-C. jusqu’à la chute de l’empire achéménide en 330 av. J.-C., que la période moyenne correspond à la période comprise entre 330 av. J.-C. et la conquête de l’Iran par les musulmans en 651, et que la période moderne commence en 651 et se prolonge jusqu’à aujourd’hui. Les textes sogdiens actuellement disponibles correspondent à la période moyenne. Le sogdien existait probablement au cours de la vieille période mais il n’y a actuellement aucun document prouvant ce fait. Signalons que la Sogdiane était l’une des satrapies de l’empire achéménide comme en témoigne l’inscription de Darius Ier à Bisotoun.

[5Il s’agit des rois samanides, qui régnèrent dans cette région du IXe au début du XIe siècle.


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