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Sur une distance d’environ 300 kilomètres, la route de Shirâz à Bandar-e Boushehr quitte le plateau iranien pour rejoindre les plaines du Golfe persique. Par un parcours parmi les plus spectaculaires d’Iran, elle traverse la chaîne montagneuse du Zagros qui longe la frontière irakienne et descend le long du Golfe persique. De nombreux touristes l’empruntent pour la beauté de ses paysages, les rencontres toujours réjouissantes avec les bergers et leurs troupeaux, la visite des sites historiques qu’elle traverse, l’observation d’un mode de vie rural encore très proche de la nature, sans oublier les petits kebâbi du bord de route dont certains servent de délicieuses brochettes de viande et de foie d’agneau.
A la sortie de Shirâz, la route descend en serpentant pour rejoindre le site archéologique de Bishâpour. Avant d’y arriver, un détour de quelques kilomètres via la route de Kâzeroun permet de découvrir le lac Parishan, habitat naturel de nombreuses variétés de poissons et importante étape des oiseaux migrateurs. Hérons, flamants roses, oies, canards, aigrettes et pélicans en peuplent les eaux et les abords durant l’hiver.
Bishâpour, ancienne capitale du roi sassanide Shâpour Ier (241-272), célèbre pour avoir vaincu l’Empire romain, fut fondée en 266 de l’ère chrétienne. L’enceinte abritant les ruines de la ville royale présente de maigres vestiges, coupoles, plafonds et colonnes ayant disparu au cours des siècles. Seuls quelques murs en pierre taillée permettent d’en deviner la grandeur passée. Les plus beaux ornements sont conservés au musée de la ville de Bishâpour, au Musée national d’Iran à Téhéran, qui possède, notamment, une belle mosaïque du palais, ou encore au musée du Louvre à Paris, qui conserve la mosaïque de La Joueuse de harpe.
Ce pavement, qui décorait le sol de l’iwan du palais royal, fut découvert au cours des fouilles effectuées par les Français Georges Salles et Roman Ghirshman de 1935 à 1941. Le visiteur se console en admirant les restes d’un protomé [1] de taureau en pierre ainsi que ceux d’un temple qui s’élevait près du palais, parfois interprété comme un sanctuaire d’Anâhitâ, déesse de l’eau et de la fécondité. L’escalier qui mène du palais au temple est en revanche fort bien conservé. Une partie seulement de ces ruines a été mise au jour, il reste à en découvrir des parties importantes.
Après avoir traversé à pied un pont qui enjambe la route, on pénètre dans la gorge de Tchogân (Tangeh Tchogân) pour y découvrir, sur les deux rives, six bas-reliefs monumentaux taillés dans la roche, mettant en scène les hauts faits des rois sassanides, que les nomades qui empruntaient cette route imaginaient être les personnages du Shâhnâmeh, l’épopée des rois, réels ou légendaires, de la Perse antique. Ces sculptures illustrent le triomphe de Shâpour Ier sur l’empire de Rome, avec la mort de l’empereur Gordien III et la capture de Valérien, Bahrâm II (276-293) recevant la soumission de ses vassaux, les bédouins d’Arabie, venus avec leurs chevaux et leurs chameaux, l’investiture de Bahrâm Ier (273-276) à cheval et une représentation majestueuse de Shâpour II (310-379).
Ces bas-reliefs sassanides font écho à ceux, plus connus, de Naghsh-e Rostam et Raqsh-e Radjab près de Persépolis [2].
Il se présente toujours quelques jeunes gens du village voisin de Sâsân pour proposer aux visiteurs de les mener à la grotte de Mudân, que l’on atteint après une ascension abrupte d’un peu moins d’une heure. Située à 5 km à l’est de la cité de Bishâpour, sur les hauteurs surplombant la vallée de Shâpour au-delà de la gorge de Tchogân, elle abrite une spectaculaire statue de Shâpour 1er, haute de sept mètres avec une largeur des épaules de deux mètres. Sculptée dans un pilier naturel de la grotte, elle est un des rares exemples de sculpture sassanide en ronde-bosse. Découverte gisant sur le sol, les pieds et les bras brisés, elle a été restaurée en 1957 sous la direction des autorités militaires de Shirâz ; les parties manquantes ont été remplacées par du béton. Elle se dresse à présent à l’entrée de la grotte, ce qui n’est pas son emplacement initial. Cette cavité est supposée être le tombeau du roi mais aucune trace de sépulture n’y a jamais été identifiée. Elle s’ouvre sur une première salle haute de treize mètres. Sur les parois ont été gravées des tablettes, portant des inscriptions aujourd’hui disparues. Au fond de la salle, plusieurs couloirs s’enfoncent dans la montagne, on y trouve des réservoirs et d’autres salles.
