N° 22, septembre 2007

Entretien avec Mahmoud Farchtchiân Maître de la miniature persane


Afsaneh Pourmazaheri, Farzâneh Pourmazâheri


Ouvrir un livre de Mahmoud Farchtchiân
Est comme sauter dans un territoire magique.
La combinaison de l’imagination et de la réalité,
Prépare immédiatement le terrain pour tous.
Et c’est grâce à l’alchimie,
Dont le secret n’est révélé que chez des êtres
Peu nombreux comme Farchtchiân.

Federico Mayor
(Secrétaire Général de l’Unesco)

Le maître Mahmoud Farchtchiân naquit le 24 janvier 1923 à Ispahan. Entouré des chefs-d’œuvre architecturaux de cette ville magnifique, son esprit s’aiguisa progressivement et prit conscience de la proportion, de la couleur et de la forme. A l’âge de 5 ans, il fut évident que sa vie allait être entièrement consacrée à la peinture et à l’art. Ayant remarqué le grand intérêt de son enfant pour la peinture, son père, grand commerçant de tapis et admirateur des arts, favorisa l’épanouissement de son talent inné. Ce dernier eut l’occasion d’apprendre la peinture auprès des maîtres renommés de l’époque dont Hâj Mirzâ Aghâ Emâmî et Issâ Bahâdorî. Après avoir obtenu son diplôme à l’Académie des Beaux Arts d’Ispahan, il partit pour l’Europe afin de mieux connaître l’art occidental. Il y étudia, des années durant, les œuvres de grands artistes occidentaux, ce qui eut pour résultat de lui donner un regard artistique international.

A son retour à Ispahan, il commença à travailler dans le Bureau Général des Beaux Arts. Peu après, il fut désigné pour la direction de l’Administration des Arts Nationaux et par la suite, il rejoignit la Faculté des Beaux Arts de l’Université de Téhéran où, débutant une carrière unique, il se mit à créer des œuvres flamboyantes, originales et sans pareilles qui le firent très vite mondialement connaître.

Plus tard, il partit pour les Etats-Unis où ses œuvres, rencontrant immédiatement un grand succès, furent notamment exposées à la Bibliothèque de Londres, au Musée Métropolitan, ainsi qu’à l’Université de Harvard. Aujourd’hui, ses chefs-d’œuvre sont exposés dans les galeries et les musées d’Asie, d’Europe et des Etats-Unis, aussi bien que dans de nombreuses collections personnelles. Le maître Farchtchiân a obtenu de nombreux titres et prix durant sa féconde vie artistique. Ce grand peintre a un style personnel, sans précédent et très original, et est le fondateur d’une nouvelle école. Ses toiles se nourrissent de la puissance de la création, de motifs vivants, d’espaces circulaires, de lignes fortes et douces et de couleurs ondulées ; compositions élégantes de noblesse et d’innovation. Quant aux thèmes de ses tableaux, ils s’inspirent de la littérature, de la poésie classique, du Coran, des livres sacrés du christianisme et du judaïsme aussi bien que de sa profonde et ardente imagination. Ses œuvres les plus exceptionnelles sont basées sur les sentiments humains, manifestés dans les gracieuses figures qu’il peint.

Quand il travaille, le maître Farchtchiân écoute souvent de la musique et ces rythmes harmonieux animent le mouvement délicat de son pinceau sur la toile. Ses peintures nous invitent à écouter avec le cœur leurs chuchotements, aussi architecturaux que leurs formes. C’est ainsi que sur ses toiles, le maître Farchtchiân est arrivé à raconter maints contes avec l’expressivité unique de son surréalisme.

Afsâneh POURMAZAHERI : Quelle est l’origine du mot "miniature" ?

Mahmoud FARCHTCHIAN : Tout d’abord, il faut noter que le terme "miniature" ne convient pas à la culture persane. C’est un mot que l’on a désormais expulsé de notre culture de l’art. En revanche, il vaut mieux tout simplement dire "la peinture persane" ou "Negârgari". En fait, le terme "miniature" vient du mot anglais "minimum natural" dont l’histoire est assez longue. Quand la peinture classique de l’Europe apparut en Iran, les artistes décidèrent de faire une distinction entre la peinture européenne et celle de l’Iran, que l’on nomma alors "miniature". Cependant, ce n’est pas un mot convenable puisque, primo, c’est un terme emprunté et secundo, un tableau de miniature est de petite taille. Par exemple, à l’étranger, un petit tableau destiné à la publicité de la boisson Pepsi Cola s’appelle une miniature. Donc, en Iran, les œuvres de grande taille ne sont guère des "miniatures" mais des "peintures persanes" ou bien des "negârgari".

