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La province iranienne de Boushehr, située dans le sud-ouest de l’Iran, possède 625 kilomètres de côtes avec le Golfe persique. Cette situation portuaire stratégique a depuis longtemps fait de cette région un endroit d’importance, que ce soit à l’époque antique ou moderne. La région est d’ailleurs habitée depuis plusieurs millénaires et l’âge d’or (1200 ans av. J.-C.) qu’elle vécut durant l’époque élamite (IVe millénaire av. J.-C.) montre l’importance qu’elle avait déjà alors acquise. Plus tard, durant les ères achéménide, arsacide ou sassanide, elle conserva son importance, avec pour preuve l’intérêt des rois de ces dynasties, en particulier des Sassanides, dont la capitale n’était pas très loin, pour le développement urbain, économique et maritime de la région. Cet intérêt tenait essentiellement au rôle de vecteur et de voie maritime incontournable de Boushehr et de ses ports. D’après l’ouvrage pahlavi Kârnâmeh-ye Ardeshir Bâbakân, la ville même de Boushehr a été baptisée « Rey Shahr » par le fondateur de la dynastie sassanide et s’est développée sous son règne.
L’époque islamique vit encore plus l’intérêt pour cette région grandir, notamment avec le développement du commerce maritime avec des contrées lointaines telles que les pays d’Afrique, l’Inde ou la Chine.
Au moment de l’invasion arabe, avec la chute de l’Empire sassanide, la région fut conquise par Othmân Ibn Abi Al-Aass entre les années 639 et 642. Avant l’attaque, le gouverneur de cette région alors nommée « Rey Shahr », ayant entendu les récits de bravoure et d’héroïsme des musulmans, décida de prendre les devants, et rassemblant une armée aussi nombreuse qu’il le pouvait, attaqua les musulmans sur les terres de Khoreh-ye Shâhpour, mais il fut tué, et la bataille se termina au profit des musulmans. L’importance de cette conquête était telle que des historiens comme Tabari rapportent, deux siècles plus tard, que cette bataille fut souvent comparée avec la bataille décisive de Ghâdessyeh, qui sonna le glas de l’Empire sassanide. Entre cette période et celle qui s’ouvre sur l’histoire moderne de la région, peu d’informations sont disponibles par manque de recherches historiques. On sait uniquement que la région avait une importance économique remarquable et qu’elle était à l’époque le point de départ des expéditions maritimes iraniennes en Afrique, en Inde et en Chine.
Quant à l’histoire « moderne » de Boushehr, elle commence à l’époque de Nâder Shâh Afshâr (1736 - 1747), fondateur de la dynastie afshâride. Ce dernier, grand stratège, comprenait la nécessité d’une défense maritime solide contre des ةtats tels que l’Empire ottoman ou l’Empire britannique. Il voulait donc consolider la puissance navale iranienne dans le Golfe persique. Il ordonna ainsi à un commerçant anglais du nom de John Elton de faire de Boushehr un port commercial actif au sens moderne, un centre important de construction navale et une base navale militaire.
Des historiens voyageurs britanniques, telles que Madame Dieulafoy, qui ont visité cette région quelques années plus tard, citent l’existence d’ateliers de construction navale désaffectés dans la ville, comprenant encore des navires et des bateaux dont la construction n’était pas terminée.
A la mort de Nâder Shâh en 1747, la flotte marine militaire qu’il avait créée fut partagée entre les gouverneurs de Boushehr et de Bandar Abbâs, autre grand port du Golfe persique. Sheikh Nâsser Khân Al-Mazkour, qui avait été l’un des amiraux de Nâder utilisa de ce qui restait de la flottille à son profit personnel et se proclama gouverneur local. Après sa mort, son fils Sheikh Nasr Khân devint gouverneur de Boushehr en 1768. C’est en particulier durant leur époque que la ville de Boushehr se développa notablement et que les échanges économiques avec les Hollandais et les Anglais prirent de l’ampleur dans le Golfe persique.