Les habitants de cette région du Fârs sont, pour une grande partie, issus de familles nomades, sédentarisées à partir du règne de Rezâ shâh Pahlavi. Le Zagros était en effet encore récemment parcouru par les tribus nomades, Qashqâ’i, Mamassani, Lori, Khamseh, Boyer Ahmad et Bakhtiyâri, qui ont su garder leur culture et leur style de vie uniques, constituant ainsi une partie de l’héritage culturel de cette région. Même si la plupart d’entre elles sont à présent installées dans des villages et hameaux, certaines empruntent encore des portions de cette route entre Shirâz et Boushehr pour leurs transhumances saisonnières, menant leurs troupeaux vers les hauts patûrages au début de l’été en profitant de l’eau abondamment fournie par la Shâpour Roud proche de leur parcours.
Nous avons parcouru cette route dans la quinzaine de jours qui précède Norouz, accompagnés de notre ami Monsieur Parizâd, excellent guide francophone de Shirâz, et avons pu y observer que ces populations ont su garder certaines pratiques de cette vie nomadique d’antan. Comme de nombreuses sources et rivières d’Iran à cette période de l’année, celles qui longent la route à partir de Bishâpour sont investies par des familles entières pour y laver tapis et couvertures, comme le veut la coutume du nouvel an iranien, issue de cette vie pastorale ancestrale. Hommes, femmes et enfants n’hésitent pas à s’y plonger pour y rincer tous les tapis de la maisonnée, après qu’ils aient été énergiquement lessivés et brossés sur les rives. Cette activité, qui offre la beauté de ses scènes colorées, nous a permis d’entrer aisément en contact avec la population locale, égayée par ce rituel récréatif. Nous avons pu aussi visiter, dans les villages traversés, des ateliers domestiques de confection de gabbehs, tissés à même le sol de la cour par la maîtresse de maison, sacrifiant là aussi à la tradition nomade du tissage familial.
La commande d’une pièce unique dont on aura choisi coloris et motifs y est toujours appréciée.
A partir de Bishâpour, la route vers Boushehr effectue une nouvelle descente vers la plaine couverte de palmeraies qui s’étendent à perte de vue. Nous avons pu effectuer une petite promenade dans les vieux quartiers de Bandar-e Boushehr avant le coucher du soleil. Un jour supplémentaire sur place nous a cependant été nécessaire pour une visite du port de pêche et un aperçu de quelques bâtiments historiques du bord de mer, comme celui de l’ancien musée d’anthropologie, du consulat britannique fermé en 1951, dont il ne reste que le squelette, quelques maisons traditionnelles qâdjâres, dont certaines sont en cours de restauration, et l’église arménienne.
[1] Un protomé est une représentation en avant-corps d’un animal réel ou fictif ou d’un monstre, employée comme motif décoratif ou servant de support dans des éléments architecturaux.
[2] D’autres reliefs rupestres isolés, de moindre importance, érigés eux aussi à la gloire des rois sassanides, sont disséminés dans la province du Fârs, notamment à Darabgerd, Barm-e Dilak, Sarâb-e Bahrâm, Sarâb-e Qandil et à Sar Mashhad. On peut également visiter les palais sassanides d’Ardeshir Ier (220-241), fondateur de la dynastie sassanide et père de Shâpour Ier, situés pour l’un à Firouzâbâd, à une centaine de kilomètres au sud de Shirâz, pour l’autre à Sarvestan, à soixante kilomètres au sud-est de Shirâz, ainsi que le palais fortifié de Ghal’eh Dokhtar (la forteresse de la jeune fille) construit sur une crête à 10 km de Firouzâbâd.