Mahmoud FARCHTCHIÂN

Farzâneh POURMAZAHERI : Quel est le point de vue des Occidentaux sur l’art du negârgari, cet art oriental ?

M.F. : Les Occidentaux apprécient beaucoup les arts originaux de la Perse. Comme vous pouvez le constater, de nombreux livres ont été rédigés par les étrangers sur l’art persan, en fait plus que par les Iraniens eux-mêmes. Certains de ces livres contiennent de fines analyses et des commentaires pertinents et très instructifs là-dessus. Des scientifiques de haut rang tels que Stewart Caliber, B.W. Robinson et le professeur Pope ont travaillé sur l’art persan. Dans son testament, le professeur Pope a souhaité être enterré à Ispahan, près de la rivière Zâyandeh Roud. Donc, nous voyons comment des Occidentaux se sont consacrés à la découverte de l’art et de la culture persans.

A.P. : Etant donné que la plupart de vos expositions ont eu lieu en Italie, pourriez-vous nous dire quelle nation s’est davantage intéressée à l’art du negârgari ?

M.F. : Les Italiens sont les plus enthousiastes, c’est pourquoi ils organisent beaucoup d’expositions consacrées à l’art persan. Quant à mon livre récemment publié, il a été apprécié par le vice président de l’Université Internationale de l’Art à Florence, cette ville de tous les arts.

F.P. : Quels sont vos sujets préférés ?

M.F. : Selon moi, n’importe quel sujet qui vient à l’esprit de l’artiste et avec lequel il peut communiquer peut devenir le sujet d’un tableau. Ce qui importe, c’est comment développer le thème choisi, qu’il soit épique, religieux, etc.

A.P. : A votre avis, dans quelle mesure la jeune génération a pu communiquer avec la peinture persane ? Quel est votre conseil aux amateurs ?

M.F. : Heureusement, la jeune génération va à la rencontre de cet art avec beaucoup d’enthousiasme. Avant, très peu d’artistes persans, disons dix hommes et deux ou trois femmes présentaient leurs tableaux à l’occasion d’une exposition, et chacun ne présentait que trois ou quatre tableaux. Mais maintenant, plusieurs centaines de jeunes artistes, hommes ou femmes, participent aux expositions. C’est d’autant plus remarquable que la moitié des tableaux sont absolument à voir. C’est pour cette raison que je pense que l’art persan est de plus en plus entre les mains de la jeune génération. Dans le passé, sous prétexte du modernisme, on nous a éloignés de notre identité culturelle tout en voulant remplacer notre culture par la culture occidentale. Pourtant, la peinture persane ne se manifestait dans le monde qu’en se basant sur sa propre identité originale. Bien sûr, cela ne veut pas dire qu’il faut renoncer à toute innovation. Mais il faut que nous connaissions et ayons foi en notre passé pour pouvoir innover. Sinon, notre art courrait de jour en jour vers la décadence. Je crois que les jeunes artistes aussi bien que les responsables commencent peu à peu à se reprendre en main et à amorcer un mouvement de retour aux sources, de comprendre l’immense potentiel de la peinture persane. Notre art pictural est riche, pur et original et il appartient à notre nation, sans discontinuité entre le passé et la jeune génération.

Mahmoud FARCHTCHIÂN

F.P. : Pourquoi certains s’efforcent-ils de convaincre le public que le negârgari est né en Chine ? Est-ce que cette prétention est fondée ?