Avec l’avènement de Karim Khân Zand (1757-1779), fondateur de la dynastie zand, l’anarchie qui agitait le pays depuis la mort de Nâder disparut au profit de l’ordre et Boushehr entra dans une nouvelle période de son histoire. En 1763, avec l’aide directe de Nasr Khân, gouverneur de Boushehr, un traité fut signé entre Karim Khân Zand et les Anglais, qui prépara la voie à la présence militaire et l’occupation britannique de la région. C’est grâce à ce traité que les Anglais, qui ne bénéficiaient jusqu’alors d’aucune base dans la région, purent commencer à étendre leur zone d’influence dans le Golfe persique. A partir de cette époque, la zone maritime et portuaire de Boushehr et le développement du commerce avec cette région devint un but important de la présence britannique dans la région. Après quelques temps, Karim Khân Zand commença à avoir des divergences d’opinion sérieuses avec la Compagnie des Indes Orientales au sujet de la répression des tribus dissidentes de la région. Il interdit donc toute activité économique au comptoir britannique pendant dix ans, mais en raison de la place de ce port en tant que voie d’accès à l’Océan indien et à l’Inde d’une part, et à la Mésopotamie et la Turquie d’autre part, cette interdiction ne dura que dix ans et à l’aube du XIXe siècle, Boushehr était d’ores et déjà le plus important siège du commerce et de l’influence britanniques dans le Golfe persique.
Ainsi, durant l’époque qâdjâre, Boushehr fut le port de commerce principal du sud de l’Iran et une grande partie des activités économiques des Etats étrangers, ainsi que des sociétés internationales s’y déroulèrent. La plupart des Etats puissants d’alors y avaient donc des bureaux consulaires, à côté des sociétés marchandes maritimes. Ce port était de plus une voie d’échanges culturels et politiques.
Ceci dit, ce même développement et potentiel stratégique de la région attisa très vite les convoitises étrangères, dans un Iran alors très mal gardé par les souverains qâdjârs.
C’est à l’époque de Fath’ali Shâh Qâdjâr que l’Angleterre ouvrit son premier bureau consulaire à Boushehr en 1812. Très vite, des pays rivaux firent de même. La France, l’Allemagne et la Russie ouvrirent des consulats à Boushehr, respectivement en 1889, 1897 et 1901. Il y avait également des bureaux consulaires pour la Hollande, la Norvège, l’Italie et l’Empire ottoman. La Turquie ottomane fut le troisième pays après la Hollande à ouvrir un consulat à Boushehr en 1871. Cette effervescence d’activités politiques suffit seule à montrer l’importance de ce port et des jeux stratégiques qui s’y menaient. Le XIXe siècle fut également témoin de plusieurs agressions militaires, dont les plus importantes dans le sud iranien sont les deux agressions militaires britanniques.
En 1802, le roi iranien Mohammad Shâh Qâdjâr décida de mener des opérations militaires en Afghanistan, alors territoire iranien, contre le gouverneur de Herat. Il encercla donc cette ville. A ce moment, les Anglais avaient déjà pied dans la région et la proximité de l’Inde, qu’ils voulaient préserver, ainsi que leur convoitise pour les richesses naturelles de l’Afghanistan, les poussa à prendre position contre cette intervention. La marine britannique attaqua donc Boushehr et des forces furent débarquées dans le port, alors uniquement protégé par une cinquantaine de soldats. Cependant, les forces anglaises furent immédiatement confrontées à une résistance populaire spontanée, dirigée par le Sheikh Hassan Al-Asfour, chef religieux de la ville, et Bâgher Khân Tanguestâni, important chef local. La bataille fut très dure, mais les Britanniques furent repoussés jusqu’à l’île de Khârk, qu’ils occupèrent durant cinq années.
Vers la moitié du XIXe siècle, sous l’impulsion des provocations souterraines de Doust Mohammad Khân, le gouverneur de Kaboul, Hessâm-ol-Saltaneh qui tentait de prendre sous son influence la région de Kandahar, et à sa suite, Herat, reçut l’ordre de Nâssereddin Shâh d’encercler la ville et de mettre fin aux manœuvres de ce dernier.
Hessâm-ol-Saltaneh, encerclant la ville, réussit à la prendre en peu de temps. Mais sa victoire à peine fêtée, le 4 décembre 1856, les Britanniques réattaquèrent la région de Boushehr en représailles, en débarquant des forces sur l’île de Khârk et deux jours plus tard, le 6 décembre, dans la région côtière de Halileh, à Boushehr. Encore une fois, une résistance populaire s’organisa immédiatement sous le commandement de Bâgher Khân Tanguestâni et ses deux fils, Ahmad Khân et Hassan Khân, qui prirent position dans la vieille citadelle de Reyshahr. Les renforts prirent quant à eux position dans la région de la colline des Tal’at Poushân et la bataille commença avec férocité autour de la citadelle.
