N° 70, septembre 2011

A la recherche du diable dans Les Diaboliquesde Barbey d’Aurevilly


Mohammad Rezâ Mohseni


Lire Barbey d’Aurevilly ne va pas de soi, mais les critiques ont proposé, depuis une trentaine d’années, des lectures nouvelles qui montrent l’originalité et la profondeur de cette œuvre, servie par des techniques d’une modernité surprenante.

Les Diaboliques sont sans doute l’œuvre la plus connue de Barbey d’Aurevilly. En 1874, la publication de cette œuvre fit scandale. La justice fut saisie, mais il n’y aura pas de bataille judiciaire : l’auteur accepte la destruction des exemplaires saisis par la police. L’ouvrage ne paraîtra qu’en 1882.

Cette œuvre est une sorte de voyage dans le monde des différents personnages. Les Diaboliques comportent six nouvelles aux intrigues différentes. Il est possible de dire que ces six nouvelles concentrent un univers moral parvenu à la maturité grâce à l’expression de l’auteur.

En tant que chrétien et moraliste, Barbey d’Aurevilly met l’accent sur la différence du Bien et du Mal. Plutôt que de se demander comment l’homme a su se faire le suppôt de Satan, il met à notre disposition l’histoire d’hommes quasi-réels, authentiquement possédés. En montrant l’homme dans le rôle du diable, il nous découvre une fenêtre sur les tristes aspects de la condition humaine.

Dans cette œuvre, le satanisme est un fait de langage et Barbey joue avec le réseau sémantique infernal (diable, enfer, démon et damnation), de telle sorte que l’on peut parler de satanisme verbal ou lexicalisé. Le nom du diable envahit ainsi l’espace du texte, cependant la dimension métaphysique du satanisme chez Barbey d’Aurevilly reste réduite et on ne trouve qu’une seule séquence véritablement sacrilège.

Le personnage aurevillien n’a rien d’un type, et se présente toujours comme atypique et exceptionnel. Cependant, ce personnage est souvent prisonnier de ses désirs et se présente sous la forme d’un chercheur insatiable de plaisir.

Les héros de Barbey sont des monstres, au sens où ils excédent les normes, ce sont des êtres d’exception, de véritables demi-dieux qui semblent venir d’un temps et d’un monde, des êtres dont les valeurs sont autres.

« Ydow » est un diable d’homme. « Hauteclaire » est une « belle diablesse » [1], « Ravila » a des yeux bleus d’enfer.

Mais ce qui attire l’attention du lecteur, c’est que la plupart des diables sont des femmes. Les nouvelles de Barbey accordent une large part à la femme qui est pour lui un objet de haine et de mépris. C’est pourquoi à travers ses nouvelles, la femme est souvent le symbole de diable.

Les six nouvelles ne cessent de marquer l’amitié des femmes avec le diable : « Le diable apprend aux femmes ce qu’elles sont, ou plutôt elles l’apprendraient au diable, s’il pouvait l’ignorer… » [2] Le caractère démoniaque de la femme constitue un leitmotiv dans le recueil : « cette Alberte d’enfer », « cette diablesse de femme », « une femme l’aimant du diable ».

Les mères, dans Les Diaboliques, ne sont pas très aimantes. L’origine des enfants est douteuse. Après avoir lu les six nouvelles, il est aisé pour le lecteur de comprendre que la plupart des diaboliques sont des femmes ; autrement dit, une femme se consacre autant qu’au diable à la femme. Trois mots sont au sein de ces nouvelles : le diable, la femme, le récit.

Après avoir étudié la biographie de l’auteur, on peut comprendre que Barbey d’Aurevilly appréciait la compagnie de ces dernières, pourquoi les attaque-il avec autant de virulence ?

En réalité, l’écriture des Diaboliques constitua pour Barbey un moyen de régler ses comptes avec son enfance et sa mère, qui n’ont jamais cessé de le hanter. Barbey d’Aurevilly se sentit toujours mal aimé et rejeté par une mère qui le trouvait laid et le disait sans détour, même si cette naissance est recomposée dans l’imagination de cet auteur et prend la forme d’une affabulation romantique. Barbey garda toujours l’idée qu’il était arrivé à contre temps dans la vie et cette erreur initiale eut toujours pour lui le sens d’une dissonance ontologique, c’est pourquoi il emprunta la plupart de ses personnages à sa propre famille, y compris les personnages féminins.

Bibliographie :
- Barbey d’Aurevilly, Les Diaboliques, Paris, Gallimard, 1973.
- Berthier Philippe, Barbey d’Aurevilly et l’imagination, Genève, Droz, 1978.
- Bellemin-Noël, Jean, Les Diaboliques au divan, Toulouse, Ombre, Soupçons, 1991.
- Berthier Philippe, Les Diaboliques de Barbey d’Aurevilly, Paris, Champion, 1987.
- Bloy, Léon, Fragments inédits sur Barbey d’Aurevilly .La Rochelle, éditions des cahiers Léon Bloy.1927.

Notes

[1Barbey d’Aurevilly, Les Diaboliques, Paris, Gallimard, 1973, p.129.

[2Ibid., p.152


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