M.F. : C’est une idée absolument fausse, et est diffusée par des personnes qui ne connaissent pas assez l’histoire de l’art. L’art n’est pas une marchandise à exporter et importer. Nos ancêtres ne restaient pas les bras croisés à attendre les créations artistiques venues d’ailleurs. Et cela depuis très longtemps. Par exemple, les fresques des grottes et des cavernes de Hamiân et Mirménâr datent d’il y a dix mille ans. Evidemment, cet art ne vient pas de la Chine, une telle prétention ne peut que porter atteinte à notre culture et identité nationales. Parmi d’autres prétentions de ce genre, qui ne sont basées sur rien, je peux nommer le livre de Saddam Hussein intitulé Oroubatol Olamâ el Adjam. Dans ce livre, Saddam a présenté des grands poètes persans dont Hâfez, Sa’adî et Rûmî comme des poètes arabes. De même, dans le Musée Métropolitan, je suis tombé sur un livre intitulé Noghouch al Arabiat al Hendesiah traduit en 28 langues sauf en persan, alors que toutes les pages du livre étaient illustrées de dessins et de motifs traditionnels persans datant de huit siècles. N’est-ce pas affligeant ? Malheureusement, certains pensent que la peinture persane vient de la Chine, mais ce n’est pas vrai. Notre peinture est nationale. Si l’on attribue notre peinture aux Chinois et nos poètes aux Arabes, que restera-t-il ? Comment peut-on ignorer l’existence du pot en céramique perse datant de cinq millénaires ? Il suffit de contempler les délicats motifs de ce récipient en terre cuite pour voir la grandeur d’une civilisation derrière chaque ligne de ces motifs. Prenons le cas de la peinture chinoise. La peinture chinoise moderne, celle du Moyen-âge ou bien celle de l’Antiquité, toutes, se manifestent sous le nom de peinture chinoise. Ainsi, l’identité et l’originalité de l’art pittoresque de l’Extrême Orient se montre dans chacune de ces périodes. Bref, bien que l’art ne connaisse aucune limite, il ne faut pas laisser les identités nationales de chaque pays tomber dans l’oubli.

A.P. : Malgré tout ce que vous avez dit, nous voyons dans certains tableaux des physionomies mongoles tout à fait différentes des nôtres. Comment vous justifiez cela ?

M.F. : Eh bien, il faut simplement se souvenir que plusieurs siècles durant, l’Iran a vécu sous domination mongole. C’est donc normal que notre peinture comprenne des physionomies asiatiques.

F.P. : Quelle est la caractéristique la plus éminente d’un artiste ?

M.F. : La modestie. A mon avis, il n’y a rien de pire que l’orgueil pour déposséder le travail d’un artiste de sa pureté et de sa perfection, de transformer sa clarté en obscurité. La vie, surtout chez un artiste, ressemble à une coupe à remplir indéfiniment. Dès que l’artiste la croira pleine, il n’avancera plus. Plus il a soif et plus il est modeste, plus la coupe s’emplira par faveur divine sans déborder. Ainsi, le créateur d’une œuvre doit s’abreuver à la source éternelle tout en ayant toujours soif d’apprendre et de créer.

A.P. : De quel sujet l’art du negârgari traite-t-il généralement ? Pourquoi la violence des champs de bataille ou bien les scènes de massacre sont moins présentes que la délicatesse féminine et la douceur de la nature ?

M.F. : Bien qu’un tableau de negârgari ne soit pas exempt de scènes violentes, la différence repose sur le fait que toute violence est assouplie par des lignes et des couleurs agréables. Dans le Shâhnâmeh de Ferdowsi, les scènes de bataille et de massacre sont dépeintes avec plus de délicatesse et moins de rudesse. Toujours concernant le sujet de la peinture persane, certaines personnes demandent pourquoi la plupart des tableaux mettent en scène une jeune femme en compagnie d’un vieil homme. A mon avis, la femme chez un peintre persan représente la beauté divine tandis que le vieillard est la manifestation de la perfection divine. Ils sont donc deux aspects interdépendants et sont deux caractéristiques indissociables de la divinité.

M. Farchtchiân lors de l’un de ses cours

F.P. : Etant donné que vous consacrez la majeure partie de votre temps à la lecture, dites-nous quel a été le rôle de cet exercice mental dans votre formation artistique ?

M.F. : Je crois que chacun, quelque soit son domaine, que ce soit la science, l’art l’industrie, etc., doit faire de son mieux pour être le premier, le meilleur. Même s’il ne l’est pas, il doit s’efforcer d’atteindre la perfection. La soif d’apprendre ne doit jamais s’éteindre. Quant à moi, j’ai toujours essayé de me documenter dans mon domaine et d’améliorer mes connaissances artistiques. J’ai beaucoup étudié, je m’intéresse à tout ce qui concerne l’art, bien que j’en aie déjà une idée. Il se peut que je trouve une petite remarque dont le contenu me paraît bien utile. Je possède donc un grand nombre de livres très précieux et très instructifs, ici et aux Etats-Unis. J’ai l’intention de les offrir à une organisation afin de les préserver. Je me rappelle que j’étais en Autriche lorsque la guerre commençait à n’être plus qu’un mauvais souvenir. Les gens vendaient leurs bibliothèques pour une bouchée de pain. Pour l’étudiant que j’étais, c’était la meilleure occasion qui pouvait se présenter. J’ai acheté autant de livres que j’ai pu et je les ai ramenés en Iran. Je veux vraiment qu’ils soient conservés. Quand j’étais jeune, je travaillais sans cesse, sans fatigue. J’ai passé des heures à étudier les tableaux dans les musées. Maintenant, avec sept heures de travail par jour, je me sens heureux.