Durant cette bataille inégale, le courageux Ahmad Khân Tanguestâni tomba et son frère Hassan fut grièvement blessé. De l’autre côté, le commandant anglais, et trente-huit officiers et soldats anglais et indiens perdirent également la vie. Finalement, la bataille tourna au profit des Britanniques qui occupèrent la ville de Boushehr et sa région. La ville de Borâzjân fut quant à elle prise quelques semaines plus tard, le 5 février 1856, suite à quoi la bataille de libération de Khoushâb eut lieu entre la population locale et les forces d’occupation anglaises, qui furent obligées de quitter Borâzjân. Quant à l’occupation de l’île de Khârk et de Boushehr, elle prit fin en février 1857.
Ces deux agressions militaires britanniques furent suivies par deux autres, qui eurent lieu durant les deux guerres mondiales, à un moment où l’Iran avait annoncé sa neutralité.
L’inauguration d’écoles modernes, en particulier l’école Sa’âdat Mozzaffari, la seconde école moderne de l’Iran, la publication de plusieurs quotidiens régionaux, tel que le journal Mozzaffari, l’activité de groupements religieux prosélytes et politiques, ainsi que la concentration des lieux de commerce et de banques sont les preuves de l’importance de cette ville avant que le chemin de fer ne relie la ville voisine de Khorramshahr à la capitale. Le port de Boushehr était à l’époque qâdjâre la préfecture centrale pour la gestion de tous les ports du sud du pays.
Cette effervescence et cette ouverture sur l’étranger qui caractérisait la région la prépara ainsi à la Révolution constitutionnelle et au désir de changements, tout en sensibilisant les habitants à la question de la patrie, réalité qui apparut de façon éclatante durant les quatre occupations militaires anglaises et les troubles qui suivirent la Révolution constitutionnelle.
L’année 1906 fut témoin de la modification radicale de la perception politique de la gouvernance étatique. Le pouvoir politique absolu du « roi des rois », système qui avait réglé plusieurs millénaires d’histoire iranienne, disparaissait au profit d’une monarchie constitutionnelle, dotée d’un parlement qui prenait l’essentiel des décisions. Bien évidemment, cela ne se fit pas sans une révolution dont les soubresauts ont agité l’Iran pendant plusieurs années.
Le sud de l’Iran n’échappa pas aux troubles. Dès l’annonce de la situation politique tendue à Téhéran et dans les grandes villes, les grands propriétaires terriens de la noblesse locale, en particulier les hobereaux de la région du Tanguestân se soulevèrent contre l’autorité centrale et sous le prétexte du soutien à la cause constitutionnelle, refusèrent désormais de payer les impôts gouvernementaux. La victoire de la Révolution et l’établissement de la monarchie constitutionnelle ne changea pas cet état de fait, mais marqua le rapprochement entre le chef constitutionnaliste religieux, l’Ayatollâh Seyyed Mortezâ Alam-ol-Hodâ Ahromi, et le chef local, Reis Ali Delvâri, lequel s’était sincèrement impliqué dans la lutte constitutionnelle.
Ce rapprochement devint plus effectif lorsque les constitutionnalistes consternés furent témoins de la canonnade de la toute jeune assemblée nationale par des cosaques russes, mandés par le nouveau roi Mohammad Ali Shâh, dont la période est connue sous le nom de « petite dictature », qui réprima férocement les constitutionnalistes, - nombreux furent les révolutionnaires assassinés, exilés, disparus, etc. -, et qui remplaça de nouveau la monarchie constitutionnelle par l’absolutisme royal.
Ces changements eurent également lieu à Boushehr où après le coup d’Etat royal, un nouveau gouverneur fut nommé avec pour mission principale la liquidation du parti constitutionnaliste « Association nationale de la ville ». Durant les années précédant la Première Guerre mondiale, ce dernier procéda à l’arrestation massive des révolutionnaires, dont un grand nombre finirent exilés sur les îles quasi-invivables du Golfe persique telles que l’île de Hengâm. Cependant, les réactions au retour de l’absolutisme ne se firent pas fait attendre et des révoltes éclatèrent partout dans le pays. Dans le sud également, des révoltes éclatèrent, dirigées par le guide religieux de la région, l’Ayatollâh Seyyed Mortezâ Alam-ol-Hodâ Ahromi. Ce dernier avait décidé d’organiser cette révolte après avoir entendu la fatwa du grand Akhound Mollâ Mohammad Kâzem Khorâssâni de Najaf, selon laquelle la lutte contre le despotisme est un devoir religieux. Le chef religieux de Boushehr se décida donc à libérer la région du pouvoir absolutiste. Pour ce faire, il demanda l’avis des savants pieux et des marchands de Boushehr, puis il conféra avec les chefs locaux auxquels il demanda assistance, et le plus enthousiaste d’eux fut Reis Ali Delvâri.
Après donc avoir monté un plan d’ensemble et s’être mis d’accord sur les conditions de la révolte avec les hobereaux de toutes les régions environnantes, le Dasht, le Dashtestân et le Tanguestân, les forces révolutionnaires entrèrent par surprise à Boushehr qu’ils réussirent à libérer en quelques heures, sous la supervision de l’Ayatollâh Alam-ol-Hodâ. Reis Ali Delvâri, lui, était chargé, avec quelque deux cents hommes en armes, de libérer les bâtiments des douanes, mission dont il s’acquitta parfaitement. A l’époque, la douane était tenue par une compagnie belge. Reis Ali révoqua son contrat dans l’heure et confia la gestion de la douane à un iranien arménien constitutionnaliste, Moassess Khân. Après quoi, il retourna avec ses hommes sur ses terres, à Delvâr. La douane était à l’époque louée par les Britanniques, qui se virent privés d’un apport financier consistant. C’est pourquoi, après des tentatives de négociations avec l’Ayatollâh Alam-ol-Hodâ, ils attaquèrent la ville où ils débarquèrent de nouveau des forces. La ville tomba en peu de temps et l’Ayatollâh fut immédiatement envoyé en exil à Bassora.
Après avoir entendu la nouvelle de cet exil, Reis Ali Delvâri lança un ultimatum au gouverneur de Boushehr réintroduit dans ses fonctions par les Anglais. Si l’Ayatollâh ne retournait pas, il attaquerait Boushehr et tous les ports environnants. Cet ultimatum fut le signal pour une nouvelle vague de troubles et d’émeutes. Et le gouverneur, Ahmad Khân Daryâbeygi, décida donc de faire disparaître ce chef local inquiétant. S’alliant d’autres chefs locaux rivaux de Reis Ali, il attaqua la région de Delvâr avec beaucoup de violence. Reis Ali, voyant l’importance de cette force, s’était caché avec ses hommes dans les montagnes environnantes et ne subit aucun dommage direct de cette attaque. Mais le degré de destructions et de saccages de cette force gouvernementale était tel que le gouverneur reçut un ordre direct de Téhéran lui enjoignant de cesser son agression et de rentrer à Boushehr. Cette attaque, qui n’avait pas porté de dommages à Reis Ali Delvâri, avait tant affaibli la position du gouverneur qu’il fut immédiatement révoqué et remplacé par un autre dont la mission était la même, affaiblir Reis Ali et le mettre hors de combat.
Malgré l’importance des luttes constitutionnelles dans le sud, le bilan définitif marqua l’échec de ce mouvement qui dura près de quatre mois. Selon les historiens, la raison principale de cet échec réside dans l’instabilité politique et économique que la révolte entraînait et que cette région commerçante ne pouvait supporter. Très vite, les marchands de la ville, qui avait acclamé les premiers les émeutes, voulurent voir la stabilité revenir, ce qui signifia le glas de leur soutien à la Révolution constitutionnelle.
A l’aube de la Première Guerre mondiale, les Britanniques avaient déjà réussi à se faire une place définitive et à transformer une partie du sud de l’Iran, qui était zone occupée, en zone d’influence, pour contrebalancer les zones d’influences russe ou allemande. La première moitié du XXe siècle en Iran est à ce titre remarquable par la faiblesse du gouvernement central iranien, les derniers rois qâdjârs ayant littéralement confié le pays à leurs « amis » d’Europe, l’Angleterre ou la Russie.
En hiver 1914, l’armée d’occupation anglaise décida de mettre en place une « police du sud » pour faire face à ce qu’elle nommait « les troubles et l’insécurité régnante dans les provinces de Fârs et de Boushehr », à comprendre les révoltes contre leur occupation militaire. Cette police devint effective en 1915.