A.P. : Laquelle des écoles telles que l’impressionnisme, le surréalisme, le cubisme, etc. a pu, selon vous, mieux s’allier avec la peinture persane, l’art du negârgari ?

M.F. : Toutes les écoles qui ont influencé les arts se manifestent plus ou moins dans la peinture persane. Autrement dit, l’art de negârgari a pu bien réagir face aux courants artistiques qui ont marqué l’art mondial.

F.P. : Si vous aviez à mentionner un vrai exemple de l’homme parfait, qui nommeriez-vous ?

M.F. : Je dirais le prophète Mahomet. Il est d’une telle éminence et possède une telle personnalité divine que nous n’arrivons pas à le comprendre. Nous ne sommes pas capables de décrire la magnanimité de son âme. Cela nous dépasse. C’est la même chose pour Jésus Christ et Moïse, notre niveau de la compréhension ne contribue pas plus à la découverte de leur grandeur. Dans le livre Cents Grandes Personnalités du Monde publié récemment aux Etats-Unis, le nom du prophète Mahomet est en première page. Ce qui est intéressant à ce propos, c’est que l’auteur du livre n’est ni iranien ni musulman. Malheureusement, ce livre n’est pas connu en Iran.

Buste de M. Farchtchiân

A.P. : Quelle place tient l’imagination dans le développement d’une œuvre artistique ?

M.F. : Une grande place. Un peintre doit parfaitement maîtriser son travail. Sa main doit se déplacer sur la toile avec une habileté telle qu’elle se soumette automatiquement à son cerveau, pour qu’ensuite l’artiste développe des images. Personne n’est dépourvu d’imagination. Mais chez les artistes, elle est plus forte. Aussi un poète a-t-il besoin d’une grande maîtrise afin d’organiser ce qu’il imagine selon une forme poétique. Quant à un peintre, il se sert de son imagination pour arranger des lignes, des couleurs et des motifs de façon harmonieuse. Mais l’imagination seule ne suffit pas. Son œil doit se familiariser avec l’esthétique pour pouvoir distinguer les choses et pour diriger le cerveau et la main de l’artiste vers un délicat développement des images déjà incarnées dans son esprit.

F.P. : En regardant vos tableaux, il semble que les oiseaux gazouillent, le vent souffle, le ruisseau murmure et ainsi la musique de la nature s’entend. Quel secret y a-t-il derrière vos œuvres si vivantes ?

M.F. : Quand je lance des lignes et des couleurs sur la toile, je m’imagine conversant avec Dieu. Je parle avec la nature et je l’aime. Lorsque je passe par la nature, je ne ferme pas les yeux. Croyez-moi, il y a tant de secrets dans une feuille détachée d’une branche. Malheureusement, cette nature inspiratrice est mal aimée par l’homme. Il nous faut vraiment l’aimer.

F.A. POURMAZAHERI : Maître Farchtchiân "La Revue de Téhéran" vous remercie infiniment pour avoir accordé votre temps malgré votre court séjour en Iran.

M. FARCHTCHIAN : Je remercie "La revue de Téhéran" pour cette interview.

Publications du maître Mahmoud Farchtchiân


- Les Peintures et les Dessins de Mahmoud Farchtchiân
(tome I),1976.

- Les Peintures et les Dessins de Mahmoud Farchtchiân (tome II),1991.

- Les Héros du Shâhnâmeh, 1991.

- Farchtchiân / Unesco - Cent trente-cinq œuvres du maître Farchtchiân.

- Farchtchiân / Unesco - Œuvres sélectionnées par l’Unesco comprenant une centaine d’œuvres.

Prix et distinctions reçus par le maître Mahmoud Farchtchiân


- L’inclusion du nom de l’artiste dans le répertoire "Who’s Who" du XXIe siècle en 2001.

- L’inclusion du nom de l’artiste dans le répertoire des intellectuels du XXIe siècle en 2000.

- Statue européenne en or de l’art, Italie, 1985.

- Médaille de l’art, Italie, 1984.

- Diplôme académique de l’Europe, Académie de l’Europe-Italie, 1983.

- Diplôme du mérite de l’Université d’Art, Italie, 1982.

- Médaille d’or de l’Académie de l’Art et du Travail, Italie, 1981.

- Premier prix du Ministère de la culture et de l’art, Iran, 1973.

- Médaille d’or du Festival International d’Art, Belgique, 1958.

- Médaille d’or de l’art militaire, l’Iran 1952.


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