A cette époque, tous les pays en guerre avaient une zone d’influence en Iran. Pour les Russes, c’était le nord du pays, pour les Ottomans, l’ouest, les Anglais contrôlaient le sud et le sud est, et l’Allemagne différentes parties du centre du pays. Les agents de ces pays étaient actifs alors même que l’Iran était un pays neutre. En novembre 1914, une semaine après l’annonce de la neutralité du gouvernement iranien, une flotte de guerre anglaise, dans le Golfe persique depuis le début du conflit, attaqua et occupa la ville pétrolière d’Abâdân, en débarquant au passage des forces à Boushehr. Les forces anglo-indiennes occupèrent également l’île koweïtienne de Boubiân et obstruèrent le fleuve Arvand Roud. Ce faisant, ils coupèrent la route des pétroliers et leur accès aux ports pétroliers d’Iran et d’Irak. Leur prétexte était de couper la voie aux Ottomans et aux Allemands. Durant les années des guerres mondiales, la question de l’approvisionnement pétrolier et énergétique fut vitale pour tous les protagonistes du conflit et certains historiens estiment que la quasi-totalité du pétrole utilisé par l’Angleterre durant la Première Guerre Mondiale était du pétrole iranien.
En tout cas, l’intérêt pour l’or noir datant d’avant la guerre, en 1907, les Anglais passèrent un traité avec la Russie selon lequel ces deux pays partageaient l’Iran en deux zones d’influence politique et économique, le sud pour les Anglais et le nord pour les Russes. Puis, durant la Grande Guerre, ils réussirent à obtenir à partir de 1915 encore plus de pouvoirs sur ces zones d’influence. De plus, les traités qui furent alors signés entre l’Iran ou l’Arabie saoudite et les Britanniques renforcèrent leur présence dans le Moyen Orient, en particulier dans le Golfe persique.
Durant la Première Guerre mondiale, les Anglais et les Russes intervinrent dans les affaires iraniennes en utilisant des personnalités politiques influentes qui leur étaient dévouées. En raison de ces interventions extérieures, durant les années de guerre 1914-1918, le cabinet iranien changea dix fois. Durant ces années également, de nombreuses révoltes et résistances populaires virent le jour face aux envahisseurs étrangers, en particulier dans la zone britannique. Parmi ces révoltes, on peut citer celles de Tanguestân et de Dashtestân, dans la province de Boushehr, en 1915, qui firent date.
Suite à cet événement, les représentants des gouvernements britannique et russe décidèrent de renforcer leur puissance militaire dans le sud et le nord de l’Iran. La peur des Allemands ou des Ottomans et le retour de la sécurité dans le sud de l’Iran, fut un prétexte que le gouvernement anglais utilisa pour justifier l’intensification de l’occupation militaire du sud. Il fut décidé que les Russes augmenteraient leurs forces jusqu’à
11 000 hommes dans le nord et les Anglais, quant à eux, mirent en place une organisation militaire connue sous le nom de « Police du sud » sous le commandement d’officiers anglais et avec la collaboration de militaires iraniens et indiens. Le militaire anglais Sykes fut responsable de la création de cet organisme. Ce dernier, ayant vécu une vingtaine d’années en Iran, possédait une grande maîtrise du persan et connaissait bien le contexte iranien.
En février 1913, ce général entra dans Bandar Abbâs avec pour but la création de cette « police du sud », baptisée "S.P.R". Cet organisme était financé par des impôts illégaux directement demandés par l’armée anglaise aux habitants des provinces du sud.
Trois raisons principales furent à l’origine de la formation de cette police :
- La lutte contre les influences étrangères autres que britanniques en particulier celles de l’Allemagne ou de l’Empire ottoman.
- Le contrôle des routes du sud de l’Iran pour le passage des convois marchands et militaires anglais.
- La protection des sites pétroliers iraniens, alors sous monopole anglais.
La police du sud dont le personnel était indien et iranien ne cessa de se développer durant les années de la Première Guerre mondiale. Elle était sans arrêt attaquée par des groupes citoyens de résistance, partout dans le sud de l’Iran, à Kermân, Bandar Abbâs, Yazd, Shirâz, Boushehr, Kâzeroun... Le gouverneur de Fârs fut chargé de mettre à la disposition de cette police tout ce qui pouvait contribuer à son développement. C’est ainsi qu’entre autres, la gendarmerie de cette province passa sous les ordres de cette police. Avec le slogan du « rétablissement de l’ordre », cette police illégale d’occupation réussit à obtenir en 1917 la reconnaissance officielle du gouvernement iranien. Durant cette année, elle occupa tous les ports et régions pétroliers du sud de l’Iran, mais aussi des ports irakiens et rien que dans la ville iranienne d’Ahvâz, elle concentra une force de 12 000 mille hommes chargés de la protection des champs pétroliers.
Cette police anglaise n’était pas au service des Iraniens. Au contraire, durant les quelques années où elle fut active, elle fit plus de dégâts qu’une bande de brigands. Parmi ses activités, on peut citer les troubles et l’insécurité qu’elle provoquait, pour pouvoir ensuite se présenter en tant que seule autorité capable de la ramener.
Dans le Fârs, cette police acheta les céréales de la région en grande quantité, à tel point que ces produits devinrent introuvables même sur le marché noir et la famine consécutive tua des milliers de personnes. Les membres de cette police arrêtaient souvent les voitures qu’ils réquisitionnaient sans jamais les rendre. Ils réquisitionnèrent également de très nombreuses maisons, domaines etc. La corruption administrative qu’ils avaient crée avaient affaibli le pouvoir étatique et la justice au plus haut point. D’autre part, elle faisait payer, en plus de l’impôt illégal "normal" qui couvrait ses dépenses, des impôts arbitraires. Les membres de cette police détruisirent les maisons de ceux qui refusaient de se plier, les arrêtèrent, les torturèrent et parfois même, les assassinèrent. De nombreuses personnalités de l’époque, en particulier les chefs religieux, protestèrent plus d’une fois contre les exactions de cette police.
Cette police n’eut d’ailleurs pas la vie longue. Formée en 1915, elle disparut cinq ans plus tard avec le coup d’Etat de Rezâ Khân Pahlavi et le retrait des Anglais de l’Iran. Les raisons qui ont conduit à la dissolution de la police furent les suivantes :
- L’incapacité du gouvernement iranien à faire face aux dépenses de cette police.
- L’amplification des luttes armées anti impérialistes des habitants des régions du sud.
- L’insistance des Etats Unis, de la France et de la Russie pour le retrait des forces anglaises postées en Iran.
- La protestation des membres du parlement anglais contre les dépenses de guerre à la fin de la Première guerre mondiale.
Cependant, l’influence anglaise ne s’affaiblit pas avec le retrait des forces d’occupation. Au contraire, la dynastie Pahlavi qui prit le pouvoir après les Qâdjârs en 1920 leur était absolument dévouée. Et l’influence forte des Britanniques fut seulement remplacée peu à peu par celle des Américains, à partir des années 50. Signe de ce changement : les Anglais fermèrent leur consulat à Boushehr en 1952.
Le dernier coup que les Anglais portèrent à l’époque à l’Iran fut la séparation de l’île de Bahreïn, au début des années 60, dont la reconnaissance officielle par le gouvernement iranien ne se fit pas sans débats et protestations, à tel point que l’Iran s’est toujours réservé le droit de revoir cette décision illégale.
C’était en 1961. A l’époque, de nombreux représentants et sénateurs iraniens patriotes protestèrent avec véhémence contre cette décision unilatérale de division territoriale. On peut notamment citer le parlementaire Seyyed Hossein Habib, représentant de Boushehr, qui quitta l’Assemblée Nationale en signe de protestation et en précisant que quiconque abandonnait une partie de son pays à autrui était un traître. Cependant, le roi pahlavi fut porté au pouvoir par les Anglais, et la plupart des parlementaires furent également choisis et formés pour servir les intérêts étrangers, c’est pourquoi ils officialisèrent la séparation du Bahreïn, décision qui n’a jamais été acceptée par la nation iranienne.
A partir des années 50, la région de Boushehr perdit de son importance au profit des régions pétrolières plus connues telles que le Khouzestân voisin. Cependant, certaines activités économiques commencèrent à y être menées ou reprises, telles que la construction navale ou la mise en place de zones économiques spéciales, aujourd’hui au nombre de trois. Autre témoin de l’intérêt qu’elle recommençait à avoir, dès avant la Révolution islamique : la fameuse centrale nucléaire de Boushehr, officiellement en service depuis 2010.
L’attaque irakienne contre l’Iran en 1980, qui débuta une guerre de huit ans, visait en particulier les zones pétrolifères plus proches de l’Irak, c’est-à-dire le Khouzestân. Cependant, Boushehr étant également une zone pétrolière, elle prit la place du Khouzestân durant la guerre. Avec plus de six cents kilomètres de côtes et relativement mieux protégée des attaques irakiennes, cette région servit de plate-forme d’exportation pétrolière durant les années de guerre, en particulier à partir de l’île de Khark, qui subit 2834 attaques aériennes irakiennes.
Comme toutes les régions pétrolières d’Iran, la province de Boushehr subit de très lourdes destructions durant la guerre. Mais le développement du corridor Assalouyeh, affilié à l’immense champ gazier de South Pars, fait de Boushehr une région en plein boom économique.